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Amour, émeute et cuisine
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  • Quelques pensées sur la civilisation, considérée dans ses aspects politiques, "philosophiques", et culinaires, entre autres. Il y sera donc question de capitalisme, d'Empire, de révolte, et d'antiterrorisme, mais aussi autant que faire se peut de cuisine.
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22 novembre 2023

Histoire de la bourgeoisie en France I : Des origines aux temps modernes

Régine Pernoud, Histoire de la bourgeoisie en France I

Histoire de la bourgeoisie en France I : Des origines aux temps modernes, de Régine Pernoud.

4e de couverture : "C'est dans une charte de 1007 qu'apparaît pour la première fois le mot bourgeois promis à une si étonnante fortune." Fortune, en effet, et au sens propre du mot. Né du bourg et du commerce, le bourgeois entreprend au XIe siècle une irrésistible ascension qui le conduira du colportage à la grande banque.
Dans ce premier tome, Régine Pernoud retrace avec érudition mais vivacité les premières étapes de cette histoire de la bourgeoisie qui commence comme une grade aventure avec la prodigieuse émergence des villes, la conuête des routes lointaines, l'assaut donné au pouvoir politique, les défis lancés à l'Église.

Extrait n°1 : La situation est plus violente encore dans les cités industrielles du Nord et de l'Italie : dans le Brabant, dès 1242, les bourgeois décident de refouler hors des remparts le peuple des tisserands ; les agitations sont manifestes à Sienne, en 1257, à Gênes en 1276, à Florence en 1293.
Agitations d'un genre nouveau, car ce sont alors, dans toute la force du terme, des luttes de classes. Ce sont les différences de fortune qui ont creusé le fossé entre peuple et bourgeois. Car désormais le terme a évolué : qui dit bourgeois dit riche.

Extrait n°2 : C'est en effet l'un des traits marquants du XIIIe siècle, l'importance qu'y prennent les études de droit, et la prolifération des magistrats, avocats et hommes de loi.

Extrait n°3 : En même temps qu'à la femme contre laquelle il rassemble tous les brocards popularisés par les fabliaux, l'auteur s'attaque à la chevalerie, et à l'occasion aux ordres mendiants. En revanche, il dresse une sorte de tableau encyclopédique du domaine de Nature en faisant oeuvre de vulgarisation scientifique. Autrement dit, Jean de Meung traduit exactement les aspirations d'un temps où la diffusion du savoir se marque, entre autres, par la multiplication du nombre des universités, où la renaissance du droit romain va amener l'incapacité juridique de la femme, où, enfin, une classe bourgeoise en pleine expansion se dresse en face d'une noblesse qui va perdre son ressort essentiel, en l'espèce la chevalerie, et ne sera bientôt plus que sa propre carcicature.

Extrait n°4 : L'évolution qui s'affirme, au cours de cette période d'environ de cent cinquante ans à laquelle devrait être réservée l'expression de "Moyen Age", dont on s'est si fâcheusement servie pour désigner une période de milles années (ce qui est beaucoup pour un moyen terme), est sensiblement différente. On constate alors que l'ambition des bourgeois qui se sont enrichis serait plutôt d'accéder eux-mêmes à la noblesse sur laquelle ils ont les yeux fixés.

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27 juin 2022

LTI, la langue du IIIe Reich

Victor Klemperer, LTI, la langue du troisième ReichLTI, la langue du IIIe Reich, de Victor Klemperer.

4e de couverture : Le philosophe allemand Victor Klemperer s'attacha dès 1933 à l'étude de la langue et des mots employés par les nazis. En puisant à une multitude de sources (discours radiodiffusés d'Adolf Hitler ou de Joseph Paul Goebbels, faire-part de naissance et de décès, journaux, livres et brochures, conversations, etc.), il a pu examiner la destruction de l'esprit et de la culture allemands par la novlangue nazie. En tenant ainsi son journal, il accomplissait aussi un acte de résistance et de survie.
En 1947, il tirera de son travail ce livre : LTI, Lingua Tertii Imperii, la langue du IIIe Reich, devenu la référence de toute réflexion sur le langage totalitaire. Sa lecture, à près de soixante-dix ans de distance, montre combien le monde contemporain a du mal à se guérir de cette langue contaminée, et qu'aucune langue n'est à l'abri de nouvelles manipulations.

Extrait n°1 : On cite toujours cette phrase de Talleyrand, selon laquelle la langue seraait là pour dissimuler les pensées du diplomate (ou de tout homme rusé et douteux en général). Mais c'est exactement le contraire qui est vrai. Ce que quelqu'un veut délibérément dissimuler, aux autres ou à soi-même, et aussi ce qu'il porte en lui inconsciemment, la langue le met au jour. Tel est sans doute aussi le sens de la sentence : Le style c'est l'homme ; les déclarartions d'un homme auront beau être mensongères, le style de son langage met son être à nu.

Extrait n°2 : Jamais traité d'imposture cléricale - au lieu d' "imposture cléricale", la LTI dit "propagande" - n'aura été écrit avec une franchise plus impudente que le Mein Kampf de Hitler.

Extrait n°3 : Là où, autrefois, on aurait dit ou écrit par exemple "passionnément", on trouvait à présent "fanatiquement". Ainsi apparut nécessairement un certain relâchement, une espèce d'avilissement du concept. Dans ladite monographie consacrée à Göring, le maréchal du Reich est célébré, entre autres, comme un "ami fanatique des animaux". (La connotation critique que comportait l'expression "artiste fanatique" est ici totalement annulée, puisque Göring est toujours dépeint comme l'homme le plus avenant et le plus sociable qui soit.)
Reste à savoir si, en perdant de sa vigueur, le mot a aussi perdu de son poison. On pourrait répondre affirmativement en alléguant que "fanatique" s'est désormais chargé sans qu'on n'y prenne garde, d'un sens nouveau, qu'il s'est mis à désigner un heureux mélange de bravoure et de dévouement passionné. Mais il n'en est rien. "Langue qui poétise et qui pense à ta place..." Poison que tu bois sans le savoir et qui fait son effet - on ne le signalera jamais assez.

Extrait n°4 : Il va de soi qu'à son acmé, la LTI doit être une langue de croyance, puisqu'elle vise au fanatisme.

Extrait n°5 : On a prétendu que l'idéal humaniste avait préservé (du côté nazi on dit "privé") les romantiques des conséquences logiques de leur affirmation de l' "élection" du peuple germanique. Mais, surchauffée jusqu'au nationalisme et jusqu'au chauvinisme, la conscience nationale fait fondre ce bouclier de protection. Le sentiment de solidarité avec l'ensemble de l'humanité est complètement perdu. La valeur humaine est tout entière contenue dans le peuple allemand - quant à ses adversaires : "Tuez-lez ! Le tribunal du monde ne vous demande point vos raisons !"
Pour les poètes des guerres d'indépendance, cet ennemi des Allemands, qu'il faut tuer, c'est le Français.

18 octobre 2021

LES QUARANTE-HUITARDS

Les quarante-huitards

LES QUARANTE-HUITARDS, de Maurice Agulhon.

4e de couverture : 1848 est une révolution sans prestige. Face à la rigueur jacobine de 1793, à la pureté communarde de 1871, à l'efficacité bolchevique de 1917, elle paraît n'offrir que les contradictions, tantôt dérisoires, tantôt sanglantes, d'un mouvement incertain et bientôt liquidé. Maurice Agulhon rouvre ici le dossier d'une tentative malmenée par l'histoire. Qui étaient les quarante-huitards ? Quelle logique les a conduits des espoirs de Février à la répression sauvage de juin, à l'abdication entre les mains de Bonaparte? Voici leur générosité et leur inconséquence, la part de rêve et le poids des choses. Avec 1848, une nouvelle sensibilité politique s'est définie : c'est elle qui fait encore l'actualité d'une révolution manquée.

Extrait n°1 : En réalité il n'est - en soi - ni bon ni mauvais, ni glorieux ni ridicule, d'être conservateur, l'attitude vaut ce que vaut la chose à cconserver ; la "vieille barbe" sera jugée pitoyable ou vénérable suivant que "48" sera tenu pour mort ou pour vivant ; c'est bien là qu'il faut en venir.

Extrait n°2 : L'homme de 1789 reste un "patriote", celui de1793 un jacobin, celui de 1830 un libéral (ou un "bourgeois"), celui de 1871 un communard (ou communeux, ou communiste par adoption rétrospective), celui de 1917 un bolchevik, pourquoi celui de 48 n'a-t-il été que... quarante-huitard ?

Extrait n°3 : De même qu'il y avait des ouvriers dans le camp de l'ordre (et parfois entraînés au combat par leur propre patron), il y eut un certain nombre d'ingénieurs et de petits industriels du Paris de l'Est dans le camp populaire.

Extrait n°4 : M. Armand Marrast se montre à une fenêtre, et, salué d'une acclamation générale, il harangue le peuple. "Citoyens, dit M. Marrast au milieu d'un profond silence, nous venons d'avoir une belle journée, ne la gâtons pas. Le peuple a droit de demander des garanties et une réparation. Il faut donc qu'il exige: la dissolution de l'Assemblée, la mise en accusation des ministres, le licenciement de la garde municipale, les deux réformes parlementaire et électorale et le droit de réunion. Enfin n'oublions pas que cette victoire n'est pas seulement une victoire pour la France, c'en est une aussi pour la Suisse et pour l'Italie."

Extrait n°5 : Quoi qu'il en soit, l'appel est entendu, Paris se prépare au combat dans la nuit du 23, et le gagne dans la matinée du 24. Le roi Louis-Philippe abdique et s'enfuit.

3 octobre 2021

DETTE, 5000 ANS D'HISTOIRE

Dette 5000 ans d'histoire

DETTE, 5000 ANS D'HISTOIRE, de David Graeber.

4e de couverture : En remettant en perspective l'histoire de la dette depuis cinq mille ans, David Graeber renverse magistralement les théories admises. Il démontre que l'endettement a toujours été une construction sociale fondatrice du pouvoir. Aujourd'hui encore, les économistes entretiennent une vieille illusion : celle que l'opprobre est forcément à jeter sur les débiteurs, jamais sur les créanciers. Et si l'unique moyen d'éviter l'explosion sociale était justement... d'effecer les dettes ?
Cet essai essentiel et foisonnant, par une des plus grandes figures de la réflexion politique contemporaine (David Graeber a directement inspiré le mouvement Occupy Wall Street), permet de mieux comprendre l'histoire du monde, la crise du crédit en cours et l'avenir de notre économie.

Docteur en anthropologie, économiste et professeur à la London University, David Graeber (1961 - 2020) a été l'un des leaders du mouvement Occupy Wall Street. En France, aux éditions Les Liens qui Libèrent, sont notamment parus Dette : 5000 ans d'histoire (2013 ; Babel n° 1385), Brureaucratie (2015, prox Books du meilleur essai étranger ; Babel n° 1459) et le très remarqué Bullshit Jobs (2018).

Extrait N°1 : Les controverses sur la dette durent depuis cinq mille ans, voire plus. Pendant l'essentiel de l'histoire de l'humanité - du moins celle des États et des empires -, on a signifié à la plupart des êtres humains qu'ils étaient des débiteurs.

Extrait n°2 : Et dans les cinq mille dernières années, avec une remarquable régularité, les insurrections populaires ont commencé de la même façon : par la destruction rituelle des registres de dettes - tablettes, papyrus, grands livres ou autre support propre à une époque et à un lieu particuliers.

Extrait n°3 : [...] la monnaie est toujours restée un instrument politique. C'est pourquoi, quand les empires se sont effondrés et que les armées ont été démobilisées, tout le système s'est évanoui. Dans le nouvel ordre capitaliste émergent, la logique monétaire s'était vu accorder l'autonomie ; les pouvoirs politique et militaire se sont ensuite progressivement réorganisés autour d'elle.

Extrait n°4 : L'idée que se faisaient les paysans de la fraternité communiste ne venait pas du néant. Elle était ancrée dans leur expérience quotidienne concrète : l'entretien des communaux - champs et forêts -, la coopération de tous les jours, la solidarité entre voisins.

Extrait n°5 : Le grand non-dit historique de l'époque où nous vivons, c'est la façon dont ces anciens systèmes de crédit ont finalement été détruits.

1 juillet 2021

Citations : Karl Marx et/ou Friedrich Engels

Regard Karl Marx

Karl Marx et/ou Friedrich Engels
(1818-1883) / (1820-1895)

Manifeste du parti communiste :

Karl Marx, Manifeste du parti communiste

I - Bourgeois et Prolétaires :

"Un spectre hante l'Europe, le spectre du communisme."

"La société bourgeoise moderne, élevée sur les ruines de la société féodale, n'a pas aboli les antagonismes de classes. Elle n'a fait que substituer aux anciennes de nouvelles classes, de nouvelles conditions d'oppression, de nouvelles formes de lutte."

"La découverte de l'Amérique, la circumnavigation de l'Afrique offrirent à la bourgeoisie naissante un nouveau champ d'action."

"La grande industrie a créé le marché mondial, préparé par la découverte de l'Amérique."

"Le gouvernement moderne n'est qu'un comité administratif des affaires de la classe bourgeoise."

"Elle* anoyé l'extase religieuse, l'enthousiasme chevaleresque, la sentimentalité du petit-bourgeois dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l'unique et impitoyable liberté du commerce." [*la bourgeoisie]

"La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les professions jusque-là réputées vénérables et vénérées. Du médecin, du juriste, du prêtre, du poète, du savant, elle a fait des travailleurs salariés."

"La bourgeoisie n'existe qu'à la condition de révolutionner constamment les instruments de travail, ce qui veut dire le mode de production, ce qui veut dire tous les rapports sociaux."

"Tout ce qui était solide et stable est ébranlé, tout ce qui était sacré est profané ; et les hommes sont forcés, enfin, d'envisager leurs conditions d'existence et leurs rapports réciproques avec des yeux dégrisés."

"Au désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l'industrie sa base nationale."

"Le bon marché de ses produits* est la grosse artillerie qui bat en brèche toutes les murailles de Chine et fait capituler les barbares les plus opiniâtrement hostiles aux étrangers. Sous peine de mort, elle force toutes les nations à adopter le mode de production bourgeois ; elle les force à introduire chez elles la prétendue civilisation, c'est-à-dire à devenir bourgeoises. En un mot, elle modèle le monde à son image." [*ceux de la bourgeoisie]

"Voici donc ce que nous avons vu : les moyens de production et d'échange servant de base à l'évolution bourgeoise furent créés dans le sein de la société féodale."

"La société bourgeoise moderne, qui a mis en mouvement de si puissants moyens de production et d'échange, ressemble au magicien qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu'il a évoquées."

"Les armes dont la bourgeoisie s'est servie pour abattre la féodalité se retournent aujourd'hui contre la bourgeoisie elle-même."

"La bourgeoisie vit dans un état de guerre perpétuelle ; d'abord contre l'aristocratie, puis contre cette catégorie de la bourgeoisie dont les intérêts entrent en conflit avec les progrès de l'industrie, toujours, enfin, contre le bourgeoisie des pays étrangers."

"La classe moyenne, les petits fabricants, les détaillants, les artisans, les paysans combattent la bourgeoisie parce qu'elle compromet leur existence en tant que classe moyenne. Ils ne sont donc pas révolutionnaires, mais conservateurs ; qui plus est, ils sont réactionnaires ; ils demandent que l'histoire fasse machine arrière."

"Les prolétaires n'ont rien à eux à assurer ; ils ont, au contraire, à détruire toute garantie privée, toute sécurité privée existantes."

"La lutte du prolétariat contre la bourgeoisie, bien qu'elle ne soit pas au fond une lutte nationale, en revêt cependant tout d'abord la forme."

"Toutes les sociétés antérieures, nous l'avons vu, ont reposé sur l'antagonisme de la classe oppressive et de la classe opprimée. Mais, pour opprimer une classe, il faut, au moins, pouvoir lui garantir les conditions d'existence qui lui permettent de vivre en esclave."

"Le développement de la grande industrie sape, sous les pieds de la bourgeoisie, le terrain même sur lequel elle a établi son système de production et d'appropriation."

II - Prolétaires et communistes :

"Les propositions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées et des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde. Elles ne sont que l'expression, en termes généraux, des conditions réelles d'une lutte de classes existante, d'un mouvement historique évoluant sous nos yeux."

"Le caractère distinctif du communisme n'est pas l'abolition de la propriété en général, mais l'abolition de la propriété bourgeoise."

"En ce sens, les communistes peuvent résumer leur théorie dans cette proposition unique : abolition de la propriété privée."

"Le capital n'est donc pas une force personnelle ; il est une force sociale."

"Vous êtes saisis d'horreur parce que nous voulons abolir la propriété privée. Mais, dans votre société, la propriété privée est abolie pour les neuf dixièmes de ses membres. C'est précisément parce qu'elle n'existe pas pour ces neuf dixièmes qu'elle existe pour vous."

"En outre, on accuse les communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité. Les ouvriers n'ont pas de patrie. On ne peut leur ravir ce qu'ils n'ont pas."

"Abolissez l'exploitation de l'homme par l'homme, et vous abolissez l'exploitation d'une nation par une autre nation."

"Les idées dominantes d'une époque n'ont jamais été que les idées de la classe dominante."

"L'histoire de toute société se résume dans le développement des antagonismes des classes, antagonismes qui ont revêtu des formes différentes à différentes époques."

"Les antagonismes des classes une fois disparus dans le cours du développement, et toute la production concentrée dans les mains des individus associés, le pouvoir public perd son caractère politique. Le pouvoir politique, à proprement parler, est le pouvoir organisé d'une classe pour l'oppression d'une autre. Si le prolétariat, dans sa lutte contre la bourgeoisie, se constitue forcément en classe, s'il s'érige par une révolution en classe régnante et, comme classe régnante, détruit violemment les anciens rapports de production, il détruit, en même temps que ces rapports de production, les conditions d'existence de l'antagonisme des classes ; il détruit les classes en général et, par là, sa propre domination comme classe."

III - Littérature socialiste et communiste :

"Rien n'est plus facile que de recouvrir d'un vernis de socialisme l'ascétisme chrétien."

"Une partie de la bourgeoisie cherche à porter remède aux maux sociaux dans le but d'assurer l'existence de la société bourgeoise. Dans cette catégorie se rangent les économistes, les philanthropes, les humanitaires, les améliorateurs du sort de la classe ouvrière, les organisateurs de la bienfaisance, les protecteurs des animaux, les fondateurs des sociétés de tempérance, les réformateurs en chambre de tout acabit. Et l'on est allé jusqu'à élaborer ce socialisme bourgeois en systèmes complets."

"Le socialisme bourgeois n'atteint son expression adéquate que lorsqu'il devient une simple figure de rhétorique. Libre échange ! dans l'intérêt de la classe ouvrière ; droits protecteurs ! dans l'intérêt de la classe ouvrière ; prisons cellulaires ! dans l'intérêt de la classe ouvrière : voilà son dernier mot, le seul mot dit sérieusement par le socialisme bourgeois. Car le socialisme bourgeois tient tout entier dans cette phrase : les bourgeois sont des bourgeois dans l'intérêt de la classe ouvrière."

IV - Position des communistes vis-à-vis des différents partis d'opposition :

"Les communistes ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs buts. Ils proclament hautement que ces buts ne pourront être atteints sans le renversement violent de tout l'ordre social du passé. Que les classes régnantes tremblent à l'idée d'une révolution communiste. Les prolétaires n'ont rien à y perdre, hors leurs chaînes. Ils ont un monde à gagner."

"Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !"

Misère de la philosophie :

Karl Marx, Misère de la philosophieI - Une découverte scientifique :

"Vint enfin un temps où tout ce que les hommes avaient regardé comme inaliénable devint objet d'échange, de trafic et pouvait s'aliéner. C'est le temps où les choses mêmes qui jusqu'alors étaient communiquées, mais jamaiséchangées ; données, mais jamais vendues ; acquises, mais jamais achetées - vertu, amour, opinion, science, conscience, etc. - où tout enfin passa dans le commerce. C'est le temps de la corruption générale, de la vénalité universelle, ou, pour parler en termes d'économie politique, le temps où toute chose, morale ou physique, étant devenue valeur vénale, est portée au marché pour être appréciée à sa plus juste valeur."

"Le commerce de l'univers coule presque entier sur des besoins, non de la consommation individuelle, mais de la production."

"Ainsi, la valeur relative, mesurée par le temps du travail, est fatalement la formule de l'esclavage moderne de l'ouvrier, au lieu d'être, comme M. Proudhon le veut, la 'théorie révolutionnaire' de l'émancipation du prolétariat."

"Ce n'est pas seulement le travail qui se définit qualitativement par l'objet, mais c'est encore l'objet qui est déterminé par la qualité spécifique du travail."

"[...] dans une société fondée sur la misère, les produits les plus misérables ont la prérogative fatale de servir à l'usage du plus grand nombre."

II - La métaphysique de l'économie politique :

"En acquérant de nouvelles forces productives, les hommes changent leur mode de production, et en changeant le mode de production, la manière de gagner leur vie, ils changent tous leurs rapports sociaux."

"Les mêmes hommes qui établissent les rapports sociaux conformément à leur productivité matérielle produisent aussi les principes, les idées, les catégories, conformément à leurs rapports sociaux.
Ainsi ces idées, ces catégories sont aussi peu éternelles que les relations qu'elles expriment. Elles sont des produits historiques et transitoires."

"L'esclavage direct est le pivot de l'industrie bourgeoise aussi bien que les machines, le crédit, etc."

"C'est l'esclavage qui a donné leur valeur aux colonies, ce sont les colonies qui ont créé le commerce de l'univers, c'est le commerce de l'univers qui est la condition de la grande industrie."

"Hegel n'a pas de problèmes à poser. Il n'a que la dialectique. M. Proudhon n'a de la dialectique de Hegel que le langage. Son mouvement dialectique, à lui, c'est la distinction du bon et du mauvais."

"Ce qui constitue le mouvement dialectique, c'est la coexistence des deux côtés contradictoires, leur lutte et leur fusion en une catégorie nouvelle. Rien qu'à se poser le problème d'éliminer le mauvais côté, on coupe court au mouvement dialectique."

"Les économistes ont une singulière manière de procéder. Il n'y a pour eux que deux sortes d'institutions, celles de l'art et celles de la nature. Les institutions de la féodalité sont des institutions artificielles, celles de la bourgeoisie sont des institutions naturelles. Ils ressemblent en ceci aux théologiens, sui, eux aussi, établissent deux sortes de religions. Toute religion qui n'est pas la leur est une invention des hommes, tandis que leur propre religion est une émanation de Dieu."

"[Pour les économistes bourgeois] Ce sont des lois éternelles qui doivent toujours régir la société. Ainsi il y a eu de l'histoire, mais il n'y en a plus."

"La misère n'est à leurs yeux que la douleur qui accompagne tout enfantement, dans la nature aussi bien que dans l'industrie."

"L'école philantrope est l'école humanitaire perfectionnée. Elle nie la nécessité de l'antagonisme ; elle veut faire de tous les hommes des bourgeois ; elle veut réaliser la théorie en tant qu'elle se distingue de la pratique et qu'elle ne renferme pas d'antagonisme. Il va sans dire que, dans la théorie, il est aisé de faire abstraction des contradictions qu'on rencontre à chaque instant dans la réalité ; cette théorie deviendrait alors la réalité idéalisée. Les philantropes veulent donc conserver les catégories qui expriment les rapports bourgeois, sans avoir l'antagonisme qui les constitue et qui en est inséparable. Ils s'imaginent combattre sérieusement la pratique bourgeoise, et ils sont plus bourgeois que les autres."

"[...] M. Proudhon se flatte d'avoir donné la critique et de l'économie politique et du communisme : il est au-dessous de l'une et de l'autre. Au-dessous des économistes, puisque comme philosophe, qui a sous la main une formule magique, il a cru pouvoir se dispenser d'entrer dans des détails purement économiques ; au-dessous des socialistes, puisqu'il n'a ni assez de courage, ni assez de lumières pour s'élever, ne serait-ce que spéculativement, au-dessus de l'horizon bourgeois.
Il veut être la synthèse, il est une erreur composée."

"Dans le principe, un portefaix diffère moins d'un philosophe qu'un mâtin d'un lévrier. C'est la division du travail qui a mis un abîme entre l'un et l'autre."

"Et pour prouver que cette réduction des salaires convient à une âme dépravée, M. Proudhon dit, par acquit de conscience, que c'est la conscience universelle qui le veut ainsi. L'âme de M. Proudhon est-elle comptée dans la conscience universelle ?"

"Ce ne furent pas, comme dit M. Proudhon, des stipulations à l'amiable entre des égaux qui ont rassemblé les hommes dans l'atelier. Ce n'est pas même dans le sein des anciennes corporations que la manifacture a pris naissance. Ce fut le marchand qui devint chef de l'atelier moderne, et non pas l'ancien maître des corporations. Presque partout il y eut une lutte acharnée entre la manufacture et les métiers."

"La machine est une réunion des instruments de travail, et pas du tout une combinaison des travaux pour l'ouvrier lui-même."

"A mesure que la concentration des instruments se développe, la division se développe aussi et vice versa. Voilà ce qui fait que toute grande invention dans la mécanique est suivie d'une plus grande division du travail, et chaque accroissement dans la division du travail amène à son tour de nouvelles inventions mécaniques."

"Grâce à l'application des machines et de la vapeur, la division du travail a pu prendre de telles dimensions que la grande industrie, détachée du sol national, dépend uniquement du marché de l'univers, des échanges internationaux, d'une division du travail internationale."

"Après chaque nouvelle grève tant soit peu importante surgit une nouvelle machine."

"En somme, par l'introduction des machines la division du travail à l'intérieur de la société s'est accrue, la tâche de l'ouvrier à l'intérieur de l'atelier s'est simplifiée, le capital a été réuni, l'homme a été dépecé davantage."

"Ce qui caractérise la division du travail à l'intérieur de la société moderne, c'est qu'elle engendre les spécialités, les espèces et avec elles l'idiotisme du métier."

"La concurrence n'est pas l'émulation industrielle, c'est l'émulation commerciale."

"M. Proudhon ignore que l'histoire tout entière n'est qu'une transformation continue de la nature humaine."

"Que dire de ce génie [M. Proudhon] qui, étant à jeun, se promène en zigzag ? et que dire de cette promenade qui n'aurait d'autre but que de démolir les bourgeois par les impôts, tandis que les impôts servent précisément à donner aux bourgeois les moyens de se conserver comme classe dominante ?"

"Ce sont les errements de tous les économistes, qui représentent les rapports de la production bourgeoise comme des catégories éternelles."

"La terre, tant qu'elle n'est pas exploitée comme moyen de production, n'est pas un capital."

"De tous les intruments de production, le plus grand pouvoir productif, c'est la classe révolutionnaire elle-même."

"La condition d'affranchissement de la classe laborieuse, c'est l'abolition de toute classe, de même que la condition d'affranchissement du tiers état, de l'ordre bourgeois, fut l'abolition de tous les états et de tous les ordres."

"Ne dites pas que le mouvement social exclut le mouvement politique. Il n'y a jamais de mouvement politique qui ne soit social en même temps.
Ce n'est que dans un ordre de choses où il n'y aura plus de classes et d'antagonisme de classes que les évolutions sociales cesseront d'être des révolutions politiques."

La Commune de Paris :

Karl Marx, La Commune de Paris

Introduction, de Friedrich Engels :

"Et ne s'est-elle pas réalisée à la lettre la prédiction que l'annexion de l'Alsace-Lorraine 'jetterait la France dans les bras de la Russie' et qu'après cette annexion l'Allemagne ou bien deviendrait le valet servile de la Russie, ou bien serait obligée, après un court répit, de s'armer pour une nouvelle guerre et, à vrai dire, 'pour une guerre raciale contre les races latines et slaves coalisées' ?"

"D'une guerre dont rien n'est sûr que l'absolue incertitude de son issue, d'une guerre raciale qui livrera toute l'Europe aux ravages de quinze à vingt millions d'hommes armés ; et si elle ne fait pas encore rage, c'est uniquement parce que le plus fort des grands Etats militaire est pris de peur devant l'imprévisibilité totale du résultat finale."

"Le développement économique de la France depuis 1789 a fait que, depuis cinquante ans, aucune révolution n'a pu éclater à Paris sans revêtir un caractère prolétarien, de sorte qu'après la victoire, le prolétariat, qui l'avait payée de son sang, entrait en scène avec ses revendications propres."

"Mais à elle seule, si indéterminée qu'elle fût encore dans sa forme, la revendication contenait un danger pour l'ordre social établi : les ouvriers qui la posaient étaient encore armés ; pour les bourgeois qui se trouvaient au pouvoir, le désarmement des ouvriers étaient donc le premier devoir."

"De plus en plus contraints dans leur lutte contre le gouvernement à faire appel au peuple, ils [les bourgeois libéraux] furent obligés de céder peu à peu le pas aux couches radicales et républicaines de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie. Mais, derrière elles, se tenaient les ouvriers révolutionnaires, et ceux-ci, depuis 1830, avaient acquis beaucoup plus d'indépendance politique que les bourgeois et même les républicains n'en avaient idée."

"Pour la première fois, la bourgeoisie montrait jusqu'à quelle folle cruauté dans la vengeance elle peut se hausser sitôt que le prolétariat ose l'affronter. Et pourtant 1848 ne fut encore qu'un jeu d'enfant comparé à la rage de la bourgeoisie de 1871."

"Le même jour, les étrangers élus à la Commune furent confirmés dans leurs fonctions car 'le drapeau de la Commune est celui de la République universelle'."

"Le plus difficile à saisir est certainement le saint respect avec lequel on s'arrêta devant les portes de la Banque de France. Ce fut d'ailleurs une lourde faute politique. La Banque aux mains de la Commune, cela valait mieux que dix mille otages."

"[...] la Commune fut le tombeau de l'école proudhonienne du socialisme."

"Ce n'est que dans la bourgeoisie 'radicale' qu'on trouve encore des proudhoniens."

"La société avait créé, par simple division du travail à l'origine, ses organes propres pour veiller à ses intérêts communs. Mais, avec le temps, ces organismes, dont le sommet était le pouvoir de l'État, s'étaient transformés, en servant leurs propres intérêts particuliers, de serviteurs de la société en maîtres de celle-ci. On peut en voir des exemples, non seulement dans la monarchie héréditaire, mais également dans la république démocratique."

"C'est précisément en Amérique que nous pouvons le mieux voir comment le pouvoir d'État devient indépendant vis-à-vis de la société dont, à l'origine, il ne devait être que le simple instrument."

"Dans la conception des philosophes, l'État est la 'réalisation de l'Idée' ou le règne de Dieu sur Terre traduit en langage philosophique, le domaine où la vérité et la justice éternelles se réalisent ou doivent se réaliser. De là cette vénération superstitieuse de l'État et de tout ce qui y touche, vénération qui s'installe d'autant plus facilement qu'on est, depuis le berceau, habitué à s'imaginer que toutes les affaires et tous les intérêts communs de la société entière ne sauraient être réglés que comme ils ont été réglés jusqu'ici, c'est-à-dire par l'État et ses autorités dûment établies."

"Mais, en réalité, l'État n'est rien d'autre qu'un appareil pour opprimer une classe par une autre, et cela tout autant dans la république démocratique que dans la monarchie ; le moins qu'on puisse en dire, c'est qu'il est un mal dont hérite le prolétariat vainqueur dans la lutte pour la domination de classe et dont, tout comme la Commune, il ne pourra s'empêcher de rogner aussitôt au maximum les côtés les plus nuisibles, jusqu'à ce qu'une génération grandie dans des conditions sociales nouvelles et libres soit capable de se défaire de tout ce bric-à-brac de l'État.
Le philistin social-démocrate a été récemment saisi d'une terreur salutaire en entendant prononcer le mot de 'dictature du prolétariat'. Eh bien, messieurs, voulez-vous savoir de quoi cette dictature a l'air ? Regardez la Commune de Paris. C'était la dictature du prolétariat."

"La guerre pour une question de prépondérance ou de dynastie ne peut être, aux yeux des travailleurs, qu'une criminelle folie."

"L'empire finira, comme il a commencé, par une parodie."

"Une guerre défensive peut, certes, ne pas exclure des offensives dictées par les 'événements militaires'."

"Si les frontières doivent être fixées suivant les intérêts militaires, il n'y aura pas de fin aux revendications territoriales, parce que toute ligne militaire est nécessairement défectueuse, et peut être améliorée en annexant un peu de territoire."

"Il en est des nations comme des individus. Pour leur enlever leurs possibilités d'attaque, il faut leur enlever tous leurs moyens de défense."

"En Allemagne, comme partout ailleurs, les adulateurs des puissants du jour empoisonnent l'esprit populaire par l'encens de louanges mensongères."

"Telle est la loi du vieux système politique. A l'intérieur de son domaine, le gain de l'un est la perte de l'autre."

"Jules Ferry, avocat sans le sou avant le 4 septembre, réussit comme maire de Paris pendant le siège à tirer par escroquerie une fortune de la famine."

"Thiers, ce nabot monstrueux, a tenu sous le charme la bourgeoisie française pendant plus d'un demi-siècle, parce qu'il est l'expression intellectuelle la plus achevée de sa propre corruption de classe."

"Thiers n'a été conséquent que dans son avidité de richesse et dans sa haine des hommes qui la produisent."

"Après chaque révolution qui marque un progrès de la lutte des classes, le caractère purement répressif du pouvoir d'État apparaît de façon de plus en plus ouverte."

"L'antithèse directe de l'Empire fut la Commune."

"L'existence même de la Commune impliquait, comme quelque chose d'évident, l'autonomie municipale ; mais elle n'était plus dorénavant un contre-poids au pouvoir d'État, désormais superflu."

"Mais, certes, la Commune ne prétendait pas à l'infaillibilité, ce que font sans exception tous les gouvernements du type ancien. Elle publiait tous ses actes et toutes ses paroles ; elle mettait le public au courant de toutes ses imperfections."

"La civilisation et la justice de l'ordre bourgeois se montrent sous leur jour sinistre chaque fois que les esclaves de cet ordre se lèvent contre leurs maîtres. Alors cette civilisation et cette justice se démasquent comme la sauvagerie sans masque et la vengeance sans loi."

"Les atrocités des bourgeois en juin 1848 elles-mêmes disparaissent devant l'indicible infamie de 1871."

"Glorieuse civilisation, certes, dont le grand problème est de savoir comment se débarrasser des monceaux de cadavres qu'elle a faits, une fois la bataille passée."

"La Commune a employé le feu strictement comme moyen de défense. Elle l'a employé pour interdire aux troupes de Versailles ces longues avenues toutes droites que Haussmann avait expressément ouvertes pour le feu de l'artillerie ; elle l'a employé pour couvrir sa retraite de la façon même dont les Versaillais, dans leur avance, employaient leurs obus qui détruisaient au moins autant de bâtiments que le feu de la Commune."

"La domination de classe ne peut plus se cacher sous un uniforme national, les gouvernements nationaux ne font qu'un contre le prolétariat !"

"Et la classe ouvrière française n'est que l'avant-garde du prolétariat moderne."

"L'entendement bourgeois, tout imprégné d'esprit policier, se figure naturellement l'Association internationale des travailleurs comme une sorte de conjuration secrète dont l'autorité centrale commande, de temps à autre, des explosions en différents pays. Notre association n'est, en fait, rien d'autre que le lien international qui unit les ouvriers les plus avancés des divers pays du monde civilisé."

"Le Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré à jamais comme le glorieux fourrier d'une société nouvelle. Le souvenir de ses martyrs est conservé pieusement dans le grand coeur de la classe ouvrière. Ses exterminateurs, l'histoire les a déjà cloués à un pilori éternel, et toutes les prières de leurs prêtres n'arriveront pas à les en libérer."
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31 mars 2021

Poèmes saturniens

Paul Verlaine, Poèmes Saturniens

Poèmes saturniens, de Paul Verlaine.

4e de couverture : Mon rêve familier

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.

Prologue : Dans ces temps fabuleux, les limbes de l'histoire,
Où les fils de Raghû, beaux de fard et de gloire,
Vers la Ganga régnaient leur règne étincelant,
Et, par l'intensité de leur vertu troublant
Les Dieux et les Démons et Bhagavat lui-même,
Augustes, s'élevaient jusqu'au Néant suprême.
Ah ! la terre et la mer et le ciel, purs encor
Et jeunes, qu'arrosait une lumière d'or
Frémissante, entendaient, apaisant leurs murmures
De tonnerres, de flots heurtés, de moissons mûres,
Et retenant le vol obstiné des essaims,
Les Poëtes sacrés chanter les guerriers saints,
Ce pendant que le ciel et la mer et la terre
Voyaient, - rouges et las de leur travail austère, -
S'incliner, pénitents fauves et timorés,
Les guerriers saints devant les Poëtes sacrés !
Une connexité grandiosement alme
Liait le Kchatrya serein au Chanteur calme,
Valmiki l'excelent à l'excellent Rama :
Telles sur un étang deux touffes de Padma

- Et sous tes cieux dorés et clairs, Hellas antique,
De Sparte la sévère à la rieuse Attique,
Les Aèdes, Orpheus, Alkaïos, étaient
Encore des héros altiers, et combattaient.
Homéros, s'il n'a pas, lui, manié le glaive,
Fait retentir, clameur immense qui s'élève,
Vos échos jamais las, vastes postérités,
D'Hektôr, et d'Odysseus, et d'Akhilleus chantés.
Les héros à leur tour, après les luttes vastes,
Pieux, sacrifiaient aux neuf Déesses chastes,
Et non moins que de l'art d'Arès furent épris
De l'Art dont une Palme immortelle est le prix,
Akhilleus entre tous ! Et de Laêrtiade
Dompta, parole d'or qui charme et persuade,
Les esprits et les coeurs et les âmes toujours,
Ainsi qu'Orpheus domptait les tigres et les ours.

- Plus tard, vers des climats plus rudes, en des ères
Barbares, chez les Francs tumultueux, nos pères,
Est-ce que le Trouvère héroïque n'eut pas
Comme le Preux sa part auguste des combats ?
Est-ce que, Théroldus ayant dit Charlemagne,
Et son neveu Roland resté dans la montagne,
Et le bon Olivier et Turpin au grand coeur,
En beaux couplets et sur un rythme âpre et vainqueur,
Est-ce que, cinquant ans après, dans les batailles,
Les durs Leudes perdant leur sang par vingt entailles,
Ne chantaient pas le chant de geste sans rivaux
De Roland et de ceux qui virent Roncevaux
Et furent de l'énorme et superbe tuerie,
Du temps de l'Empereur à la barbe fleurie ?...

- Aujourd'hui, l'Action et le Rêve ont brisé
Le pacte primitif par les siècles usé,
Et plusieurs ont trouvé funeste ce divorce
De l'Harmonie immense et bleue et de la Force.
La Force, qu'autrefois le Poëte tenait
En bride, blanc cheval ailé qui rayonnait,
La Force, maintenant, la Force, c'est la Bête
Féroce bondissante et folle et toujours prête
À tout carnage, à tout dévastement, à tout
Égorgement, d'un bout du monde à l'autre bout !
L'Action qu'autrefois réglait le chant des lyres,
Trouble, enivrée, en proie aux cent mille délires
Fuligineux d'un siècle en ébullition,
L'Action à présent, - ô pitié ! - l'Action,
C'est l'ouragan, c'est la tempête, c'est la houle
Marine dans la nuit sans étoiles, qui roule
Et déroule parmi les bruits sourds l'effroi vert
Et touge des éclairs sur le ciel entr'ouvert !

- Cependant, orgueilleux et doux, loin des vacarmes
De la vie et du choc désordonné des armes
Mercenaires, voyez, gravissant les hauteurs
ineffables, voici le groupe des Chanteurs
Vêtus de blanc, et des lueurs d'apothéoses
Empourprent la fierté sereine de leurs poses :
Tous beaux, tous purs, avec des rayons dans les yeux,
Et sous leur front le rêve inachevé des Dieux !
Le monde, que troublait leur parole profonde,
Les exile. À leur tour ils exilent le monde !
C'est qu'ils ont à la fin compris qu'il ne faut plus
Mêler leur note pure aux cris irrésolus
Que va poussant la foule obscène et violente,
Et que l'isolement sied à leur marche lente.
Le Poëte, l'amour du beau, voilà sa foi,
L'Azur, son étendard, et l'idéal, sa loi !
Ne lui demandez rien de plus, car ses prunelles,
Où le rayonnement des choses éternelles
A mis des visions qu'il suit avidement,
Ne sauraient s'abaisser une heure seulement
Sur le honteux conflit des besognes vulgaires
Et sur vos vanités plates : et si naguères
On le vit au milieu des hommes, épousant
Leurs querelles, pleurant avec eux, les poussant
Aux guerres, célébrant l'orgueil des Républiques
Et l'éclat militaire et les splendeurs auliques
Sur la kithare, sur la harpe et sur le luth,
S'il honorait parfois le présent d'un salut
Et daignait consentir à ce rôle de prêtre
D'aimer et de bénir, et s'il voulait bien être
La voix qui rit ou pleure alors qu'on pleure ou rit,
S'il inclinait vers l'âme humaine son esprit,
C'est qu'il se méprenait alors sur l'âme humaine.

- Maintenant, va, mon Livre, où le hasard te mène !

26 mars 2021

L'empire du Troll

Jean-Claude Dunyach, L'empire du Troll

L'empire du Troll, de Jean-Claude Dunyach.

4e de couverture : Cette fois, le Troll est vraiment dans de sales draps.
Entre les idées de grandeur de sa chère et tendre qui lui valent d'être expulsée de son salon de coiffure, les nains de la mine qui ont subitement décidé de ne plus assez creuser et son stagiaire qui tente de se reconvertir dans la protection rapprochée, sa vie est devenue un cauchemar.
Il lui faut d'urgence trouver de l'or en quantité suffisante pour sauver ce qui peut l'être. Une seule solution : cambrioler un dragon... Mais pas n'importe lequel : le plus gros, le plus rusé. Il faut donc réunir l'équipe habituelle de bras cassés et se lancer à l'assaut des passages secrets de la montagne, malgré les dangers sans nombre qui les guettent.
Mais dans les ombres, les forces du mal veillent. Et elles ont fait appel à des avocats.

Incipit : Toute ressemblance avec des crises financières récentes caractérisées par des décisions d'une bêtise et d'une avidité rares ne saurait être qu'une pure coïncidence. Aucun troll n'est assez stupide, lâche ou inconscient pour provoquer ce genre de situation.

Extrait n°1 : Depuis mon aventure dans les entrailles du volcan, chaque fois que j'ai une remontée de gaz, il me vient de nouvelles idées de management.

Extrait n°2 : S'il y a une chose que les militaires savent faire, c'est marcher au pas. Au lieu de se faire bêtement la guerre avec des épées coupantes et des cottes mal taillées, les humains devraient régler leurs conflits par des concourts de défilés. Il y aurait des uniformes chamarrés, ajustés pour mettre en valeur leurs muscles ou leurs reliefs, de la musique rythmée, un char ou deux. Ou douze. On pourrait y aller en famille ; le soir, tout le monde rentrerait chez soi. Mais c'est une idée trop compliquée pour eux, visiblement. Avec le bruit que font leurs armes, ils ne s'entendent plus penser.

Extrait n°3 : "Un alchimiste ? Vous voulez dire un de ces sorciers qui produisent de l'or à partir de n'importe quoi ? (Elle s'est gratté la tête.) Ici, c'est une équipe de consultants en management. Ils font plutôt le contraire..."

Extrait n°4 : - On n'est pas des sournois, réplique un des jeunes. C'est un stéréotype racial dépassé qui ne reflète plus la réalité de ce que nous vivons au quotidien. En tout cas, moi je n'en suis pas un. Et tous les nains que je connais non plus.
Des manches de pioche s'abattent en rythme sur le comptoir pour renforcer sa déclaration. Je hoche la tête avec réticence. Je vais devoir faire preuve de pédagogie.
- En fait, réponds-je, vous êtes aveuglés par les discours bien-pensants de ceux qui vous manipulent en sous-main. On vous encourage depuis le plus jeune âge à croire en l'image idéalisée de vous-mêmes que la société vous renvoie. Le côté siffler en travaillant, grand coeur dans un petit corps, ça vous donne un genre et ça peut vous aider à vous sentir bien dans votre peau, mais personne n'est dupe, et surtout pas moi. Les faits sont là : potentiellement, vous êtes des sournois. C'est dans votre nature.
- #notallnains !

25 mars 2021

De la brièveté de la vie

Sénèque, De la brièveté de la vie

De la brièveté de la vie, de Sénèque.

4e de couverture : "Nous pouvons discuter avec Socrate, douter avec Carnéade, trouver la paix avec Épicure, maîtriser la nature de l'homme avec les stoïciens, la dépasser avec les cyniques. Puisque la Nature nous permet de communiquer avec n'importe quelle époque, pourquoi ne pas quitter cet étroit et éphémère passage de notre vie et ne pas nous lancer de tout notre être dans ces espaces illimités, éternels, où nous pouvons côtoyer ceux qui sont meilleurs que nous ? Aucun d'eux ne sera avare de son temps, aucun ne manquera de renvoyer son visiteur plus heureux et plus en paix avec soi-même qu'à son arrivée, aucun ne laissera quiconque repartir les mains vides."

Extrait n°1 : [...] il en est qui, à force de présenter leurs respects à leurs supérieurs sans être payés de retour, s'usent dans une servitude volontaire.

Extrait n°2 : Quel stupide oubli de sa condition de mortel que de remettre à son cinquantième ou soixantième anniversaire les saines résolutions et de vouloir commencer sa vie à un âge qu'atteignent peu de gens !

Extrait n°3 : Il faut être un grand homme, crois-moi, un homme au-dessus des égarements humains, pour ne rien laisser prélever sur son temps et si sa vie est très longue, c'est précisément parce que, quelle que fût sa durée, elle est restée à sa libre et entière disposition.

Extrait n°4 : La vie se divise en trois périodes : ce qui a été, ce qui est, ce qui sera. Parmi ces trois périodes, celle que nous sommes en train de vivre est brève, celle que nous vivrons est incertaine, celle que nous avons vécue est certaine.

Extrait n°5 : Pour certains, c'est leur oisiveté qui est accaparée par les occupations : dans leur propriété ou dans leur lit, en pleine solitude, bien qu'ils se soient retirés du monde, ils s'importunent eux-mêmes ; il ne faut pas parler à leur sujet de vie oisive mais de désoeuvrement encombré d'occupations. L'appelles-tu vraiment oisif, celui qui range avec une méticulosité maladive ses bronzes de Corinthe qui ne doivent tout leur prix qu'à la folie d'une poignée de gens, et qui perd le plus clair de son temps au milieu de morceaux de métal rouillé ? Et celui qui s'assied à la palestre (car hélas ! pour notre plus grande honte, les vices qui nous accablent ne sont même pas romains !) pour contempler des garçons à la lutte ? Et celui qui apparie ses chevaux selon le critère de l'âge et de la couleur du pelage ? Et celui qui entretient les toutes dernières révélations de l'athlétisme ?

Extrait n°6 : C'est grâce à l'effort de ces autres gens que nous sommes guidés vers de merveilleuses vérités qu'ils ont arrachées aux ténèbres puis produites en pleine lumière ; toutes nous sont accessibles et s'il nous plaît par générosité d'âme de franchir les limites étroites de la faiblesse humaine, nous avons la possibilité de parcourir une vaste étendue de temps.

25 mars 2021

Manifeste pour une psychiatrie artisanale

Emmanuel Venet, Manifeste pour une psychiatrie artisanale

Manifeste pour une psychiatrie artisanale, d'Emmanuel Venet.

4e de couverture : Ce livre aurait pu s'intituler Contre une psychiatrie industrielle, quantitative, protocolisée, standardisée, numérisable, objectivante, désincarnée, ultrarapide et inégalitaire. L'heure est grave : le pouvoir politique abandonne la psychiatrie publique à sa misère, plusieurs ténors de la profession militent pour instaurer une rationalisation managériale, et les malades les plus fragiles font les frais d'un économisme sanitaire totalement dénué d'état d'âme. Constat inquiétant, lorsqu'on sait qu'un Français sur trois a été, est, ou sera atteint d'un trouble mental.

Mais il n'est pas trop tard pour restaurer une psychiatrie artisanale, prévenante, lente et respectueuse des singularités des personnes qu'elle soigne.

C'est de cet espoir que ce livre procède.

Extrait n°1 : Il y a plus grave : de nombreux psychiatres universitaires profitent du désarroi et de la souffrance des institutions de soins pour proposer des solutions qui, sous les apparences du bon sens et de l'efficacité, visent à en finir avec des approches thérapeutiques présentées comme obsolètes, inopérantes, voire délétères. En première ligne dans leur collimateur, la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle.

Extrait n°2 : Depuis plusieurs années cette approche est subrepticement remplacée par une psychiatrie du symptôme venue d'Amérique du Nord, dont l'objectif se résume à gommer les phénomènes s'écartant de la norme sans chercher à en comprendre les enjeux profonds ni même à les contextualiser. Cette approche, qui permet de transformer aisément l'acte de soin en prestation de service, fait le lit d'une psychiatrie du risque qui nous arrive sournoisement et qui pourrait disqualifier l'ensemble du soin psychique par ses effets néfastes sur la société tout entière. On se souvient du rapport de l'INSERM qui prétendait, en 2005, établir des critères prédictifs d'une évolution vers la délinquance ches les enfants de moins de trois ans, illustration d'une démarche non seulement indigente sur le plan scientifique, mais terriblement dangereuse.

Extrait n°3 : De sorte que si le secteur psychiatrique est toujours présenté comme la priorité absolue de la psychiatrie publique, c'est surtout par ses fossoyeurs.

Extrait n°4 : Si elle donne à la population l'illusion d'une meilleure prise en compte de la sécurité publique, cette organisation reflète une régression consternante de la pratique soignante : de moins en moins suivis et accompagnés au quotidien par les structures sectorielles de proximité, les malades psychiatriques présentent de plus en plus de troubles comportementaux graves, justifiant le recours à des services disciplinaires dont ils sortent avec l'étiquette de grand fauve collée au front. En matière de prévention de la stigmatisation, on a fait mieux.

Extrait n°5 : Tout se passe comme si, aveuglés par leur aversion pour l'héritage de la psychanalyse, de la psychothérapie institutionnelle et de la démarche clinique, ils n'avaient à coeur que de prouver la nature strictement médicale de leur spécialité. C'est oublier un peu vite que si la psychyatrie appartient au champ de la médecine, elle en est la spécialité la plus noblement bâtarde : certes en lien avec la neurophysiologie, mais ouverte à la philosophie et aux sciences sociales. En outre, elle est, plus que toute autre spécialité médicale, porteuse d'enjeux politiques cruciaux : la place du fou dans la société, l'espace accordé à l'anormalité, une déclinaison concrète de l'égalité inscrite dans la devise nationale.

Extrait n°6 : Mais je tiens pour une utopie dangereuse l'idée selon laquelle il serait un jour possible d'assigner des phénomènes aussi complexes que la pensée, l'affectivité ou la conscience morale à un déterminisme génétique précis ou à des phénomènes neuronaux observables.

10 mars 2021

Le Bachelier

Jules Vallès, Le Bachelier

Le Bachelier, de Jules Vallès.

4e de couverture : Inspiré de la vie de Vallès lui-même, le roman nous entraîne dans le sillon de Jacques Vingtras, bachelier qui monte à Paris, où il rencontre espoirs politiques et désillusions amoureuses. Mais Le Bachelier est aussi une anti-biographie : Vallès ne pouvait se contenter de dresser le portrait d'un jeune homme ; il fait de l'irruption de l'élan révolutionnaire dans la vie du héros le véritable sujet de son livre.
Anticlérical et révolutionnaire, ce roman est avant tout une prise de position de l'écrivain pour la multitude des bas-fonds. Au traditionnel roman de formation, Vallès superpose un camaïeu de voix : cris des rues et titres de journaux font intrusion dans la conscience du narrateur et concourent à la bouleverser.
Acte d'insurrection romanesque, Le Bachelier rend leur voix à ceux que l'histoire littéraire avait réduits au silence.

Extrait n°1 : J'ai peur que tout au moins un professeur, un marchand de langues mortes n'arrive s'installer auprès de moi comme un gendarme.
Mais non, il n'y a qu'un gendarme sur l'impériale, et il a des buffleteries couleur d'omelette, des épaulettes en fromage, un chapeau à la Napoléon.
Ces gendarmes-là n'arrêtent que les assassins ; ou, quand ils arrêtent les honnêtes gens, je sais que ce n'est pas un crime de se défendre. On a le droit des les tuer comme à Farreyrolles ! On vous guillotinera après ; mais vous êtes moins déshonoré avec votre tête coupée que si vous aviez fait tomber votre père contre un meuble, en le repoussant pour éviter qu'il ne vous assomme.

Extrait n°2 : "Eh bien, oui, j'ai eu tort ! L'imprimeur s'appelle Fessequedoit ou Vadelavant ! J'ai eu tort... Il faut d'abord agir, et ne pas jeter des bâtons dans les roues du char qui porte la Révolution."

Extrait N°3 : Oh ! ma jeunesse ! Je t'avais délivrée du jug paternel, et je t'amenais fière et résolue dans la mêlée !
Il n'y a plus de mêlée ; il y a l'odeur de la vie servile, et ceux qui ont des voix de stentor doivent se mettre une pratique de polichinelle dans la bouche. C'est à se faire sauter le caisson, si l'on ne se sent pas le courage d'être un lâche !

Extrait n°4 : Mes luttes contre l'Empire se terminent toutes par des courbatures - des blessures piteuses font saigner mes pieds. C'est bête et honteux comme la fatigue d'un âne.

Extrait n°5 : J'ai quelquefois sauvé le grain du pauvre en apparaissant sur les bords d'un champ, couvert et la barbe au vent... Je faisais peur aux oiseaux et j'étais utile à l'agriculture. Sainte mission !

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