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Amour, émeute et cuisine
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  • Quelques pensées sur la civilisation, considérée dans ses aspects politiques, "philosophiques", et culinaires, entre autres. Il y sera donc question de capitalisme, d'Empire, de révolte, et d'antiterrorisme, mais aussi autant que faire se peut de cuisine.
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6 avril 2020

CoronaVirtuel, une certaine immunité policière

CoronaVirtuel
une certaine immunité policière

L'accélération de la venue du désastre, par le truchement d'un virulent virus, n'a pas épargné jusqu'aux élections, qui se sont vues obligées de dévoiler concrètement leur réalité mortifère, là où devant ça en quelque sorte elle ne se montrait que symboliquement, dans le seul recueillement des urnes.*

Jamais la matraque policière ne se croit si génial qu'en présence d'un désastre ; ce début de vingt-et-unième siècle est son royaume des cieux.*

Le désastre est là, qui n'est pas le résultat d'un virus, fût-il un covid-19, mais d'un monde : l'économie impérialo-marchande, et l'étouffant décor qu'elle impose.*

Mégalopole 01net

Que le confinement d'une grande part de la population mondiale ait pu se faire avec le consentement de presque tout un chacun, c'est là sans doute ce que seul un virus pouvait accomplir ; la diligence avec laquelle il y est parvenu fait d'ores et déjà rêver toutes les polices du globe : le covid19 forme la flicaille.

Aucun complot capitaliste ou révolutionnaire n'aura donc été nécessaire pour bloquer la quasi totalité de l'activité humaine et économique mondiale ; un virus y a presque suffi. Presque, parce qu'en réalité nous pouvions voir dès avant son apparition qu'étant déjà parvenu au moment de son incapacité à surmonter ses propres contradictions, l'auto-mouvement catastrophique de la marchandise autonome nous rapprochait déjà du désastre. En sorte que le coronavirus n'a finalement guère joué d'autre rôle que celui d'accélérateur de la cadence mécanique des rapports de production et des variabilités tremblantes de la valeur d'échange qui nous conduisent à l'abîme. Rien n'eût pu mieux confirmer Marx, et Foucault[1] d'un même trait ; la fuite, elle, se voit plus que jamais condamnée à rester virtuelle : le désastre a lieu sans lieu, en quoi il est présentement partout ; le confinement sous contrôle aussi, au sein duquel chacun n'a plus de contact avec l'extérieur de sa cellule payante autrement que par des intermédiaires technologiques. Tout n'y est plus bientôt que mensonge de l'âme, puisque les corps y sont absents, et sous contrôle policier. Ici maintenant la tyrannie de l'idéalisme platonicien trouve de quoi s'exercer à une échelle inconnue jusqu'alors, et tout corps plongé dans la rue risque à chaque instant d'avoir à rompre, au mieux sous le joug des exhortations à rester chez soi cyber-signalées par un drone, au pire sous les coups matraquant de la police – le mieux ici n'étant pas l'ennemi du pire, il y a loin, et il ne faut pas s'attendre à ce que la fin de la pandémie entérine d'une quelconque manière la fin aussi de cette funeste collusion de la police avec la technologie.

A bien y regarder, la pneumopathie virale n'aura été qu'une occasion supplémentaire pour tester l'efficience à grande échelle de ce qui était déjà là : la techno-police, dont la fonction essentiellement « prophylactique » a depuis longtemps pour objet de surveiller et contrôler les corps-et-âmes, et principalement à l'évidence les corps-et-âmes de la plèbe. Que d'ailleurs nombre de dominants occidentaux se soient soudain mis à exprimer une admiration certaine pour l'organisation sociale de la Chine[2], en dit assez long sur ceci qu'à leurs yeux maintenant le « progrès » ne peut plus tenir que du monde-augmenté, c'est-à-dire cyber-policé au point qu'ici et là nul n'ait plus d'autre choix que l'auto-coercition de soi et le flicage perpétuel d'autrui. Les chinois ont d'ores et déjà en effet subi cet ultime saut qualitatif, qui les soumet dans chaque instant à l'œil de Pékin ou à celui de l'entreprise où ils travaillent, et par là même à la peur du singulier – le permis d'existence à points, en Chine, n'est plus cette analogie caricaturale du permis de conduire dont les humoristes français aiment parfois de rire sur scène, mais une réalité peu amène qui ne souffre pas d'exception[3]. Tandis que nous riions encore, le permis existentiel de « bonne conduite » pointait déjà à l'horizon : la domestication des corps-et-âmes de la plèbe se fera jusque dans ses chiottes ; la machination industrialo-marchande n'y suffit plus, et les étrons dans la cuvette, si ils étaient sans surveillance, risqueraient sans doute aussi trop souvent de rappeler à la susdite plèbe combien sont à chier tous les « gestionnaires du monde ».

« Le confinement ou la mort » a donc en un coup remplacé « la liberté ou la mort » sur l'échiquier de nos combats, et aussitôt le branle-bas des études comportementalistes a été sonné, la sociologie des comiques troupiers du « macronisme » a commencé d'exsuder ses expertises captieuses quant à la docilité heureuse des confinés - non sans que parmi ces spécialistes les plus insidieux racistes en profitassent pour exprimer en même temps leur désarroi devant le péril d'une supposée irresponsabilité des banlieusards -, la logorrhée des éditorialistes a rejailli de plus belle en célébrant de toute façon ce qu'elle célèbre en tout temps : le « génie » de l'économie marchande, mais cette fois pour en appeler à tout mettre en œuvre pour en sauver, sinon la totalité, du moins l'essentiel ; et les psychologues ont été invités à conseiller médiatiquement la plèbe, afin qu'elle ne sombrât pas dans une dépression qui pourrait la conduire à défier définitivement tout retour à la « normale ». C'est que les plébéiens ont parfois de ces drôles de sensations où l'écœurement le dispute à la soumission aveugle, et à partir de quoi ils découvrent que leur dépression n'est pas du jour, mais le résultat d'un confinement plus ancien et plus coutumier – la « normale », c'est la dépression. L'enferment obligé du moment laisse en effet sentir que la séparation n'est pas le seul fait des quatre murs de son appartement, fût-il de l'étroitesse d'un cachot, mais la conséquence directe et brutale de l'ensemble des rapports de production marchands, dont l'urbanisme et l'incessante accélération des flux sont aujourd'hui parmi les contrecoups les plus criants, encore que notre acclimatement naturel nous les rende la plupart du temps peu visibles. Quoi qu'il en soit, on[4] s'est jusqu'ici réjoui dans toutes les hautes sphères de l'impérialisme marchand de ceci que les experts en expertises des affects et des attitudes humaines aient assez tôt conclu à l'avèrement d'un indéfectible et moutonnier respect du peuple pour les injonctions, même contradictoires, qui des autorités descendent jusqu'à lui ; mais on s'est réjoui plus encore de ce qu'on allait pouvoir faire de ce monde presque entièrement sous cloche[5] un véritable laboratoire d'études béhavioristes[6].

On ne se cache plus en effet en haut lieu que les déterminismes sociaux, qui ont jusqu'à présent garanti la constance de l'ordre bourgeois, commencent de montrer leur insuffisance quant à la possibilité d'entretenir encore longtemps l'ordre susdit - le mouvement des gilets jaunes et tant d'autres en France comme ailleurs en témoignent -, et ce malgré l'indéniable puissance de ses dispositifs, et dans une moindre mesure de ses stipendiaires. Il se murmurerait même, chez les avertis autorisés à conseiller l'élite, que la société n'est plus. C'est pourquoi plus que tout autre on a multiplié et on multiplie encore les dispositifs consacrés à la surveillance et au contrôle des corps-et-âmes de l'humanité, c'est pourquoi aussi après avoir constaté l'impossibilité de sauver l'économie on a très tôt perçu la nécessité, bien réelle, de leur confinement comme une aubaine : rien n'eût pu mieux ré-assujettir d'abord les manifestants et émeutiers de toute sorte que ce presque emmurement rendu acceptable par contagion ; rien n'eût pu mieux ensuite offrir l'occasion d'expérimenter un « loft story » sur une si grande échelle, et dans des conditions au combien plus critiques la plupart du temps pour les néo-lofteurs forcés ; rien enfin n'eût pu non plus faciliter à ce point l'édition en urgence de lois sécuritaires dont la scélératesse confine à la plus pure sécheresse des autocraties les plus extrêmes. C'est que le capitalisme avait déjà devant ça un peu partout en quelque sorte réussi ce sombre exploit d'associer le pire du vieux libéralisme occidental au pire de la vieille bureaucratie "stalinienne" - l'Empire-marchand était à ce prix ; sa survie dans l'effondrement ne peut plus avoir lieu maintenant qu'au prix d'un asservissement universel augmenté, dont la cybernétique est le fer de lance, et la police un opérateur zélé. L'algorithme et la garde à vue comme dispositifs d'assignation des êtres à des catégories abstraites, socialement sur-déterminantes et sur-déterminées ; car si on sait ne plus pouvoir sauver l'intégralité du monde marchand, du moins pense-t-on en conserver l'Empire, et la bourgeoise aristocratie qui en émane et s'y complaît dans la morgue insane des fétichistes de l'avoir-néant, et la plèbe qui en émane elle-aussi, mais y souffre en esclave. La catastrophe marchande était une tannée, on voudra le désastre qui en découle effrayant pour les foules, afin des les convaincre de ceci que les institutions qui les y ont poussées sont encore celles-là mêmes qui seront les seules capables de les en protéger. La peur appelle l'autorité ; elle rend l'autocratie acceptable.

Ainsi la misère d'un ordre qui a tant travailler à faire durer la catastrophe ne devrait pas manquer à présent de tout faire aussi pour favoriser la perpétuation du désastre. Cette misère ne connaît qu'un mot d'ordre : « tout sauf le communisme ! »[7] - mais on ne se repaît pas des entrailles du désastre comme on se gave de son avant-goût catastrophique ; le désastre a toujours d'emblée le goût de la décomposition totale de l'ordre où il s'inscrit, et qui l'a fait naître. Le désastre est cette décomposition même, et l'impossibilité d'un retour à son antécédence ; il ne laisse de sortie que la mort ou son dépassement, icelui dépassement d'ailleurs peut être aussi bien révolutionnaire que dystopique – la seconde option a malheureusement pris depuis longtemps avantage sur la première ; le confinement y concourt.

Comme dépassement, la dystopie n'est bien notoirement qu'une autre forme du désastre, son approfondissement augmenté, une extinction sous contrôle : tout y est virtuel, de la marchandise devenue sans objet aux rapports sociaux, sauf la mort... en développement durable.

La révolution, c'est tout le contraire !

Léolo, le 06/04/2020

Robot policier

Notes :

1 – Au moins pour ce qui est de son plus célèbre ouvrage : « Surveiller et punir ».

2 – Les « élites » occidentales, face au désastre issu de leur propre administration, n'oublierons pas bien sûr de s'acharner ensuite à nouveau sur la Chine en l'accusant d'avoir menti tant sur les effets réels du virus que sur les résultats de sa gestion de l'épidémie. Mais c'est seulement qu'il s'agit toujours après tout comme après coup pour ces élites occidentales de se mettre à la hauteur de la puissance chinoise, en falsifiant à leur tour toute l'histoire, afin au moins en particulier de se défausser de leurs insuffisances endémiques. Et qui mieux en effet que la lointaine Chine pour servir un temps de bouc-émissaire à peu de frais, et ce d'autant plus qu'on aura trouvé en Corée du Sud et à Taïwan deux autres modèles plus présentables et tout aussi techno-policiers.

3 – Il est tout à fait remarquable, à cet égard, que plus l'industrie capitaliste a été autorisée par la bureaucratie pseudo-communiste a diversifier l'apparence vestimentaire des chinois, plus aussi elles les ont contraint à l'uniformité. L'occident connaît lui-aussi cette misère, mais encore seulement dans la variété diffuse imposée par chaque mode et chaque marque. Cela tient sans doute au fait que la bureaucratie s'y exerce plus en retrait, quoique de moins en moins et plus pour très longtemps si rien ne vient entraver le développement actuel des choses.

4 – A chaque fois que dans cet article « on » apparaît en italique, c'est pour signifier que nous parlons là de la domination en général, laquelle comprend tout ce que la misère marchande contient de contributeurs à l'anéantissement du vivant : du gouvernant étatique au grand patron d'entreprise, de l'incurable bourgeois à l'imbécile prêcheur religieux, du zélé flicard à l'expert en tout, bref de toutes celles et ceux qui consciemment ou non sont au service de tous les dispositifs impérialo-marchands.

5 – Lire à cet égard l'intéressant roman – du moins dans sa première partie - de Stephen King : « Dôme ».

6 – Le béhaviorisme est une méthode psychologique qui prétend saisir les êtres en se fondant uniquement sur leur observation objective, c'est-à-dire en se basant uniquement sur leurs comportements extérieurs.

7 – Et ce mot d'ordre est celui de toutes les idéologies politiques, il est même l'idéologie en soi, qui court de l'extrême droite à l'extrême gauche du capitalisme. Là en effet où la droite a généralement pour fonction de libérer les forces du capitalisme, la gauche a toujours seulement pour fonction, elle, d'en sauver l'essentiel au moment qu'une crise en menace la survie. Autrement dit là où la droite attise les puissances délétères du marché jusqu'à l'incendie, la gauche les relance à partir des braises.

* Banalités de base n°2, de Léolo (ouvrage en cours d'écriture).

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3 avril 2020

L'eldorado de la méduse

L'eldorado de la méduse

Esclaves & champ de coton net

Que penser de ceci ?

Hier nous apprenons via l’ORTF de la bouche du préfet de Seine et Marne que celui-ci débauchera très prochainement les « réfugiés » de sa région pour les envoyer travailler auprès des maraîchers de cette même région, le tout encadré par des contrats « en bonne et due forme » c'est-à-dire au smic. Or « réfugiés » n’est plus utilisé depuis au moins 3 ans, les autorités et les médias utilisent unanimement « migrants » ; alors qu’entendre par « réfugiés » ? Là commence l’écoeurement.

Si ce préfet emploie sciemment ce mot cela signifie que la région mènera cette opération de secours aux maraîchers en détresse en s’adressant directement aux réfugiés enfermés dans les camps « centres d’hébergement » pour migrants gérés par sa bureaucratie, donc aux êtres qu’elle administre d’ores et déjà ; elle va aller piocher la main d’oeuvre dans les établissements-camps où elle a ses entrées, où les dossiers sont déjà prêts, où tout se mettra tranquillement en place en échange d’un peu de monnaie d’état*.

Donc quand le camembert ne peut plus disposer des 20 % de sales travailleurs étrangers qu’il fait venir chaque année pour récolter, l’Etat, et la coro-providence, met à sa disposition d’autres étrangers sans papiers qui bénéficieront exceptionnellement d’une autorisation d’existence administrative (d’existence tout court soyons clairs) pour soutenir l’effort national. Quelle mansuétude... En plus, tout le monde y trouvera son compte ! le travailleur est content d’accéder à la petite partie du code du travail que l’état daigne lui accorder…après tout l’Homme est un blanc comme nous… Et le maraîcher sera content de pouvoir TOUT récolter, mais aussi de pouvoir aider ces bonnes âmes perdues en Europe ; l’échange interculturel n’est plus très loin.

Donc nous vivons dans un pays sans classes où l’Etat peut mettre une catégorie de personne en mouvement et au travail par critère. Or ce critère c’est lui-même qui en est le recteur : tu n’as pas de papier Q, politiquement pour nous tu n’es pas même un mineur, tu ne peux pas te déplacer, c’est nous qui te déplaçons.

- oui, mais pourquoi me déplacer précisément aujourd’hui ?

- parce que, José, les bons français vont restés confinés chez eux jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de dangers pour eux et leur brillante progéniture pleine de génie et qu’en attendant c’est toi Monsieur pas de papier Q qui assurera le boulot ; peut-être nous prouveras-tu ainsi ton amour de la patrie en danger et peut-être qu’ainsi lors du prochain examen de ton dossier de candidature à la nationalité française cette passe d’armes en prairie jouera-t-elle en ta faveur, qui sait ?

C’est drôle, mais puisque « l’Union Sacrée » est entonnée tous les jours, eh bien allons y, filons la cette métaphore : qu’est ce qui est bronzé et qui meurt en première ligne ?

Ainsi deux nouveaux points Godwin se font jour : le Godwin 14-18 et le Godwin de l’Occupation que je ne qualifierai pas ici de peur de m’étouffer dans ma bile.

Donc dans la vie il y a les nous-autres, et puis il y a les sous-autres. CQFD

Et après quoi ? Quand les cantonniers ne voudront plus travailler les rues on enverra les 6 000 mandats de dépôt qui viennent de sortir de prison ? dans les entreprises seuls les mauvais employés rétifs seront mis au contact du client ennemi potentiellement contaminé ?

Que les foucaulâtres puissent y puiser la confiote prophétique qu’ils prisent ne change rien à l’affaire.

Je m’inquiète énormément. S’il y a un nous, Que devenons-nous ?

L’Etat vit en France comme chez lui.

R. me demande quelques préconisations. En bon idéologue précieux et faussement humble je lui réponds que je n’en ai aucune, or quel mytho ! Quand le confinement national sera fini, ou avant s’il le faut, je pose ma tente dehors, je squatte l’espace public jusqu’à ce que même les municipaux m’appellent par mon prénom, je m’associe trois ou quatre chiots que je fais vivre et courir à même Tréfilerie devant le Taudis, je fais le barbeuk devant la maison de l’armée, je fais pipi sur le consulat d’Algérie, caca devant la maison de l’université, je me bourre la gueule sur la chaussée, je vomis sur le passage piéton etc. jusqu’à ce que les autorités comprennent cette chose qui résume admirablement la situation présente et future : ON EST CHEZ NOUS !..

Si l’exécutif « maintient le cap », parce que le France est un bateau avec son capitaine et ses officiers et qu’il aime à « maintenir le cap », eh bien nous ne passerons pas le prochain hiver. Il faudra nécessairement tous les enculer sévèrement un par un. Nous aurons, entre autre, besoin d’une prose bien moins scato que celle présentée ici, et plus intelligente, mais nous n’aurons pas non plus besoin de cette prose évangélique expiatoire débile qui fleurit partout.

Car Peter Steele l’a prédit et chanté il y a 20 ans : « une apocalypse frigide » ; et non pas une belle Parousie avec descente du messie et jugement dernier rococo-gothique auréolé.

Ne jouez pas vos notes en tas !!

José, le mangeur de pain standard

* Par monnaie d’état nous entendons qu'il y a des emplois capitalistes réalisés en monnaie de capitaux, et des échanges non marchands, d'état, réalisés dans une monnaie symbolique : aussi un impôt n'est rien de mieux que cette monnaie d'état, qui signifie la force de travail : et sinon cette monnaie n'a aucune valeur : c'est une monnaie de pauvre.

Camp de réfugiés en France, Paris

30 mars 2020

Vive Macron ! 49-3 degrés d'éréthisme

Vive Macron !
49-3 degrés d'éréthisme[1]

La nuit des morts-vivants 00 net

Qu'on soit contre ou qu'on soit çà et là encore parfois pour la présidence d'Emmanuel Macron, l'exacerbation des opinions le concernant n'en finit plus d'empêcher de penser la situation présente, en France comme ailleurs. Sa géniale faconde ou son horrible mépris – selon qu'on soit pour ou contre lui – semble laisser chacun dans une sidération telle que partisans et opposants finissent en quelque sorte par chanter d'une même voix : « VIVE MACRON ! ». Autrement dit, du « Macron démission » des gilets jaunes et autres syndicalistes aux divers baragouinages des députés et enmarcheurs quelconques, jusqu'aux « concerts de casseroles » accompagnés des hués du peuple des confinés les soirs à son adresse, tout vient seulement maintenant se heurter à l'imbécile jupitérien, cette fausse singularité du néant général. Volontairement réalisé ou non, l'exploit du grain de sable Emmanuel Macron aura donc été, jusqu'ici, de concentrer toute l'attention autour de sa personne, et de faire oublier par là même l'ensemble du désert[2].

Tandis que nous regardons Macron, le néant impérialo-marchand continue partout son office.

On l'aura toutefois compris, nous sommes du côté de celles et ceux qui s'y opposent, mais que Macron soit bel et bien une ordure nocive ne doit pas nous faire perdre de vue qu'il n'est qu'un symptôme parmi d'autres, non le capitalisme lui-même. Aussi s'agit-il, à tout le moins, de renouer avec une vision plus globale, ne serait-ce que pour nous garder d'avoir à subir demain un nouveau symptôme qui, né du même Empire-marchand, ne pourra pas manquer d'être encore plus nuisible, en particulier dans ses capacités répressives – qu'on nous vende inlassablement en France le Rassemblement National[3] comme seule alternative possible en dit assez long déjà à cet égard.

Du stalinisme au nazisme, l'Histoire en a fait plusieurs fois monstration : hors d'une abolition plénière du capitalisme, rien ne nous sera épargné.

Le coronavirus, qui a d'ores et déjà été capable à lui seul de bloquer l'ensemble, ou presque, des dispositifs de l'Empire-marchand tout entier pendant plusieurs semaines, l'a suffisamment montré : pensé localement alors même qu'il est né du monde globalisé de l'industrie marchande, le covid19 n'a pu manquer de se répandre à la hauteur du monde qui l'a fait naître, et ce d'autant plus que de l'avoir pensé localement n'a généralement provoqué aucune action locale concrète contre lui – ce qui était né dans le Wuhan devait semble-t-il par nature rester dans le Wuhan -, du moins jusqu'à ce qu'il soit trop tard ; seule son appréhension en tant qu'épiphénomène de l'activité capitaliste globale eût immédiatement permis d'agir efficacement contre lui de manière locale.
Il en va bien de même avec le « macronisme », cet épiphénomène pseudo-politique du mouvement général « autonome » de la marchandise mondiale. C'est pourquoi la tendance en France à concentrer tout le feu sur le seul Macron risque à terme de laisser chacun dupe d'une individualisation outrancière et fétichisée du désastre, qui ne peut que par trop conduire à négliger l'origine réelle de ce dernier : le susdit mouvement général « autonome » de la marchandise mondial.

Macron doit être écarté, certes, mais pour mieux dégager la cible.

Partout là où la marchandise déploie sa tyrannie sur les êtres humains, comme d'ailleurs sur l'ensemble du vivant, s'offre à nous le spectacle de ces quelques faussaires qui n'ont nul autre rôle réellement efficient que celui de nous faire accroire que subsiste encore une certaine maîtrise humaine de la gestion des « sociétés »[4] : ici Macron, là-bas Trump, ailleurs Erdogan ou encore Poutine, etc. Mais ces vieilles têtes ne sont bien notoirement que les figures mêmes du néant intégral où nous a conduit l'avoir-marchand ; elles ne s'animent plus guère que pour cligner de l’œil, en surface, sur tous les écrans totalitaires de la connivence avec le désert : elles ne sont plus dès maintenant que les fantômes funestes d'une civilisation défunte[5], dont Macron, donc, n'est qu'une image iconique parmi d'autres.

Il ne sert à rien de vouloir couper des têtes, en particulier si nous n'avons pas évincé en nous le besoin d'en élire.

Il ne peut donc pas uniquement s'agir, pour qui veut authentiquement sortir par le haut du désastre, de se débarrasser d'une image « singulière » du pouvoir, mais simultanément de tous les dispositifs qui lui ont permis d'exister : la marchandise, parce qu'elle est une falsification théologique du réel ; l'argent, parce qu'il en est l'abstraction déifiée la plus turpide[6] ; l’État, parce qu'il est une organisation mafieuse qui s'emploie à défendre le capital, la grande célérité des flux, parce qu'elle réduit la poésie géographique du voyage à une géomatique[7] du tourisme, entre autres, et finalement pour le dire vite, le capitalisme en profondeur, parce qu'il est cause originelle et continue de l'ensemble, même dans les moments où il s'effondre.

Le capital est comme Protée, toujours susceptible de réapparaître sous une forme nouvelle.

Nous n'en sommes qu'au début du désastre, la situation est nouvelle, aussi devons-nous accepter pour quelques temps de nous en tenir à une critique balbutiante et modeste. Ici maintenant l'humilité s'impose. Il n'est jamais facile de faire le juste examen d'une époque nouvelle, qui se présente nécessairement à nous par des signes contradictoires, dont le moins que nous puissions dire à cette heure est qu'ils invitent à envisager tant le meilleur que le pire pour les temps qui viennent, autrement dit la possible réalisation du communisme réel, ou l'avènement d'une organisation entièrement policière de l'existence qui viendrait parachever ce que la domination impériale a commencé de mettre en place depuis les années 1970 jusqu'à très récemment ; il ne tient qu'à nous d'aller vers le meilleur.

La lutte des classes n'est pas vaine expression, aucun confinement n'est éternel, et la rue nous attend. Nous n'avons nul autre ennemi véritable qu'une faible frange de la population mondiale, et les dispositifs sans lesquels elle n'est rien.

Demain n'a pas eu lieu, tout commence maintenant !

Léolo

Sauvons les vies, pas l'économie net



Notes

1 – État d'excitabilité accrue d'un organe.

2 – Si utile que fût l'ouvrage « Crépuscule » de Juan Branco, en se bornant à ne dévoiler qu'un moment particulier de la néantisation mondiale en mouvement dans l'espace français, il aura contribué à cet état des choses.

3 – Le RN, longtemps brandi comme une simple menace n'ayant pour objet que d'assurer la victoire du « centre-droit » (des socialo aux républicains), s'est vu devenir sous Macron ce parti considéré par les « élites bourgeoises » comme pouvant s'avérer utile encore à leur maintien, non plus en tant que seule menace, mais pourquoi pas au pouvoir afin d'assurer une répression extrême qu'ils envisagent d'ores et déjà comme indispensable. Toute la violence de la police « en marche » contre les mouvements sociaux les en aura convaincu, tant par ses réussites que, pensent-elles (ces élites), par une inefficacité due à une trop grande retenue.

4 – Alors même qu'il n'est pas jusqu'à certains sociologues qui n'en soient venus maintenant à douter qu'il existât encore une quelconque société.

5 – Le virus covid19 aura suffi à révéler non seulement la fragilité d'une telle civilisation, et par là même la futilité de presque tout ce qu'elle produit, mais aussi combien elle avait à présent passé le stade de l'agonie, de la catastrophe, où elle végétait bon an mal an depuis plus de quarante ans.

6 – Qui a une certaine laideur morale.

7 – Traitement informatique des données géographiques.

6 mai 2019

Lettre de Thomas P., incarcéré depuis le 12 février 2019

Après l’acte 13, le 10 février sur les journaux paraissait le nom de Thomas P., figure du "super casseur".
Mais depuis c’est le silence. Cela fait trois mois qu’il est enfermé à Fleury Mérogis en préventive sous le coup d’une instruction criminelle. Pour que son isolement cesse, Thomas nous*

a fait parvenir une lettre écrite en cellule qui revient sur les raisons qui l’ont amené à se battre aux côtés des Gilets Jaunes.

Prison de Fleury Mérogis


LETTRE D’UN GILET JAUNE EN PRISON

Le 29/04/2019.

Bonjour,

Je m’appelle Thomas. Je fais partie de ces nombreux Gilets Jaunes qui dorment en ce moment en prison. Cela fait près de 3 mois que je suis incarcéré à Fleury-Mérogis sous mandat de dépôt criminel.

Je suis accusé de pas mal de choses après ma participation à l’acte XIII à Paris :

« dégradation ou détérioration d’un bien appartenant à autrui »

« dégradation ou détérioration d’un bien appartenant à autrui par un moyen dangereux pour les personnes » (incendie d’une Porsche)

« dégradation ou détérioration de bien par un moyen dangereux pour les personnes commise en raison de la qualité de la personne dépositaire de l’autorité publique de son propriétaire » (le ministère des armées)

« dégradation ou détérioration d’un bien destiné à l’utilité ou la décoration publique » (attaque sur une voiture de police et une voiture de l’administration pénitentiaire)

« violence aggravée par deux circonstances (avec arme et sur dépositaire de l’autorité publique) suivi d’incapacité n’excédant pas 8 jours » (l’arme serait une barrière de chantier, toujours sur la même voiture de police, 2 jours d’ITT pour le traumatisme)

« violence sur une personne dépositaire de l’autorité publique sans incapacité »

« participation à un groupement formé en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de destruction ou dégradation de biens ».

J’ai effectivement commis une partie des actes que recouvrent ces formulations un peu ronflantes… Et je les assume. J’ai bien conscience qu’écrire cela risque de me faire rester un peu plus de temps en prison et je comprends très bien tous ceux qui préfèrent ne pas revendiquer leurs actes devant la justice et parient sur une éventuelle clémence.

Quand on lit cette longue liste de délits et leurs intitulés, il y a de quoi me prendre pour un fou furieux, n’est-ce pas ? C’est d’ailleurs comme ça que l’on m’a décrit dans les media. Enfin, on m’a plutôt réduit à un mot bien pratique : « casseur ». Simplement. « Pourquoi ce type a cassé? – Parce que c’est un casseur, c’est évident. » Tout est dit, circulez il n’y a rien à voir et surtout, rien à comprendre. À croire que certains naissent « casseur ». Cela évite d’avoir à se demander pourquoi tel commerce est ciblé plutôt que tel autre, et si par hasard ces actes n’auraient pas un sens, au moins pour ceux qui prennent le risque de les accomplir.

Il est d’ailleurs assez ironique, que je me retrouve affublé du stigmate de « casseur », notamment parce que la chose que j’apprécie le plus dans la vie, c’est la construction. Menuiserie, charpente, maçonnerie, plomberie, électricité, soudure… Bricoler, réparer tout ce qui traîne, construire une maison de la dalle aux finitions, c’est ça mon truc. Après, c’est vrai, rien de ce que j’ai construit ou réparé ne ressemble à une banque ou à une voiture de police.

Dans certains médias, on m’a aussi traité de « brute », pourtant je n’ai jamais été quelqu’un de violent. On pourrait même dire que je suis doux. À tel point que cela m’a rendu la vie compliquée pendant l’adolescence. Bien sûr, dans la vie, on passe tous par des situations difficiles et on s’endurcit. Après, je ne cherche pas à dire que je suis un agneau ni une victime.

On n’est plus innocent quand on a vu la violence « légitime », la violence légale : celle de la police. J’ai vu la haine ou le vide dans leurs yeux et j’ai entendu leurs sommations glaçantes: «dispersez-vous, rentrez chez vous ». J’ai vu les charges, les grenades et les tabassages en règle. J’ai vu les contrôles, les fouilles, les nasses, les arrestations et la prison. J’ai vu les gens tomber, en sang, j’ai vu les mutilés. Comme tous ceux qui manifestaient ce 9 février, j’ai appris qu’une nouvelle fois, un homme venait de se faire arracher la main par une grenade. Et puis je n’ai plus rien vu, à cause des gaz. Tous, nous suffoquions. C’est à ce moment-là que j’ai décidé ne plus être une victime et de me battre. J’en suis fier. Fier d’avoir relevé la tête, fier de ne pas avoir cédé à la peur.

Bien sûr, comme tous ceux qui sont visés par la répression du mouvement des Gilets Jaunes, j’ai d’abord manifesté pacifiquement et au quotidien, je règle toujours les problèmes par la parole plutôt que par les poings. Mais je suis convaincu que dans certaines situations, le conflit est nécessaire. Car le débat aussi « grand » soit il, peut parfois être truqué ou faussé. Il suffit pour cela que celui qui l’organise pose les questions dans les termes qui l’arrangent. On nous dit d’un côté que les caisses de l’État sont vides mais on renfloue les banques à coups de millions dès qu’elles sont en difficulté, on nous parle de « transition écologique » sans jamais remettre en question le système de production et de consommation à l’origine de tous les dérèglements climatiques¹. Nous sommes des millions à leur hurler que leur système est pourri et ils nous expliquent comment ils prétendent le sauver.

En fait, tout est question de justesse. Il y a un usage juste de la douceur, un usage juste de la parole et un usage juste de la violence.

Il nous faut prendre les choses en main et arrêter d’implorer des pouvoirs si déterminés à nous mener dans le mur. Il nous faut un peu de sérieux, un peu d’honneur et reconnaître qu’un certain nombre de systèmes, d’organisations et d’entreprises détruisent nos vies autant que notre environnement et qu’il faudra bien un jour les mettre hors d’état de nuire. Ça implique d’agir, ça implique des gestes, ça implique des choix : manif sauvage ou maintien de l’ordre ?

À ce propos, j’entends beaucoup de conneries à la télé, mais il y en a une qui me semble particulièrement grossière. Non, aucun manifestant ne cherche à « tuer des flics ». L’enjeu des affrontements de rue c’est de parvenir à faire reculer la police, à la tenir en respect : pour sortir d’une nasse, atteindre un lieu de pouvoir ou simplement reprendre la rue. Depuis le 17 novembre, ceux qui ont menacé de sortir leur armes, ceux qui brutalisent, mutilent et asphyxient des manifestants désarmés et sans défense, ce ne sont pas les soit-disant « casseurs », ce sont les forces de l’ordre. Si les médias en parlent peu, les centaines de milliers de personnes qui sont allées sur les ronds-points et dans les rues le savent. Derrière leur brutalité et leurs menaces, c’est la peur qui se cache. Et quand ce moment arrive, en général, c’est que la révolution n’est pas loin.

Si je n’ai jamais eu envie de voir mon nom étalé dans la presse, c’est désormais le cas, et comme je m’attends à ce que journalistes et magistrats épluchent et exposent ma vie personnelle, autant prendre moi-même la parole². Voilà donc ma petite histoire. Après une enfance somme toute assez banale dans une petite ville du Poitou, je suis parti dans la « grande ville » d’à côté pour commencer des études, quitter le foyer familial (même si j’aime beaucoup mes parents), commencer la vie active. Pas dans le but de trouver du travail et de prendre des crédits, non, plutôt pour voyager, faire de nouvelles expériences, trouver l’amour, vivre des trucs dingues, l’aventure quoi. Ceux qui ne rêvent pas de cela à 17 ans doivent être sérieusement dérangés.

Cette possibilité-là, pour moi, c’était la fac mais j’ai vite déchanté face à l’ennui et l’apathie régnants. Puis coup de chance, je suis tombé sur une assemblée générale au début du mouvement des retraites. Il y avait des gens qui voulaient bloquer la fac et qui ont attiré mon attention. J’en ai rencontré quelques-uns qui voulaient occuper un bâtiment et rejoindre les dockers. Le lendemain, je les ai accompagné pour murer le local du Medef et taguer « pouvoir au peuple » sur les parpaings tout frais. Voilà le jour où l’homme que je suis aujourd’hui est né.

J’ai donc étudié l’Histoire parce qu’on parlait beaucoup de révolution et que je ne voulais pas parler depuis une position d’ignorant. Mais très vite, je décidais de quitter la fac. Le constat était simple, non seulement on en apprenait bien plus dans les bouquins qu’en cours mais en plus de cela je n’avais pas envie de m’élever socialement pour devenir un petit cadre aisé du système que je voulais combattre. Là c’était le vrai début de l’aventure.

Ensuite, j’ai vécu avec plein de potes en ville ou à la campagne, c’est là que j’ai appris à tout réparer, à tout construire. On essayait de tout faire nous-mêmes plutôt que de bosser pour l’acheter. Un peu une vie de hippie, quoi! À la différence qu’on savait qu’on n’allait pas changer le monde en s’enterrant dans notre petit cocon auto-suffisant. Alors, j’ai toujours gardé le contact avec l’actualité politique, je suis allé à la rencontre de celles et ceux qui, comme moi dans le passé, vivaient leur premier mouvement.

Voilà comment j’ai rejoint les Gilets Jaunes depuis maintenant quatre mois. C’est le mouvement le plus beau et le plus fort que j’ai jamais vu. Je m’y suis jeté corps et âme, sans hésitation. L’après-midi de mon arrestation, plusieurs fois des gens sont venus vers moi pour me saluer, me remercier ou me dire de faire attention à moi. Les actes que l’on me reproche, ceux que j’ai commis et les autres, ils sont en réalité collectifs. Et c’est précisément de cela dont le pouvoir à peur et c’est pour cette raison qu’ils nous répriment et nous enferment individuellement en tentant de nous monter les uns contre les autres. Le gentil citoyen contre le méchant « casseur ». Mais de toute évidence, ni la matraque ni la prison ne semblent arrêter ce mouvement. Je suis de tout cœur avec celles et ceux qui continuent.

Depuis les murs de Fleury-Merogis, Thomas, gilet jaune.

* Comité de soutien à Thomas P. (Cf. ICI)

22 février 2019

Halimi-Rimbert : les Marx-Engels du XXIe siècle ?

Halimi-Rimbert : les Marx-Engels du XXIe siècle ?

Ce n’est pas la première fois que des héritiers présomptifs autoproclamés et surtout présomptueux de Marx se réclament de lui pour avancer leurs propres thèses et interprétations pseudo-révolutionnaires. Mais jusqu’à récemment cette usurpation était le fait, d’un côté, de leaders et théoriciens de groupuscules d’extrême-gauche, et, de l’autre, d’universitaires adeptes du marxisme-lénifiant. La nouveauté, avec le tandem Halimi-Rimbert, est que l’on a affaire à des journalistes, citoyennistes bon teint en plus, considérant que le vote aux élections programmées par les gouvernants reste l’arme fatale contre le néo-libéralisme, et pour qui, si révolution il y a, elle ne saurait donc être que «citoyenne». C’est-à-dire légale, réformiste et pacifique, sans autre horizon qu’un capitalisme amendé et civilisé, «apprivoisé», pour reprendre le souhait formulé par l’anthropologue de «centre gauche» Emmanuel Todd.
Or voilà que le directeur du Diplo et son adjoint se mettent à parler à leur tour d’«insurrection», de «révolte», de «destitution». Il ne manque plus que le «soulèvement», mais il semble qu’ils aient été dissuadés d’aller trop loin en reprenant ce vocable par la menace de poursuite judiciaire de la part du Ministre de l’Intérieur Castaner contre l’une des figures des Gilets jaunes, Éric Drouet, qui avait appelé à «un soulèvement sans précédent par tous les moyens nécessaires» pour riposter à l’énucléation commise par la flicaille contre une autre figure du mouvement, Jérôme Rodriguez. Il est vrai que l’on voit mal notre duo diplomatique inciter sa chalandise néo-petite bourgeoise à l’émeute et encore moins à la guerre civile contre le gouvernement.
Comment pourrait-il le faire, en effet, alors que cette «classe moyenne éduquée» est totalement déconnectée des classes populaires — si l’on excepte les enseignants du primaire et du secondaire, et les travailleurs sociaux, minoritaires dans le lectorat du Diplo. D’où sa surprise voire sa sidération lorsqu’une partie d’entre elles ont enfilé un gilet jaune pour occuper ronds points et péages voire faire quelques incursions dans les «beaux quartiers», afin d’exprimer leur colère et faire valoir leurs revendications. Comme l’avait noté Halimi lui-même, qui semblait découvrir la lune, dans un article paru le mois précédent, ce mouvement social imprévu, y compris par les sociologues et politologues dont il aime à s’entourer, est «culturellement étranger à la plupart de ceux qui font le journal et de ceux qui le lisent » [1] . Sans remettre en cause, comme il se doit, la division capitaliste du travail à l’origine de ce clivage, remise en cause qui relève pour lui comme pour ses semblables de l’impensable. Un peu plus de «justice sociale», un peu moins d’inégalités : c’est ce à quoi se résume, en effet, le progressisme des «amis du Monde diplomatique». Mais alors comment interpréter l’irruption soudaine en une du journal de ce copier-coller du titre de l’un des livres de Marx, avec un article au pluriel en moins, publié après sa mort avec une préface de Engels : Les luttes de classe en France ? [2]

Mon hypothèse est que le duo Halimi-Rimbert a simplement voulu se mettre au diapason d’un mouvement social qu’eux et leurs amis n’avaient, à la différence des précédents, ni prévu ni voulu, et qui les a, passez-moi l’expression, laissés sur le cul. En empruntant à Marx le titre martial de l’un de ses écrits, ils ont simplement voulu faire courir de délicieux frissons insurrectionnels dans l’échine toujours courbée de leur lectorat de néo-petits bourgeois, ces «agents dominés de la domination», comme les définissait bien l’un de leur maître à penser, le sociologue Pierre Bourdieu, sans en tirer, toutefois, les enseignements politiques qui s’imposaient. Comme il fallait s’y attendre, la conception de la lutte des classe du tandem Halimi- Rimbert diffère quelque peu de celle de Marx, foncièrement anticapitaliste comme chacun sait, dont ils n’ont jamais vraiment assimilé la pensée tant elle va à l’encontre de la ligne idéologique du mensuel, l’altercapitalisme, dont l’un et l’autre n’ont pas dévié d’un pouce depuis qu’ils en ont pris la tête. Ils ne sont donc pas près de ni prêts à combler «le gouffre croissant» relevé avec une lucidité malheureusement sans suites par Halimi dans l’article de janvier mentionné, «entre un univers populaire qui subit les coups, essaie de les rendre, et un monde de la contestation (trop ?) souvent inspiré par des intellectuels dont la radicalité de papier ne présente aucun danger pour l’ordre social».
On peut dès lors se demander pourquoi les deux figures de proue du Diplo ont jugé bon de rejoindre les rangs de ces derniers dans le numéro du mois suivant. Ce qui renvoie à l’hypothèse évoquée plus haut : comme toutes les gloses explicatives de lettrés plus ou moins savants qui se sont abattus depuis des semaines sur les basses classes en révolte comme la vérole sur le bas-clergé, l’interprétation de leur mouvement proposée par Halimi et Rimbert, non pas à la lumière du marxisme mais sous le patronage post-mortem de Marx, ne s’adresse pas à celles-ci, qui n’en auraient de toute façon que faire, mais à une faune diplômée à qui l’on peut raconter à peu près n’importe quoi pour peu qu’elle puisse y trouver son compte symbolique. Certes, l’insurrection pronostiquée par certains il y a quelque temps déjà est bien venue, mais elle ne correspond pas à ses vœux tant dans sa forme que sur le fond. Mais, qu’à cela ne tienne ! Fort de leur savoir acquis dans les enceinte universitaires ou autres temples de la connaissance, une cohorte d’observateurs professionnels du monde social vont se succéder devant les micros et les caméras ou dans les colonnes des médias dominants, qu’ils aiment à vilipender par ailleurs, pour dévoiler aux spectateurs, auditeurs ou téléspectateurs qui croient aux dons de divination de ces pythies des temps post-modernes, les tenants supposés et aboutissants probables d’un mouvement qui s’est développé sans leur aide ni même leur présence. Qu’on se le dise, malgré tout : mieux que n’importe quel acteur anonyme du mouvement des Gilets jaunes, ils sont en mesure dire de quoi celui-ci est le nom. C’est ainsi qu’une fois de plus, car il est coutumier du fait, le Diplo présente comme le commencement de la fin pour la classe possédante, l’essor d’une opposition massive au pouvoir politique en place où l’on chercherait pourtant en vain trace des courants socialistes, communistes ou anarchistes qui irriguaient feu le mouvement ouvrier. Halimi et Rimbert pointent d’ailleurs l’absence dans les revendications des Gilets jaunes de la «lutte contre l’exploitation salariale» et de «la mise en accusation de la propriété des moyens de production». Mais diable quand a t-on lu dans ce journal de telles orientations alors qu’il ouvre ses colonnes à un économiste tel que Bernard Friot qui n’a rien d’autre à proposer qu’un «salariat basé sur la qualification individuelle», tournant le dos à Marx qui avait opté pour l’abolition pure et simple du salariat, quelle qu’en soit la forme, comme condition de l’avènement du communisme ? Quand à la nécessité d’«exproprier les expropriateurs» capitalistes, très partagée parmi le prolétariat du XIXe siècle, cette éventualité paraît n’avoir jamais effleuré l’esprit des collaborateurs, réguliers ou occasionnels, du mensuel. Et que dire d’autres failles reprochés par nos deux néo-marxistes mondains à des revendications qui «ne remettent en cause» ni la «subordination des salariés dans l’entreprise», ni «la répartition fondamentale des revenus» ou le «caractère factice de la souveraineté populaire au sein de l’union européenne et dans la mondialisation» ? Ces reproches valent en premier lieu pour ceux qui les adressent, en particulier sur le dernier point. Car la sortie simultanée de l’euro, de la Communauté européenne et de l’Otan n’a jamais fait partie des perspectives politiques tracées dans le Diplo qui a préféré traiter en pestiféré, c’est-à-dire par un silence absolu, celui qui les a toujours fait siennes, le leader de l’UPR, François Asselineau. Aussi peut-on considérer comme de pures «paroles verbales», comme on dit au Canard enchaîné, la recommandation faite à leurs ouailles par nos deux nouveaux venus dans le marxisme de la chaire de «marquer leur solidarité avec l’action des gilets jaunes» en agissant «dans le sens de la justice et de l’émancipation». On croirait lire la conclusion d’une dissertation d’un élève de première année à l’école des larves de Sciences Po.
Souvenons-nous de Siriza en Grèce puis Podemos en Espagne érigés par le Diplo en fers de lance de la lutte contre les puissants de ces deux pays, avec les résultats pour le moins médiocres voire désastreux en Grèce que l’on sait. Mais avec les Gilets jaunes on a affaire à un mouvement réellement populaire où la caste universitaire, hégémonique dans les organisations précitées, brille par son absence. Peu importe, cependant. Il s’agit là encore, pour les activistes, «de papier» eux aussi, du Diplo de remonter le moral des troupes en leur faisant croire que la bourgeoisie française ou plutôt «l’oligarchie» — je reviendrai sur ce distinguo — serait aujourd’hui aux abois. D’où la référence à des «précédents» historiques, tel le soulèvement armé prolétarien de Juin 1848, de «lutte des classes sans fard» où «chacun doit choisir son camp», au point où les possédants «saisis d’effroi», «perdent leur sang froid». À l’appui de ce parallèle sans rapport aucun avec la situation actuelle où le règne des capitalistes en France, nationaux ou étrangers, ne court aucun péril, sont cités les propos alarmistes d’éditorialistes «proches du patronat» attestant la panique qui se serait emparée de ce dernier.
Dommage que Halimi et Rimbert n’aient pas pu prendre connaissance au moment où ils rédigeaient leur brûlot ou ce qu’ils croyaient tel, d’un article de L‘ImMonde d’où il ressortait, comme le titre l’annonçait en grosses lettres pour soulager ses lecteurs, que «les entreprises» étaient «peu ciblées par les “gilets jaunes”» [3]. «Un ministre de premier plan», apprenait-on, aurait même déclaré que l’«on n’est pas dans un schéma classique de lutte de classes», car «la fracture se fait entre ceux qui ont de l’espoir et ceux qui n’en ont pas». Entre «ceux qui réussissent» et «ceux qui ne sont rien», aurait précisé Macron. En tout cas, les exploiteurs sortent jusqu’ici indemnes de la tourmente, et, comme le concluent les auteures de l’article, «c’est désormais l’État et son premier représentant Emmanuel Macron, accusé d’être le “président des riches”, qui sont visés par la colère populaire». Or, c’est bien là où le bât blesse dans la prétention de Halimi-Rimbert à suivre les pas de Marx dans leur examen de la «recomposition politique et sociale» en cours dans l’hexagone. «Le président des riches» est le titre d’un essai à succès publié en 2010 de deux sociologues bien en cour au Diplo — ils ont repris du service dans le numéro de février — qui s’étaient échinés à mettre à profit leur popularité médiatique pour inciter tous ceux que leur livre avait enthousiasmés à voter et faire voter Hollande à la présidentielle de 2012 pour «battre Sarkozy» auxquels ils avaient accolé cette appellation. Un Hollande qui, une fois élu président, servira «les riches» avec autant d’ardeur sinon plus que son prédécesseur en casant Macron à l’Élysée comme secrétaire général adjoint de son cabinet, puis à Bercy comme ministre de l’économie. Mais on ne peut pas exiger de chercheurs en sciences sociales de chercher autre chose que ce que leur appartenance de classe les conduit à trouver, en laissant le reste de côté.
À cet égard, l’intitulé de l’article de Halimi dans le Diplo de janvier est involontairement révélateur. «Tout ce qui remonte à la surface» avec le mouvement des Gilets jaunes, c’est précisément ce que le discours autorisé sur le monde social, auquel le Diplo fait écho avec la dissonance sur laquelle repose son image de marque, a laissé enfoui. Ainsi en va t-il de la bourgeoisie que le couple Pinçon- Charlot s’entête à ne plus appeler par son nom pour lui en substituer un autre, «l’oligarchie», moins marqué du sceau d’infamie marxienne. Concept transhistorique qui date de l’antiquité grecque, il fait oublier le caractère de classe exploiteuse d’où la bourgeoisie tire sa spécificité, en plus de ses revenus, et, par delà, le caractère capitaliste de la société, pour ne cibler que «les riches» et même les «très riches» voire, comme se plaisant à le souligner nos deux sociologues, les «ultra-riches», en faisant l’impasse sur le fondement social de cette richesse. Pas étonnant, dès lors, que le mouvement des Gilets jaunes ne soit perçu que comme celui de gens demandant au gouvernement de rendre les uns un peu moins riches pour que les autres soient un peu moins pauvres.
Certes, Halimi et Rimbert, usent — avec parcimonie — du terme «bourgeoisie», mais c’est, malgré leur volonté de «clarification idéologique», sur la base d’une confusion entre classe possédante et classe dirigeante. La première est, rappelons-le quand même, constituée par les capitalistes tandis que la seconde, les «fondés de pouvoir du capital» comme Marx appelait les gouvernants de la démocratie représentative, comprend aussi bien des bourgeois que des petits bourgeois. Or, mêlant indistinctement «hauts fonctionnaires français ou européens, intellectuels, patrons, journalistes, droite conservatrice, gauche modérée», Halimi et Rimbert en viennent à englober le tout sous la notion pour le moins floue de «bourgeoisie cultivée». Une manière de noyer le poisson néo-petit bourgeois, c’est-à-dire les politiciens «de gauche» pour qui tous les deux comme la plupart de leurs lecteurs ont voté sans désemparer pendant des années, dans un salmigondis interclassiste où Marx ne reconnaîtrait pas les composantes de la classe dirigeante. Car dans ce «bloc bourgeois» que nos deux marxistes en herbe accusent d’avoir monopolisé le pouvoir d’État et dont la stratégie aurait fait que «les classes populaires se trouvent exclues de la représentation politique», figurent bon nombre de dirigeants de ce que l’on a appelé la «gauche plurielle» issus de la petite bourgeoisie intellectuelle.

Des plus hauts postes de la pyramide étatique jusqu’aux collectivités locales ainsi qu’à la tête d’associations importantes, ses représentants secondent la bourgeoisie dans le maintien de sa domination, dans la cadre soi-disant démocratique d’«alternances politiciennes» sans alternative politique. Le dessus du panier de cette classe médiane et médiatrice vit comme la «grande bourgeoisie» dans l’entre soi, pointe du doigt les «ultra-riches» mais oublie les quartiers populaires et méprise les gens qui y résident, écologiquement incorrects parce qu’ils roulent au diesel et fument trop, font leurs courses dans des hypermarchés, regardent à la télévision les émissions de divertissement et, pour couronner tout, sont suspectés d’inclinations homophobes, racistes voire d’extrême-droite. D’où le peu d’appétence pour les «gilets jaunes» de l’intelligentsia progressiste qui sert de guide idéologique à cette classe. Ce qui ne l’a pas empêchée d’essayer de prendre le train en marche en apportant son soutien à leur mouvement, non sans quelques hésitations au départ, mais comme la corde soutient le pendu. Ainsi a t-on vu fleurir dans le journal libéral- libertaire du milliardaire sioniste Patrick Drahi ou sur le site du patron moustachu de Médiapart qui avait voté Macron au deuxième tour de la présidentielle, les appels de quelques pointures en vue du gratin académique à se solidariser avec les Gilets jaunes en se joignant à eux dans la rue ou au moins sous forme de manifestations parallèles et séparées, féministes et LGBTQ, par exemple, pour «selzéceu» qui redoutaient le mélange du bon grain «bobo» avec l’ivraie populo.
En matière de récupération, le cas de François Ruffin est à cet égard emblématique. Après avoir tenté en vain de taper l’incruste chez les Gilets jaunes de son fief picard de Flixecourt pour élargir sa base électorale, on a vu le clown de la France insoumise défiler le samedi 24 novembre sur les Champs Élysées au milieu de «la France invisible» revêtue de jaune qui, selon lui, avait décidé de «passer de la résignation à l’action» pour «se rendre visible». Sans aller cependant jusqu’à l’accompagner jusqu’à l’Arc de Triomphe pour lui donner un coup de main dans son affrontement avec les forces répressives. Il faut dire qu’il avait bien précisé lors d’une autre prestation filmée aux Champs Élysées, flanqué de trois Gilets jaunes, que s’il accédait au sommet du pouvoir à l’issue d’une prochaine consultation électorale de ce serait pour «ramener la concorde nationale» dans le pays. Lors d’un entretien avec le médiacrate Nicolas Demorand sur France Inter quelques mois auparavant, il avait même affirmé sa foi en la non-violence pour dissiper les craintes de désordres que pouvait susciter la «manifestation pot-au-feu» dont il était l’initiateur, qu’il souhaitait «festive et joyeuse» pour «faire la fête à Macron» — pour qui il avait voté lui aussi. S’il voulait «rallumer le feu», c’était celui «de l’espoir dans le cœur des gens» et non pour jouer les incendiaires. Or, pas plus que les Nuits à dormir debout dont il fut aussi le promoteur au printemps 2016 où accoururent de jeunes petits bourgeois précarisés ou en voie de l’être, cette bouffonnerie carnavalesque ne changea quoi que soit dans le rapport de forces avec «l’oligarchie». Et la tentative de Ruffin de «servir de passerelle» entre la «France périphérique» et la «classe éduquée» parisienne, lancée place de la République devant ses fans le 29 novembre 2018 alors que le mouvement des Gilets jaunes battait son plein, se solda également par un fiasco. Aux dernières nouvelles, notre Tintin picard se prépare à rééditer l’opération «Merci patron !». Faute de pouvoir s’intégrer au mouvement des Gilets jaunes ou de l’intégrer à la gauche plan-plan au plus fort de sa vitalité, il a décidé de le filmer «pour qu’il laisse une trace». Une manière de l’enterrer avant même qu’il prenne fin ! À l’écouter, pourtant, «quand un mouvement tient entre Noël et le jour de l'An, qu'il tient en janvier, c'est qu'il y a des chances pour qu'au printemps il se passe des choses dans ce pays». On peut se demander néanmoins si le titre qu’il a choisi ne révélerait pas plutôt un désir de faire oublier au plus vite un hiver peu favorable à ses tentatives de récupération : «J’veux le soleil !» À moins qu’inspiré par les réminiscences historiques dont Halimi et Rimbert ont truffé leur «papier», il se voie déjà comme l’annonceur et le leader d’un nouveau Printemps des peuples !
«Le Paris de 2019 ressemble au Versailles de 1789», si l’on en croit le duo Halimi- Rimbert, jamais à court de références révolutionnaires, qui convoquent également d’autres événements majeurs où le pouvoir des nantis fut assez rudement menacé (la Commune de Paris, juin 36, mai 68). Pourtant, il est douteux que la capitale soit appelée à être à nouveau le foyer ou la cible d’une intensification de la lutte des classes. Et l’on voit mal en quoi la carte des «lieux de pouvoir à Paris», publiée sur deux pages en tiré à part par le Diplo, peut «déranger» ceux qui les occupent, contrairement à ce qu’imaginent ceux qui l’ont fait dresser. Certes, Ruffin, lors de la soirée de novembre où il pensait convaincre son auditoire de «converger» avec les Gilets jaunes lui avait bien suggéré d’organiser une série d’«apéros facebook au vin chaud devant les lieux de pouvoir». Mais, pas plus qu’«un dîner de gala», comme l’avait rappelé Mao, la révolution, même limitée à une version citoyenno-écologique, ne saurait se limiter à boire joyeusement un coup en bandes devant les entrées des ministères ou des siège sociaux. La destruction par des manifestants, le 5 janvier 2019, lors de l’« acte VIII » du  mouvement des Gilets jaunes , du portail de l' hôtel de Rothelin-Charolais , siège du  porte-parole du Gouvernement , à l’aide d’un chariot- élévateur, obligeant Benjamen Grivaux à s’enfuir de son bureau en courant, n’a rien à voir avec des pantalonnades collectives pseudo-subversives dont Ruffin s’est fait le chantre. Elle donna un petit aperçu de ce que serait l’investissement de la capitale par la foule de ceux qui en on été chassés ou n’y ont jamais eu droit de cité. Si les «gilets jaunes» ayant enfin fait la jonction avec les «racailleux de banlieues» sur des bases politiques révolutionnaires s’avisaient de vouloir mettre à sac quelques hauts lieux du pouvoir économique, politique et intellectuel, nul doute que l’on verrait ressurgir la «grande peur des bien-pensants», penseurs de gauche mondains compris, et tout ce qui s’ensuit : la fin des festivités populaires dans un bain de sang.



Jean-Pierre Garnier

Notes :

1- Serge Halimi, «Quand tout remonte à la surface», Le Monde diplomatique, janvier 2019.

2- Serge Halimi et Pierre Rimbert, «Lutte de classes en France», Le Monde diplomatique, février 2019.

3- Le Monde, 7 février 2019.

Ce texte envoyé par notre camarade Jean-Pierre Garnier nous ayant quelque peu interrogé sur deux points particuliers, nous faisons suivre ci-dessous les brèves remarques que nous lui avions envoyées et la réponse qu'il nous a rapidement donnée :

Nos remarques : "Très bon topo ! Même si à nos yeux un ou deux points qu'il serait ardu de développer ici restent discutables. Pour tout de même le dire vite : 1 - Nous ne pensons pas que le clampin Asselineau puisse présenter un quelconque intérêt. Autant que nous le sachions, il n'est pas plus révolutionnaire ou simplement anti-capitaliste que l'ensemble de ses coreligionnaires. Qu'il veuille sortir de l'UE et de l'OTAN ne change rien à l'affaire, puisqu'il s'agit seulement chez lui d'un désir de revenir à un Etat fort et à une France du passé qui n'a réellement jamais existé, sinon dans les fastidieux rêves de sa caboche presque aussi décomposée que celle d'un Zemmour. 2 - Quelles qu'aient pu être dans un premier temps leurs hésitations, il n'en reste pas moins qu'une part de la "classe moyenne" et de la "petite bourgeoisie" dites "ultra-gauchistes" par la médiacratie et le pouvoir a tôt fait de rejoindre les gilets jaunes dans les manifestations comme parfois sur les ronds-points, et assez régulièrement avec pour objet que les choses s'emballent, si nous pouvons le dire ainsi. Nous n'avons tout de même pas tous une cervelle du Diplo ou de Ruffin, en quoi d'ailleurs il me paraît bienvenue de faire suivre ici cette "banalité de base" que nous écrivions il y a quelques temps maintenant : - "Si nous pouvons sans rougir renvoyer dos à dos certains prétendants au gauchisme et la police, c'est que les uns comme l'autre font tout pour nous enfermer dans une catégorie abstraite du spectacle ; les premiers en effet nous définissent comme réactionnaire précisément là où la seconde nous définit comme membres de l'ultra-gauche." Voilà ce que nous pouvions en dire rapidement.

La réponse de Jean-Pierre Garnier : "Sur Asselineau, il faut tenir compte du contexte de mon topo. Il ne s'adresse pas à des anars, marxiens ou non, mais à des gens situés à gauche de la «deuxième droite» sociétale-libérale (PS, escrologistes...) insatisfaits de la frilosité ou de la légèreté politique du Diplo sur certaines questions d'ordre intérieur ou international, y compris au sein de ce journal. Parmi mes amis ou connaissances, je connais des militants de l'UPR ou des gens qui en sont sortis, les uns et les autres anti-capitalstes. Pour eux la «triple sortie» n'a de sens que si elle se situe dans une perspective de sortie du capitalisme. Ma divergence avec eux est que celle-ci ne doit pas être une simple «perspective» mais un processus combiné avec les trois autres de transformation sociale radicale que l'on appellera révolutionnaire si l'on veut. L'état (déliquescent) actuel qui caractérise ce qui reste de forces progressistes — et cela vaut aussi pour le NPA les anarchoïdes de Alternative liberaire qui reprennent à propos de la Russie et du Moyen-Orient la propagande de l'impérialisme US et de ses vassaux —, oblige à procéder par ordre au lieu de balancer la package idéologique qui ne convaincra que les déjà convaincus. Dans le cas du Diplo, leur refus d'envisager une sortie de l'Europe du capital va de pair avec leur incapacité à passer de l'anti-néolibéralisme à l'anti-capitalisme. Tout cela n'implique pas que j'ignore que Asselineau soit le chantre (gaulliste) d'un capitalisme national, visée irréaliste à l'ère du capitalisme transnational où seules les bourgeoisies russes ou chinoises peuvent encore impulser l'accumulation du capital dans le cadre de l'État-nation. Mais l'internationalisme doit, pour être autre chose qu'un vœu pieux, s'appuyer aujourd'hui dialectiquement sur le nationalisme comme idéologie de résistance face à l'emprise d'un impérialisme devenu transnational. On ne se libérera pas de l'Europe du capital si celle-ci ne se désintègre pas. Et l'on ne réussira pas à ne pas se laisser entraîner dans une troisième guerre mondiale si l'on ne coupe pas les ponts avec l''OTAN, condition sine qua non, en plus, pour engager une politique de désarmement. Sur la petite bourgeoisie intellectuelle et la possibilité ou la volonté d'une partie de ses membres de rompre avec sa propre classe, je serai plus bref. Celle-ci est autre chose qu'une «catégorie abstraite du spectacle», pour peu que l'on soit matérialiste au sens marxien, au lieu de reprendre les spéculations idéalistes des situationnistes qui ont préféré réduire la réalité sociale à l'univers fantasmagorique du«spectacle» plutôt que la soumettre à une analyse concrète de situations concrètes permettant d'avoir prise sur elle pour pouvoir agir sur elle. Suffisamment d'écrits (dont les miens ) ont été consacrés à la place et au rôle de la PBI à la reproduction des rapports de production capitalistes pour éviter de verser à nouveau dans la vision individualiste volontariste selon laquelle suffirait à chacun de vouloir pour pouvoir en ignorant les déterminations de classe. La «classe moyenne éduquée», comme l'appellent les sociologues qui en sont issus pour nier qu'elle a structurellement partie liée avec la bourgeoisie, c'est-à-dire les exploiteurs, ne «bascule», en tout ou en partie, dans le camp des exploités que si 1° ceux-ci se mobilisent massivement contre l'exploitation 2° celle-là a intérêt à le faire. Les «gauchistes» néo-petits bourgeois sont des exceptions à la règle — je ne parle pas de ceux qui sont précarisés, en voie de ou menacés de l'être qui font partie des gens qui ont intérêt à rejoindre les rangs des exploités condition n° 2) — , mais une règle qui, précisément, explique qu'ils soient des exceptions, des exceptions toujours minoritaires. Comme c'est le cas de ceux qui, aujourd'hui, appuient pratiquement, et non à coups de pétitions, de prestations dans les médias ou de manifs- bidons, le mouvement des gilets jaunes.

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5 février 2019

Amis GJ, du discours et des buts du mouvement pour approbation

Amis GJ,

du discours et des buts du mouvement pour approbation 

ordalie

Amis GJ, je communique ici à l’écrit ce que certains d’entre nous pensent, en qualité de GJ mobilisés depuis le 17 novembre.

Sachant que le mouvement ne pourra indéfiniment se reposer ni sur « les 1% qui dirigent l’économie
mondiale avec leurs grosses tentacules » ni sur un « Tous pourris ! » pourtant bien réel mais qui malheureusement ne nous apporte rien

Sachant que l’auto-organisation a d'emblée été l'un des attributs du mouvement, nous devons nous demander pourquoi sa proclamation rituelle ne tend pas à grossir le mouvement comme nous l’aurions souhaité

Le but de cette communication est de réhabiliter le mot « capitalisme »

Il ressort des différents discours du mouvement deux tendances :

Les uns veulent démocratiser la république

Les autres, humaniser le capitalisme

Ou les deux


La société capitaliste, qui est la forme de société dans laquelle nous vivons, quoi qu’on en dise, c’est l’exploitation des travailleurs par les dominants, financiers et autres fainéants qui vivent de l’activité productive des autres. Nous marquons « égalité » sur les banderoles. Or le capitalisme repose sur les inégalités. Et nous ne demandons pas tant l’égalité que la justice : le capital ne produit rien, c’est l’activité qui produit, quelle qu’elle soit. En l’état, cette justice tapine pour le capital.

La fonction de l’État, par le biais de la « République », est d’encadrer cette exploitation, de la permettre, de l’améliorer et de la reproduire. L’État capitaliste n’a qu’une chose à faire pour entretenir une telle domination politique : remplacer tous les cinq ans un régent de la république par un autre ; l’actuel président Macroûte, comme tous les autres, appelle ça un « pacte social ».

Nous avons d’emblée ciblé le capitalisme en bloquant les centres-commerciaux ou les flux marchands. Nous avons d’emblée ciblé l’État et les préfectures qui le représentent. Nous avons d’emblée occupé l’espace public dont il se réserve l’administration. On nous a enseigné que l’État était le garant de « l’intérêt général » : il ne l’est pas. Il est dans sa nature de ne pas l’être !

Sachant que toutes les revendications portent en elles la remise en question profonde du régime actuel. Sachant que les déclarations de pouvoirs collectifs (« démocratie directe », assemblées) sont inacceptables pour l’ordre républicain. Sachant que toutes les revendications portant sur la répartition des richesses (encadrement des pratiques capitalistes, exemples : taxer les riches, hausser les salaires, services publics) sont inacceptables pour les financiers comme pour l’État, et sachant enfin que les mots « capitalisme, capitalistes, capital » ne conviennent pas à beaucoup d’entre nous parce qu’ils passent pour dépassés et ringards, nous insistons tout de même pour les remettre au coeur de nos questionnements.

À ce jour, le capitalisme est bien le dispositif essentiel du système dans lequel nous vivons, et l’avènement du capitalisme vert n’en est que le dernier rejeton. Le pouvoir n’emploie jamais le mot « capitalisme » ; Macroûte n’a à ce jour jamais prononcé publiquement l’item « gilets-jaunes »… Pourquoi ? Sans doute parce que la peur n’offre pas de prononcer sans souffrance le nom de ses ennemis ; ni Harry Potter ni Hermione Granger n’articulent sans souffrance le nom de Voldemort.

C’est bien la pratique capitaliste qui détruit les sols en les surexploitant pour produire plus et gagner plus. C’est bien la pratique capitaliste qui fait qu’en lieu et place du travail salarié de l’homme adulte pour nourrir un foyer en 1860 nous retrouvons aujourd’hui l’exploitation du couple entier homme-femme pour parvenir au même résultat (là où il y a cent ans un travailleur nourrissait un foyer il en faut aujourd’hui deux). C’est bien la pratique capitaliste qui a permis aux banquiers de dématérialiser la monnaie jusqu’à en faire une abstraction dont eux seuls ont la jouissance.

Ainsi les cibles sont bien les capitalistes qui nous asservissent, et l’État qui en cautionne et encadre les pratiques.

En bref, amis GJ, le capitalisme ne s’humanise pas : il s’accomplit et s’épanouit toujours dans l’asservissement du plus grand nombre. Or, la plupart d’entre nous ayant le désir de vivre librement afin de s’épanouir en bonne compagnie, nous le disons clairement : nul ne prospère en régime capitaliste, pas même les dominants. Le capitalisme entrave nos chemins comme la police barre nos routes.

En bref encore, amis GJ, toute entreprise visant à réintroduire du citoyen dans la faune politique française est voué à un échec certain. Cette « récupération » que tous nous redoutons est bien une menace. Et les exemples abondent, dans l’histoire de ces quarante dernières années, de ces « résistances » qui ont accepté tous les renoncements pour bénéficier des quelques miettes que leur laissaient les exploiteurs - on avait dit toute la boulangerie non ?

Beaucoup d’entre nous s’interrogent sur la suite à donner à notre mouvement. Si nous avions quelque chose clé en main d’audacieux et de nouveau pour que l’épreuve débouche sur une victoire, nous nous empresserions d’en révéler la teneur. Ce genre de chose n’arrive pas, pas même dans les livres. Le neuf n’est pas une question. S’il y avait un autre nom, nous l’utiliserions, s’il existait un média supérieur aux textes et aux phrases pour exprimer l’intelligence, nous l’utiliserions. Dans la confrontation, notre rôle n’est pas d’écrire l’histoire, nôtre rôle est de la bouleverser. Les soulèvements populaires seuls renversent l’Histoire.

 

Aujourd’hui

Il faut utiliser les assemblées populaires pour y partager nos revendications, nos vues, et pour dégager les moyens pratiques d’obtenir satisfaction des revendications dégagées en assemblées. Il faut s’efforcer un maximum d’abandonner le vocabulaire du Pouvoir pour éviter le mimétisme. Le but d’une assemblée étant évidemment de parler, il ne faut pas s’y présenter pour y fustiger l’absence d’action sans s’y retrouver pratiquement aussi inaudible que débile.

Le grand débat est fait pour niquer les ronds-points. Il nous apparaît nécessaire de continuer non seulement à occuper les ronds-points et cabanes, mais aussi tous les espaces publics. Nous pensons qu’il ne faut pas aller au grand débat. Ne pas collaborer et rester une force sociale indépendante. Comme le disent nos adversaires : « on ne négocie pas avec les terroristes ! ».

Nous invitons absolument à participer en masse à la prochaine assemblée des assemblées et saluons absolument l’initiative des gilets-jaunes de Commercy.

À la dernière assemblée de Misère-sur-canal, certains déploraient notre manque de solidarité et la stagnation du mouvement. C’est faux, nous sommes tous solidaires, et ce ne sont que les querelles de pseudo réseaux sociaux qui font que certains finissent par penser cela. À chacun de prendre ses responsabilités pour ne pas verser dans de telles gamineries stériles. Quant à ce qui est de la « stagnation » ; nous en sommes à l’acte XII et il y a toujours autant de monde dans les rues, toujours autant de soutiens.

Le pays bouillonne et nous ne lâchons rien.

MACROGNON → EXTINCTION

Nous aimerions et comptons faire tourner ce texte aux autres GJ de France rencontrés ici et là, à Commercy et ailleurs. Nous voulons savoir si les amis sont d’accord avec ce qui est exprimé. Que pensez-vous ?

MTH déchaînés le 2 février 2019

Voir le PDF ici : Amis_GJ_corrig__d_finitif

23 janvier 2019

Appel de « Gilets Jaunes » de l’Est Parisien

Appel de « Gilets Jaunes » de l’Est Parisien

Nos gilets ne sont plus des tenues de sécurité routière ; ils sont devenus le signal du ralliement de la contestation globale de l’ordre en place. S’ils scintillent, ce n’est pas pour alerter les autorités sur une quelconque urgence ou détresse sociale. Nous ne les avons pas mis en réclamation de quelque chose au Pouvoir. Le jaune de nos gilets n’est pas celui coutumièrement accolé à la traîtrise par le mouvement ouvrier. La couleur de cet habit, c’est celle de la lave de colère que le volcan de la révolution sociale, en sommeil depuis trop longtemps, commence à recracher. Il n’est jaune que parce qu’il embrasse le rouge.

Sous cette appellation « gilets jaunes », un titan se réveille à peine, encore groggy par le coma dans lequel il fut plongé durant plus de quarante ans. Ce colosse ne sait plus comment il s’appelle, ne se souvient plus de son histoire glorieuse, ne connaît pas le monde où il ouvre les yeux. Pourtant, il découvre, à mesure qu’elle se réactive, l’ampleur de sa propre puissance. Des mots lui sont soufflés par de faux amis, geôliers de ses songes. Il les répète : « français », « peuple », « citoyen » ! Mais en les prononçant, les images qui reviennent confusément du fond de sa mémoire jettent un trouble. Ces mots se sont usés dans les caniveaux de la misère, sur les barricades, les champs de bataille, lors des grèves, au sein des prisons. C’est qu’ils sont du langage d’un adversaire redoutable, l’ennemi de l’humanité qui, depuis deux siècles, manie magistralement la peur, la force et la propagande. Ce parasite mortel, ce vampire social, c’est le capitalisme !

Nous ne sommes pas cette « communauté de destin », fière de son « identité », pleine de mythes nationaux, qui n’a pas su résister à l’histoire sociale. Nous ne sommes pas français.

Nous ne sommes pas cette masse faite de « petites gens » prête à s’allier avec ses maîtres pourvu qu’elle soit « bien gouvernée ». Nous ne sommes pas le peuple.

Nous ne sommes pas cet agrégat d’individus qui ne doivent leur existence que par la reconnaissance de l’État et pour sa perpétuation. Nous ne sommes pas des citoyens.

Nous sommes ceux qui sont obligés de vendre leur force de travail pour survivre, ceux dont la bourgeoisie tire ses profits en les dominant et en les exploitant. Nous sommes ceux que le capital, dans sa stratégie de survie, piétine, sacrifie, condamne. Nous sommes cette force collective qui va abolir toutes les classes sociales. Nous sommes le prolétariat.


Conscients de nos intérêts historiques, nous avertissons que :

Le mouvement des gilets jaunes sera vaincu s’il s’obstine à croire que les intérêts des travailleurs sont conciliables avec ceux des patrons. Cette illusion produit d’ores et déjà des dégâts car Macron se sert d’elle afin de retourner la contestation contre les exploités. Les pauvres capitalistes – dépeints opportunément sous les traits des capitalistes pauvres : les petits entrepreneurs, artisans et autres autoentrepreneurs – victimes des « charges » sociales, partageraient le même sort que leurs employés. Il faudrait donc globalement les épargner et se borner à demander l’aumône aux plus gros d’entre eux. Cela permet au Pouvoir de nous injurier tout en feignant de répondre aux revendications. La prétendue hausse du SMIC ne sera payée que par les salariés. L’annulation de la hausse de la CSG masque le maintien de la réduction des pensions de retraites des plus pauvres.

• À partir de cette approche biaisée, une fraction des gilets jaunes affirme qu’un État moins dispendieux permettrait d’alléger la charge fiscale qui écrase les entreprises ; l’activité serait ainsi relancée et chacun y trouverait son compte... Cela est un mauvais conte de fée. Car ce n’est pas l’État qui étouffe les petits capitalistes mais d’abord la loi de la concurrence qui les fait exister et grâce à laquelle ils peuvent prendre des parts de marché, c’est-à-dire se développer. Le problème social étant ainsi mal posé par le mouvement de sorte que « l’État mal gouverné » est ciblé en lieu et place du système capitaliste, le programme gouvernemental de démantèlement de « l’État social », au nom de « l’optimisation de l’action publique », s’en trouve consolidé. Les politiques de prédation sociale qui consistent à supprimer la redistribution des riches aux pauvres, jusque là effectuée par le biais de la sécurité sociale et des services publics, sont ironiquement confortées. De même, les mesures de réduction du salaire global, en comprimant le salaire différé (retraite, allocations chômage...) sont dès lors justifiées. On donne le bâton pour se faire battre.

• Dans cette optique, qui fait la part belle à l’équilibre économique pourvu qu’il soit bien géré, ce qu’il y a de mauvais dans l’économie ne peut être apporté que de l’extérieur : l’État fiscal, l’Union européenne, la « Finance » « cosmopolite » (et derrière sont parfois désignés les « juifs » et les « illuminatis »), les immigrés. La mécompréhension ou le refus d’admettre cette criante vérité que c’est le capitalisme – comme système de production de la richesse à partir de l’exploitation du travail humain – qui est en crise, ouvre grand la porte aux formes réactionnaires de sauvegarde de l’ordre en place. Dix ans d’activisme d’extrême droite sur internet pèsent lourdement sur ce suicidaire état de confusion dans lequel nombre de gilets jaunes croient discerner une solution à leurs maux.

• Parmi ces « solutions », le Référendum d’Initiative Citoyenne, promu depuis longtemps par la fachosphère et qui a fini par rallier les suivistes mélenchoniste, est une fumisterie permettant d’étouffer la question sociale sous une tambouille institutionnelle. Cet aménagement démocratique ne réglerait rien, quand bien même il serait adopté. Il étirerait juste l’élastique électoral tout en maintenant le rapport entre les classes sociales – ses conditions ainsi que ses enjeux – avec en sus la fortification du réformisme juridique, ce parent pauvre du déjà illusoire réformisme économique. Cela reviendrait à cautionner un peu plus directement l’asservissement ordinaire.


Conscients de nos tâches, nous constatons que :

Le mouvement des gilets jaunes s’arrête aux portes des entreprises, c’est-à-dire là où commence le règne totalitaire du patronat. Ce phénomène résulte de différents facteurs. Retenons-en trois : 1) L’atomisation de la production, qui voit un grand nombre de salariés travailler dans des (très) petites entreprises où la proximité avec l’employeur rend très difficile la possibilité de faire grève. 2) La précarité d’une grande partie des salariés, qui détériore gravement leur capacité à assumer une conflictualité dans les boîtes. 3) L’exclusion et le chômage, qui placent en dehors de la production bon nombre de prolétaires. Une grande partie des gilets jaunes est directement concernée par au moins l’une de ces trois déterminations.

L’autre composante du salariat, celle qui bosse dans les grandes sociétés et qui dispose d’une meilleure sécurité de l’emploi (CDI et statut) paraît être sous cloche, sur laquelle la puissante force du mouvement se rompt comme la vague sur le rocher. Un traitement particulier, composé d’efficience managériale et de honteuse collaboration syndicale, est réservée à cette frange de la population travailleuse. La bourgeoisie a bien compris que cette catégorie des travailleurs a le pouvoir de frapper la production capitaliste en son cœur, par la grève générale illimitée. C’est pour cela qu’elle consolide la pacification en donnant des sussucres en formes de « primes de fin d’année exceptionnelles ».


Conscients de notre but, nous affirmons :

Nous reconnaître dans les appels des gilets jaunes de Alès, de Commercy et de Saint Nazaire, dont le souci de refuser toute organisation hiérarchique, toute représentation, et de cibler les capitalistes, est pour nous le signe de la voie à emprunter.

Vouloir briser les verrous idéologiques, managériaux et syndicaux, qui maintiennent le mouvement des gilets jaunes en dehors de la production. Nous devons employer l’extraordinaire force doublée de détermination que ce mouvement développe pour réaliser ce que des millions d’exploités souhaitent depuis tant d’années, sans jamais y être parvenus : paralyser la production de l’intérieur, décider des grèves et de leur coordination en assemblées générales, unir toutes les catégories de salariés, dans une même optique de renversement du système capitaliste et de réappropriation de l’appareil de production. Mettons fin à l’oppression hiérarchique, capitaliste et étatique.

• Vouloir discuter dès maintenant de la grève, de son déclenchement, de son extension, de sa coordination. Contactez-nous, Rejoignez-nous !

gilets-jaunes-revolutionnaires@protonmail.com

Voir le PDF ici !

17 décembre 2018

Ecologie du terrorisme

Écologie du terrorisme

Le studio de la terreur

De la démence exotique

La situation présente, en France comme un peu partout ailleurs dans le monde, a tout d'une bâtisse en chute libre dont nous sommes prisonniers, et qui ne nous laisse plus guère que deux espèces d'évasions possibles : mourir sous les décombres – comme à Marseille [1] – ou sortir par le haut – comme s'efforcent de le faire ici ou là un nombre toujours grandissant d'insurgés. En attendant, l'évidence veut qu'une telle chute n'en finisse plus de multiplier aussi les déficients mentaux, dont les plus visibles se présentent généralement au cœur du spectacle médiatique en tant qu'inébranlables commentateurs quotidiens de ladite chute – qu'ils soient journaleux sociologues philosophes ou politicards - et les moins visibles en tant que terroristes ou prétendus tels – qu'ils soient islamistes ou simples homicides sans religion. Pour le dire autrement, cette société pseudo-démocratique et réellement impérialo-marchande, dont plus personne n'ose vanter les mérites sans cligner de l’œil, génère elle-même, de par sa misère propre, les seconds, et elle paye les premiers afin qu'ils en interprètent mensongèrement l'existence : il n'est pas nécessaire en effet qu'un acte dit « terroriste » soit le résultat d'un complot d’État pour que l'emploi médiatico-politique qui en est fait soit quant à lui parfaitement indécent et manipulateur.

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Toute civilisation criminelle a besoin d'un effroyable ennemi face auquel elle ne pourra manquer de passer pour plus acceptable, raisonnable, et bien entendu démocratique ; le terroriste est présentement cet ennemi idéal. C'est pourquoi le spectacle s'empresse toujours bientôt d'enfermer dans cette catégorie quiconque porte atteinte à une vie humaine dans nos rues, en particulier si il est musulman, puisque assurément, pense-t-on, on y gagnera toujours à accorder quelque exotisme à l'affaire. L'exotisme a ceci de spécifique en effet que, si il peut être encore assez souvent d'une grande valeur aux yeux de l'homo-marchandise en vacances à l'étranger, il est assez aisément perçu comme un danger aux yeux de ce même homo-marchandise dès lors qu'il se présente à lui dans les rues de sa propre cité. L'importante médiatisation de l'imbécile théorie du « grand remplacement », dont les vieilles têtes de cadavres Camus Houellebecq et Zemmour, entre autres, sont les apôtres dévoués, en atteste suffisamment. Ce n'est jamais tant toutefois l'origine réelle dudit terroriste qui importe, que la catégorie artificielle dans laquelle peut l'enfermer la sémiotique impérialo-marchande qui, dans le cas qui nous occupe, n'est guère plus que le langage policier du signalement officiel, où le tueur de masse déficient mental devient islamiste et l'inepte raciste devient ultra-droitiste, mais aussi où l'opposant politique quelque peu conséquent devient gauchiste voire parfois islamo-gauchiste, et l'insurgé conscient un casseur un pillard ou un ultra-gauchiste dès lors qu'il passe pour plus organisé. Aussi l'Empire-marchand fait-il régulièrement entrer tout ce petit vocable « exotique », simultanément ou non suivant des nécessités stratégiques qui lui sont propres, dans la catégorie fourre-tout des « individus appartenant à une association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste ».

De l'intelligence exotique

Il est notable, en particulier, que dans les temps où manquent les névrotiques massacreurs de passants, le spectacle – qui n'ignore plus qu'il ne se maintient que par la peur tant il lui est devenu impossible de se faire aimer – tend à engeôler plus promptement que de coutume dans le fourre-tout susdit une bonne part de ce qui se présente à lui comme une intelligence antagoniste. L'affaire dite de Tarnac en a suffisamment témoigné en 2008. Mais c'est que le terrorisme seul, aux yeux en tout cas de n'importe quel État spectaculaire-marchand, a pour lui d'être assez horrifiant pour justifier l'instauration de lois toujours plus liberticides et sécuritaires, de même qu'une présence policière, voire militaire, sans cesse renforcée : ce qui exige d'être anticipé même par beau temps, l'orage, se doit de l'être plus préventivement encore lorsque le vent se lève, et l'effroi qu'inspire le terroriste trouve justement son prolongement quotidien dans l'omniprésence militaro-policière et son haut potentiel de violence, et ce d'autant plus que la police ne se distingue guère du terrorisme autrement que par la légalité accordée à la violence de ses actes. C'est d'ailleurs pourquoi partout l'existence de l'un vient toujours intensifier et garantir l'existence de l'autre, et vice versa. C'est aussi pourquoi, nous l'avons vu, face à la trop longue absence de meurtriers mentalement déficients – du malheureux ayant soudain pété une durite au profond névrosé tueur de masse en passant par le djihadiste authentique – les services de l’État se devront toujours d'inventer une quelconque cellule ou mouvance terroriste au sein de leurs opposants politiques réels. Ainsi le complotisme du pouvoir en place, bel et bien véritable ici, espère-t-il assez souvent de faire d'une pierre deux coups, d'abord en justifiant et réaffirmant par là sans cesse la nécessité de mettre en œuvre une logique policière et sécuritaire implacable, ensuite en se débarrassant, ne serait-ce que provisoirement, de ses opposants les plus conséquents – qu'à la fin de tels opposants puissent lui faire perdre la face dans un tribunal ou ailleurs lui importe peu ; la calomnie reste, son renversement dans la déconfiture s'oublie [2].

Tarnac 00


De l'intello-démence exotique

Mais le concept de terrorisme est si ouvert, si englobant, du moins dans l'usage qu'en fait l'Empire-marchand, qu'il offre à la sémiotique policière de pouvoir si besoin est n'en forclore pour ainsi dire personne. Aussi la quantité peut-elle s'étendre à l'envie de ces vocables exotiques utilisés afin de provoquer l'inquiétude, et justifier diverses restrictions dans l'existence des personnes abstraitement réduites à ces derniers – de l'interdiction de manifester, par exemple, à l'assignation à résidence. L'apparition d'un vocable particulier dans le champ médiatico-policier dépend évidemment de l'état de la situation à laquelle est confronté le pouvoir : là où l'opposant à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou à l'enfouissement de déchets nucléaire à Bure sera qualifié d'éco-terroriste ou de djihadiste vert, le saboteur de flux économiques sera quant à lui affublé, plus légèrement si on veut, du titre d'anarcho-autonome ou de membre d'une cellule invisible à caractère terroriste. Nous en passons, puisque de toutes façons tout confine ici inlassablement à inventer de nouvelles catégories ayant à répondre à des menaces mouvantes, réelles ou prétendues telles, mais quoi qu'il en soit selon nous très rarement terroristes au contraire de ce que le spectacle veut laisser entendre à travers elles ; la terreur est toujours d’État : elle naît essentiellement de ceci qu'en assujettissant une ou plusieurs personnes à l'une des catégories abstraites susdites, ce dernier les rend « étranges » et par là même dangereux aux yeux de la majorité, et légitime ainsi l'instauration de tous les dispositifs de l'épouvante sécuritaire consacrée au contrôle de toutes et tous - la misère de notre époque veut que le terrorisme et l'anti-terrorisme soient les deux faces d'une même monnaie qui vise à mettre à bas la liberté.

De la possible infortune de l'exotisme

Mais parce qu'aucun État ne peut s'offrir d'enfermer une part trop importante de sa population dans la catégorie générale du terrorisme, le mouvement des gilets jaunes en France a montré une limite a sa sémiotique policière. Aussi a-t-il du se contenter longtemps d'essayer de diviser celui-là en essayant de séparer le bon grain de l'ivraie parmi les révoltés, en opposant le bon gilet jaune au vilain casseur-pillard, et ce toutefois sans pouvoir faire même de ce dernier un terroriste, à cause du trop grand nombre des premiers ayant pris l'habitude de côtoyer les seconds, et surtout parce que les rôles sont bientôt devenu fort souvent interchangeable à l'intérieur du mouvement. Pour le dire simplement, la multiplication des rencontres entre les uns et les autres sur le terrain de l'émeute, qui tend à abolir dans l'action les exotismes abstraits du spectacle, a tôt fait pour beaucoup de reléguer les peurs au loin, et a contraint l'État à se retirer sur une position plus défensive à partir de laquelle il a du montrer son vrai visage, réellement répressif et violent, véritablement terroriste. N'étant cependant pas à une absurdité près, la start-up-nation n'a pas manqué d'englober rapidement tout un chacun dans une conception élargie du management autoritaire. Si nous n'y trouvons plus la notion de terrorisme – celle-ci réapparaîtra bientôt de l'extérieur du soulèvement populaire, à Strasbourg, sous la forme habituelle du déficient mental tueur de rue [3] -, l'accusation très souvent préventive de « participation à un groupement formé en vue de commettre des violences ou des dégradations » garde néanmoins tout le flou nécessaire à une entreprise de dissuasion/répression susceptible de toucher le plus grand nombre. Autrement dit ici aussi l’État a cru bon de bricoler sa loi à partir du dispositif antiterroriste qu'il n'a cessé de développer ces dernières années, dispositif dont le flou est l'une des principales caractéristiques et dont l'objet a toujours été l'écrasement de la révolte et des mouvements sociaux dans leur ensemble.

DGSI

Dans l'Empire-marchand, les dominants, parce qu'ils n'ignorent pas l'illégitimité totale de leur position, sont d'une paranoïa telle qu'elle ne leur offre pas d'envisager celles et ceux qui leur sont socialement inférieurs autrement que comme des ennemis à contenir, ou des terroristes à abattre ; l'abc de la liberté veut que nous visions leur chute et plus encore celle de tous les dispositifs de notre asservissement, dont le terrorisme/antiterrorisme est un parfait exemple.

Léolo, le 17 décembre 2018

 

Notes :

1 – Le 5 novembre 2018, à Marseille, plusieurs immeubles de la rue d'Aubagne s'effondre à cause de leur vétusté, tuant huit personnes.

2 – Le procès de l'affaire dite de Tarnac fut à cet égard exemplaire, puisque les accusés et leurs avocats ridiculisèrent presque tout du long l'accusation comme la DGSI. Qui, toutefois, en aura été authentiquement informé, et, le cas échéant, aura su en tirer les conclusions qui s'imposent concernant le terrorisme et son revers l'antiterrorisme.

3 – Le 11 décembre 2018, à Strasbourg, alors que la révolte des « gilets jaunes » fait grand bruit depuis plusieurs semaines, un homme armé fait feu sur le marché de Noël et tue cinq personnes. Le petit monde médiatico-politique parle presque aussitôt d'attentat terroriste islamique.

12 décembre 2018

Du terrorisme

Du terrorisme

(par Guy Debord & avant actualisation de notre part)

Cette démocratie si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme. Elle veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats. L’histoire du terrorisme est écrite par l’État ; elle est donc éducative. Les populations spectatrices ne peuvent certes pas tout savoir du terrorisme, mais elles peuvent toujours en savoir assez pour être persuadées que, par rapport à ce terrorisme, tout le reste devra leur sembler plutôt acceptable, en tout cas plus rationnel et plus démocratique.

Guy-Debord

La modernisation de la répression a fini par mettre au point, d’abord dans l’expérience-pilote de l’Italie sous le nom de « repentis», des accusateurs professionnels assermentés ; ce qu’à leur première apparition au XVIIe siècle, lors des troubles de la Fronde, on avait appelé des «témoins à brevet». Ce progrès spectaculaire de la Justice a peuplé les prisons italiennes de plusieurs milliers de condamnés qui expient une guerre civile qui n’a pas eu lieu, une sorte de vaste insurrection armée qui par hasard n’a jamais vu venir son heure, un putschisme tissé de l’étoffe dont sont faits les rêves.

On peut remarquer que l’interprétation des mystères du terrorisme paraît avoir introduit une symétrie entre des opinions contradictoires ; comme s’il s’agissait de deux écoles philosophiques professant des constructions métaphysiques absolument antagonistes. Certains ne verraient dans le terrorisme rien de plus que quelques évidentes manipulations par des services secrets; d’autres estimeraient qu’au contraire il ne faut reprocher aux terroristes que leur manque total de sens historique. L’emploi d’un peu de logique historique permettrait de conclure assez vite qu’il n’y a rien de contradictoire à considérer que des gens qui manquent de tout sens historique peuvent également être manipulés ; et même encore plus facilement que d’autres. Il est aussi plus facile d’amener à « se repentir » quelqu’un à qui l’on peut montrer que l’on savait tout, d’avance, de ce qu’il a cru faire librement. C’est un effet inévitable des formes organisationnelles clandestines de type militaire, qu’il suffit d’infiltrer peu de gens en certains points du réseau pour en faire marcher, et tomber, beaucoup. La critique, dans ces questions d’évaluation des luttes armées, doit analyser quelquefois une de ces opérations en particulier, sans se laisser égarer par la ressemblance générale que toutes auraient éventuellement revêtue. On devrait d’ailleurs s’attendre, comme logiquement probable, à ce que les services de protection de l’État pensent à utiliser tous les avantages qu’ils rencontrent sur le terrain du spectacle, lequel justement a été de longue date organisé pour cela ; c’est au contraire la difficulté de s’en aviser qui est étonnante, et ne sonne pas juste.

L’intérêt actuel de la justice répressive dans ce domaine consiste bien sûr à généraliser au plus vite. L’important dans cette sorte de marchandise, c’est l’emballage, ou l’étiquette : les barres de codage. Tout ennemi de la démocratie spectaculaire en vaut un autre, comme se valent toutes les démocraties spectaculaires. Ainsi, il ne peut plus y avoir de droit d’asile pour les terroristes, et même si l’on ne leur reproche pas de l’avoir été, ils vont certainement le devenir, et l’extradition s’impose. En novembre 1978, sur le cas de Gabor Winter, jeune ouvrier typographe accusé principalement, par le gouvernement de la République Fédérale Allemande, d’avoir rédigé quelques tracts révolutionnaires, Mlle Nicole Pradain, représentant du ministère public devant la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Paris, a vite démontré que « les motivations politiques », seule cause de refus d’extradition prévue par la convention franco-allemande du 29 novembre 1951, ne pouvaient être invoquées :

«Gabor Winter n’est pas un délinquant politique, mais social. Il refuse les contraintes sociales. Un vrai délinquant politique n’a pas de sentiment de rejet devant la société. Il s’attaque aux structures politiques et non, comme Gabor Winter, aux structures sociales.» La notion du délit politique respectable ne s’est vue reconnaître en Europe qu’à partir du moment où la bourgeoisie avait attaqué avec succès les structures sociales antérieurement établies. La qualité de délit politique ne pouvait se disjoindre des diverses intentions de la critique sociale. C’était vrai pour Blanqui, Varlin, Durruti. On affecte donc maintenant de vouloir garder, comme un luxe peu coûteux, un délit purement politique, que personne sans doute n’aura plus jamais l’occasion de commettre, puisque personne ne s’intéresse plus au sujet ; hormis les professionnels de la politique eux-mêmes, dont les délits ne sont presque jamais poursuivis, et ne s’appellent pas non plus politiques. Tous les délits et les crimes sont effectivement sociaux. Mais de tous les crimes sociaux, aucun ne devra être regardé comme pire que l’impertinente prétention de vouloir encore changer quelque chose dans cette société, qui pense qu’elle n’a été jusqu’ici que trop patiente et trop bonne ; mais qui ne veut plus être blâmée.

Guy-Ernest Debord, Commentaires sur la société du spectacle, 1988.

3 décembre 2018

Prochaine station : destitution

PROCHAINE STATION : DESTITUTION

« Contrairement à tout ce que l’on peut entendre, le mystère, ce n’est pas que nous nous révoltions, mais que nous ne l’ayons pas fait avant. »

paru dans lundimatin#168, le 3 décembre 2018

Contrairement à tout ce que l’on peut entendre, le mystère, ce n’est pas que nous nous révoltions, mais que nous ne l’ayons pas fait avant. Ce qui est anormal, ce n’est pas ce que nous faisons maintenant, mais ce que nous avons supporté jusque-là. Qui peut nier la faillite, à tous points de vue, du système ? Qui veut encore se faire tondre, braquer, précariser pour rien ? Qui va pleurer que le XVIe arrondissement se soit fait dépouiller par des pauvres ou que les bourgeois aient vu flamber leurs 4X4 rutilants ? Quand à Macron, qu’il arrête de se plaindre, c’est lui-même qui nous a appelés à venir le chercher. Un État ne peut pas prétendre se légitimer sur le cadavre d’une « glorieuse révolution » pour ensuite crier aux casseurs dès qu’une révolution se met en marche.

Gilets jaunes Paris 1 déc 2018 01

La situation est simple : le peuple veut la chute du système. Or le système entend se maintenir. Cela définit la situation comme insurrectionnelle, ainsi que l’admet désormais la police elle-même. Le peuple a pour lui le nombre, le courage, la joie, l’intelligence et la naïveté. Le système a pour lui l’armée, la police, les médias, la ruse et la peur du bourgeois. Depuis le 17 novembre, le peuple a recours à deux leviers complémentaires : le blocage de l’économie et l’assaut donné chaque samedi au quartier gouvernemental. Ces leviers sont complémentaires parce que l’économie est la réalité du système tandis que le gouvernement est celui qui le représente symboliquement. Pour le destituer vraiment, il faut s’attaquer aux deux. Cela vaut pour Paris comme pour le reste du territoire : incendier une préfecture et marcher sur l’Élysée sont un seul et même geste. Chaque samedi depuis le 17 novembre à Paris, le peuple est aimanté par le même objectif : marcher sur le réduit gouvernemental. De samedi en samedi, la différence qui se fait jour tient 1 - à la croissante énormité du dispositif policier mis en place pour l’en empêcher , 2 - à l’accumulation d’expérience liée à l’échec du samedi précédent. S’il y avait bien plus de gens avec des lunettes de piscine et des masques à gaz ce samedi, ce n’est pas parce que des « groupes de casseurs organisés » auraient « infiltré la manifestation », c’est simplement que les gens se sont fait extensivement gazer la semaine d’avant et en ont tiré les conclusions que n’importe qui de sensé en tire : venir équipé la fois d’après. D’ailleurs, il ne s’agit pas d’une manifestation ; il s’agit d’un soulèvement.

Si des dizaines de milliers de personnes ont envahi le périmètre Tuileries-Saint Lazare-Étoile-Trocadéro, ce n’est pas en vertu d’une stratégie de harcèlement décidée par quelques groupuscules, mais d’une intelligence tactique diffuse des gens, qui se trouvaient simplement empêchés d’atteindre leur objectif par le dispositif policier. Incriminer l’« ultra-gauche » dans cette tentative de soulèvement ne trompe personne : si l’ultra-gauche avait été capable de conduire des machines de chantier pour charger la police ou détruire un péage, cela se saurait ; si elle avait été si nombreuse, si désarmante et si courageuse, cela se saurait aussi. Avec ses soucis essentiellement identitaires, ladite « ultra-gauche » est profondément gênée par l’impureté du mouvement des gilets jaunes ; la vérité, c’est qu’elle ne sait pas sur quel pied danser, qu’elle craint bourgeoisement de se compromettre en se mêlant à cette foule qui ne correspond à aucune de ses catégories. Quant à l’« ultra-droite », elle est prise en sandwich entre ses moyens et ses fins supposées : elle fait le désordre en prétextant l’attachement à l’ordre, elle caillasse la police nationale tout en déclarant sa flamme à la police et à la nation, elle veut couper la tête du monarque républicain par amour d’un roi inexistant. Sur ces points, il faut donc laisser le ministère de l’Intérieur à ses divagations ridicules. Ce ne sont pas les radicaux qui font le mouvement, c’est le mouvement qui radicalise les gens. Qui peut croire que l’on réfléchit à déclarer l’état d’urgence contre une poignée d’ultras ?

Ceux qui font les insurrections à moitié ne font que creuser leur propre tombeau. Au point où nous en sommes, avec les moyens de répression contemporains, soit nous renversons le système, soit c’est lui qui nous écrase. Ce serait une grave erreur d’appréciation que de sous-estimer le niveau de radicalisation de ce gouvernement. Tous ceux qui se placeront, dans les jours qui viennent, en médiateurs entre le peuple et le gouvernement, seront déchiquetés : plus personne ne veut être représenté, nous sommes tous assez grands pour nous exprimer, pour voir qui cherche à nous amadouer, et qui à nous récupérer. Et même si le gouvernement reculait d’un pas, il prouverait par là que nous avions raison de faire ce que nous avons fait, que nos méthodes sont les bonnes.

La semaine prochaine est donc décisive : soit nous parvenons à mettre à l’arrêt à plus nombreux encore la machine économique en bloquant ports, raffineries, gares, centres logistiques, etc., en prenant vraiment le réduit gouvernemental et les préfectures samedi prochain, soit nous sommes perdus. Samedi prochain, les marches pour le climat, qui partent du principe que ce n’est pas ceux qui nous ont menés à la catastrophe présente qui vont nous en sortir, n’ont pas de raison de ne pas confluer dans la rue avec nous. Nous sommes à deux doigts du point de rupture de l’appareil gouvernemental. Soit nous parvenons dans les mois qui viennent à opérer la bifurcation nécessaire, soit l’apocalypse annoncée se doublera d’une mise au pas sécuritaire dont les réseaux sociaux laissent entrevoir toute l’étendue imaginable.

La question est donc : que signifie concrètement destituer le système ? De toute évidence, cela ne signifie pas élire de nouveaux représentants puisque la faillite du régime actuel est justement la faillite du système de la représentation. Destituer le système, c’est reprendre en main localement, canton par canton, toute l’organisation matérielle et symbolique de la vie, car c’est précisément l’organisation présente de la vie qui est en cause, c’est elle qui est la catastrophe. Il ne faut pas craindre l’inconnu : on n’a jamais vu des millions de personnes se laisser mourir de faim. De même que nous sommes tout à fait capables de nous organiser horizontalement pour faire des blocages, nous sommes capables de nous organiser pour remettre en marche une organisation plus sensée de l’existence. De même que c’est localement que la révolte s’est organisée, c’est localement que les solutions seront trouvées. Le plan « national » des choses n’est que l’écho que se font les initiatives locales.

Nous n’en pouvons plus de devoir compter pour tout. Le règne de l’économie, c’est le règne de la pénurie parce que c’est en tout le règne du calcul. Ce qu’il y a de beau sur les blocages, dans la rue, dans tout ce que nous faisons depuis trois semaines, ce qui fait que nous sommes en un sens déjà victorieux, c’est que nous avons cessé de compter parce que nous avons commencé à compter les uns sur les autres. Quand la question est celle du salut commun, celle de la propriété juridique des infrastructures de la vie devient un détail. La différence entre le peuple et ceux qui le gouvernent, c’est que lui n’est pas composé de crevards.

Gilets jaunes Paris 1 déc 2018

 

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