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Amour, émeute et cuisine

Amour, émeute et cuisine
  • Quelques pensées sur la civilisation, considérée dans ses aspects politiques, "philosophiques", et culinaires, entre autres. Il y sera donc question de capitalisme, d'Empire, de révolte, et d'antiterrorisme, mais aussi autant que faire se peut de cuisine.
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7 avril 2020

Non assistance à peuple en danger

Non assistance à peuple en danger

Mad Marx

 En réaction à l’impéritie des gouvernants français face au coronavirus, les critiques pleuvent et les dépôts de plaintes se multiplient. Depuis que la pandémie a été officiellement reconnue comme telle, il n’est pas un jour sans que de nouvelles accusations surgissent contre les représentants de l’État : irresponsabilité, incapacité, imprévoyance, aveuglement, explications contradictoires, mensonges éhontés, silences complices, amnésie simulée, statistiques truquées, destruction programmée des services publics de santé, inféodation aux cliniques et aux laboratoires privés… Avec le refus des soi-disant «autorités» françaises d’appliquer un médicament, la chloroquine, qui semble pourtant avoir fait ses preuves, sous prétexte qu’il n’est pas homologué par un «conseil scientifique» suspecté de complaisance voire de docilité à l’égard d’un pouvoir politique lui-même soumis à big pharma, l’obligation imposées aux soignants, de manière plus ou mois implicite mais de plus en plus évidente, de faire le tri entre les malades à sauver et ceux considérés comme perdus, suscite une indignation accrue de la part d’une «opinion publique» qui s’en laisse de moins en moins conter par les médias dominants.

Voilà bien ce qui devrait inciter à écourter au plus vite un mandat présidentiel qui n’a déjà que trop duré : celui d’Émmanuel Macron. Encore faudrait-il toutefois que ce que l’on appelle «l’opposition», de gauche notamment, cesse de se complaire, comme elle l’a fait jusqu’ici, en critiques dont la virulence n’a d’égal que l’innocuité pratique. Hélas, on en est loin.

Bréviaire de l’alter-capitalisme citoyenniste, Le Monde diplomatique n’a pas dérogé à la ligne idéologique qui est la sienne : dans le dossier qu’il se devait de confectionner sur un événement dont les pouvoirs en place s’autorisent pour boucler chez elle, faute de mieux, la majeure partie de la population qui, par leur faute, survit tant bien que mal à la pandémie, on chercherait en vain trace d’une quelconque incitation, fût-elle euphémisée dans le langage diplomatique qui convient, à la sédition populaire. Si l’on en croit l’éditorial pondu à cette occasion sous le titre martial, Dès maintenant !, par Serge Halimi, le directeur de rédaction, cette catastrophe planétaire devrait rendre urgente la formation d’«une coalition politique anticapitaliste assez puissante pour imposer, dès maintenant, un programme de rupture». On sait pourtant, aux vu des précédents, qu’il ne ferait, une fois de plus, qu’obéir au précepte qui assure depuis des lustres au capitalisme sa pérennité : le changement dans la continuité[1].

Plus à gauche, si l’on peut dire, Lundi matin n’est pas en reste. Bible des adeptes de ce que l’un de ses inspirateurs, l’ex-situ Raoul Vanneighem appelle sans rire le «pacifisme insurrectionnel», oxymore de son cru qui condense de manière cocasse l’impasse contradictoire où aime batifoler depuis un demi-siècle la rebellitude de confort, l’un des contributeurs du site régale ses lecteurs d’une alternative innovante : «L’économie ou la vie». Ponctuée elle aussi d’un «Maintenant» viril, sans point d’exclamation mais asséné et répété avec l’énergie factice dont les anarchoïdes aiment à faire montre dans leurs proclamations sans lendemains qui chantent, elle est censée renvoyer à un passé irrémédiablement dépassé celle posée par Rosa Luxembourg depuis la prison où son refus de la guerre l’avait conduite : «Socialisme ou barbarie ?»[2].

En guise d’alternative, non pas au capitalisme, qui risque de sortir une fois encore indemne de la «crise» avec de pareils opposants, mais au communisme, décrété d’un autre âge, notre gogôche écologisée et, osons le dire, egologisée jusqu’à la moelle, nous offre le retour au «commun», aux «communaux» voire à la «commune» — dépouillée bien sûr des réminiscences sanglantes laissées par son écrasement au printemps 1871 —, aménagés dans les espaces interstitiels sous le signe du «partage» et de la «coopération», que la classe dirigeante, dans sa bienveillance, c’est-à-dire pour avoir la paix, aura abandonnés aux bons soins de ceux qui ne lui reprochent finalement que de régner sans partage.

C’est ainsi, parmi d’autres exemples que l’on pourrait multiplier, qu’un contributeur occasionnel du Diplo, chercheur en anthropologie politique de son état… et d’État, convié lui aussi à tirer les leçons de la pandémie et de sa gestion calamiteuse, croit discerner «la société du futur vivable» comme «organisée par des entités petites et conviviales […]»[3]. Une autre contributrice au même mensuel, régulière celle-là, n’y va pas par quatre chemins en empruntant celui, allant dans le même sens, tracé par un autre anthropologue dans la forêt mexicaine des Chiapas pour y puiser son modèle d’«espaces libérés» chez les Indiens zapatistes — en omettant fortuitement qu’ils l’ont été les armes à la main[4]. Pour «réinventer l’humanité…», intitulé pour le moins ambitieux de cette contribution, «c’est bien sûr [sic] d’abord au local, dans de petites communautés, que peut s’élaborer ainsi, “de manière balbutiante”, un autre mode du vivre ensemble, convergence entre la capacité coopérative et l’épanouissement des singularités»[5]. En réalité, c’est à réinventer le fil à couper un beurre devenu rance qu’est consacré cet article, celui des «espaces infinis qui s’ouvrent à l’autonomie», en fait des enclaves exigües autogérées, qu’avaient cru découvrir il y a un demi siècle Gilles Deleuze et Félix Guattari, deux des mentors en vue de la mouvance anarcho-désirante issue du reflux de la «contestation» soixante-huitarde, ancêtre de la nouvelle vague anarchoïde contemporaine.

Découvrant sur le tard le caractère avant tout destructeur du mode de production capitaliste, tout ce petit monde lettré qui se dit «degôche», très représentatif de la «classe moyenne éduquée», c’est-à-dire d’une petite bourgeoisie intellectuelle velléitaire à bout de souffle historique, ne trouve ainsi rien de mieux à faire, plutôt que de chercher à en finir avec le capital en commençant par appeler à évincer sans préavis ses fondés de pouvoir à la faveur d’une «crise sanitaire» que ceux-ci n’ont fait qu’aggraver, que d’ériger prudemment sa petitesse en mesure du monde au moment où la mondialisation capitaliste, presque parachevée, produit ses effets les plus délétères. Et cela en recyclant en douce le vieux slogan small is beautiful pour habiller de neuf et valoriser sous le signe d’une «émancipation heureuse»[6] un anticapitalisme de pacotille.

Dans ce numéro printanier du Diplo décidément riche en inepties politico-idéologiques, figure un autre article, inspiré de part en part par un citoyennisme exacerbé. Sous la double signature d’un «constituant» invétéré et d’un pilier féminin du journal, experte en démocratie représentative, il en ressort que «le rapport de forces idéologique et les luttes populaires doivent trouver leur expression dans les nouvelles institutions sous peine de les voir surgir sous d’autres formes»[7]. Des formes violentes véritablement effrayantes dont «les attaques de domiciles des élus de la majorité durant l’été 2019 et l’hiver 2019-2020 constituent le symbole» ou, horresco referens, les «guillotines de carton» construites par des gilets jaunes en furie. Pour prévenir de tels «excès» et d’autres plus terribles encore, rien de tel qu’un «changement d’institutions» qui s’appuierait sur «une reconstruction du peuple républicain, c’est-à-dire une réappropriation de la chose publique par les citoyens». Comment ? «En construisant le rapport de forces, le mouvement social» qui «doit, comme toujours [sic], faire évoluer le droit», et non, au grand jamais, mettre un terme définitif au règne de la bourgeoisie. «La Ve République en coma politique», tel est l’intitulé de ce papier soporifique. Mais que dire alors de cette gauche bien pensante dont les duettistes assoupis du Diplo qui l’ont signé sont de parfaits représentants ! Rappelons-nous à cette occasion le couplet final du Mariage de Figaro de Beaumarchais :

"Or, Messieurs la comédie
Que l’on juge en cet instant,
Sauf erreur, nous peint la vie
Du bon peuple qui l’entend.
Qu’on l’opprime, il peste, il crie,
Il s’agite en cent façons,
Tout finit par des chansons..."

Au Diplo, tout doit finir — sauf, bien sûr, le capitalisme — par des élections qui accoucheront d’une nouvelle constitution.

Jean-Pierre Garnier 

Après la crise covid19 tous dans la rue net

Notes :

1 - Les gens qui n’ont la mémoire aussi courte que la vue, se souviendront peut-être de la célèbre proclamation d’une fripouille politicienne rescapée de la IVe République, François Mitterrand, lors du congrès fondateur du PS à Épinay en 1971 :« Celui qui n'accepte pas la rupture avec l'ordre établi, avec la société capitaliste. Celui-là, je le dis, ne peut pas être adhérent du Parti socialiste.» À cet égard, Halimou se montre fidèle à la tradition de ce qui deviendra la deuxième droite.

2 - Le NPA, dont on se demande toujours en quoi consiste la nouveauté dont il se réclame en matière d’anticapitalisme, mis à part l’électoralisme et le goût pour les plateaux de télévision de ses deux leaders, semble infirmer ce jugement. «Encore et toujours, socialisme ou barbarie», pouvait-lire récemment en une de son site. Suivaient quelques extraits de la prose de Rosa qui «résonnent toujours en cette période de coronavirus». Le hic est que la virulence des propos cités de la révolutionnaire allemande contre la bourgeoisie de l’époque contraste singulièrement avec la fadeur, sur le fond comme dans la forme, de la prose lâchée par les falots héritiers hexagonaux de Trotski contre le «macronisme».

3 - Denis Duclos, «Viralité et confinement», Le Monde diplomatique, avril 2020.

4 - Jérôme Baschet, « Une juste colère . Interrompre la destruction du monde », Divergences, 2019.

5 - Evelyne Pieiller, «Réinventer le monde…», Le Monde diplomatique, avril 2020.

6 – Ibid.

7 - André Bellan et Anne-Cécile Robert, «La Ve République en coma politique», Le Monde diplomatique, avril  2020.

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7 avril 2020

La stratégie du choc

La stratégie du choc

documentaire de Michael Winterbottom et Mat Whitecross, et tiré du livre de Naomie Klein (2010)

6 avril 2020

CoronaVirtuel, une certaine immunité policière

CoronaVirtuel
une certaine immunité policière

L'accélération de la venue du désastre, par le truchement d'un virulent virus, n'a pas épargné jusqu'aux élections, qui se sont vues obligées de dévoiler concrètement leur réalité mortifère, là où devant ça en quelque sorte elle ne se montrait que symboliquement, dans le seul recueillement des urnes.*

Jamais la matraque policière ne se croit si génial qu'en présence d'un désastre ; ce début de vingt-et-unième siècle est son royaume des cieux.*

Le désastre est là, qui n'est pas le résultat d'un virus, fût-il un covid-19, mais d'un monde : l'économie impérialo-marchande, et l'étouffant décor qu'elle impose.*

Mégalopole 01net

Que le confinement d'une grande part de la population mondiale ait pu se faire avec le consentement de presque tout un chacun, c'est là sans doute ce que seul un virus pouvait accomplir ; la diligence avec laquelle il y est parvenu fait d'ores et déjà rêver toutes les polices du globe : le covid19 forme la flicaille.

Aucun complot capitaliste ou révolutionnaire n'aura donc été nécessaire pour bloquer la quasi totalité de l'activité humaine et économique mondiale ; un virus y a presque suffi. Presque, parce qu'en réalité nous pouvions voir dès avant son apparition qu'étant déjà parvenu au moment de son incapacité à surmonter ses propres contradictions, l'auto-mouvement catastrophique de la marchandise autonome nous rapprochait déjà du désastre. En sorte que le coronavirus n'a finalement guère joué d'autre rôle que celui d'accélérateur de la cadence mécanique des rapports de production et des variabilités tremblantes de la valeur d'échange qui nous conduisent à l'abîme. Rien n'eût pu mieux confirmer Marx, et Foucault[1] d'un même trait ; la fuite, elle, se voit plus que jamais condamnée à rester virtuelle : le désastre a lieu sans lieu, en quoi il est présentement partout ; le confinement sous contrôle aussi, au sein duquel chacun n'a plus de contact avec l'extérieur de sa cellule payante autrement que par des intermédiaires technologiques. Tout n'y est plus bientôt que mensonge de l'âme, puisque les corps y sont absents, et sous contrôle policier. Ici maintenant la tyrannie de l'idéalisme platonicien trouve de quoi s'exercer à une échelle inconnue jusqu'alors, et tout corps plongé dans la rue risque à chaque instant d'avoir à rompre, au mieux sous le joug des exhortations à rester chez soi cyber-signalées par un drone, au pire sous les coups matraquant de la police – le mieux ici n'étant pas l'ennemi du pire, il y a loin, et il ne faut pas s'attendre à ce que la fin de la pandémie entérine d'une quelconque manière la fin aussi de cette funeste collusion de la police avec la technologie.

A bien y regarder, la pneumopathie virale n'aura été qu'une occasion supplémentaire pour tester l'efficience à grande échelle de ce qui était déjà là : la techno-police, dont la fonction essentiellement « prophylactique » a depuis longtemps pour objet de surveiller et contrôler les corps-et-âmes, et principalement à l'évidence les corps-et-âmes de la plèbe. Que d'ailleurs nombre de dominants occidentaux se soient soudain mis à exprimer une admiration certaine pour l'organisation sociale de la Chine[2], en dit assez long sur ceci qu'à leurs yeux maintenant le « progrès » ne peut plus tenir que du monde-augmenté, c'est-à-dire cyber-policé au point qu'ici et là nul n'ait plus d'autre choix que l'auto-coercition de soi et le flicage perpétuel d'autrui. Les chinois ont d'ores et déjà en effet subi cet ultime saut qualitatif, qui les soumet dans chaque instant à l'œil de Pékin ou à celui de l'entreprise où ils travaillent, et par là même à la peur du singulier – le permis d'existence à points, en Chine, n'est plus cette analogie caricaturale du permis de conduire dont les humoristes français aiment parfois de rire sur scène, mais une réalité peu amène qui ne souffre pas d'exception[3]. Tandis que nous riions encore, le permis existentiel de « bonne conduite » pointait déjà à l'horizon : la domestication des corps-et-âmes de la plèbe se fera jusque dans ses chiottes ; la machination industrialo-marchande n'y suffit plus, et les étrons dans la cuvette, si ils étaient sans surveillance, risqueraient sans doute aussi trop souvent de rappeler à la susdite plèbe combien sont à chier tous les « gestionnaires du monde ».

« Le confinement ou la mort » a donc en un coup remplacé « la liberté ou la mort » sur l'échiquier de nos combats, et aussitôt le branle-bas des études comportementalistes a été sonné, la sociologie des comiques troupiers du « macronisme » a commencé d'exsuder ses expertises captieuses quant à la docilité heureuse des confinés - non sans que parmi ces spécialistes les plus insidieux racistes en profitassent pour exprimer en même temps leur désarroi devant le péril d'une supposée irresponsabilité des banlieusards -, la logorrhée des éditorialistes a rejailli de plus belle en célébrant de toute façon ce qu'elle célèbre en tout temps : le « génie » de l'économie marchande, mais cette fois pour en appeler à tout mettre en œuvre pour en sauver, sinon la totalité, du moins l'essentiel ; et les psychologues ont été invités à conseiller médiatiquement la plèbe, afin qu'elle ne sombrât pas dans une dépression qui pourrait la conduire à défier définitivement tout retour à la « normale ». C'est que les plébéiens ont parfois de ces drôles de sensations où l'écœurement le dispute à la soumission aveugle, et à partir de quoi ils découvrent que leur dépression n'est pas du jour, mais le résultat d'un confinement plus ancien et plus coutumier – la « normale », c'est la dépression. L'enferment obligé du moment laisse en effet sentir que la séparation n'est pas le seul fait des quatre murs de son appartement, fût-il de l'étroitesse d'un cachot, mais la conséquence directe et brutale de l'ensemble des rapports de production marchands, dont l'urbanisme et l'incessante accélération des flux sont aujourd'hui parmi les contrecoups les plus criants, encore que notre acclimatement naturel nous les rende la plupart du temps peu visibles. Quoi qu'il en soit, on[4] s'est jusqu'ici réjoui dans toutes les hautes sphères de l'impérialisme marchand de ceci que les experts en expertises des affects et des attitudes humaines aient assez tôt conclu à l'avèrement d'un indéfectible et moutonnier respect du peuple pour les injonctions, même contradictoires, qui des autorités descendent jusqu'à lui ; mais on s'est réjoui plus encore de ce qu'on allait pouvoir faire de ce monde presque entièrement sous cloche[5] un véritable laboratoire d'études béhavioristes[6].

On ne se cache plus en effet en haut lieu que les déterminismes sociaux, qui ont jusqu'à présent garanti la constance de l'ordre bourgeois, commencent de montrer leur insuffisance quant à la possibilité d'entretenir encore longtemps l'ordre susdit - le mouvement des gilets jaunes et tant d'autres en France comme ailleurs en témoignent -, et ce malgré l'indéniable puissance de ses dispositifs, et dans une moindre mesure de ses stipendiaires. Il se murmurerait même, chez les avertis autorisés à conseiller l'élite, que la société n'est plus. C'est pourquoi plus que tout autre on a multiplié et on multiplie encore les dispositifs consacrés à la surveillance et au contrôle des corps-et-âmes de l'humanité, c'est pourquoi aussi après avoir constaté l'impossibilité de sauver l'économie on a très tôt perçu la nécessité, bien réelle, de leur confinement comme une aubaine : rien n'eût pu mieux ré-assujettir d'abord les manifestants et émeutiers de toute sorte que ce presque emmurement rendu acceptable par contagion ; rien n'eût pu mieux ensuite offrir l'occasion d'expérimenter un « loft story » sur une si grande échelle, et dans des conditions au combien plus critiques la plupart du temps pour les néo-lofteurs forcés ; rien enfin n'eût pu non plus faciliter à ce point l'édition en urgence de lois sécuritaires dont la scélératesse confine à la plus pure sécheresse des autocraties les plus extrêmes. C'est que le capitalisme avait déjà devant ça un peu partout en quelque sorte réussi ce sombre exploit d'associer le pire du vieux libéralisme occidental au pire de la vieille bureaucratie "stalinienne" - l'Empire-marchand était à ce prix ; sa survie dans l'effondrement ne peut plus avoir lieu maintenant qu'au prix d'un asservissement universel augmenté, dont la cybernétique est le fer de lance, et la police un opérateur zélé. L'algorithme et la garde à vue comme dispositifs d'assignation des êtres à des catégories abstraites, socialement sur-déterminantes et sur-déterminées ; car si on sait ne plus pouvoir sauver l'intégralité du monde marchand, du moins pense-t-on en conserver l'Empire, et la bourgeoise aristocratie qui en émane et s'y complaît dans la morgue insane des fétichistes de l'avoir-néant, et la plèbe qui en émane elle-aussi, mais y souffre en esclave. La catastrophe marchande était une tannée, on voudra le désastre qui en découle effrayant pour les foules, afin des les convaincre de ceci que les institutions qui les y ont poussées sont encore celles-là mêmes qui seront les seules capables de les en protéger. La peur appelle l'autorité ; elle rend l'autocratie acceptable.

Ainsi la misère d'un ordre qui a tant travailler à faire durer la catastrophe ne devrait pas manquer à présent de tout faire aussi pour favoriser la perpétuation du désastre. Cette misère ne connaît qu'un mot d'ordre : « tout sauf le communisme ! »[7] - mais on ne se repaît pas des entrailles du désastre comme on se gave de son avant-goût catastrophique ; le désastre a toujours d'emblée le goût de la décomposition totale de l'ordre où il s'inscrit, et qui l'a fait naître. Le désastre est cette décomposition même, et l'impossibilité d'un retour à son antécédence ; il ne laisse de sortie que la mort ou son dépassement, icelui dépassement d'ailleurs peut être aussi bien révolutionnaire que dystopique – la seconde option a malheureusement pris depuis longtemps avantage sur la première ; le confinement y concourt.

Comme dépassement, la dystopie n'est bien notoirement qu'une autre forme du désastre, son approfondissement augmenté, une extinction sous contrôle : tout y est virtuel, de la marchandise devenue sans objet aux rapports sociaux, sauf la mort... en développement durable.

La révolution, c'est tout le contraire !

Léolo, le 06/04/2020

Robot policier

Notes :

1 – Au moins pour ce qui est de son plus célèbre ouvrage : « Surveiller et punir ».

2 – Les « élites » occidentales, face au désastre issu de leur propre administration, n'oublierons pas bien sûr de s'acharner ensuite à nouveau sur la Chine en l'accusant d'avoir menti tant sur les effets réels du virus que sur les résultats de sa gestion de l'épidémie. Mais c'est seulement qu'il s'agit toujours après tout comme après coup pour ces élites occidentales de se mettre à la hauteur de la puissance chinoise, en falsifiant à leur tour toute l'histoire, afin au moins en particulier de se défausser de leurs insuffisances endémiques. Et qui mieux en effet que la lointaine Chine pour servir un temps de bouc-émissaire à peu de frais, et ce d'autant plus qu'on aura trouvé en Corée du Sud et à Taïwan deux autres modèles plus présentables et tout aussi techno-policiers.

3 – Il est tout à fait remarquable, à cet égard, que plus l'industrie capitaliste a été autorisée par la bureaucratie pseudo-communiste a diversifier l'apparence vestimentaire des chinois, plus aussi elles les ont contraint à l'uniformité. L'occident connaît lui-aussi cette misère, mais encore seulement dans la variété diffuse imposée par chaque mode et chaque marque. Cela tient sans doute au fait que la bureaucratie s'y exerce plus en retrait, quoique de moins en moins et plus pour très longtemps si rien ne vient entraver le développement actuel des choses.

4 – A chaque fois que dans cet article « on » apparaît en italique, c'est pour signifier que nous parlons là de la domination en général, laquelle comprend tout ce que la misère marchande contient de contributeurs à l'anéantissement du vivant : du gouvernant étatique au grand patron d'entreprise, de l'incurable bourgeois à l'imbécile prêcheur religieux, du zélé flicard à l'expert en tout, bref de toutes celles et ceux qui consciemment ou non sont au service de tous les dispositifs impérialo-marchands.

5 – Lire à cet égard l'intéressant roman – du moins dans sa première partie - de Stephen King : « Dôme ».

6 – Le béhaviorisme est une méthode psychologique qui prétend saisir les êtres en se fondant uniquement sur leur observation objective, c'est-à-dire en se basant uniquement sur leurs comportements extérieurs.

7 – Et ce mot d'ordre est celui de toutes les idéologies politiques, il est même l'idéologie en soi, qui court de l'extrême droite à l'extrême gauche du capitalisme. Là en effet où la droite a généralement pour fonction de libérer les forces du capitalisme, la gauche a toujours seulement pour fonction, elle, d'en sauver l'essentiel au moment qu'une crise en menace la survie. Autrement dit là où la droite attise les puissances délétères du marché jusqu'à l'incendie, la gauche les relance à partir des braises.

* Banalités de base n°2, de Léolo (ouvrage en cours d'écriture).

4 avril 2020

L'autogestion en Algérie

Ahmed Mahsas, L'Autogestion en Algérie

L'autogestion en Algérie, Données politiques des ses premières étapes et de son application, de Ahmed Mahsas.*

4e de couverture : La lutte de libération sous toutes ses formes a mobilisé les masses populaires et élevé leur conscience politique. Ce potentiel précieux, résultat de sacrifices immenses, a permis de constituer dans la première étape de la libération l'ossature de l'organisation du pays. Mais la lutte pour le pouvoir et son corollaire, les crises successives, ont introduit dans les institutions des germes de contradictions qui affaiblissent la base du régime. Le succès de l'autogestion en Algérie dépendait de l'ensemble des éléments en interaction sur le plan national. Par un choix délibéré d'une approche critique des problèmes, l'auteur a tenté d'expliquer les faits négatifs rencontrés tant au niveau du secteur socialiste agricole qu'à celui des structures nationales. Le régime de Boumédiène a tenté jusqu'ici de nier les résultats positifs de l'expérience Ben Bella et de valoriser, de ce fait même, ses propres réalisations. "Si on peut, à juste titre, critiquer tel ou tel aspect de l'ancien régime et ses contradictions, on est en droit, écrit l'auteur, de démentir les allégations et les prétentions du régime actuel quant à ses réussites."

Extrait n°1 : Socialisme de mouvement, démocratie directe entre le sommet et la base, réduction des organismes intermédiaires ou de leur rôle, confiance dans une certaine spontanéité de la base, action et parfois activisme personnel, semblent les traits marquants de l'idéologie que Ben Bella imprimait au régime. Il est difficile de déterminer à quel niveau ces thèmes procédaient de la conviction doctrinale ou des nécessités de l'exercice du pouvoir.

Extrait n°2 : La spontanéité, lors même qu'elle se manifeste, n'est pas durable. Continuer de s'en inspirer comme semblait le faire le pouvoir, c'était exposer l'expérience naissante à de grandes difficultés.

Extrait n°3 : Leu conflit latent reposait officiellement sur le rôle du parti et de l'Etat, sur la prééminence à accorder à l'un ou à l'autre. Khyder revendiquait le rôle dirigeant du F.L.N. selon le programme de Tripoli. Ben Bella pensait (à l'époque) que le F.L.N. n'était qu'un rassemblement de masse à contenu idéologique limité et incapable de réaliser "les options". C'était donc à l'Etat qu'il revenait de diriger la vie du pays et de mettre en pratique ces dernières.

Extrait n°4 : Cependant l'ambition de réaliser un idéal doit être ajustée aux possibilités objectives du milieu.

*On trouvera, concernant la lutte des opprimés dans le monde, nombre de textes gratuits en ligne sur le site "Bibliothèque Jugurtha".

4 avril 2020

Aujourd'hui, les gestes barrières. Demain, les gestes barricades.

Aujourd'hui les gestes barrières, demain les gestes barricades

Aujourd'hui, les gestes barrières. Demain, les gestes barricades.

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4 avril 2020

Vingt-cinquième festivité : Ô vieillesse ennemie !

Vingt-cinquième festivité : Comme une pneumopathie virale continuait de s'étendre sur tout le beau territoire de Francie - malgré le confinement quasi cellulaire prolongé de presque tout un chacun -, et qu'il s'agissait dès lors plus que jamais de réagir au plus vite en haut lieu afin de limiter le nombre de morts, on y fit une fois encore monstration du génie jupitérien dont on savait pouvoir se flatter d'être les plus sûrs mandataires, en décidant d'un coup d'un seul et sans sourciller de déconfiner dans tous les hospices de la vieillesse du royaume le recours sans limite à l'euthanasie. Qu'une telle décision pût sembler tenir du plus parfait paradoxe n'inquiéta pas outre mesure ; c'était après tout un paradoxe de cadavres exquis, qui ne pourrait manquer d'instruire incidemment une plèbe toujours mal dégrossie des plus grandes beautés du surréalisme.

Vieille doigt d'honneur

3 avril 2020

Bibliothèque Jugurtha

Bibliothèque Jugurtha

textes et livres en ligne gratuits, sur les diverses luttes des opprimés dans le monde

3 avril 2020

Guy Debord - Son art, son temps

Guy Debord - Son art, son temps

un téléfilm de Guy Debord et Brigitte Cornand (1994)

Guy Debord e Brigitte Cornand (1994) - Guy Debord - son art, son temps from Davi Galhardo on Vimeo.

3 avril 2020

L'eldorado de la méduse

L'eldorado de la méduse

Esclaves & champ de coton net

Que penser de ceci ?

Hier nous apprenons via l’ORTF de la bouche du préfet de Seine et Marne que celui-ci débauchera très prochainement les « réfugiés » de sa région pour les envoyer travailler auprès des maraîchers de cette même région, le tout encadré par des contrats « en bonne et due forme » c'est-à-dire au smic. Or « réfugiés » n’est plus utilisé depuis au moins 3 ans, les autorités et les médias utilisent unanimement « migrants » ; alors qu’entendre par « réfugiés » ? Là commence l’écoeurement.

Si ce préfet emploie sciemment ce mot cela signifie que la région mènera cette opération de secours aux maraîchers en détresse en s’adressant directement aux réfugiés enfermés dans les camps « centres d’hébergement » pour migrants gérés par sa bureaucratie, donc aux êtres qu’elle administre d’ores et déjà ; elle va aller piocher la main d’oeuvre dans les établissements-camps où elle a ses entrées, où les dossiers sont déjà prêts, où tout se mettra tranquillement en place en échange d’un peu de monnaie d’état*.

Donc quand le camembert ne peut plus disposer des 20 % de sales travailleurs étrangers qu’il fait venir chaque année pour récolter, l’Etat, et la coro-providence, met à sa disposition d’autres étrangers sans papiers qui bénéficieront exceptionnellement d’une autorisation d’existence administrative (d’existence tout court soyons clairs) pour soutenir l’effort national. Quelle mansuétude... En plus, tout le monde y trouvera son compte ! le travailleur est content d’accéder à la petite partie du code du travail que l’état daigne lui accorder…après tout l’Homme est un blanc comme nous… Et le maraîcher sera content de pouvoir TOUT récolter, mais aussi de pouvoir aider ces bonnes âmes perdues en Europe ; l’échange interculturel n’est plus très loin.

Donc nous vivons dans un pays sans classes où l’Etat peut mettre une catégorie de personne en mouvement et au travail par critère. Or ce critère c’est lui-même qui en est le recteur : tu n’as pas de papier Q, politiquement pour nous tu n’es pas même un mineur, tu ne peux pas te déplacer, c’est nous qui te déplaçons.

- oui, mais pourquoi me déplacer précisément aujourd’hui ?

- parce que, José, les bons français vont restés confinés chez eux jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de dangers pour eux et leur brillante progéniture pleine de génie et qu’en attendant c’est toi Monsieur pas de papier Q qui assurera le boulot ; peut-être nous prouveras-tu ainsi ton amour de la patrie en danger et peut-être qu’ainsi lors du prochain examen de ton dossier de candidature à la nationalité française cette passe d’armes en prairie jouera-t-elle en ta faveur, qui sait ?

C’est drôle, mais puisque « l’Union Sacrée » est entonnée tous les jours, eh bien allons y, filons la cette métaphore : qu’est ce qui est bronzé et qui meurt en première ligne ?

Ainsi deux nouveaux points Godwin se font jour : le Godwin 14-18 et le Godwin de l’Occupation que je ne qualifierai pas ici de peur de m’étouffer dans ma bile.

Donc dans la vie il y a les nous-autres, et puis il y a les sous-autres. CQFD

Et après quoi ? Quand les cantonniers ne voudront plus travailler les rues on enverra les 6 000 mandats de dépôt qui viennent de sortir de prison ? dans les entreprises seuls les mauvais employés rétifs seront mis au contact du client ennemi potentiellement contaminé ?

Que les foucaulâtres puissent y puiser la confiote prophétique qu’ils prisent ne change rien à l’affaire.

Je m’inquiète énormément. S’il y a un nous, Que devenons-nous ?

L’Etat vit en France comme chez lui.

R. me demande quelques préconisations. En bon idéologue précieux et faussement humble je lui réponds que je n’en ai aucune, or quel mytho ! Quand le confinement national sera fini, ou avant s’il le faut, je pose ma tente dehors, je squatte l’espace public jusqu’à ce que même les municipaux m’appellent par mon prénom, je m’associe trois ou quatre chiots que je fais vivre et courir à même Tréfilerie devant le Taudis, je fais le barbeuk devant la maison de l’armée, je fais pipi sur le consulat d’Algérie, caca devant la maison de l’université, je me bourre la gueule sur la chaussée, je vomis sur le passage piéton etc. jusqu’à ce que les autorités comprennent cette chose qui résume admirablement la situation présente et future : ON EST CHEZ NOUS !..

Si l’exécutif « maintient le cap », parce que le France est un bateau avec son capitaine et ses officiers et qu’il aime à « maintenir le cap », eh bien nous ne passerons pas le prochain hiver. Il faudra nécessairement tous les enculer sévèrement un par un. Nous aurons, entre autre, besoin d’une prose bien moins scato que celle présentée ici, et plus intelligente, mais nous n’aurons pas non plus besoin de cette prose évangélique expiatoire débile qui fleurit partout.

Car Peter Steele l’a prédit et chanté il y a 20 ans : « une apocalypse frigide » ; et non pas une belle Parousie avec descente du messie et jugement dernier rococo-gothique auréolé.

Ne jouez pas vos notes en tas !!

José, le mangeur de pain standard

* Par monnaie d’état nous entendons qu'il y a des emplois capitalistes réalisés en monnaie de capitaux, et des échanges non marchands, d'état, réalisés dans une monnaie symbolique : aussi un impôt n'est rien de mieux que cette monnaie d'état, qui signifie la force de travail : et sinon cette monnaie n'a aucune valeur : c'est une monnaie de pauvre.

Camp de réfugiés en France, Paris

2 avril 2020

Le salaire de la peur

Georges Arnaud, Le salaire de la peur

Le salaire de la peur, de Georges Arnaud.

Avertissement : Les apaches démodés se font tatouer au front le mot "Fatalitas". Mais le fatum latin n'a rien à voir dans cette hideuse et aveugle malchance par quoi ils aiment à expliquer leurs déboires. Le destin sait ce qu'il fait. Il est même méticuleux. 
Un tropical tramp, un jour ou l'autre, perd une jambe dans la gueule d'un requin ; contracte la lèpre ; vêtu d'un scaphandre, cherche des diamants dans un rio par six mètres de fond, avec, aux postes de sécurité, un équipier douteux. Ce n'est pas au hasard qu'on entre dans ces professions. Que de gens à qui une telle chose ne saurait arriver. 
Le destin prend son homme au berceau. 

A chacun de ces hommes est souvent ménagé un tête-à-tête avec sa propre mort. Elle porte des visages divers. Insidieuse, morne et terne aux jours de maladie et de misère ; muette, fluide aussi ; ou bien hurlante et ostentatoire. C'est, la nuit, un triangle du ciel où il n'y a pas d'étoiles. C'est aux bords d'une rivière claire comme celle d'Europe, le parasite mortel qui rongera les chairs. Peut-être autre chose. Le sujet de ce livre, par exemple. 
Ce n'est pas toujours la mort qui gagne. Mais, dès qu'elle redevient présente, le mot "là-bas" prend sa valeur. Oubliés, évanouis, gens et choses de là-bas : d'avant. Sur eux, les portes sont tirées. 
Alors, sans liens extérieurs, sans décors - du moins s'il en existe, n'ont-ils pas d'importance - la tragédie se noue entre l'homme et sa peur que, fuyant sa prison, il emmène avec lui, volens, nolens ; en bon français : Invitus invitam... Pour l'exprimer, les tramps ont rejeté les vrais mots ; ils emploient le blasphème et l'injure. De même, ils refusent de penser ; leur âme ne les intéresse pas. 
Parmis eux, l'homme intelligent, c'est celui qui tire au bon moment. La sensibilité a place au volant d'un camion. Il y a aussi un lyrisme de la pioche et de la battée. 
A ras de terre, ils vivent sous le soleil du tropique, d'une existence virile et triviale, en ombre chinoise. Ils ont dépouillé jusqu'à la sécheresse le faux pittoresque des prestiges empruntés.
Telle est la poétique du risque salarié.

Extrait n°1 : Ce qu'il y a d'empoisonnant, c'est de toujours regarder à ses pieds pour voir si on ne perd pas son chemin.

Extrait n°2 : La marihuana agissait. Jacques, depuis un quart d'heure, se prenait pour Franco. Il avait également décidé que l'indien à la pelade n'était autre qu'Evita Peron, l'épouse capiteuse du dictateur argentin.

Extrait n°3 : Le choix était pour eux bien simple : partir ou crever. Ils ne pouvaient partir, ils refusaient absolument de crever.

Extrait n°4 : Tant qu'il y a du squelette, il y a de l'espoir ; reste du moins une forme humaine. Un squelette, c'est une marchandise, négociable et tout, même transformable : on peut vendre, acheter, habiller un squelette. Il y a des marchands de squelettes, pour les étudiants en médecine et les Facultés. Tandis que cette boue qui se dispersera...

Extrait n°5 : Il est de cette race de types qui n'acceptent jamais ; qu'il faut assommer pour les porter à l'échafaud, qui, sur leur lit de mort, discutent le prix de leurs propres funérailles avec l'employé des Pompes funèbres.

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