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Amour, émeute et cuisine
Amour, émeute et cuisine
  • Quelques pensées sur la civilisation, considérée dans ses aspects politiques, "philosophiques", et culinaires, entre autres. Il y sera donc question de capitalisme, d'Empire, de révolte, et d'antiterrorisme, mais aussi autant que faire se peut de cuisine.
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12 avril 2012

Fin de partie pour Fragnoli

 Ca y est, Mr Fragnoli s’en est allé. Epuisé, au bout du rouleau, il a quand même eu la délicatesse de nous gratifier d’une ultime Fragnolade. A la suite de ses frasques dans le Canard Enchaîné, nos avocats avaient jugé bon de demander son départ en retraite anticipée. Tout le monde s’y accordait, Mr Fragnoli qui récemment encore imaginait une adaptation cinématographique de l’affaire de Tarnac où Brad Pitt jouerait son rôle, avait définitivement perdu la raison. Sa hiérarchie, mue par on ne sait quel incompréhensible bénévolat, lui proposa de prendre les devants plutôt que de subir une ultime humiliation qui aurait valeur de blâme. Le dos au mur, il a pris cette petite porte, non sans fragnoler haut et fort que la décision émanait de lui. Avec cet humour malade que ceux qui le cotoient lui connaissent, il alla jusqu’à déclarer qu’il en avait marre des attaques personnelles dans la presse. Les dizaines de journalistes qui ont pu l’entendre déblatérer ses petits ragots et ses petites médisances à propos de la vie personnelle des inculpés ont dû bien rire.

 Certes, l’affaire de Tarnac n’était pas de son fait mais il a commis l’erreur de la faire sienne. Nombreuses furent les occasions pour lui de prononcer un non-lieu, d’en sortir la tête haute. Au lieu de cela, il a préféré couvrir les mensonges de la SDAT et se soumettre à la pression de sa hierarchie. Ne nous méprenons pas, dans l’affaire de Tarnac, Mr Fragnoli ne fût qu’un pion, méprisé et méprisable. Il se sera contenté de choisir le mauvais parti.

 Ses petits arrangements avec Jean-Hugues Bourgeois le témoin psychiatrique, ses reconstitutions bidonnées, ces PV inventés par la SDAT auxquels il feignait de croire, ses refus de laisser un inculpé habiter chez un autre pour que son fils puisse subir une greffe de moelle osseuse, ses arrestations en pleine rue à bout touchant, ses élucubrations infinies sur sa propre page wikipedia, ses milles petites rumeurs nauséabondes qu’il distillait à chaque fois que son instruction allait mal (AZF, la vie personnelle des uns et des autres, ses mythos sur ses stylos SNCF, etc.), de tout cela, rien ne nous manquera.

 On pourrait s’amuser de l’absurdité de l’homme ou s’indigner de sa mauvaiseté; nous nous contenterons d’attendre la suite, avec tout l’intérêt quelle mérite.

Un inculpé

PS: A la lecture de la dépêche AFP qui annonçait son déssaisissement, nous pouvions comprendre que Mr Fragnoli craignait une plainte de la part de Mr Torres du fait de la révélation de son nom à "la presse libre". Qu’il se repose en paix, nous ne faisons pas partie de votre famille.

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12 avril 2012

Un lettre en plus, un juge en moins

Lundi 2 avril, Charles Torres envoyait cette lettre au juge Fragnoli.

36h plus tard, et deux heures avant sa diffusion publique, Mr Fragnoli nous quittait.

 Monsieur le Juge, Je vous écris suite à votre visite à mon domicile le jeudi 23 février et à ma mise en garde à vue le même jour dans le cadre de votre instruction dans l’affaire dite « de Tarnac ». Ne connaissant pas l’adresse exacte de votre bureau au TGI, je me permets de vous joindre sur votre adresse mail parue récemment dans le Canard Enchaîné daté du 14 mars 2012. Au cas, où vous en auriez depuis changé, j’essaierai demain de vous l’envoyer en recommandé.

 Venons-en à l’objet de cette lettre. J’ai pu comprendre, lors de mes 36h de GAV que vous nous soupçonniez, —moi ou mon père de 86 ans qu’un de vos agents de police a entendu—, d’avoir confectionné les fers à bêtons qui ont été utilisés lors des sabotages des lignes TGV de novembre 2008. Ayant été libéré sans qu’aucune charge ne soit retenue contre moi, un esprit raisonnable estimerait que vos soupçons sont désormais levés. Cependant, j’ai suivi cette affaire dans la presse comme par le biais de mes amis inculpés, et je crains que malgré aucun élément probant, vous ne mainteniez ces soupçons en l’état dans votre instruction, en tant que pure hypothèse paranoïaque qui pourrait venir étayer l’histoire que vous tentez bon gré malgré de raconter depuis maintenant 3 ans et demi. J’aimerais à ce propos que cette lettre soit jointe à votre dossier d’instruction afin d’être bien certain que mon arrestation ne constitue en rien un élément à charge, même flou ou fantasmé, à l’encontre des inculpés de Tarnac mais bien un élément à décharge en tant qu’il contredit l’hypothèse que Julien Coupat et Yildune Lévy aurait fait une halte chez moi pour récupérer les crochets qui ont servi aux sabotages que vous vous obstinez à leur attribuer. Je m’étonne par ailleurs que les 20 policiers de la SDAT et de la DCRI qui prétendent les avoir suivi ces jours-là n’aient pas témoigné en ma faveur. S’ils étaient suivis par la police, cette dernière a bien dû vous dire qu’ils ne sont absolument pas passés chez mes parents.

 Comme vous le savez certainement, je n’ai pas beaucoup parlé lors de ma garde à vue. Ceci pour deux raisons, la première était l’incompétence affichée des policiers en terme de forge et la seconde, qu’il me paraissait beaucoup plus adequat d’attendre de vous rencontrer en chair et en os pour vous démontrer que vous faisiez définitivement fausse route en présumant que, parce que je sais forger, j’aurais pu avoir quoi que ce soit à voir avec les sabotages sur lesquels vous enquêtez.

 Quelle ne fut pas ma déception, lorsqu’on me signifia la fin de ma garde à vue, sans même que vous ayez pris le temps de m’entendre. Je trouve ça d’ailleurs pour le moins étrange que vous veniez deranger mon père en pyjama de bon matin pour m’arrêter à l’aide d’une trentaine de policiers pour au final ne pas prendre ne serait-ce que cinq minutes pour m’entendre. Peut-être deviez-vous de toute urgence partir en vacances ?

 Bref, quelques soient les raisons de cette négligence ou de cette stratégie, il me paraît tout à fait nécessaire de vous exposer aujourd’hui en quoi il est impossible que j’ai pu faire ces crochets ainsi que de justifier de certains objets incongrues que vous avez trouvé chez moi et mis sous scellés. Cela, je le répète, afin qu’il soit tout à fait impossible de maintenir l’hypothèse de ma participation à ces sabotages, même sous forme de pure hypothèse ou que vous écriviez à des journalistes pour dire que, tout de même, on a trouvé des cagoules dans la chambre de mon frère.

 Commençons par la présence des ces cagoules qui semblait rejouir les policiers de la SDAT. J’ai depuis mon arrestation eu le loisir de m’enquérir auprès de mon frère à ce propos : il faut bien le reconnaître, tout le monde ne possède pas deux cagoules trois trous dans son armoire. Le résultat de mes investigations est qu’il y a un an, ce dernier fêtait l’enterrement de vie de garçon de l’un de ses amis. A cette occasion, tout le monde le sait, les blagues les plus potaches viennent célébrer la fin d’une vie de célibataire. Leur humour, très particulier, les amena à simuler la prise en otage du presque-marié, et à le prendre en photo ligoté, au milieu de deux de ses amis cagoulés, le journal « têtu » de la semaine attestant de la date de l’enlèvement. Si vous souhaitez une quelconque confirmation de cela, n’hésitez pas joindre mon frère, il pourra vous donner les coordonnées de ces deux amis professeur agrégé à l’université de science de Rouen et chercheur au CHU de Rouen. Ils étaient respectivement le garçon ligoté et second preneur d’otage aux côtés de mon frère. A priori, la DCRI ne devrait pas les soupçonner d’une quelconque sympathie pro-terroriste.

 Concernant la lunette de vision nocture, comme je l’ai déclaré en garde à vue, elle sert à mon frère pour aller observer le brâme des cerfs à l’autonme en forêt de Roumare. Cependant, comme je l’ai dit à vos enquêteurs, étant donné que le contenu de cette instruction est régulièrement ouvert à la presse, il est hors de question que je vous divulge les lieux précis. Comme chacun le sait, les places de brâme c’est comme les coins à champignon, ça ne se donne pas à n’importe qui.

 Cependant si les trois magistrats instructeurs estimaient qu’un transport sur place était nécessaire à la manifestation de la vérité, je pourrais essayer de convaincre mon frère de vous y amener à l’autonme prochain à la condition que tout journaliste soit tenu à l’écart par un dispositif adequat. Entrons dans le vif du sujet, les crochets et mon métier de forgeron. Vous êtes venus chez moi suivant un faisceau d’indices graves et concordants, c’est à dire en l’espèce que d’après vous, le crochet n’est pas l’oeuvre d’un amateur sous-outillé (chalumeau et/ou poste à souder, meleuse éventuellement) ou d’une usine chinoise rationnalisée, mais bien celui d’un artisan forgeron, equipé et formé pour le travail du fer dans la tradition européenne (travail à chaud: découpe, étirage, refoulage; soudure à la forge).

 Toute l’ambiguïté de ma garde à vue reposait sur le fait que l’on me demandait d’être à la fois coupable et expert. N’étant a priori pas vraiment coupable, je me permets de vous livrer mon expertise qui, n’en doutons pas vous permettra définitivement d’écarter tout soupçon à mon encontre comme à celle de mon père.

 C’est une chance pour la justice que ces techniques laissent des traces particulierement parlantes –traces que j’imagine vous avez déjà relevées tant sur le matériel retrouvé sur les voies sncf que sur mes outils lors de la perquisition chez mes parents; la justice n’a pas l’habitude de déplacer de tels moyens sans qu’ils servent à etablir des preuves solides et indiscutables, -vous n’êtes pas là pour "emmerder le monde" comme on peut parfois l’entendre-. La découpe à chaud, par exemple, qui est l’appanage d’un artisant de ma trempe, se fait à l’aide d’un outil nomé "tranche a chaud" qui agit comme un burin sur le metal ramoli par la temperature. La lame de la tranche laisse dans l’acier découpé des sillons perpendiculaires à celle-ci qui correspondent au profil précis du fil de la tranche (en raison de leur travail, ces profils sont tres specifiques). Ces sillons peuvent donc être étudiés comme les rayures laissées par un canon sur une balle. Sur une section de fer, il y a par définition au moins deux découpes, les faire parler aura été votre préoccupation première j’en suis certain. De même, le marteau, outil qui est l’âme même du travail de forge, rentre dans le fer chaud en laissant l’empreinte de sa table, une table (surface de travail) qui aura dans tous les cas connu suffisament d’accidents pour porter des traces semblables à aucune autre. La comparaison de l’empreinte de l’outil et de l’empreinte retrouvée sur l’objet permettra donc d’exclure toute filliation de l’un à l’autre. Enfin, une derniere annalyse, fondamentale celle-la, est possible. Vous n’ignorez pas que l’acier est élaboré et mis à la nuance dans des "poches" qui peuvent faire de quinze à cinquante tonnes. La nuance suit un cahier des charges: en ce qui concerne le fer à béton, le taux de carbonne, par exemple est généralent tenu autour de 0,1% (comme 99% de l’acier qui nous entoure). De nombreux autres éléments sont aussi limités comme le souffre, le cuivre... Il existe cependant une variabilité possible entre les teneurs acceptées par le cahier des charges (lui même dépendant de chaque client), en prenant en compte une certaine finesse d’analyse, on peut ainsi parvenir à carractériser un profil chimique propre à une coulée précise. Si les éléments majeurs ne suffisent pas, il est possible d’utiliser les éléments traces (présents à moins de 0,01%), matières peu communes, souvent constituées de "terres rares". De plus, après avoir été fondu, l’acier est coulé dans des creusets de plusieurs tonnes où la vitesse du refroidissement donne aux lingots ainsi obtenus une grande complexité. Le laminage étire ces lingots si bien qu’une même barre de 6 mètres va avoir des propriétés physiques et chimiques légérement différentes des autres du même lingot, mais qui lui sont propres. Ainsi les chutes de travail réalisées avec un acier déterminé peuvent être caractérisées trés spécifiquement. Le mieux pour celà est d’utiliser un appareil dont la precision est incontestable. Le spectragraphe est trés utilisé dans l’industrie, quoi que généralement il est incapable de mesurer les éléments les plus légers et donne donc des résultats généraux qui sont une interprétation, une hypothèse. Et ce, sans compter le fait que les décharges qui font naitre les gaz eux-mêmes soumis a l’analyse spectrale ont tendance à se faire de façon sélective dans les échantillons ce qui induit d’insupportables inconnues dans le résultat. Pour des annalyses absolues, peut-être vaudrait-il mieux utiliser un microscope electronique à balayage, mais celui-ci n’est pas capable de discerner les éléments en solution, la microstructure cristalline est loin de pouvoir donner des résultats suffisament fins. La solution parfaite sera sans doute fournie par l’utilisation d’un accélérateur de particules. Ces machines peuvent réaliser des spectrographies de masse qui font généralement autorité dans le domaine de l’analyse de la matière. Le mieux à ce propos serait certainement de faire appel à un spécialiste que vous avez sous la main, j’ai lu dans la presse que vos collègues avaient récemment envoyé un jeune et brillant expert en physique des particules en préventive pour deux ans et demi.

 Si vous menez cette expertise, cela vous donnera la preuve irréfutable de mon innocence. Mais là où vous serez doublement gagnant c’est que l’on ne pourra plus, sur ce point au moins, vous soupçonner de faire les choses à l’envers. En l’état, arrêter quelqu’un et saisir des choses chez lui avant même d’avoir mené la moindre expertise vous permettant de le confondre ni même de savoir exactement ce que vous venez chercher.

 Aussi, par-delà la démonstration de mon extériorité à l’entreprise terroriste que vous poursuivez, au vu des clichés de mauvaise qualité que vos policiers m’ont présenté, il me paraît important de vous faire part de mon expertise quant aux qualifications adéquats à la réalisation des crochets en question. Etre médiatiquement présenté comme un terroriste est une chose, mais être soupçonné d’avoir réalisé un tel travail de cochon est une atteinte profonde à mon honneur. Je n’ai pas étudié la forge depuis plus de dix ans pour que l’on m’accuse d’avoir réalisé un travail qu’un enfant de 10 ans, voir même un agent de la SDAT, pourrait imiter en 10 minutes à la seule condition d’avoir accès à une meleuse et à un poste à souder. Matériel rudimentaire que, selon mes sources, des milions de français cachent dans leur garage.

 Aussi, en contrepartie de ce petit coup de main dans votre enquête, j’apprécierais une attention peu coûteuse de votre part. Je me suis étonné que tant de journalistes annoncent mon arrestation dans les médias mais que rien ou presque n’évoque ma sortie de garde à vue sans la moindre charge. C’est un hasard tout à fait facheux qui a beaucoup entâché ma réputation. Aussi, vous serez consterné d’apprendre que le Centre d’Histoire Sociale de Darnétal que vous êtes allé perquisitionner au motif que chaque année à la Saint Eloi j’y présente le travail de la forge à des enfants, a été tout à fait perturbé de votre venue (une distortion cognitive vous a peut-être amené à confondre ce musée avec votre bureau). Etrangement, aucun de mes employeurs n’a renouvelé de contrat pour cet été. De même pour ma boulangère ou les voisins de mes parents qui ne savent désormais plus comment nous regarder. Si vous pouviez donc faire savoir à qui de droit que je n’ai rien à voir avec tout cela et que votre hypothèse quant à ma participation à une association de malfaiteur relative à une entreprise terroriste s’est effondrée, cela m’éviterait de perdre d’avantage de contrats professionels et cela faciliterait le quotidien de mes parents.

 Aussi, vous n’êtes pas sans savoir qu’ayant refusé de me soumettre au prélèvement ADN, je passe en procès jeudi 5 avril pour cela. C’est une situation tout à fait ubuesque: 1. On vient m’arrêter à partir de motifs que d’aucuns trouveraient ridicules (mon métier, mes amis). 2. On me demande mon ADN au motif de ces motifs ridicule ce qu’évidemment je ne peux que refuser. 3. On me relâche au bout du premier quart de ma garde à vue, sans même avoir vu le juge à l’origine de ma présence. 4.On m’inculpe pour ce refus de donner mon ADN au moment même où la raison qui justifiait cette demande semble avoir disparu.

 Il y a là une logique qui m’échappe complètement sauf à penser que tout cela ne serait qu’un subterfuge pour permettre à la police d’obtenir l’ADN de n’importe qui et donc de procéder à l’identification génétique de personnes au seul motif que certains de leurs amis seraient considérés comme appartenant à une certaine position politique.

 Ayant lu dans la presse que vous êtiez républicain et de gauche, j’imagine que vous ne pouvez cautionner de telles pratiques. Ce serait donc vraiment super sympa si vous pouviez envoyer un mail au juge de Nanterre devant qui je vais passer jeudi 5 avril pour lui dire que tout cela n’est qu’un énorme quiproquo, que vous vous êtes gouré et que ce n’est pas grave car c’est en forgeant que l’on devient forgeron.

Charles Torres

PS: A posteriori, mon père de 86 ans vous remercie de la manière odieuse dont vous vous êtes comporté avec lui pendant la perquisition, ça lui a rappelé ces beaux moments de la jeunesse où il était poursuivi par les juges du régime franquiste. Il a, l’espace de quelques heures, grâce à vos hurlements, retrouvé ses vingt ans.

22 février 2010

Du fichage en france

    Voici un petit fascicule  en PDF que nous avons réalisé à titre d'information, et seulement à titre d'information. Hormis deux ou trois corrections purement formelles et les images, l'ensemble de son contenu vient de l'encyclopédie en ligne Wikipédia, où l'on pourra d'ailleurs trouver plusieurs articles complémentaires. Le PDF : pdf

Le sommaire :

01 Historique jusqu'à 1945

02 De 1945 à 1991

    02.1 L'extension de l'usage du NIR et le contrôle des allocataires et du statut des étrangers
    02.2
SAFARI et la création de la CNIL
    02.3 Réorganisation des fichiers des RG en 1990-91

03 Situation au début du XXIe siècle

04 Fichiers de la police nationale

    04.1 ARIANE et la suspension d'ARDOISE
    04.2
Le Système de traitement des infractions constatées (STIC)
    04.3
Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG)
    04.4
Le Système d'information Schengen (SIS)
    04.5
GEVI
    04.6
Fichier national des interdits de stade (FNIS)
    04.7
Fichier PNR (données de passagers)
    04.8
Fichier de prévention des atteintes à la sécurité publique
    04.9
Système d'analyse des liens de la violence associée aux crimes (SALVAC)
    04.10 Traitements et fichiers relatifs aux véhicules

05 Fichiers de la gendarmerie

    05.1 FPNE (Fichier des personnes nées à l'étranger)
    05.2
Fichier de suivi des personnes faisant l’objet d’une rétention administrative
    05.3
Fichier de la batellerie
    05.4 Fichier alphabétique de renseignements (FAR)

06 Fichiers communs à la police et à la gendarmerie

    06.1 Fichier automatisé des empreintes digitales (FAED)
    06.2
Fichier ELOI (Étrangers en situation irrégulière)
    06.3 Le FPR

07 Fichiers judiciaires

    07.1 Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles (FIJAIS)
    07.2 Fichier du placement sous surveillance électronique mobile

08 Fichiers placés sous plusieurs autorités ou d'autres administrations

    08.1 Loi pour la confiance dans l'économie numérique
    08.2
Fichier Cristina
    08.3
Fichier des passagers aériens (FPA)
    08.4
Passeport biométrique
    08.5
Base-élèves
    08.6
Fichage par l'administration pénitentiaire
    08.7 Fichage municipal

09 Fichage dans le secteur marchand

10 Fichiers supprimés ou en projet

    10.1 Fichier « EDVIGE »
    10.2 Projet de fichage des « bandes organisées »

11 Exemples

12 Annexes

    12.1 Bibliographie
    12.2
Autres fichiers
    12.3 Notes et références

3 février 2010

Nouvelle enquête de l'anti-terrorisme autour du CPE

    Une vieille enquête sur des sabotages SNCF pendant le mouvement anti-CPE passe en antiterrorisme ; un réquisitoire vise une personne déjà mise en cause par l’État dans l’affaire de la dépanneuse de police lors des émeutes qui ont suivi les élections présidentielles de mai 2007.

    Fin août 2009, le juge d’instruction antiterroriste Brunaud, qui s’occupe de l’affaire de janvier 2008 (fumigènes, dépanneuse… ; pour rappel, voir Mauvaises_intentions), décide de commencer à clore cette enquête. S’ensuit alors, comme habituellement, une période de quelques mois pendant laquelle les différentes parties (inculpés et procureur) peuvent faire des observations et demander de nouveaux actes d’enquête. Cette période est censée durer trois mois mais, lorsque personne n’est en prison, les juges ne respectent pas les délais.

    Récemment, nous avons appris que le procureur avait demandé un «réquisitoire supplétif». L’enquête est donc toujours ouverte : l’instruction n’a finalement pas été close.

    Ainsi, le 10 décembre 2009, le procureur a demandé à ce que soient effectués de nouveaux actes d’enquête, dont le contenu vient d’être connu. Le procureur met en avant différents éléments.

    En septembre 2009, un rapport indique que l’ADN de Juan (inculpé pour l’histoire de la dépanneuse) aurait été prélevé sur une paire de gants en latex qui aurait été trouvée non loin des lieux d’une tentative d’incendie contre la SNCF, datant du 12 avril 2006, à Paris 19e.

    Le procureur relève contre Juan, et contre «tous autres», des «présomptions graves» de détention et transport d’éléments incendiaires, de tentative de dégradation, de dégradation et d’association de malfaiteurs ; le tout en relation avec une entreprise terroriste.

    Cette enquête sur le 12 avril s’inscrit dans le cadre d’une enquête plus large concernant des dégradations contre la SNCF en bande organisée (concrètement, des incendies sur des installations électriques gérant le trafic des trains). L’enquête comprend différents faits, tous s’inscrivant dans le mouvement anti-CPE :

— Le 29 mars 2006 à Alfortville, Orly, Villemoison-sur-Orge et Champlan ;
— Le 6 avril 2006 à Wissous, Sarcelles, Épinay-sous-Sénart et Bobigny ;
— Le 12 avril 2006 à Paris.

    L’enquête qui regroupe tous ces faits était ouverte depuis 2006. Fin novembre 2009, elle bascule en antiterrorisme, et est donc aujourd’hui gérée par un juge antiterroriste à Paris.

    Mettant en avant ces arguments, le procureur demande au juge de :

— Faire de nouvelles analyses téléphoniques ;
— Comparer les modes opératoires utilisés en mars avril 2006 et celui du 2 mai 2007 (affaire de la dépanneuse de police) ;
— Comparer ces modes de fabrication à ceux décrits dans les livres saisis dans la voiture lors de l’arrestation d’Isa en janvier 2008 ;
— Effectuer des comparaisons ADN concernant Juan ;
— Procéder à des expertises psychiatriques sur Isa, Juan et Damien (les trois personnes déjà accusées pour l’histoire de la dépanneuse).

    Une commission rogatoire est en cours : les flics sont en train d’enquêter. À ce jour, il n’y a pas encore de retour. Plus d’infos bientôt sans doute.

Solidarité !

Source : Indymédia et le jura libertaire

27 janvier 2010

Anti-terrorisme et CPE

Une vieille enquête sur des sabotages SNCF pendant le mouvement anti-CPE passe en antiterrorisme ; un réquisitoire vise une personne.

Fin août 2009, le juge d’instruction antiterroriste Brunaud, qui s’occupe de l’affaire de janvier 2008 (fumigènes, dépanneuse… pour rappel, voir
http://infokiosques.net/mauvaises_intentions ), décide de commencer à clore cette enquête. S’ensuit alors, comme habituellement, une période de quelques mois pendant laquelle les différentes parties (inculpés et procureur) peuvent faire des observations et demander de nouveaux actes d’enquête. Cette période est censée durer trois mois mais, lorsque personne n’est en prison, les juges ne respectent pas les délais. Récemment, nous avons appris que le procureur avait demandé un « réquisitoire supplétif ». L’enquête est donc toujours ouverte : l’instruction n’a finalement pas été close.

Ainsi, le 10 décembre 2009, le procureur a demandé à ce que soient effectués de nouveaux actes d’enquête, dont le contenu vient d’être connu. Le procureur met en avant différents éléments. En septembre 2009, un rapport indique que l’ADN de Juan (inculpé pour l’histoire de la dépanneuse) aurait été prélevé sur une paire de gants en latex qui aurait été trouvée non loin des lieux d’une tentative d’incendie contre la SNCF, datant du 12 avril 2006, à Paris 19ème. Le procureur relève contre Juan, et contre « tous autres », des « présomptions graves » de détention et transport d’éléments incendiaires, de tentative de dégradation, de dégradation et d’association de malfaiteurs ; le tout en relation avec une entreprise terroriste. Cette enquête sur le 12 avril s’inscrit dans le cadre d’une enquête plus large concernant des dégradations contre la SNCF en bande organisée (concrètement, des incendies sur des installations électriques gérant le trafic des trains). L’enquête comprend différents faits, tous s’inscrivant dans le mouvement anti-CPE :

- le 29 mars 2006 à Alfortville, Orly, Villemoison sur Orge et Champlan
- le 6 avril 2006 à Wissous, Sarcelles, Epinay sous Sénart et Bobigny
- le 12 avril 2006 à Paris L’enquête qui regroupe tous ces faits était ouverte depuis 2006. Fin novembre 2009, elle bascule en antiterrorisme, et est donc aujourd’hui gérée par un juge antiterroriste à Paris.

Mettant en avant ces arguments, le procureur demande au juge de :

- faire de nouvelles analyses téléphoniques
- comparer les modes opératoires utilisés en mars avril 2006 et celui du 2 mai 2007 (affaire de la dépanneuse de police)
- comparer ces modes de fabrication à ceux décrits dans les livres saisis dans la voiture lors de l’arrestation d’Isa en janvier 2008
- effectuer des comparaisons ADN concernant Juan
- procéder à des expertises psychiatriques sur Isa, Juan et Damien (les 3 personnes déjà accusées pour l’histoire de la dépanneuse).

Une commission rogatoire est en cours : les flics sont en train d’enquêter. A ce jour, il n’y a pas encore de retour. Plus d’infos bientôt sans doute.

Solidarité !

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4 janvier 2010

En Autriche: vague de répression et législation durcie

Le gouvernement autrichien vient de présenter un projet de loi visant à redéfinir la notion de « terrorisme » et à se doter d’un appareil de répression et de contrôle toujours plus développé. Ce nouveau projet devrait normalement entrer en vigueur en juin 2010 si le calendrier législatif est respecté.

En Autriche, ce n’est pas la prétendue mouvance anarcho-autonome qui fait figure de menace justifiant de mesures  liberticides mais ce sont les militant-e-s en faveur d’une reconsidération du statut éthique des animaux non-humains. Il faut dire que leur mouvement est capable de mobiliser des milliers de personnes, qu’il a obtenu de nombreuses victoires, comme l’interdiction des élevages en batterie sur tout le territoire ou l’interdiction du gavage dans plusieurs provinces, et qu’il représente une vraie menace pour les intérêts des industriels de l’agroalimentaire.

Le nouveau projet de loi s’inscrit dans un processus  de démantèlement des groupes qui a commencé en 2007 avec une campagne d’infiltration et de mises sur écoute pour aboutir en mai 2008 à une vague de perquisitions et d’arrestations dont la démesure n’a rien à envier au plateau de Millevaches : policiers encagoulés et équipés d’armes à feu, confiscation d’ordinateurs, livres et tracts, prise de l’ADN et des empreintes digitales par la force, etc.

Au final, dix personnes ont eu des charges retenues contre elles et ont  passé jusqu’à 104 jours en détention provisoire avant d’être libérées sous contrôle judiciaire dans l’attente de leur procès qui commencera le 2 mars 2010. Cela risque d’être un procès spectaculaire qui devrait durer au moins 6 mois et peut-être une année durant lequel l’accusation a présenté 115 témoins à auditionner.

Le nouveau projet de loi anti-terroriste s’appliquera à l’ensemble de la société autrichienne et l’opposition à cette politique ainsi que la solidarité avec les inculpé-e-s doit s’étendre bien au-delà des groupes d’affinité politique animalistes. Il est prévu de sanctionner le fait de :

- s’exprimer, oralement ou par écrit, en soutien à une activité terroriste
- inciter à une activité terroriste
- enseigner à d’autres la réalisation d’une activité terroriste (10 ans de prison)
- être informé de la réalisation d’une activité terroriste (5 ans de prison)
- publier, en particulier sur Internet, tout ce qui peut être considéré comme des conseils en matière d’activité terroriste (2 ans de prison)
- télécharger sur Internet tout ce qui peut être considéré comme des conseils en matière d’activité terroriste (2 ans de prison)
- s’adresser en personne ou par courrier électronique, à au moins 30 personnes en soutien d’une activité terroriste (2 ans de prison)
- s’adresser en personne ou par courrier électronique à au moins 30 personnes en incitant à une activité terroriste
 
            Notons qu’une activité est notamment considérée comme « terroriste », s’il s’agit d’une infraction pénale qui perturbe gravement l’économie ou la perturbe légèrement mais sur une longue période, avec l’intention de faire pression sur quelqu’un pour qu’il fasse ou ne fasse pas quelque chose.

           Si vous commettez en Autriche une infraction considérée comme « terroriste », la sanction normale sera multipliée par 1,5. Par exemple, le même délit sera passible de 6 mois de prison et 10.000 euros d’amende pour un mobile crapuleux et sera passible de 9 mois de prison et 15.000 euros d’amende si le mobile est politique.

 

Merci à Martin Balluch pour son témoignage et à Françoise Degenne pour la traduction  dont je reprends les propos dans toute une partie de ce texte.

4 décembre 2009

Pourquoi nous cessons de respecter les contrôles judiciaires

L'arrestation de Christophe, le 27 novembre, marque un palier dans la bouffée délirante d'Etat que l'on nomme pudiquement "affaire de Tarnac". Sa mise en examen situe le point où une procédure ne se poursuit qu'afin de se sauver elle-même, où l'on inculpe une personne de plus dans le seul espoir de maintenir le reste des inculpations.

En fait de "premier cercle", Christophe appartient surtout au petit nombre de ceux avec qui nous discutons de notre défense. Le contrôle judiciaire qui voudrait, pour l'avenir, lui interdire de nous voir est l'aberration de trop ; c'est une mesure consciente de désorganisation de la défense, aussi. A ce point de torsion de toutes les notions du droit, qui pourrait encore exiger de nous que nous respections ces contrôles judiciaires et cette procédure démente ? A l'absurde nul n'est tenu. Il n'y a pas besoin de se croire au-dessus de la justice pour constater qu'elle est en dessous de tout. Au reste, une société qui se maintient par des moyens si évidemment criminels n'a de procès à intenter à personne.
La liberté sous contrôle judiciaire est le nom d'une sorte d'expérience mystique que chacun peut se figurer. Imaginez que vous ayez le droit de voir qui vous voulez, sauf ceux que vous aimez, que vous puissiez habiter n'importe où, sauf chez vous, que vous puissiez parler librement, au téléphone ou devant des inconnus, mais que tout ce que vous dites puisse être, un jour ou l'autre, retenu contre vous. Imaginez que vous puissiez faire tout ce que vous voulez, sauf ce qui vous tient à coeur. Un couteau sans manche auquel on a retiré la lame ressemble davantage à un couteau que la liberté sous contrôle judiciaire ne ressemble à la liberté.
Vous flânez sur un boulevard avec trois amis ; sous la plume des flics qui vous filochent, cela se dit : "Les quatre objectifs se déplacent en direction de..." Vous retrouvez après des mois de séparation un être qui vous est cher ; dans le jargon judiciaire, cela devient une "concertation frauduleuse". Vous ne renoncez pas, même dans l'adversité, à ce que toute amitié suppose de fidélité ; c'est évidemment une "association de malfaiteurs".
La police et sa justice n'ont pas leur pareil pour travestir ce qui tombe sous leur regard. Peut-être ne sont-elles finalement que cette entreprise de rendre monstrueux ce qui, aimable ou détestable, se comprend sans peine.
S'il suffit de ne se reconnaître dans aucune des organisations politiques existantes pour être "autonome", alors il faut bien admettre que nous sommes une majorité d'autonomes dans ce pays. S'il suffit de regarder les directions syndicales comme des traîtres avérés à la classe ouvrière pour être d'"ultragauche", alors la base de la CGT est présentement composée d'une série de dangereux noyaux d'ultragauchistes.
Nous désertons. Nous ne pointerons plus et nous comptons bien nous retrouver, comme nous l'avons fait, déjà, pour écrire ce texte. Nous ne chercherons pas à nous cacher. Simplement, nous désertons le juge Fragnoli et les cent petites rumeurs, les mille aigreurs misérables qu'il répand sur notre compte devant tel ou tel journaliste. Nous désertons la sorte de guerre privée dans laquelle la sous-direction antiterroriste voudrait nous engager à force de nous coller aux basques, de "sonoriser" nos appartements, d'épier nos conversations, de fouiller nos poubelles, de retranscrire tout ce que nous avons pu dire à notre famille durant nos parloirs en prison.
S'ils sont fascinés par nous, nous ne sommes pas fascinés par eux - eux que nos enfants appellent désormais, non sans humour, les "voleurs de brosses à dents" parce que, à chaque fois qu'ils déboulent avec leurs 9 mm, ils raflent au passage toutes les brosses à dents pour leurs précieuses expertises ADN. Ils ont besoin de nous pour justifier leur existence et leurs crédits, nous pas. Ils doivent nous constituer, par toutes sortes de surveillances et d'actes de procédure, en groupuscule paranoïaque, nous, nous aspirons à nous dissoudre dans un mouvement de masse, qui, parmi tant d'autres choses, les dissoudra, eux.
Mais ce que nous désertons d'abord, c'est le rôle d'ennemi public, c'est-à-dire, au fond, de victime, que l'on a voulu nous faire jouer. Et, si nous le désertons, c'est pour pouvoir reprendre la lutte. "Il faut substituer au sentiment du gibier traqué l'allant du combattant", disait, dans des circonstances somme toute assez semblables, Georges Guingouin (Résistant communiste).
Partout dans la machine sociale, cela explose à bas bruit, et parfois à si bas bruit que cela prend la forme d'un suicide. Il n'y a pas un secteur de cette machine qui ait été épargné dans les années passées par ce genre d'explosion : agriculture, énergie, transports, école, communications, recherche, université, hôpitaux, psychiatrie. Et chacun de ces craquements ne donne, hélas, rien, sinon un surplus de dépression ou de cynisme vital - choses qui se valent bien, en fin de compte.
Comme le plus grand nombre aujourd'hui, nous sommes déchirés par le paradoxe de la situation : d'un côté, nous ne pouvons pas continuer à vivre comme cela, ni laisser le monde courir à sa perte entre les mains d'une oligarchie d'imbéciles, de l'autre, toute forme de perspective plus désirable que le désastre présent, toute idée de chemin praticable pour échapper à ce désastre se sont dérobées. Et nul ne se révolte sans perspective d'une vie meilleure, hormis quelques âmes sympathiquement désespérées.
L'époque ne manque pas de richesse, c'est plutôt la longueur du souffle qui lui fait défaut. Il nous faut le temps, il nous faut la durée - des menées au long cours. Un des effets principaux de ce qu'on appelle répression, comme du travail salarié d'ailleurs, c'est de nous ôter le temps. Pas seulement en nous ôtant matériellement du temps - le temps passé en prison, le temps passé à chercher à faire sortir ceux qui y sont -, mais aussi et d'abord en imposant sa propre cadence. L'existence de ceux qui font face à la répression, pour eux-mêmes comme pour leur entourage, est perpétuellement obnubilée par des événements immédiats. Tout la ramène au temps court, et à l'actualité. Toute durée se morcelle. Les contrôles judiciaires sont de cette nature, les contrôles judiciaires ont ce genre d'effets. Cela va bien ainsi.
Ce qui nous est arrivé n'était pas centralement destiné à nous neutraliser nous, en tant que groupe, mais bien à impressionner le plus grand nombre ; notamment ceux, nombreux, qui ne parviennent plus à dissimuler tout le mal qu'ils pensent du monde tel qu'il va. On ne nous a pas neutralisés. Mieux, on n'a rien neutralisé du tout en nous utilisant de la sorte.
Et rien ne doit plus nous empêcher de reprendre, et plus largement sans doute, qu'auparavant, notre tâche : réélaborer une perspective capable de nous arracher à l'état d'impuissance collective qui nous frappe tous. Non pas exactement une perspective politique, non pas un programme, mais la possibilité technique, matérielle, d'un chemin praticable vers d'autres rapports au monde, vers d'autres rapports sociaux ; et ce en partant des contraintes existantes, de l'organisation effective de cette société, de ses subjectivités comme de ses infrastructures.
Car c'est seulement à partir d'une connaissance fine des obstacles au bouleversement que nous parviendrons à désencombrer l'horizon. Voilà bien une tâche de longue haleine, et qu'il n'y a pas de sens à mener seuls. Ceci est une invitation.

Aria, Benjamin, Bertrand, Christophe, Elsa, Gabrielle, Julien, Manon, Mathieu et Yildune sont les dix personnes mises en examen dans l'affaire dite "de Tarnac".

30 novembre 2009

« L’INSURRECTION QUI VIENT », CONSTRUCTION IDENTITAIRE ET ALTERNATIVE EXISTENTIELLE

    Le texte qui suit n'est pas le fait du comité stéphanois (qui l'avait publié en son temps sur son propre blog), et moins encore celui des AECiens (qui n'existaient pas à cette époque), et nous tenons à préciser qu'il mérite évidemment d'être débattu. Il nous a toutefois paru intéressant de le proposer sur notre blog le plus tôt possible, afin justement de l'ouvrir à la discussion et aux diverses réponses qu'il est susceptible de recevoir. Nous proposerons nous-mêmes d'ici quelques temps un retour sur ce qu'il avance, la question identitaire nous semblant en effet se poser dans L'insurrection qui vient, mais pas nécessairement à la manière dont l'analyse l'auteur dudit texte - du moins ne sommes nous pas pleinement en accord avec ses "conclusions".

« L’INSURRECTION QUI VIENT »

CONSTRUCTION IDENTITAIRE ET ALTERNATIVE EXISTENTIELLE

 

Ce texte n’est pas une étude critique des thèses exposées dans le livre L’insurrection qui vient, ni une tentative de « démontage théorique » de celui-ci. L’idée m’est d’abord venue de l’aborder ainsi, et je ne suis sans doute pas le seul. Bien des choses avancées dans ce livre pourraient en effet être discutées. Mais rapidement, j’ai eu le sentiment de l’inutilité de cette démarche. Ce sentiment, cette intuition plutôt était celle de l’impossibilité du dialogue avec ce livre, ou d’un dialogue toujours rompu en un point déterminé. J’ai eu le sentiment décourageant que ce texte ne pouvait pas être critiqué : il m’a semblé qu’autre chose était en jeu, qui n’était pas quelque chose dont on puisse discuter, pas une simple divergence de vues, que ce qui était central dans le texte n’était pas ce qui y était affirmé, mais l’affirmation elle-même.
Cette volonté rageuse d’affirmation, c’est ce qui donne sa force au texte, mais aussi sa raideur, c’est ce qui le rend imperméable au dialogue. Je n’y vois pas seulement un effet de style, mais une structure profonde, propre à tous les énoncés doctrinaux.
Il m’est donc apparu ceci : si l’IQV défend bien des idées, une vision du monde ou un projet politique, ce qu’expose ce texte est toujours conditionné par l’affirmation d’une identité. C’est sous cet angle que je l’aborderai.

L’identité et ses propriétés
Il n’est pas nécessaire de définir ce qu’est une identité pour la connaître, pas plus qu’il n’est nécessaire de définir un chat pour savoir ce qu’est un chat.
Un individu peut avoir des tics, c’est un individu ; mille individus qui ont les mêmes tics, cela peutêtre une coutume ou une épidémie ; mille individus qui défendent un tic, c’est une identité.
Une identité, c’est ce qui fonde un groupe en permettant à chaque individu qui s’y implique de se définir activement à travers elle. Pour l’individu, c’est une démarche de sujétion active qui lui permet de revendiquer cette identité. En retour, l’identité confère à l’individu le bénéfice d’un renforcement subjectif. Le bénéfice le plus simple est de pouvoir dire : « Je suis », et surtout « Je ne suis pas » ceci ou cela.
Une identité se distingue par des contiguïtés, des frontières, des confins. Il y a Nous et les autres, qui se définissent par rapport à Nous.
L’identité veut être repérable. D’où gestes, costumes, paroles et leur utilité directe : assurer la visibilité, le tranchant de l’identité. De ce point de vue, il est assez évident que les masques ne sont pas là pour cacher des visages, mais pour manifester une identité.
Une identité, ça ne résout rien, mais ça a réponse à tout. Face à tout problème, toute contradiction, toute mise en danger, elle réagit spontanément, avec pour seules finalités sa sauvegarde et son renforcement. Comment se distinguer, comment trancher, comment reconstituer autour d’elle l’ordre scénographique de son monde : elle répond à tout ceci avec la promptitude d’un réflexe vital.
L’ordre scénographique de son monde : aucune identité ne repose sur une simple vision du monde, mais sur une mise en scène active de celui-ci. Le monde est activement construit comme un récit, au sein duquel l’identité joue un rôle éminent ou tragique. L’identité déteste le superflu, l’indéterminé, ce qui ne permet pas de juger ou de prendre position. L’identité aime l’ordre. « Mettre de l’ordre dans les lieux communs de l’époque. »
Pour l’individu qu’elle habite, l’identité est toujours à construire. Quelque chose échappe toujours à la parfaite identification de l’individu : il y a toujours des failles, toujours de nouveaux renforcements à créer. L’identité est toujours une quête d’identité.
L’identité occulte l’ennemi sitôt qu’elle le fait paraître. Parce qu’elle le fait paraître selon ses propres besoins scénographiques, elle parvient à le désigner, mais pas à le connaître. Elle en polit aussitôt les aspérités contradictoires et superflues. L’ennemi n’est comme toute autre chose que prétexte à sa propre confirmation. L’identité, en ceci comme ailleurs, sélectionne.
L’identité, trouvant en elle-même tout ce dont elle a besoin, ne sent pas ses propres limites : elle est semblable en cela à l’alcoolique ou au drogué, gueule de bois et descente en moins. Une identité, c’est l’ivresse permanente du Moi.
Désir de l’unité du Moi, de la mise en conformité des idées et de la vie, horreur du doute et de l’informe, besoin d’affirmation, de cohérence, cohésion, contraction : identité.
Une identité ne peut, sans se mettre en danger, se connaître comme identité. Que les philosophes du XVIIIe siècle aient pu montrer les gestes de la religion comme des gestes, c’était la preuve d’une fêlure irrémédiable dans l’identité chrétienne. Et vice versa.
Une identité, objet social, a son utilité propre dans l’économie du social. En particulier, les identités marginales jouent un rôle de vaccin pour l’identité globale (la société), qu’elles aident à se redéfinir et à se renforcer. Le christianisme n’a pas survécu longtemps à la fin des hérésies qu’il a lui-même produites. Et vice versa.
L’identité est une réalité cognitive ancrée dans des individus, mise au service de besoins sociaux particuliers.
Etc., etc.

Au début était le Moi
Ce bref détour un peu aride et forcément incomplet par la description générale de ce que j’entends par le terme d’identité permet de saisir un peu mieux celle qui se manifeste dans l’IQV.
On comprend en particulier pourquoi elle est si attachée aux problématiques du Moi : c’est qu’elle a quelque chose à en faire. L’IQV est une offre d’identité. Elle se sent en mesure de proposer un projet de vie à des Moi à la dérive. Ce qu’elle offre, c’est moins un projet politique qu’une alternative existentielle.
Ce qui était explicite dans l’Appel, à savoir la volonté de constituer des groupes idéologiquement et existentiellement distincts et cohérents, se retrouve à l’état dilué dans l’IQV, dans une version « grand public ». Le propos est cependant toujours le même : convaincre, appeler, rallier. Le premier renforcement auquel songe l’identité, c’est le renforcement numérique. « On n’est pas assez nombreux » reste son perpétuel lamento. Il faut sans cesse convaincre, balayer les objections, acculer les autres groupes à la reddition : convertir.

Pour ce faire, pour rendre cette offre crédible et nécessaire, L’IQV trace d’abord le tableau d’un monde en ruines. Les sept cercles de l’Enfer ne sont pas de trop pour décrire cette ruine matérielle et spirituelle. Matérielle d’abord, et cela tout le monde le sait, les images de la catastrophe encombrent les écrans et les statistiques. Mais « spirituelle » surtout, car c’est bien la déliquescence supposée du sujet qui offre un espace propice à la reconstruction identitaire proposée. On ne rebâtit que sur des ruines. Et donc la première figure de l’enfer, c’est le Moi-tout-seul, le sujet isolé et sa fière devise, « I am what I am ». Et derrière lui, le sujet véritable, souffrant, inadapté, déprimé, qui ne se ressaisit de sa propre réalité que dans la révolte, c’est-à-dire dans l’endossement de l’identité proposée. « Rejoins-nous, et tu seras sauvé ».
Alternative existentielle, l’IQV a besoin de présupposer un « présent sans issue », afin de barrer le passage aux Moi qui seraient tentés de s’accommoder de cet insupportable monde, de s’y trouver des niches. Il leur faudra au contraire traverser avec dégoût les cercles de l’Enfer, afin de trouver le Paradis d’un projet, d’un but, d’une certitude : un choix de vie.

La traversée des cercles de l’Enfer et le projet auxquels elle mène relève de cette dynamique de récit propre à l’identité, conçue comme sujet actif et central du monde : c’est elle seule qui lui donne le sens dont il est par lui-même dépourvu.

Je ne manquerai pas de signaler au passage mon accord relatif avec la définition du Moi comme point de passage d’une expérience singulière et collective du monde, et la rapide critique du coinçage identitaire dont elle est assortie. Je regrette simplement que les conséquences n’en aient pas été tirées. Je regrette surtout que cette définition ne s’étende pas à ce qui détermine socialement le Moi, mais se borne à en faire une chose neutre, une subjectivité pure égarée dans un monde socialement indifférencié. Et l’oubli de tout ce qui fait que le monde est pour certains « Moi » moins ce qui les traverse que ce à quoi, perpétuellement, ils se heurtent.

Cependant, l’expérience singulière comme réalité du sujet disparaît très rapidement derrière la valorisation du « lien ». On ne l’a donc détaché un instant, le Moi, que pour lui flanquer la frousse, la peur du vide, et pour de nouveau lui proposer la fraternelle ligature. Le lien, le lien personnel s’entend, et non pas le bête « lien social » dont parlent les politiques, est ce qui est de nouveau proposé au Moi pris de vertige. Et qu’est-ce qui lie mieux qu’une identité particulière, restreinte, chaleureuse et de surcroît révolutionnairement extensible à tous, le Nous ?
Outil de conversion, L’IQV retrouve les bonnes vieilles méthodes de la prédication : faire peur d’abord, faire entrevoir l’enfer, et proposer ensuite une planche de salut. Méthode rhétorique, méthode de dressage et d’appropriation aussi ; faire sauter un bébé en l’air pour le rattraper aussitôt, menacer un ennemi pour lui tendre la main ensuite. Une identité est avant tout un processus de sujétion, et elle en connaît et en applique d’instinct tous les ressorts.

« Le bon moment, qui ne vient jamais »
Et naturellement, le Moi n’a pas le choix : consentir à continuer à vivre dans la couveuse anxiogène du monde tel qu’il est, c’est se condamner à périr avec lui. Puisque la cause est jugée : la Babylone mondiale est en voie d’effondrement. Dès lors, la seule alternative est périr avec, ou vivre contre. Enfin, de nouveau, « la liberté ou la mort ».
Nulle part n’est évoquée, ne serait-ce qu’à titre d’hypothèse, la possibilité que le capitalisme dure encore un peu, que son effondrement puisse être légèrement différé, ou peut-être si lent qu’il risque de prendre plusieurs siècles. Que ferons-nous dans ce cas ? Cette possibilité doit-elle influer sur notre action, ou est-il plus sage de n’en tenir aucun compte ? Dans quelle temporalité situons-nous notre action ? Naturellement, ces mesquins calculs rationnels puant le libéralisme répugnent à notre identité révolutionnaire, qui ne rêve que de brandir de nouveau « l’étendard de la bonne vieille cause » et de monter à l’assaut, dût-elle y périr.
Scénographiquement, pour une identité, des propositions du genre « ce n’est peut-être pas le bon moment » sont parfaitement nulles. Une identité ne se construit pas sur des scénarios du genre Désert des Tartares. Elle aime bien mieux entendre les clairons de la bataille. On ne constitue pas une identité sur des incertitudes.
C’est pourquoi il est bien inutile d’argumenter sur les difficultés pratiques ou le caractère inopportun de telle ou telle entreprise où l’identité se sera engagée : on ne discute pas de problèmes pratiques avec une identité qui a besoin de se manifester. Le possible et l’impossible, ça n’existe pas pour une identité, et c’est bien sa force, puisque c’est la force qu’elle cherche, son propre renforcement à travers celui des individus qui la portent. Elle ne s’ajuste pas au monde en fonction de réalités objectives.

Dire que le bon moment ne vient jamais, c’est dire qu’on ne sait jamais avec certitude si c’est le bon moment ou pas : il faut bien franchir le pas sans avoir l’assurance de réussir. C’est vrai, mais cela ne signifie pas qu’il ne faille pas tenir compte du moment, c’est-à-dire questionner le réel, et pas attendre qu’il réponde à nos désirs. Quitte à foncer dans le tas le moment venu.
Le « bon moment » pour les luttes ne dépend directement d’aucun des acteurs, il n’est soumis à la décision ou au choix d’aucun comité, invisible ou pas. En réalité, il est toujours l’objet d’un conflit. C’est vrai en particulier aujourd’hui, où les luttes sont de moins en moins dépendantes des partis et des syndicats, cherchent de plus en plus à se donner d’autres formes, sans doute pas plus « radicales », mais en tout cas moins saisissables. On en a vu l’exemple avec la lutte contre le CPE de 2006, où le mouvement censé être terminé après le retrait du CPE s’est tout de même étiré en longueur, parce que simplement tout le monde n’était pas d’accord pour s’arrêter là. Il a pourtant bien fallu s’arrêter, même à contrecoeur, parce que continuer aurait été absurde. Un mouvement social est aussi construit comme un récit, avec un début, un milieu et une fin. Il a donc, qu’on le veuille ou non, des moments. Pour reprendre l’exemple de 2006, son vrai bon moment aurait été de pouvoir continuer le « mouvement », alors que ça n’était « plus le moment ». Mais les « bons moments » viennent et passent ; ils ne dépendent pas seulement de nos choix. Il ne s’agit pas de céder à la mauvaise temporalité des mouvements sociaux qui ne veulent que rester ce qu’ils sont, mais de mettre en conflit cette temporalité.

« Le sentiment de l’imminence de l’effondrement »
La mort imminente du capitalisme, voilà bientôt deux siècles qu’on nous la prédit. Tous ceux qui ont désiré la fin du capitalisme ont aussi essayé d’en faire un destin historique. Dans les formulations marxistes, on a eu droit aux « contradictions mortelles », à la « décadence ». Voilà maintenant qu’il « s’effondre ».
L’Effondrement a ses caractéristiques : lorsqu’un bâtiment s’effondre, c’est que les matériaux qui le constituaient, et lui permettaient jusqu’ici de rester debout, se sont dégradés et corrompus, de telle sorte qu’ils ne le soutiennent plus. C’est un processus d’ensemble, d’abord lent et insensible, qui atteint une phase critique, et enfin une brusque accélération, où les parties encore solides cèdent sous le poids de celles qui sont totalement dégradées. On peut le diagnostiquer, mais pas en prévoir le moment précis.
C’est un processus d’ensemble, mais un processus de désolidarisation. Chaque pièce de l’ensemble se détache du tout, cesse d’en faire une unité organique. Du point de vue biologique, cela ressemblerait à la décomposition d’un corps.
Ce qui est dénié au capitalisme, et plus largement à tout le monde social, à travers la notion d’effondrement, c’est sa capacité à faire un tout cohérent.
À ce manque supposé de cohésion, l’identité oppose sa cohérence éthique propre, infiniment supérieure à cette chose informe. À cette désolidarisation s’oppose la solidarité, la densité des liens, voire l’imperméabilité du groupe.
À ces liens qui se défont, l’identité oppose la puissance des liens qu’elle réinstitue. Toute identité, club de supporters ou secte quelconque, a son moment scissionniste, qui est aussi bien celui de sa fondation.

Il est évident que dans cette conception le capitalisme (ou l’empire, ou comme on voudra) est conçu comme une chose, et comme une extériorité. Cela peut aussi être une machine, que l’usure de ses pièces finit par détruire.
La chose extérieure est bien ce dont une identité à besoin pour se constituer. Son souci de rejeter à l’extérieur tout ce qui n’est pas elle lui fait répugner à l’idée qu’elle puisse participer à ce qu’elle déteste. Le capitalisme, c’est l’ennemi. L’ennemi ne peut pas être en Nous, il est hors de Nous, c’est une extériorité, une chose.
Son destin d’effondrement décrit donc le capital comme extériorité pure, face à laquelle on n’est contraint que superficiellement, puisqu’elle ne saurait nous habiter ou influer sur nos choix autrement que de façon occasionnelle. Face à cela, la débrouille et les combines sont des réponses amplement suffisantes.
Le capitalisme est nié non seulement comme rapport social, mais comme rapport social contraint. Le fait que l’on puisse être obligé de travailler, et que là est bien le problème, est complètement occulté.
Si le capitalisme s’effondre, c’est aussi parce qu’il est devenu une fiction, à laquelle personne ne croit plus. Tous les efforts que fait l’empire pour survivre se limitent à ceci : maintenir la fiction de sa propre existence. Ce monde n’est pas réel, il fait semblant d’exister. C’est un néant, une abstraction, qu’il faut moins abattre que dissiper.

L’« imminence » de l’effondrement donne son cadre tragique aux aventures de l’identité : c’est la toile de fond, le décor de son récit. L’« imminence » inscrit ce récit dans une temporalité de l’urgence permanente. Le temps du monde ne s’écoule plus sans direction déterminée, au gré de fluctuations contingentes : il a un sens, et un sens tragique.
Si rien n’est dit de véritablement précis à propos de l’effondrement, c’est qu’il n’est pas nécessaire qu’il soit réellement envisagé : ce qui importe, c’est bien le sentiment que l’on en a. La conviction de vivre dans cet effondrement renforce le besoin que l’on a de l’identité, pour dépasser la crainte de l’effondrement, y survivre, en faire l’opportunité d’un nouveau renforcement, voire d’une réalisation totale du contenu identitaire. Micro contrat social, l’identité garantit protection et salut à ceux qui y adhèrent.
Que l’effondrement ne vienne jamais, cela n’est pas un problème : on pourra toujours en décrypter les signes, à l’infini. Les millénaristes, qui cent fois ont prédit la date du Millénium et ne l’ont jamais vu arriver, ne se sont pas découragés pour autant. La foi, c’est-à-dire l’aveuglement collectivement organisé, les soutenait.

La « décomposition des rapports sociaux » est une idée très répandue. La plupart du temps, elle s’appuie sur la nostalgie des « vrais » rapports sociaux d’autrefois. Est supposé un temps meilleur, ou chacun avait sa place sociale déterminée, attribuée une fois pour toutes. Cette nostalgie un peu vague se superpose aujourd’hui à la nostalgie citoyenne des Trente glorieuses, d’un temps où l’État veillait paternellement sur nous.
La réalité est que le capitalisme entraîne une décomposition sociale perpétuelle, et que c’est sa façon de survivre. Il lui a fallu pour se constituer détruire un monde paysan millénaire, afin de créer un monde ouvrier qu’il entreprend aujourd’hui de détruire (c’est-à-dire de recomposer) à son tour, du moins dans les pays développés. Identifier cette dynamique de destruction vitale à un effondrement est un leurre, parce que cela renvoie le cours du capital à un processus naturel de décomposition, sans permettre de percevoir les enjeux qui sont engagés dans ce processus. On ne peut comprendre le sens d’une guerre simplement par la description des dégâts qu’elle occasionne. Dire « on a rasé Dresde » ne dit rien sur la Seconde Guerre mondiale. Dire « les rapports sociaux se défont » ne dit rien sur le capitalisme. Il faut encore montrer pourquoi ils se défont. Mais pour une identité, qui veut sans cesse polariser le monde selon les nécessités du récit qui lui permet de s’y engager, comprendre, c’est accepter. Le monde ne « cesse d’être supportable » que dès lors qu’il apparaît « sans cause ni raison ».
L’identité qui se constitue autour d’un refus considère comme une compromission le fait de tenter de comprendre ce qu’on refuse. Le refus suffit bien : à quoi bon tenter de comprendre ? Chercher à comprendre, c’est le début de la trahison. Il suffit de manifester son refus, sa révolte, et si l’on doit comprendre des choses, c’est seulement en vue d’alimenter cette révolte. Le reste est superflu.
Il y a bien des causes et des raisons au monde capitaliste, mais ce que sous-entend l’IQV, c’est que ces raisons sont folles, c’est-à-dire injustifiables. Que le capitalisme ne soit pas éthiquement justifiable ne lui ôte en rien sa réalité ni sa cohérence propre, pour notre malheur. Le refus éthique ne suffit pas. Les raisons du capitalisme ne sont certes pas les nôtres. Saisir ce que sont ces raisons est ce qui permet d’affirmer le caractère inconciliable de ce conflit, et de le situer avec précision.

« Ce qui se passe quand des êtres se trouvent »
Le tableau de désolation que l’IQV nous fait du monde finit par aboutir à une idylle. Soudain, des « êtres » se trouvent.
Ayant soigneusement barré le chemin à toute forme de regroupement qui ne serait pas elle, l’identité nous fait entrevoir la récompense. Enfin, nous serions des « êtres ». Pas des sujets sociaux, conflictuellement ancrés dans une classe, porteurs de contradictions, mais simplement des « êtres ».
Des « êtres » enfin défaits de tous liens, libres et indifférenciés, décapés de toutes les scories que l’existence sociale y a déposées. L’IQV dit les « êtres » comme l’humanisme dit l’Homme. Les « êtres » ont la transparence des anges et des belles abstractions. Ils peuvent prendre toutes les formes, se choisir librement. Enfin nettoyés de tout particularisme, ils sont prêts à endosser les habits neufs qu’on leur propose.
Le conflit étant rejeté à l’extérieur, il règne à l’intérieur une ambiance fusionnelle, étant acquis que ce qui se forme entre les « êtres » ne peut pas être un horrible « milieu », puisque les milieux ont été sévèrement critiqués. Le lien entre les « êtres » est d’une toute autre nature, pure et ineffable. L’identité ne peut se penser comme identité. On voit mal toutefois en vertu de quelle magie ces « êtres »-là échapperaient de la sorte à toute conflictualité, autrement que par la suspension de leur propre jugement critique.

Ce qui se dessine là, à travers la libre constitution des « êtres » en « communes », c’est la perspective d’une société entièrement pacifiée, transparente à elle-même, dépourvue d’antagonismes : le vieux rêve millénariste d’un communisme naturel, reposant sur l’idée d’une nature communiste de l’homme. Que ce soit sous la forme d’un Age d’or édénique, ou sous la forme anthropologique d’un « communisme primitif » qui prendrait sa source à l’aube du social, c’est toujours le communisme, l’égalité absolue entre les hommes, qui sont présupposés comme étant la véritable nature sociale des hommes.
On a ainsi tendance à valoriser la tribu, la bande, ou même la meute, censées être plus naturelles, plus véritablement sociales que les sociétés « complexes » du monde capitaliste.
Le « primitif » est censé ne pas avoir de problème d’identité : il est strictement ce qu’il est, c’est-àdire sa propre place au sein de la tribu. Il est défait du poids de sa propre singularité. Il est une identité pure, accomplie. Il est l’essence anthropologique de l’homme : le communisme.
Dès lors, la révolution n’est qu’un problème d’organisation matérielle : il suffit de couper l’herbe sous le pied à toutes les institutions de la société complexe pour que le naturel social revienne au galop : c’est tout de suite le communisme.
Le communisme, nature sociale de l’homme, s’est égaré en chemin au cours de l’histoire : il suffit de lui ouvrir la voie pour qu’il resurgisse aussitôt. L’exemple des catastrophes naturelles comme l’ouragan Katrina le montre : il suffit qu’une brèche s’ouvre dans l’organisation capitaliste pour que la « base » s’organise elle-même, retrouve ses instincts partageurs, se communise.
Mais le réel est certainement plus complexe. Si l’humain n’est pas la créature de Hobbes, celle de la guerre originelle de chacun contre tous qui fonde tous les contrats sociaux, s’il est immédiatement social, cette socialité ne se manifeste pas seulement par une tendance innée au partage. La tendance sociale à la domination, la structuration sociale autour de l’appropriation par quelques-uns du pouvoir et /ou des biens, et même celle à l’accumulation maniaque des biens, est bien plus ancienne que le capitalisme (auquel elle a sans doute ouvert la voie), et sûrement plus ancienne que l’homme lui-même. L’homme est un animal social comme les autres. Il y a des chefferies chez les grands singes aussi : le mâle dominant s’approprie la meilleure part de la nourriture et les femelles. Cela n’empêche pas l’entraide entre les individus du groupe. Simplement, pour des raisons ayant trait à la sélection naturelle, les dominants mettent d’emblée en place des dispositifs qui les rendent encore plus forts, et affaiblissent encore les faibles. Pourquoi l’homme serait-il par nature différent ?
Bien entendu, l’homme pense ses propres sociétés, et agit sur elles. Sa plasticité sociale est infiniment supérieure à celle de ses congénères non-humains. Il a un rapport à sa propre socialité. Mais ce rapport n’est pas simplement un rapport instrumental : il prend souvent l’aspect d’une idolâtrie. L’homme est la créature qui fétichise sa propre société. Et c’est le fétiche qui finit par prendre le contrôle de ses adorateurs. Une identité n’est rien d’autre que ce genre de fétiche.
Le communisme n’est pas une variante particulièrement avantageuse du contrat social. Défaisant les liens construits autour de l’appropriation, de la domination, de l’accumulation, du territoire, il ne défait pas seulement une société, mais l’être social lui-même. Ce que crée la communisation, c’est un monde au-delà du sacrifice de chacun socialement consenti au bénéfice d’un tout supposé : le social. Cette idée est aussi difficile à concevoir aujourd’hui qu’un monde sans Dieu au XIIIe siècle. L’idée d’un monde au-delà du social n’évoque spontanément que la barbarie ou la bestialité : elle fait peur, comme l’idée d’un monde sans Dieu aurait terrifié un chrétien du moyen-âge.
Une telle idée est manifestement dangereuse, et on voit bien tout ce qu’elle peut susciter de délirant. Il est clair que cette idée est propre à créer une panique irrationnelle, non seulement chez ceux qui y seraient opposés, mais encore chez ceux qui pourraient l’accepter. Une des manifestations de cette panique est la conception d’un état fusionnel entre les individus, ou d’une fusion des individus avec le social, c’est-à-dire une conception régressive du dépassement du social.

Nier le social dans la perspective de l’établissement d’un pur rapport fusionnel entre des « êtres », c’est vouloir dépasser le social en l’ignorant. La négation des classes sociales n’est pas la négation de leur existence, c’est au contraire à partir de leur existence conflictuelle qu’elle doit être pensée. Nier l’existence du capitalisme, des classes, des rapports sociaux est ce à quoi aboutit nécessairement cette construction identitaire qu’est l’IQV. Nous avons montré que la tendance au déni du réel est au coeur de toute identité, parce qu’une identité ne perçoit pas le réel, mais seulement sa propre existence comme identité. Elle s’affirme donc en déniant l’existence à tout ce qui n’est pas elle.
Mais nier l’existence du capitalisme ne le fera pas disparaître. Et cette négation même trouve ses racines dans la réalité du monde capitaliste, et en particulier dans sa réalité en tant que société de classes.

La complainte des classes moyennes (chanson réaliste)
En réalité, l’identité qui se pense comme universelle, et partant sans identité, c’est une certaine classe sociale : l’upper middle class occidentale. Elle est sans identité, parce qu’elle est la classe sociale étalon, le référent abstrait de toutes les autres classes, et donc de l’Homme en général. C’est ce qu’elle nomme « universalisme ». C’est bien elle qui est décrite, sans jamais être nommée, par l’IQV. C’est aussi, naturellement, vers elle (et contre elle) que l’IQV dirige son discours.
C’est elle qui ne perçoit la société que comme un « vague agrégat » d’institutions et d’individus, une « abstraction définitive ».
C’est elle qui ne voit dans toute la vie des « cités » que des policiers et de jeunes émeutiers.
C’est bien elle pour qui travailler signifie négocier et vendre au meilleur prix ce qui n’est plus « force de travail » mais compétence cognitive et relationnelle, et qui souffre logiquement de ce avec quoi elle travaille.
C’est elle qui cultive son précieux et problématique Moi à coups de développement personnel, de yoga et de psychanalyse.
C’est elle qui souffre de la « castration scolaire » et rêve, en son enfance, de brûler son école, parce qu’elle est la voie nécessaire de son intégration, et ne le fait pas, pour la même raison.
C’est elle encore qui, cernée de marchandises dont elle veut ignorer qu’elles ont bien dû être produites, trouve que le travail industriel est obsolète, les ouvriers surnuméraires et que l’économie est désormais « virtuelle ».
C’est elle seule qui existe politiquement, se soucie écologiquement et vote démocratiquement.
C’est elle aussi dont une partie de la jeunesse va se constituer en black blocs contre tous les G20 de la terre.
C’est elle enfin « la classe qui nie toutes les classes », non pas pour qu’elles disparaissent mais pour qu’elles existent à jamais.
Ceci dit non pour expulser cette classe hors du champ des luttes, mais pour montrer qu’aucune identité ne peut se situer hors d’un monde socialement déterminé.

« La joie d’éprouver une puissance commune »
Si ce texte a une utilité, c’est de parvenir à susciter un peu plus de méfiance envers les groupes que nous sommes amenés à constituer. Se rassembler est nécessaire. Mais trop souvent, le dicton selon lequel « qui se ressemble s’assemble » a tendance à se renverser. La question n’est pas de ne ressembler à personne, mais d’être attentifs à ne pas laisser une identité s’emparer de nous.
Ne pas laisser, par exemple, une identité nous mettre ses mots dans la bouche, ne pas se laisser séduire par la promesse d’obtenir une cohérence plus grande que celle que nous pourrions produire par nous-mêmes, au prix du renoncement à notre capacité de juger. Il faut se méfier aussi de la cohérence. Rien n’est plus cohérent ni mieux organisé qu’un cristal, dernier stade de la minéralisation, rien n’est plus mort aussi.
Aujourd’hui, l’identité promue par l’IQV se manifeste entre autres par l’essaimage de ses mots dans de nombreuses bouches : on entend « amitiés », « corps », « flux », « s’organiser », on sait ce qui parle, et on n’entend plus rien. On n’établit pas un langage commun avec des perroquets.
Mais il n’y a pas que l’IQV : si j’ai parlé en particulier de celle-ci, c’est qu’elle est suffisamment explicite et cohérente, et aussi assez largement connue pour en faire le point de départ d’une discussion collective. Il y a d’autres identités, celles par exemple pour lesquelles les mots « lutte des classes » et « guerre sociale » sont moins des questions qui se posent qu’autant d’étendards qu’on agite, pour mieux se distinguer de l’identité d’en face. La lutte entre les identités est littéralement sans fin.

Il est clair qu’aucun groupe isolé ne peut aujourd’hui s’abstraire du monde et réaliser le communisme dans son coin. Cela ne nous empêche pas, et nous le faisons déjà, de rechercher des pratiques anti-hiérarchiques, de questionner nos modes d’appartenance, etc. Tout en sachant que cela aussi peut se figer en coinçage identitaire.

On peut participer à un groupe sans pour autant s’y identifier. La fonction d’un groupe devrait être de donner plus d’autonomie à ceux qui y participent, de permettre le développement de leurs capacités. Le surinvestissement affectif dans un groupe finit trop souvent par ne créer que des dépendances, et par susciter d’affectueuses chefferies.
Un groupe n’est pas une fin en soi. L’amitié n’y est pas nécessaire. On peut se regrouper provisoirement pour une tâche précise, et à cette fin s’entendre, et le groupe peut n’exister qu’à cette fin précise, sans déborder pour autant sur d’autres domaines. Il y a des gens qui sont nos amis, avec lesquels on ne fait rien, que partager de bons moments, et d’autres avec lesquels on se regroupe pour accomplir une tâche, mener un projet, et qui ne sont pas pour autant nos amis. Le communisme n’est pas la communauté. Il n’y a pas à faire perdurer un groupe au-delà des fins pour lesquelles il nous est nécessaire.

Un groupe constitué pour des fins particulières peut même se permettre de se donner des « chefs », employés à des tâches précises. Pour manoeuvrer un trois-mâts, il est impératif que quelqu’un dirige la manoeuvre : c’est une question de coordination. Par contre, on peut se passer d’un capitaine, et prendre ensemble les décisions qui régissent la vie du navire, choisir la direction à prendre, etc.

Nous avons spontanément tendance à survaloriser nos groupes, et plus un groupe est marginal, plus cette survalorisation est intense. C’est un mécanisme essentiel du renforcement identitaire. Le déceler et s’en méfier, c’est déjà commencer à lui faire barrage.
De plus, la survalorisation identitaire de groupes marginaux (ce qui peut simplement vouloir dire « restreints ») les conduit à se marginaliser plus encore, les conduisant à devenir d’utiles repoussoirs pour l’ensemble de la société. Quelques punks consolident beaucoup de cadres. Et ceci n’est pas une erreur stratégique de la part des identités, mais est produit socialement : on finit par devenir ce que l’on veut que nous soyons. Tout groupe restreint court donc le risque de se changer en sa propre caricature, pour exister selon le mode socialement attendu de lui.

Se constituer d’emblée en sachant qu’on n’est qu’une partie d’un ensemble plus vaste, au sein duquel on existe au même titre que ceux qu’on considère comme ses ennemis, qu’on existe dans un monde ouvert et non pas polarisé selon les nécessités d’un récit, c’est une base sur laquelle on peut tenter de constituer des groupes qui ne se referment pas en identités. Exister dans les luttes qui le permettent sur cette base-là serait un bon début. Personnellement, il m’a semblé en voir une esquisse dans l’« AG en lutte » de la rue Servan, à Paris, en 2006.

Il est clair toutefois que l’enfermement identitaire est bien souvent ce à quoi nous restons socialement acculés. On ne peut qu’espérer que repérer cet enfermement, le rendre visible là où il s’opère, peut permettre de commencer à le rompre. S’en défaire complètement est l’objet d’une révolution communiste.

Alain C.

Le PDF du texte : pdf

Pour d’autres points de vue sur cette question, notamment en ce qui concerne « l’affaire de Tarnac » et ses suites, on peut lire le texte Contribution aux discussions sur la répression antiterroriste (voir ci-dessous), disponible sur Internet. Je souscris largement à ce qui y est dit, et je me suis donc dispensé de revenir sur des points qui y sont déjà traités.

29 novembre 2009

Contribution aux discussions sur la répressions anti-terroriste

    Ce texte est issu d’un processus de discussions collectives. Loin de se limiter à une critique de la défense publique des « inculpés de Tarnac », il affirme des positions sur les formes de luttes actuelles. Nous pensons continuer ce débat et élargir cette élaboration collective.
Envoyez vos textes, commentaires et autres contributions sur ce mail :
alleztrincamp@riseup.net.

 

 

    « Tarnac » est le nom d’une opération médiatico-policière qui a fait beaucoup de bruit. A cette occasion des discours publics ont été tenus par les comités de soutien, les proches ou certains inculpés. Discours qui, in fine, portent des positions politiques. Beaucoup de ces discours nous ont gênés, voire nous ont foutu la rage. Pour plein de raisons différentes. Nous en expliquons certaines ici pour clarifier et partager les discussions qu'on a pu avoir. Aussi, parce que les réflexions au sujet de Tarnac sont valables pour bien d'autres situations de répression et de lutte.

    Ce dont nous parlons dans ce texte, c'est du « discours public » concernant la répression, c'est-à-dire de ce qui se dit et s'écrit publiquement au-delà des aspects juridiques d’une affaire. Il ne s'agit pas du tout de parler ici de ce qu'on dit, ou pas, devant un juge. L’articulation entre les éléments juridiques et le discours public qu’on tient sur une affaire n’a rien d’évident, c’est un noeud toujours assez complexe. Pour autant, nous sommes persuadés qu’il est nécessaire de construire un discours public qui ne soit pas entièrement dicté par la défense juridique. Tout en gardant bien à l’esprit que les discours publics affirment des positions politiques qui vont audelà d’une situation particulière de répression.

    Face à la répression, pas facile de réussir à se positionner, à trouver comment construire un rapport de force face à l’Etat dans une situation où on est souvent affaibli. Ces questions ont toujours existé à l’intérieur des mouvements parce qu’on cherche à chaque fois des moyens de faire face à ces situations sans s’y perdre. Il nous semble pressant d’alimenter ce débat, de contribuer à élaborer des discours publics à tenir face à ces situations. Des discours qui ne soient pas en contradiction avec ce que l’on pense, ce que l’on porte, et qui puissent trouver écho chez d’autres personnes subissant elles aussi la répression.

    Nécessaire aussi de réfléchir aux modes de diffusion de nos discours. La stratégie médiatique autour de « Tarnac » nous pose problème, même si nous n’avons pas de position de principe contre le fait d'intervenir dans les grands médias. La plupart du temps, ce sont les médias qui ont toutes les cartes en main, et leurs intérêts ne sont jamais les nôtres. Lorsqu’ils ne relaient pas mot pour mot le discours de l’Etat, ils ne font au mieux que dénoncer certains abus d’un pouvoir tout en le légitimant. Ils s’emparent de certains aspects des affaires au gré de leurs intérêts politiciens et économiques. D’où l’importance de chercher des modes collectifs d’intervention dans les médias qui ne répondent pas à l’urgence des flashes TV et des unes quotidiennes. Et qui s’inscrivent dans le cadre d’un rapport de force permettant que le contenu de notre discours ne soit pas complètement altéré. Par exemple, perturber une émission radio en y intervenant en direct. Faute de quoi, mieux vaut utiliser nos propres moyens de communication et tenter de donner par nous-mêmes de la consistance à nos solidarités.

    Les discours publics qu’on tient doivent pouvoir être compris et partagés avec d’autres gens. D’où le besoin de se demander : sur quelles bases veut-on tisser des liens de solidarité avec des personnes accusées ? Si nous sommes solidaires, ce n’est pas parce que des personnes subissent des procédures dites exceptionnelles comme l’antiterrorisme, mais parce que l’antiterrorisme est un élément parmi d’autres de la justice de classe, cette justice qui oeuvre pour défendre les intérêts des possédants. Ce n’est pas non plus parce que des personnes accusées ont un mode de vie particulier, ni parce qu’elles appartiennent à une soi-disant « mouvance » (type « anarcho-autonome ») ; car ces entités renforcent les séparations. Au contraire, si nous sommes solidaires, c’est parce que des pratiques, des actes de révolte, qui appartiennent aux luttes, au mouvement social, sont attaqués. Le but étant de les rendre inoffensifs en les enfermant dans le cadre institutionnel.

* * *

ANTITERRORISME

    Certains n'ont pas manqué de critiquer l'usage de l'outil antiterroriste, en raison de la disproportion entre le moyen utilisé et la nature des infractions poursuivies en avançant, par exemple, pour « l'affaire Tarnac », qu'il s'agissait de simples sabotages et non d'attentats. D'autres ont remis en cause l'existence même de cette législation qui serait contraire aux principes du droit démocratique. Des personnes, enfin, voient dans l'antiterrorisme et dans l'état d'exception devenu permanent un véritable « mode de gouvernement ». Toutes ces critiques ont en commun de présenter cette juridiction comme un extraterrestre, une exception dans le droit. Pourtant, l’antiterrorisme se distingue moins qu’il n’y paraît des autres procédures juridiques.[1]

    Dans les cas de l'association de malfaiteurs, du trafic de stupéfiants, des bandes organisées… les gardes à vue peuvent aussi durer 4 jours[2], la préventive est difficile à éviter et souvent longue, les peines encourues sont alourdies. Ces pratiques de répression, présentées comme des juridictions d'exception, sont en réalité couramment utilisées. Par ailleurs, d’autres catégories construites par l’Etat subissent elles aussi une répression féroce. Par exemple, les sanspapiers peuvent subir un contrôle d’identité de 32 jours en centre de rétention. Ils peuvent aller en prison pour avoir refusé d’embarquer, puis retourner au centre de rétention avant d’être expulsés. Et dans les faits, la juridiction antiterroriste n'entraîne pas forcément une répression plus importante que les juridictions communes. Même en antiterrorisme, les gardes à vue peuvent durer moins de 6 jours, il arrive que des personnes sortent de préventive avant leur procès, et, si les peines encourues sont souvent très élevées, cela ne veut pas dire que les juges vont les appliquer telles quelles.

    Les procédures antiterroristes construisent des accusations sur la base d’intentions supposées, qu’elles soient ou non suivies d’actes. Précisons qu’en antiterrorisme comme dans tout le droit pénal, les intentions doivent toujours être étayées par des éléments matériels. Plus l’intention est prépondérante dans l’accusation, plus des éléments matériels anodins pourront être utilisés à charge. Ces derniers, pris isolément, ne constituent pas nécessairement des infractions. Ce peut être la possession d’un pic à glace, un coup de fil passé à telle personne, avoir de l’argent en liquide… Mais accuser une personne de se préparer à commettre tel ou tel délit avant même sa réalisation est une pratique courante dans tout le droit pénal. Ainsi une personne peut être inculpée de complicité dans la préparation d’un meurtre qui n’a jamais eu lieu. Les intentions sont toujours prises en compte dans les condamnations : homicide volontaire ou involontaire, intention, ou pas, de voler, dégradations volontaires…

    La spécificité de l’antiterrorisme tient dans le fait que le pouvoir attribue aux personnes accusées des intentions à caractère politique. Il s’agit, en France, d’avoir « pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». En Europe, c’est, entre autres, « gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou d’une organisation internationale ». Un même acte peut donc relever soit du droit ordinaire, soit du terrorisme.[ 3] Cette distinction repose seulement sur le type d’intention attribuée aux personnes inculpées : une infraction peut devenir un acte terroriste si les juges estiment que ses motivations sont politiques, au sens où elles s’attaquent à l’Etat dans ses fondements[4].

   

    À trop souligner les particularités de l'antiterrorisme, on risque, même sans le vouloir, d'enfermer les quelques centaines de personnes qui subissent cette répression dans un cercle restreint. De renforcer une catégorie dont le pouvoir souhaite l'existence : celle des « terroristes ». Or cette étiquette, comme bien d'autres, sert à isoler, à faire en sorte que la répression antiterroriste soit perçue comme quelque chose de très spécifique, ce qui empêche d'élargir la solidarité à d'autres situations de répression.

    Dans les imaginaires, le « terroriste », c'est l'homme sans visage toujours prêt à poser une bombe à clous au milieu de la foule. En réalité, les procédures antiterroristes correspondent à de multiples situations différentes, qui parfois n’ont d’ailleurs pas grand-chose à voir entre elles et sont dissemblables en leur sein même : des activités séparatistes basques ou corses, des actions contre les radars, des activités attribuées à ce que l’Etat résume sous les appellations « islamiste » ou « anarchoautonome »… Evidemment, personne ne s'appelle de lui-même « terroriste ». Ce sont les Etats qui collent cette étiquette à ce qui est pour eux opportun de réprimer à un moment donné. Au niveau international, en fonction d'intérêts géopolitiques fluctuants, des organisations peuvent entrer et sortir de listes noires de terroristes. L'ANC (African National Congress) de Nelson Mandela par exemple, a longtemps été classée terroriste par les Etats- Unis avant d'être encensée par tous les démocrates du monde. Les Etats montrent du doigt à certains moments quelques personnes, « ce sont des êtres monstrueux », et vident ainsi de leur sens politique d’origine des actions, des pratiques, des pensées. Ce n'est qu'une manière de désigner un ennemi intérieur à éliminer, contre lequel toute la population devrait se liguer. De fait, en disant « nous ne sommes pas des terroristes » ou « ces gens-là ne sont pas des terroristes », et, à un degré moindre, en disant « nous sommes tous des terroristes », on risque à chaque fois de réactiver et de valider la catégorie « terroriste » qui n'est profitable qu'aux Etats et à ceux qui les soutiennent. Il est problématique tant de se revendiquer du terrorisme que d’être prêt à tout pour s'en démarquer.

   

    Mieux vaut montrer comment cette figure de grand méchant loup est agitée pour faire peur et justifier un contrôle toujours plus fort sur tous : c'est le plan Vigipirate, ce sont les militaires dans les gares, le fichage de nombreuses personnes, les contrôles d'identité de plus en plus fréquents… L'antiterrorisme témoigne et participe de manière spectaculaire d’un durcissement plus général de la législation, réponse à l'accentuation des contradictions sociales. Loin d’être réservé à certaines procédures « d’exception », ce durcissement s’applique au quotidien dans les rues, les commissariats, les tribunaux et les taules : déploiements policiers, relevés ADN systématisés, peines plancher, bracelets électroniques, préventive généralisée, Etablissement Pénitentiaire pour Mineurs…

    L’antiterrorisme est une des multiples formes de répression utilisées quotidiennement par le pouvoir. Elle obéit aux mêmes logiques : la classe dominante édicte les lois, décide de ce qui est légal et de ce qui ne l’est pas selon ses intérêts. L’appareil policier et juridique vise à maintenir l’ordre capitaliste en enfermant une partie des « classes dangereuses » pour mieux contraindre tous au travail. C’est pourquoi la justice condamne autant les actes que les profils sociaux des accusés, souvent en fonction de leur supposée dangerosité. Moins une personne a les moyens de présenter des garanties sociales et économiques, plus elle risque la prison. La justice doit reposer sur cette certitude selon laquelle les flics disent vrai et les pauvres sont coupables. On ne se fait de toute façon aucune illusion sur la possibilité de l’existence d’une justice équitable, d’un Etat de droit qui défendrait les intérêts de chacun. La procédure antiterroriste est à évoquer comme un des outils du pouvoir face à ce qui le met en cause, pour écraser, stigmatiser ceux qui ne se soumettent pas assez à son goût.[5]

 

NI COUPABLE, NI INNOCENT

    A la lecture d’articles de presse ou de rapports de police, on comprend que l’objectif est de construire soit des profils de coupables, soit des profils d’innocents. La question principale devient alors : « Est-ce qu’il ou elle aurait pu faire ou même penser à commettre tel ou tel acte ? ». Beaucoup ont dit pour ceux de Tarnac : « Libérez-les parce qu’ils sont innocents ». Il semble important de s’extraire de ces considérations de flics et de juges, de ne pas réclamer la libération de personnes sur la base de leur innocence, mais de demander leur remise en liberté indépendamment de la question de leur innocence ou de leur culpabilité. Question qui nous importe peu puisqu’elle ne conditionne pas l’expression de notre solidarité. Pour autant, critiquer l’interprétation à charge de certains faits peut être un enjeu important, par exemple remettre en cause l’appellation de « cellule invisible » utilisée par la justice pour parler des gens de Tarnac[6].

    Bien entendu, que des personnes solidaires réclament la libération des inculpés, qu’ils soient coupables ou innocents, n’empêche pas ces derniers de se défendre de leur accusation et de présenter au juge des garanties de représentation (un travail, un logement…). Mais mettre en avant publiquement des profils d’innocents nous conduirait à parler de la personnalité des accusés, de leur parcours de vie, de leurs habitudes, de leur situation… Ce qui non seulement est inintéressant, mais sousentend en plus qu’il y aurait deux catégories de personnes : « les gens biens », tellement gentils et intégrés qu’ils ne peuvent qu’être innocents, et les autres, évidemment coupables, la plupart du temps appartenant aux « classes dangereuses », c’est-à-dire aux classes populaires.

    En plus, s’affirmer solidaires sur la base de l’innocence des accusés et d’une dérive de la justice revient à sous-entendre que la justice devrait agir comme d’habitude, c’est-à-dire condamner les « coupables ». Au final, cela entérine le fonctionnement normal de la justice et en appelle à un Etat de droit.

    Enfin, il est problématique de dire que des personnes n’ont pas le profil, qu’elles n’auraient donc jamais pu commettre des actes qui nous semblent prendre part à la conflictualité sociale. C’est affirmer que les personnes n’ont ni le profil socio-économique, ni les idées, les pensées liées aux actes reprochés. Il est évidemment nécessaire de déconstruire le montage policier et médiatique, mais lorsque cela prend toute la place dans le discours public, c’est une position politique : un tel discours conduit, même indirectement, à se démarquer des actes de révoltes. Il risque donc de participer à la logique de l’Etat qui veut, en poursuivant un acte de révolte, discréditer plus largement ce type d’acte. Mieux vaut au contraire se montrer solidaires des actes de révolte et peu importe l’innocence ou la culpabilité des personnes inculpées.

QUI PEUT PAYER PEUT CHOISIR

    Dans le cas des inculpés de Tarnac, le discours sur l’innocentisme s’est doublé d’un discours sur les modes de vie. Des affiches de comités de soutien à Tarnac affirment : « Ce qui est attaqué ? Ce sont nos luttes, nos mots, nos modes de vie, nos armes, nos amitiés et la possibilité de s’attaquer à l’ordre des choses… ». La campagne de soutien aux inculpés de Tarnac a mis en avant cette question du mode de vie. On a beaucoup entendu : « soyez solidaires avec nous : si on est attaqué, c'est parce qu'on vit à plusieurs à la campagne ». Or nous ne pensons pas que l’Etat s’attaque aux personnes de Tarnac pour leur « mode de vie ». Cette position nous pose problème à différents niveaux.

    D’abord, dans de nombreuses affaires judiciaires, des modes de vie sont construits de toutes pièces. Pouvoir et médias créent l'image qui leur est utile. La caricature de la manière de vivre est la base de tout fait divers. Ainsi, les personnes de Tarnac seraient bizarres car elles vivraient collectivement à la campagne et n'auraient pas de téléphone portable. A l'inverse, l'homme accusé d'appartenir au Fnar (Front national armé révolutionnaire ou Front national anti-radar) serait étrange justement parce qu'il vivait isolé, qu'il habitait seul dans son appartement ! Répondre sur la question des modes de vie, c'est rester sur un terrain dont les médias sont friands sans jamais remettre en cause la portée politique de ces catégories, terrain qui évacue la question des rapports sociaux.

    Ensuite, parce que ce discours repose sur une séduction, celle de se voir comme un danger politique. Pourtant, aucun mode de vie n'est en soi subversif. Certes, nous avons besoin d’expérimenter à plusieurs des modes de vie et de repenser ici et maintenant les rapports (genre, exploitation, etc.). Ce peut être tout un tas de débrouilles, d'entraides, de solidarités au quotidien, pour s'en sortir mieux ou un peu moins mal. C’est aussi au cours de luttes des aspects du quotidien qui changent : tout à coup, on s'organise ensemble pour se procurer de la nourriture, pour improviser une cuisine dans l'endroit que l'on occupe, pour défendre cet endroit où l'on va aussi dormir... Pour autant, ce n'est pas parce que l'on mange, cultive, travaille ensemble, ou même possède une maison à 10, que l'on échappe ou attaque les rapports sociaux (c’est-à-dire la propriété privée, l’exploitation). Il n’est pas possible de vivre en-dehors du système capitaliste. Le modèle de l'alternative, cette petite bulle où l'on tente de vivre différemment entre soi, n'entrave en rien le fonctionnement du capital. Alors en faire un modèle politique qui serait la condition pour affronter l’ordre des choses… c’est au mieux une illusion naïve, au pire un mensonge. L’idée d’une existence indépendante de l’économie capitaliste qui pourrait servir de principe politique pour mener des attaques est un leurre. Une mystification qui risque de mener à des communautés closes, de renforcer des codes de l’entre-soi, et de créer des ghettos militants. Ainsi, dans une cour de promenade, un prisonnier dit, au sujet de Tarnac : « Y'a pas mal de leurs idées qui me plaisent, mais le problème, c'est que moi je peux pas vivre à la campagne ! »

    Ce discours sur le mode de vie relève en effet d’une manière très particulière d’aborder la politique qui nie les conditions réelles d'existence du plus grand nombre. C'est un point de vue où le moteur serait uniquement le choix : volonté de vivre à plusieurs plutôt que de travailler, d’avoir de l’argent ou au contraire de déclamer qu’il n’existe pas entre nous. Encore faut-il avoir les moyens de faire ce choix. Squatter un logement est souvent une nécessité et la plupart des gens essaient de subir le moins possible l'exploitation. Même si tout le monde fait des choix, c'est avec plus ou moins de marge de manoeuvre et avec des conséquences bien différentes. L’argent est justement ce qui permet de s’affranchir des nécessités matérielles, l’espace de respiration pour ne plus y penser. Le problème c'est de faire croire que la volonté serait moteur de toute chose, en niant le contexte, les situations sociales... Or cette position politique consiste justement à faire comme si tout le monde avait tout le temps la même liberté de choisir. « Cette posture [...] relève pour l’essentiel du régime de la liberté marchande : qui peut payer peut choisir »[7].

    Elle ne fait que fait que creuser les écarts existants. Elle reconduit les séparations entre les différents segments de classe qui peuvent se rencontrer au sein des luttes. Une telle rencontre n’a certes rien d’évident. Mais la position qui consiste à nier dans le langage les véritables séparations qui structurent la société ne permet pas de les dépasser dans la réalité. Au contraire, à force de les nier, elle les reconduit et risque d’approfondir un peu plus l’incompréhension entre les différents groupes sociaux qui sont amenés à se rencontrer et parfois à s’allier dans les luttes.

    Nous pensons au contraire que c’est parce que les séparations, les contradictions sociales sont permanentes que l'apparition de luttes est inéluctable. La rencontre entre les exploités devient alors possible et elle est ellemême un enjeu de la lutte. Rencontre entre tout ceux qui, communément exploités, ne le sont pas de manière égale.

SOIGNE TA GAUCHE

    La défense publique d’un mode de vie nous pose finalement problème en termes de tactique politique, c'est-à-dire dans les alliances qu’elle esquisse. Suivant une tactique double et opportuniste, le discours sur le mode de vie a été utilisé pour séduire, non seulement grâce à l’idée de constituer un danger politique, mais aussi en donnant à tout prix des gages de respectabilité, s’attirant ainsi la bienveillance d’une certaine gauche. Le discours sur le mode de vie devient alors un des opérateurs de sa recomposition.

    La récupération de l'affaire de Tarnac par la gauche est particulièrement flagrante. Alors que dès le second jour de l’affaire, les grosses centrales syndicales criaient à la provocation, et Sud[8] au terrorisme, celles-ci ont rapidement rejoint la cohorte des démocrates, des partis et des intellectuels de gauche, tous unis d’une seule voix pour dénoncer « les lois d’exception » incompatibles avec un « Etat de droit démocratique ». Les références au « déni de démocratie » sont même allées jusqu’à une pétition d’intellectuels publiée dans Le Monde appelant à la défense de cette sacro-sainte démocratie. Ceci a de quoi laisser perplexe tant derrière ce terme fourre-tout se cache en réalité un système politique qui mime la défense de l’intérêt de chacun tout en consacrant le pouvoir d’une infime minorité. Ce qui disparaît alors dans cette course à la respectabilité, c'est la possibilité même de créer des liens de solidarité avec tous ceux, qui, attaqués par l'Etat, ne peuvent ni ne veulent donner de tels gages de respectabilité. Avec tous ceux qui, de par leur condition, sont partie prenante de la conflictualité de classe.

VIEILLES CHIMÈRES

    Le discours sur le mode de vie crée de nouvelles séparations et s’avère d’autant plus incapable de casser les catégories créées par l’Etat : « jeunes de banlieue », « anarchoautonomes »... Depuis deux ans de façon récurrente, l'Etat dans ses déclarations médiatiques invoque les anarcho-autonomes comme responsables de « débordements » dans des luttes sociales.

    Durant le mouvement contre le CPE, les affrontements violents, notamment devant la Sorbonne, sont attribués dans la presse à des casseurs « anarchistes » ou « autonomes », nécessairement extérieurs au mouvement. La police et les journalistes expliquent que ces affrontements impliquant des milliers de personnes ont été décidés et dirigés par une poignée d'individus. Et c'est tout l'intérêt de la figure de l'anarcho-autonome : incarner à elle seule un ensemble de pratiques collectives illégales (tags, dégradations, affrontements...). Elle crédite aussi la thèse selon laquelle les mouvements sont toujours initiés et contrôlés par une force visible (comme les syndicats) ou obscure (en novembre 2005, les islamistes ont été présentés comme les incitateurs des émeutes de banlieue). Après l'incendie du centre de rétention de Vincennes en juin 2008, l'UMP accuse le Réseau Education Sans Frontières et les collectifs de sans-papiers d'être responsables des révoltes à l'intérieur des centres. De telles manoeuvres visent à extraire des luttes sociales certaines pratiques illégales en les attribuant à un extérieur. On voudrait nous faire croire qu’il ne resterait qu'une alternative : la contestation dans un cadre institutionnel ou le « terrorisme ».

    L'antiterrorisme n'est qu'un de ces outils dont dispose l'Etat pour contenir la contestation. Tentatives qui à terme semblent vaines, tant les révoltes relèvent d'un fait social qui ne se laissera jamais circonscrire à un groupe, un milieu ou une mouvance.[9]

SABOTAGE, BLOCAGE, CONFLICTUALITÉ

    En l'occurence, les personnes de Tarnac ont été accusées de sabotages, pratiques que l'on retrouve dans les mouvements sociaux et qui peuvent être l'expression de la conflictualité de classe. Dans cette affaire, on a vu les médias, syndicalistes et politiques effrayés à l'idée que les sabotages des lignes SNCF aient été faits par des cheminots. Quel soulagement lorsque la police affirme avoir arrêté les responsables, soi-disant membres d'une « cellule terroriste ». Rassurés, les représentants homologués du mouvement social se lâchent : « terrorisme » pour Sud Rail, « provocation » pour la LCR qui affirme que « ces méthodes-là n'ont jamais été, ne sont pas et ne seront jamais les nôtres ».

    A l'automne 2007, alors que les cheminots protestent contre la casse des régimes spéciaux, des sabotages sont commis sur les voies, contre des systèmes d'aiguillage et des bâtiments administratifs. En 2000, les ouvriers de Cellatex « négocient » le montant de leurs indemnités de licenciement en menaçant de déverser des produits toxiques dans la Meuse et de faire sauter l'usine. Les actes de sabotage sont monnaie courante au travail (vas-y-mollo contre les cadences, travail bâclé après une engueulade avec la hiérarchie, virus informatique balancé sur les ordinateurs...) et ailleurs : le collégien qui fout du chewing-gum dans la serrure pour se dispenser de son exposé de géo, l'automobiliste qui rend inutilisable un radar automatique.

    En tant que telles, les pratiques de sabotage n’ont rien d’une doctrine. Elles ne sont pas plus le fait d’excités ou de comploteurs, mais un moyen d’action pertinent (ou pas) au vu des enjeux et des situations. Un même gréviste de la RATP peut faire signer des pétitions, s’asseoir à la table des négociations, tout en s’assurant par le sabotage que les bus ne roulent pas. Dans les mouvements sociaux, cette pratique peut s’accorder avec d’autres types d’actions, comme les assemblées, les occupations, les blocages… qui toutes témoignent d’une recherche d’efficacité, et ne trouvent leur intérêt qu’en fonction du contexte. Considéré de manière isolé, le sabotage ne témoigne pas forcément de la radicalité d’un conflit, il ne s'accompagne pas nécessairement d'une remise en cause plus générale. Les « faucheurs volontaires » emmenés par José Bové ont usé de pratiques illégales dans le seul but de se constituer en lobby anti-OGM et de mieux réformer le droit. Se privant de toute critique du monde qui produit les OGM, il était bien entendu vain de penser pouvoir empêcher leur développement[10].

    Légalité ou illégalité ? La question ne se pose pas uniquement en ces termes. Lors des mouvements sociaux, on fait tout simplement ce qui dérange le plus ceux d’en face. « La légalité n’est pas une frontière infranchissable pas plus que l’illégalité une position de principe »[11]. D’ailleurs la légalité de certaines actions dépend très peu des gens en lutte. Une manifestation d’abord légale peut devenir immédiatement illégale sur simple ordre du préfet. Dans les mouvements sociaux, la recherche de formes de lutte efficaces est aujourd'hui d'autant plus pressante que l'arsenal anti-grève se durcit, notamment avec la mise en place du service minimum. Dans les médias, les grèves dans les transports ou l’éducation sont assimilées à des prises d'otages. En 2008, un président jubile (un peu trop vite) devant un parterre de patrons en affirmant : « désormais quand il y a une grève en France personne ne s'en aperçoit ». Le traitement policier et judiciaire des conflits devient la règle. La grève dans ses modalités légales arrive de moins en moins à toucher au portefeuille. Pour des revendications parfois minimes, ceux d’en face n’hésitent pas à utiliser tout l’arsenal du contournement (embauche de précaires, lock out[12]) pour vider les grèves de leur efficacité. Dans ce contexte, certaines pratiques comme les journées d’action et les « temps forts » syndicaux sont parfois désertées. Pas tant parce que ceux qui les initient, gauche et directions syndicales, sont contestées en tant que telles, mais parce que de plus en plus de gens concernés font le constat de leur inefficacité.

    D’autres pratiques, de fait illégales et qui ont toujours existé tendent au contraire à se multiplier : grèves sauvages, sabotages, blocages… Ainsi, depuis une quinzaine d’années, les blocages sont devenus en France un enjeu central des mouvements. Il y a évidemment dans la mémoire collective récente le souvenir de décembre 95. Pendant 2 mois pas un train ne roule, « le pays est de fait paralysé. Les métropoles prennent un visage inédit, les rapports sociaux, notamment de solidarité se transforment au quotidien »[11]. En 2003, cette question se repose (comme par exemple le blocage du bac) mais « les contre feux sont là. Les syndicats des transports parviennent à empêcher une extension de la grève aux salariés de la SNCF et de la RATP,[…], la rue a une apparence de normalité, ça roule »[11]. Les enseignements de ces défaites sont tirés par le mouvement du CPE et le mouvement lycéen de 2007 : les blocages des voies et des gares viennent se rajouter aux manifs sauvages. Plus récemment encore, en 2008, les grèves du fret (en Allemagne), grèves sauvages dans l’aviation (Alitalia en Italie)… Et ces pratiques dépassent largement la lutte des cheminots ou des transporteurs. Il suffit de penser aux blocages routiers qui ont fait rage en Guadeloupe… Ces pratiques de blocages ne sont évidemment qu’une des formes de la conflictualité sociale. Comme le disaient des jeunes de la RATP à Paris en 2007 « on veut pas faire une grève juste en mangeant des merguez dans notre dépôt »… Et c’était novembre 2005 qui était cité comme exemple du rapport de force. La conflictualité sociale déborde de toutes parts les médiations démocratiques (partis, syndicats, représentants et associatifs de tout bord) comme on a pu voir en France en novembre 2005 et plus récemment en Grèce à la fin de l’année 2008.

    Les mouvements sociaux et les émeutes ne sont pas les seuls moments d’expression de la conflictualité sociale... Ce système ne peut plus promettre l’amélioration des conditions d’existence, mais plutôt leur appauvrissement, comme le confirment encore récemment les conséquences de la crise financière. Dans ces conditions, n’importe quel point de cristallisation des conflits de classe, tels les résistances aux expulsions, aux licenciements, les affrontements avec les flics, sont des foyers aussi nombreux qu’imprévisibles. Logiquement, le pouvoir utilise la répression afin d'isoler ces différentes dynamiques. Lorsque des personnes, des groupes se font réprimer, c'est l'occasion de rappeler que, quels que soient les outils que l'Etat utilise pour attaquer des moyens de lutte, il le fait dans le cadre de la conflictualité de classe dans le but de contenir la contestation le plus largement possible.

* * *

    La défense du comité de soutien à Tarnac a organisé son discours public autour de deux points : la défense des inculpés qui seraient attaqués pour leur mode de vie alternatif et la mise en cause de ce qui est décrit comme un nouveau mode de gouvernement, ou une dérive du droit. Ce discours public est parfaitement représentatif des contradictions du cycle des luttes actuelles[13], qui s'expriment encore plus fortement au sein des classes moyennes. Et à bien des égards, ces discours semblent avoir été profilés à leur intention.

    Ainsi, le discours sur le mode de vie permet d’affirmer des nouveaux besoins (nouvelles formes de sociabilité, écologie...). Mais, loin d’une perspective communiste car il ne porte aucune critique de fond de la propriété, de l’exploitation et de l’Etat, il se traduit au final par une fuite dans l’alternative. De même pour l’illusion démocrate qui consiste à revendiquer l’abrogation des lois antiterroristes au nom de l’Etat de droit, en bon citoyen vigilant.

    En fait, il nous importe moins de dénoncer le machiavélisme raffiné de cette stratégie de défense que de pointer la contradiction sociale dont elle découle. Cette stratégie témoigne de la réelle crise de reproduction que vivent des pans entiers de la classe moyenne - assurés du fait que leurs enfants vivront moins bien qu'eux - et de leur attachement à un rapport de nature garantiste à l’Etat.

    Cet appel constant à « l'Etat providence » est le crédo dominant du cycle de lutte actuelle : s'enferrant dans la défense des droits existants et des acquis sociaux, les luttes et les mouvements n’arrivent pas à se dégager d’une stricte réactivité qui consiste à évoquer un contre modèle de stabilité et de sécurité incarné par l’Etat providence et l’Etat de droit. Cette limite s’inscrit dans le cadre de la défaite du mouvement ouvrier, de la restructuration qui s’opère à partir des années 70. Au sein des luttes, le sentiment d’appartenance à la classe s’efface progressivement au profit de la figure du citoyen.

    Face à l’appauvrissement des classes populaires au profit du capital et au renforcement de l'arsenal juridique, il ne s’agit pas de délaisser le champ des luttes revendicatives ou de dire que toutes les législations se valent. Il s’agit de prendre acte de l’offensive du capital et de la combattre, sans pour autant s’enfermer dans une défense de l’Etat providence, qui est le prolongement étatique de la restructuration du capital après-guerre.

    L’enjeu est de taille car une véritable chape de plomb doctrinale se constitue, prenant notamment appui sur des slogans tels que « nos luttes ont construit nos droits ». Or, ces droits n'ont pas été « conquis de haute lutte » ; ils formalisent un rapport de force à un moment précis (souvent la fin d'une lutte) entre deux positions aux intérêts antagoniques. On fait du droit tel qu'il est le but des luttes sociales passées et non leurs limites mises en forme par l'Etat et le Capital. Cette illusion rétrospective établit que la somme des victoires de la lutte des classes n'est pas autre chose que l'édification lente, laborieuse et linéaire de codes juridiques. Certes des protections, des garanties ont été mises en place à l'issue de ces luttes, mais il s'agit d'avantages restreints et d'aménagements de l'exploitation. Et cela s'est fait au prix du désarmement de l'offensive et reste bien en deçà de ce qui s'y jouait : l'élaboration de solidarités de classe, de pratiques collectives et de contenus subversifs et révolutionnaires.

    Les luttes, concrètement, n'ont pas pour objet des droits. Si la Bastille a été prise, ce n'était pas pour obtenir le droit de vote mais parce que c'était un dépôt d'armes. De même, si les mal logés sont en lutte, c'est avant tout pour avoir un logement. La revendication du « droit au logement » est toujours le fait des associations et des partis qui viennent se poser comme seuls médiateurs crédibles et font carrière en négociant par-dessus la tête des collectifs.

    Cette position qui réduit tout à la défense du droit empêche donc la ré-appropriation de formes de luttes qui n'ont jamais été inscrites dans le droit mais qui ont toujours appartenu aux mouvements comme la grève sauvage, les auto-réductions, les ré-appropriations collectives ou le sabotage. Nous laissons aux adorateurs du code du travail le choix d'inscrire dans les textes juridiques le droit au refus du travail, à la grève sauvage, à la destruction de machines, au sabotage, à la bastonnade des petits chefs, à l'incendie des usines et à la défenestration des patrons.

    Voir dans le droit la finalité de toutes les luttes passées et présentes, empêche tout renversement de perspective qui viserait la critique de l'Etat, de la démocratie et de la propriété privée, non pour les réformer ou les fuir dans un prétendu « en-dehors » mais pour les abolir. S'affirmer solidaires d'actes dénoncés comme irresponsables alors qu'ils ont toujours été des outils de la lutte de classes, réaffirmer par là leur contenu politique et leur appartenance à la conflictualité de classe va dans le sens de ce renversement de perspective.

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1. Nous reprenons ici une grande partie des analyses du texte de Léon de Mattis, « L’antiterrorisme n’est pas une exception », janvier 2009, disponible sur http://www.leondemattis.net.

2. Juridiquement, en antiterrorisme, les gardes à vue peuvent durer jusque 6 jours. Mais, la plupart du temps, elles durent 4 jours ou moins.

3. En Espagne, la loi dit que « tout travail en faveur de l’indépendance d’une partie du territoire, même non violente » est traité comme un acte terroriste.

4. Une spécificité propre à l’antiterrorisme concerne la composition des cours d’assises. Ce sont uniquement des magistrats professionnels, dont il est plus aisé d’anticiper le verdict, et non un jury populaire, qui composent les cours d’assises en matière antiterroriste.

5. Sur ces questions, voir « Danse avec l’Etat – Dénoncer l’exception jusqu’à en oublier la justice », mars 2009, L’Envolée no 25, disponible sur http://reposito.internetdown.org/chroniques/danse.pdf.

6. Lors d’une conférence de presse, le procureur de Paris, Jean-Claude Marin, affirme que les « 9 de Tarnac » appartiennent à une organisation terroriste qu’ils nomment eux-mêmes « Cellule invisible ». En réalité, l’accusation a repris la signature « Comité invisible » d’un livre attribué par les flics à Julien Coupat en remplaçant le mot « comité » par celui de « cellule », terme généralement utilisé pour désigner un groupe membre d’une organisation terroriste. Cette manipulation grossière a ensuite été reprise en coeur par les médias.

7. « Un autre emploi de l’argent », mai 2005, Meeting 2, disponible sur http://meeting.senonevero.net.

8. Dès le 12 novembre, Christian Mahieu de Sud Rail a cru bon de mettre en garde « ceux qui frisent la diffamation en voulant confondre terrorisme et action syndicale ».

9. Sur cette question, voir le texte de Léon de Mattis, « Anarcho-autonome », décembre 2008, dans Mauvaises intentions 2, disponible sur http://infokiosques.net/mauvaises_intentions.

10. Nous faisons la distinction entre les actions spectaculaires des faucheurs volontaires visant à instaurer un dialogue avec l’Etat et les nombreux actes de sabotages anonymes de champs d’expérimentation.

11. La caténaire qui cachait la forêt, novembre 2008, texte disponible sur le site www.collectif-rto.org.

12. Lors d'un conflit social, la direction choisit de fermer l'usine, et lorsque c'est possible, elle externalise la production.

13. Le texte de conclusion a été en partie influencé par « Le grondement de la bataille et la plainte des pleureuses », avril 2006, Meeting 3, disponible sur : http://meeting.senonevero.net.

25 novembre 2009

Communiqué suite à l’arrestation du mardi 24 novembre 2009 au matin

    Ce matin à 6H30, la SDAT s’est permise de procéder à une nouvelle arrestation parmis les "proches" des inculpés. Le Juge Fragoli nous avait presque fait couler une petite larme la semaine dernière en se targuant, dans Libération, de procéder dans ce dossier avec toute l’"humanité" dont il était capable. Il aura, ce matin encore, fait montre de la finesse que nous lui connaissions : 15 gros malins de la SDAT pour défoncer une porte et braquer deux enfants de 4 et 6 ans dans leur lit. Tout cela afin d’interpeller une personne qui avait déjà été arrêtée le 11 novembre 2008, à partir d’éléments du dossier plus que fantasques et en leur possession depuis le premier jour.

    Evidemment, nous comprenons ce qui est en oeuvre ici. Alors que les deux éléments centraux de leur accusation, à savoir la filature de Julien et de Yildune et le témoignage sous X, ont été largement balayés par des révélations récentes, les tristes clowns continuent leur fuite en avant, usant de prétextes toujours plus risibles afin de faire diversion. Il est à noter que le juge Fragoli, encore et toujours lui, aurait déclaré à des journalistes qu’il ne procéderait pas à une reconstitution de la soit-disante nuit des sabotages. Il semblerait donc définitivement vouloir couvrir ce qui, chaque jour un peu plus, ressemble à des faux réalisés par la SDAT. Souhaitons lui bonne chance, il en aura bien besoin.

    Par delà cette pathétique tentative de diversion, nous voyons une fois de plus ce que l’anti-terrorisme permet et se permet. Comme lors des deux vagues d’arrestations précédentes, des amis des inculpés sont arrêtés en pleine rue ou en plein sommeil pour subir 96 H de garde à vue et donc de pression et d’humiliation. La démocratie ça se maintient comme ça peut.

    Nous interprétons cette nouvelle tentative d’intimidation comme la seule réponse qu’ait trouvée Mr Ragnoli a l’effondrement de son instruction. Gageons que les semaines à venir nous permettent de définitivement en finir avec cette farce, comme avec sa carrière.

Source : Soutien 11 novembre

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