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Amour, émeute et cuisine
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  • Quelques pensées sur la civilisation, considérée dans ses aspects politiques, "philosophiques", et culinaires, entre autres. Il y sera donc question de capitalisme, d'Empire, de révolte, et d'antiterrorisme, mais aussi autant que faire se peut de cuisine.
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26 février 2024

Un pouvoir de plus en plus autoritaire et répressif

Titre février 2024

La lente dérive vers le fascisme de tous les régimes en Europe se confirme actuellement en Grèce, comme ailleurs. Elle se caractérise un peu partout par des éléments précis :

– des lois de plus en plus dures contre les migrants, les solidaires et les collectifs en luttes ;

– des tribunaux de plus en plus sévères ;

– des gouvernements de plus en plus arrogants et décomplexés dans leurs délires autoritaires ;

– une police de plus en plus violente et omniprésente ;

– une armée qui se positionne clairement en second rideau, avec des moyens à la hausse et des manœuvres dont l’objet principal est la répression d’une hypothétique insurrection sociale ;

– un contrôle bureaucratique et technologique de plus en plus oppressant de nos vies toutes entières, sans séparation réelle entre la sphère publique et la sphère privée ;

– un objectif avoué de censurer progressivement de toute parole prétendument menaçante contre le système politique ou ses représentants, au prétexte qu’elle représenterait un « danger pour l’ordre social et la paix civile ».

Une fois de plus, ce qui se passe en Grèce donne à réfléchir sur ce qui se prépare également ailleurs en Europe, comme un laboratoire, une ligne de front. En effet, l’exemple grec a permis d’expérimenter, d’année en année, à la fois le durcissement du capitalisme et de la société autoritaire sur le continent, mais aussi différentes formes de résistances.

00 seuil juridique

« Le seuil juridique entre le délit et le crime a été déplacé, notamment pour les actions collectives, avec des conséquences délirantes »

 

UN NOUVEAU CODE PÉNAL POUR RÉPRIMER LES OPPOSANTS

En Grèce, ce jeudi, le code pénal a encore été modifié ! Une fois de plus, la droite au pouvoir s’est acharnée à durcir la loi contre le mouvement social, malgré l’opposition des partis de gauche. Comme à chaque fois, un cheval de Troie a été utilisé pour justifier le renforcement des peines, dans les médias dominants : « la répression des violences domestiques », en particulier celles faites aux femmes.

Sauf que, dans la réalité, il s’agit plutôt d’un arsenal de plus contre toutes les actions de résistance au sein de la base sociale. Désormais en Grèce, on peut être poursuivi pour des broutilles et aller en prison pour des motifs auparavant secondaires. Le seuil juridique entre le délit et le crime a été déplacé, notamment pour les actions collectives, avec des conséquences délirantes.

01 conséquences délirantes

Conférence-débat sur le nouveau code pénal et la criminalisation du mouvement social

03

Déjà, en 2022, le gouvernement grec avait modifié l’article 187A du code pénal qui, désormais, qualifie d’organisation criminelle tout collectif d’au moins trois personnes menant ensemble des actions illégales, même mineures. Cette loi vise en priorité le groupe anarchiste Rouvikonas qui est en première ligne, dans le collimateur du pouvoir, en tant qu’opposition politique réelle sur le terrain et agissant quotidiennement en soutien de la base sociale, dans la lutte et la solidarité, avec une côte de popularité qui ne cesse de monter. Le bras de fer entre l’État et Rouvikonas ne cesse de se durcir et son issue pourrait être explosive dans les temps qui viennent, trois ans après le scandale de la fabrique de faux témoignages par la police contre deux membres du groupe anarchiste, heureusement innocentés lors d’un procès retentissant en novembre 2021 (rappel des faits : http://blogyy.net/2021/11/25/anarchistes-7-0-etat-grec-%e2%98%85-merci-a-tous-les-soutiens/ )

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Archive de novembre 2021 concernant l'odieuse machination qui aurait pu envoyer en prison à perpétuité deux militants innocents

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Traduction de la presse qui confirme la machination contre les anarchistes

 

06 dessin de presse

Dessin de presse confirmant la machination et rappelant d’où vient la vraie violence



Désormais, n’importe quel collectif de lutte peut aisément se retrouver dans le même cas : lutte écologiste, lutte sociale, lutte syndicale ou action solidaire avec les sans-papiers, tout le monde est concerné ! En d’autres termes, le pouvoir veut criminaliser les luttes au point de classer en organisation terroriste des collectifs qui n’ont jamais tué personne et se limitent à des dégâts matériels. Cette nouvelle marche franchie est une véritable menace pour tout le mouvement social en Europe. N’importe quel groupe pratiquant un peu de sabotage ou bloquant des événements pourrait subir cette épée de Damoclès judiciaire, ailleurs sur le continent.

Les deux conséquences principales ? D’une part, des sanctions beaucoup plus lourdes et, d’autre part, ces sanctions frapperaient tous les membres identifiés d’un même collectif et pas seulement les auteurs de l’acte ayant entrainé les poursuites.

07 Orwell

La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la vérité. » George Orwell, 1984



UNE NOVLANGUE INVERSANT CE QUI EST VITAL ET CE QUI EST MORTIFÈRE.


En observant les éléments de langage déjà utilisés en France et dans tout l’ouest de l’Europe, on remarque que l’emploi du mot « terrorisme » est désormais utilisé pour tout et n’importe quoi, par exemple le néologisme « écoterroriste » ou « djihadiste vert », contre les zadistes de Notre-Dame-des-Landes et maintenant contre le chantier de l’autoroute A69 dans le Tarn. Produit à dessein par le pouvoir, ce glissement sémantique vise à entretenir la confusion entre des défenseurs de la vie, en l’occurrence de la nature, et des individus qui massacrent aveuglément une population dans le but de la terroriser. C’est une façon d’inverser les rôles de la part d’un pouvoir politique qui ne cesse de jouer avec la peur.

Idem en Grèce où l’expression « organisation criminelle » est devenue très courante dans les médias dominants, par exemple dans les émissions de télé les plus abrutissantes équivalentes à celles de C8 et CNews en France.

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« interdire, d’ici quelques années, l’essentiel de la propagande révolutionnaire dont le but est de renverser le régime faussement démocratique et profondément inégalitaire »

 

LE RETOUR PROGRESSIF DE LA CENSURE


L’autre objectif avoué du gouvernement grec est de punir toute parole menaçante contre le système politique ou ses représentants, au prétexte qu’elle représenterait un « danger pour l’ordre social et la paix civile ». Autrement dit, le processus vise à censurer progressivement le mouvement social, en particulier à lui interdire, d’ici quelques années, l’essentiel de la propagande révolutionnaire dont le but est de renverser un régime faussement démocratique et profondément inégalitaire.

Ce projet ressemble fort à une réactivation des lois scélérates qui avaient été mises en place dans les années 1920 en Grèce (visant surtout les communistes à l’époque) et le 11 décembre 1893 puis surtout le 28 juillet 1894 en France (interdisant tout type de propagande anarchiste).

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LE RENFORCEMENT DE LA SURVEILLANCE


Autre volet du durcissement du régime en Grèce : le renforcement de la surveillance de la population, notamment avec du matériel de renseignement made in France, comme souvent ces dernières années dans tout le bassin méditerranéen.

On se souvient, entre autres, du soutien des dirigeants politiques et économiques français au régime tunisien à la fin des années 2000, ce qui n’avait pas empêché la chute de Ben Ali début 2011, malgré l’arrivée d’un matériel important. Michèle Alliot-Marie avait même proposé par la suite, le 12 janvier 2011, d’envoyer les CRS et gardes-mobiles français aider la police tunisienne à mater les manifestants, alors même qu’elle commençait à tirer à balles réelles.

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Mitsotakis et Macron alliés dans les pires domaines : surarmement, surveillance massive des opposants, nouveaux camps pour enfermer les exilé.e.s, grands travaux inutiles et nuisibles…

 

En Grèce, l’utilisation à grande échelle de logiciels espions et de systèmes d’écoutes téléphoniques (par mots clés utilisant l’IA) ne sont pas seulement utilisés contre les collectifs en lutte, mais aussi contre les opposants politiques (plusieurs affaires récentes pour violations de la vie privée, mais le premier ministre a été sauvé in extremis par… un changement de procureur) et très souvent aussi contre des journalistes. La surveillance des journalistes grecs est particulièrement étouffante quand leur spécialité concerne la corruption au sein du pouvoir politique et économique.

Pire encore, quand des journalistes s’occupent de la corruption dans la police. C’était le cas du journaliste Giorgos Karaivaz qui a été assassiné devant chez lui en 2021, de façon très bizarre, et dont l’enquête a complètement été bloquée, malgré les demandes répétées de Reporters sans frontières :

https://rsf.org/fr/assassinat-de-giorgos-karaivaz-les-autorit%C3%A9s-grecques-ont-elles-quelque-chose-%C3%A0-cacher

La Grèce se situe aujourd’hui à la 108e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.

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Giorgos Karaivaz, un journaliste qui dérangeait de plus en plus l’État grec et sa police



Qui tire les ficelles ? En Grèce, la loi sur les services de renseignement a été modifiée et les a placé désormais sous le contrôle direct du… premier ministre ! Tout cela, ajouté à l’augmentation de la répression policière en Grèce, a poussé la gauche européenne a faire voter une résolution sans précédent, il y a deux semaines, au Parlement européen, tirant « la sonnette d’alarme » contre l’évolution toujours plus autoritaire en Grèce :

https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20240202IPR17312/preoccupations-quant-aux-menaces-qui-pesent-sur-les-valeurs-de-l-ue-en-grece

Une indignation bienvenue, mais facile, quand on sait ce que certains de ces partis sont capables de faire au pouvoir.

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LA CRISE QUI NE DIT PAS SON NOM


Depuis une vingtaine d’années, les pseudo démocraties prétendent surtout « faire barrage à l’extrême-droite », mais surfent sur la vague autoritaire en durcissant tout autant le capitalisme que son dispositif d’autoconservation. Rien d’étonnant ! « Le fascisme est le stade ultime du capitalisme en temps de crise », quand son masque tombe et que ses illusions ne suffisent plus à imposer un ordre social archaïque, à la fois liberticide et inégalitaire. Une crise que décrivait ainsi Antonio Gramsci : « La crise consiste dans le fait que l’ancien ordre social meurt et que le nouveau tarde à naître », dans les ruines du premier.

Toute crise, qu’elle soit politique, sociale, écologique ou les trois à la fois, est aussi une crise de sens. Une crise qui questionne l’existence toute entière : ses moyens et ses buts, pour chacun comme pour le collectif. C’est dans cette crise de sens que nous sommes plongés aujourd’hui, dans un trouble profond qui nous montre que nous sommes dans l’impasse à tous les niveaux, à commencer par le système politique qui n’est pas réellement démocratique et qui est la clé du problème.

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« La clé du problème » (merci à Kedistan pour l’image)


Voilà pourquoi le pouvoir économique, qui détermine le pouvoir politique grâce à sa possession des médias dominants qui lui permettent de fabriquer l’opinion, a clairement choisi de pousser médiatiquement l’une de ses pièces maitresses : le fascisme. Une sorte de joker utilisable en dernier ressort, quand c’est nécessaire, quand les paillettes du spectacle ne suffisent plus à déformer la réalité, quand la stabilité du régime est compromise. Comme le disait Durruti : « Aucun gouvernement ne combat le fascisme pour le détruire. Lorsque la bourgeoisie s’aperçoit que le pouvoir lui échappe, elle appelle le fascisme pour conserver ses privilèges. »

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Mais il ne s’agit pas d’une rupture totale dans la façon de gouverner : c’est juste un raidissement de l’autorité, à toutes les échelles, qui se justifie au moyen d’une opinion publique excitée à cette intention par des médias qui claironnent sans cesse cette prétendue nécessité de « plus d’autorité ». Rien d’étonnant que les pires ennemis du monde autoritaire soient les premiers sur la liste.

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LA GRÈCE, REINE DES LEURRES MÉDIATIQUES

En France, les présidents successifs ne s’embarrassent pas d’états d’âmes pour tenter d’améliorer leur image en récupérant celle des résistants du passé. Sarkozy l’a fait en montant au plateau des Glières, déclenchant la riposte de Stéphane Hessel et des Citoyens Résistants d’Hier et d’Aujourd’hui (CRHA), et Macron pareillement en accompagnant le couple Manouchian au Panthéon sans laisser leur camarade survivant venir s’exprimer durant la cérémonie.


Cela leur permet de faire croire qu’ils sont du bon côté : celui des défenseurs de la liberté et de l’égalité, et de redorer le blason d’un capitalisme qui prétend être la fin de l’Histoire.

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« Les présidents successifs ne s’embarrassent pas d’états d’âmes pour tenter d’améliorer leur image en récupérant celle des résistants du passé. »


En Grèce, dans la même veine, Mitsotakis vient de légaliser le mariage homosexuel et la possibilité d’adopter, neuf ans après Tsipras qui, le premier, avait accordé aux couples de même sexe la possibilité de se pacser. Par contre, il est toujours aussi difficile pour les migrants homosexuels pourchassés de trouver asile en Grèce.

Excepté quand la main d’œuvre sous payée vient à manquer pour le capitalisme, certaines années en Grèce. C’est justement le cas depuis l’année passée : à force de fermer les frontières, l’État a gêné le bon fonctionnement de l’exploitation capitaliste dans les campagnes et le pouvoir économique s’est aussitôt fâché auprès du pouvoir politique qui doit servir ses intérêts. Voilà pourquoi, en contradiction totale avec sa ligne politique contre l’immigration, le gouvernement grec a mis sur pied un permis de séjour provisoire destiné à certains sans-papiers : uniquement ceux qui travaillent parmi les 180.000 ouvriers agricoles, qui peuvent présenter une promesse d’embauche pour l’année à venir et qui peuvent prouver être en bonne santé. Ce permis de séjour exceptionnel est valable trois ans et ne sera accordé qu’une seule fois.

https://www.infomigrants.net/fr/post/53972/la-grece-lance-un-permis-de-sejour-pour-les-travailleurs-sans-papiers

 

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« À force de fermer les frontières, l’État grec a gêné le bon fonctionnement de l’exploitation capitaliste dans les campagnes »



Bref, le capitalisme est au-dessus de tout. Le racisme d’État et la violence de l’autorité ne sont que des moyens de circonstance, des variables ajustées en fonction des besoins, au fil des années, pour fabriquer l’opinion, maintenir l’ordre, servir et protéger les intérêts de ceux qui ont le vrai pouvoir, c’est-à-dire le pouvoir économique : ceux qui feront la pluie et le beau temps, tant que nous ne remettrons pas complètement en question la répartition des richesses et notre façon de prendre les décisions.

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Manifestation étudiante du 8 février 2024 à Athènes (photo Mario Lolos).

 



DES MANIFESTATIONS NOMBREUSES DONT PERSONNE NE PARLE


Durant ce mois de février en Grèce, les manifestations se succèdent, semaine après semaine, à commencer par celles des étudiants contre la privatisation des universités et les prix élevés qui se préparent.

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Comme chaque semaine, énormément de monde à la manifestation étudiante du 8 février 2024 à Athènes (photo Mario Lolos)

 

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Cortège anarchiste dans la manifestation étudiante du 8 février 2024 à Athènes (photo Nikolas Georgiou)

 

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Cortège anarchiste dans la manifestation étudiante du 16 février 2024 à Athènes (photo Nikolas Georgiou)

 

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Comme souvent, une charge policière contre la manifestation étudiante du 1er février 2024 (photo Mario Lolos)



Les charges policières sont monnaie courante, mais la riposte ne manque pas. Une fois de plus, le pouvoir ne tient que par sa police, c'est-à-dire la fonction principale de l'État pour la classe dirigeante.

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Riposte contre les violences policières durant la manifestation étudiante du 1er février 2024 (photo Mario Lolos)



Les retraités manifestent aussi, car ils n’arrivent plus à vivre de leur pension misérable, alors que les prix des produits de première nécessité n’arrêtent pas de monter ! Parmi les revendications : la santé gratuite.

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Manifestation des retraités contre la misère, le 13 février 2024 à Athènes (photo Nikolas Georgiou)



Des manifestations nombreuses (photos de Mario Lolos et Nikolas Georgiou) dont personne ne parle en France... des fois que ça donnerait des idées!

Mais malheureusement, toujours pas de grève générale reconductible à l’horizon, alors que c'est précisément la hantise des pouvoirs économique et politique. Dommage !

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« La colline de Strefi va rester sauvage » au cœur du quartier d’Exarcheia à Athènes

 



UNE BELLE VICTOIRE À EXARCHEIA : LA COLLINE DE STREFI EST LIBÉRÉE !


Après des mois d’une lutte intense, la police et les investisseurs ont finalement quitté la colline centrale du quartier d’Exarcheia : la verdoyante Strefi. Ce lieu de ballades, de rencontres, d’événements artistiques et sportifs, d’actions sociales et politiques est à nouveau libre et sauvage. Un lieu ouvert à toutes les initiatives, à l’autogestion, à l’horizontalité. Un lieu qui fait à nouveau l’objet d’assemblées pour penser ensemble « un autre futur ».

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25 février 2024

Proverbes et maximes de Maguy Porète

Proverbes Bruegel 01

1 - Il ne faut pas seulement vouloir l'effondrement de la réalité capitaliste du monde - qui est déjà indubitable -, il faut conspirer* avec ledit monde à le refonder comme cette poésie réelle qu'il est réellement, ce qui s'avère plus difficile.

* Au sens de "respirer ensemble".

Courbet 00 Baudelaire

2 - L’écœurement, c’est l’ensemble innervé de ce que j’éprouve, et dont ma raison sait faire quelque chose.

Van Gogh 00

3 - Ciel étoilé n'a pas d'oreille.

Van Gogh 01

4 - La bêtise enfiellée d'un capitaliste est toujours si ductile qu'elle peut s'étendre à l'infini, et sans jamais rompre.

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5 - Croire qu'un bourgeois au pouvoir peut faire le bien, c'est s'en tenir à l'état de ce sectateur persuadé d'être conduit au septième ciel à chaque fois qu'il se fait violer par son gourou.

Raël

6 - A chaque fois qu'un croyant prétend que Lucifer est père et maître du mensonge, demande-toi par quel miracle il a la certitude de ne pas être lui-même possédé par le diable ; prêchant une religion, le croyant ne passe-t-il pas en effet son temps à mentir ?

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24 février 2024

Ni Marat, ni Roland. Opinion (Ed. 1792)

Anacharsis Cloots, Ni Marat ni Roland

Ni Marat, ni Roland. Opinion (1792), de Anacharsis Cloots.

Extrait N°1 : Puisque chacun imprime son opinion, je publie la mienne, d'autant plus qu'on répète inexactement mes expressions verbales. L'assemblée, après avoir ouï Louvet et Robespierre, a eu raison de consacrer la maxime : à bas les hommes ! à l'ordre du jour les choses ! Je recommande cette maxime à Roland et à Marat, deux êtres qui se donnent mutuellement une importance grotesque.

Extrait n°2 : La chaleur de Guadet me parut très suspecte ; mais ne lui ayant jamais entendu professer des hérésies politiques, j'en conclus qu'il avoit trop dîné. Peut-être suis-je trop indulgent.
Malgré les petits sophismes et les petites passions, la vérité triomphera sous le règne de la liberté ; la faction du genre humain l'emportera sur la faction Marat, et sur la faction Brissot.

Extrait n°3 : Brissot, avec sa marche tortueuse, ses mensonges officieux, et ses systêmes avortés, devoit être suspect aux républicains indivisibles ; Paris devoit naturellement l'avoir en horreur.

Extrait n°4 : Rien n'est plus oratoire que de montrer une chemise, trempée dans le sang, aux hommes foibles, aux femmes timides, et de s'écrier, avec le ci-devant châtelet : Le voilà donc connu le secret plein d'horreur !

Extrait n°5 : Il est démontré que des coquins ont volé, et que des scélérats ont proscrit des têtes civiques ; moi-même j'étois affiché dans les carrefours, sous les portiques, sur les colonnes, pour un homme pendable ; ma vie étoit entre les mains d'un Marat, comme la vie d'un brave officier est à la merci d'un lâche soldat, dans une bataille. Dieu sait tous les crimes particuliers qui se commettent après une victoire générale ! Cela n'empêche pas de chanter le Te Deum.

Extrait n°6 : Il faut avoir le courage de parcourir les groupes, et s'entretenir familièrement avec le peuple, avant de proposer un décret, dans les temps orageux. Ce n'est pas en provoquant les horreurs d'une troisième révolution, que nous prouverons notre amour pour l'humanité.

22 février 2024

Tout le monde déteste la police !

Tout le monde déteste la police copier

TOUT LE MONDE DÉTESTE LA POLICE !

16 février 2024

Trente-troisième festivité : Menu Mac Kinsey !

Trente-troisième festivité : Ce fut à l'heure où, en ledit bon royaume de la Francie jupitérienne, l'évidence apparut de ceci que l'hôpital public, qu'on avait abandonné de longue date, avait fini par ne presque plus pouvoir opérer, qu'enfin du plus haut sommet élyséen jusqu'au fin fond du trou des taupes matignonesques et parlementaires, on commença de s'interroger sur ce à quoi il eût pu s'avérer bon d'œuvrer pour sortir de la panade un personnel soignant devenu si débordé et dénué de moyens, qu'il s'en trouvait bien malgré lui contraint de désavouer souvent un serment d’Hippocrate rendu hypothétique, comme les soins auxquels il obligeait. Une situation si désastreuse ne pouvant plus durer, on résolut bientôt de prendre conseils auprès des meilleures institutions élitistes mondiales, et tandis qu'on allait d'une consultation financière l'autre, un certain monsieur Mac Kinsey finit par éclairer d'un éclair de son génie « simoniaque » l'ensemble des élus jupitériens, et puisqu'à l'évidence elle était la seule possible, nul ne douta plus de la solution à employer ; aussi s'appliqua-t-on rapidement à rendre illégales la souffrance et la maladie, en particulier pour la plèbe laborieuse.

Un Hamburger Géant Est Montré Dans Cette Image Du Film Hamburger. | Photo Premium

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7 février 2024

Aurora

Michel Leiris, Aurora

Aurora, de Michle Leiris.

4e de couverture : Rédigée en 1927-1928, publiée en 1946, Aurora, à la fois exploration périlleuse des rêves, longue hallucination du corps des femmes, expérimentation du langage, confiance absolue ajoutée au pouvoir de l'imagination, contient en outre le premier en date des récits autobiographiques de Michel Leiris, donné ici sous l'anagramme, si prestigieux, de Damoclès Siriel.
Comme jadis Rome vouait le supplicié à l'escalier des Gémonies, dans ce tumultueux roman d'amour la langue soumet le narrateur, entre l'avant-dernière marche et la rampe-cordelière, la panoplie et la gravure désuète, le souvenir des livres et la profondeur énigmatique d'un corps, à la libre sauvagerie du nom de l'héroïne. Aurora, fille d'Hypérion, sœur du soleil, mère des Vents et des Astres, selon les formes que son nom revêt (Eau-Rô-Râh, OR AUX RATS, Horrora, etc.), décide de la nature des épisodes et des épreuves, et les fait s'enchaîner bâtissant un tissu de chimères autonomes, où débondent les terreurs comme prolifèrent les mondes, comme s'irritent les désirs. Elle rejoue un sacrifice sans âge : corps sans cesse démembré et réarticulé sans fin, nom unique dont la perte est consommée indéfiniment.

Pascal Quignard

Extrait n°1 : Ma poitrine respirait et je sentais le poids de mes viscères, cette pesanteur aussi lugubre que celle d'une valise remplie, non de vêtements, mais de viande de boucherie.

Extrait n°2 : Mes détonations donneraient la jaunisse au tonnerre, les pluies tourneraient en urine et tout l'automne le ciel ne ferait que pisser, ainsi qu'un animal qui a trop peur et dégage candidement sa vessie sans se préoccuper de vos stupides formules de politesse, bonnes tout juste pour ce que sont les hommes : des animaux qui se retiennent d'excréter.

Extrait n°3 : Car dans cet immeuble qui, comme un phallus obscène, gratte la vulve du ciel, on fait furieusement l'amour.

Extrait n°4 : Tant que ma voile triangulaire résoudra l'équation dont les deux inconnues sont le vent et les flots, j'insulterai tout ce qui vit sous les cieux ; je maudirai toutes ces végétations informes et tenterai d'envenimer la mer par mes crachats.

Extrait n°5 : Son pas lui-même était toujours aussi agile, mais c'était le déroulement des paysages qui fonctionnait moins bien. C'est pourquoi il devait se tenir pour victime d'un complot de la nature environnante, d'une coalition des arbres et des ruisseaux, désireux de résister à tout prix à l'écœurante instabilité de "choses vues" que leur infligeait le pas du voyageur.

Extrait n°6 : Une plainte traînait ses vieux moignons tachés de sang dans une ruelle perdue au fond de l'âme suburbaine du vagabond et celui-ci chassait cette vieille mendiante à coups de pied, l'invitant, non certes pas ! à travailler, mais bien plutôt à tuer ou à voler.

Extrait n°7 : Il me fallait commencer à comprendre qu'aucun cataclysme ne viendrait, du choc de sa massue d'éther, ruiner l'infecte cathédrale qui s'élève au-dessus des cryptes souterraines dont la cachette est plus secrète encore que celle de la matière, qu'à jamais je serais lié au poteau des idées forcément ancillaires, parce que rien, sinon cette destruction du monde, ne pourrait me délivrer de l'horrible nasse baveuse dont les joncs relatifs s'étaient croisés autour de moi, comme des grillages de prisonnier, à la minute où la sorcière des naissances m'avait fait vivre malgré moi, me jetant corps et âme entre les rouages de cette affreuse machine grâce au truchement d'une semence éphémère.

3 février 2024

Pourquoi je hais l'indifférence

Antonio Gramsci, Pourquoi-je-hais-l-indifference

Pourquoi je hais l'indifférence, de Antonio Gramsci.

4e de couverture : Le regroupement de ces textes nous met face à une des plus hautes figures de résistance intellectuelle que l'histoire européenne nous ait donné la possibilité d'admirer. Chez Gramsci (1891-1937), l'indignation ne suffit pas, si elle est le simple mouvement du cœur : elle commande l'analyse. Haïr l'indifférence, c'est à la fois haïr l'acceptation des choses comme elles vont et détester la confiance faite aux experts qui n'est autre que la paresse qui contribue au cours des choses quand elle ne se contente pas de la justifier.

On trouvera ici un bréviaire de rébellion contre les choses comme elles vont et des instruments d'analyse.

Extrait n°1 : L'indifférence, c'est l'aboulie, le parasitisme, et la lâcheté, non la vie. C'est pourquoi je hais les indifférents.
L'indifférence est le poids mort de l'histoire.

Extrait n°2 : Des faits murissent dans l'ombre, quelques mains, qui échappent à tout contrôle, tissent la toile de la vie collective et la masse l'ignore parce qu'elle ne s'en soucie pas.

Extrait n°3 : Pourtant ils sont rares ceux qui se reprochent leur indifférence, leur scepticisme, et plus rares encore ceux qui regrettent de ne pas avoir prêté leurs bras et leur activité à ces groupes de citoyens qui ont combattu et se sont proposé de procurer tel ou tel bien, précisément pour éviter ce mal.

Extrait n°4 : Je hais aussi les indifférents en raison de l'ennui que me procurent les pleurnicheries des éternels innocents.

Extrait n°5 : Dans l'activité politique aussi, l'imagination a un rôle immense ; mais dans l'activité politique, les hypothèses ne sont pas construites à partir de faits inertes, d'une matière sourde à la vie ; en politique l'imagination concerne les hommes, leurs douleurs, leurs affects et les nécessités qu'ils rencontrent dans leur vie d'hommes.

Extrait n°6 : Tartuffe se joue ainsi du vocabulaire, et offre un certain destin aux mots. Il a réhabilité le mot casseur, il anoblit le mot démagogie. Dans quelques temps, quand le mouvement socialiste aura assez de force pour imprimer aussi à la langue son sceau de bonté et de liberté, casseur aura définitivement le sens de gentilhomme, et vice versa, et démagogie signifiera une véritable méthode de politique et de propagande, fondée sur la réalité des faits, et non pas sur les apparences les plus éclatantes, et par conséquent les plus trompeuses.

Extrait n°7 : Ils nous ont traités de démagogues parce qu'il nous plaît d'appeler "requins" les marchands d'armes.

2 février 2024

Cuisine ripaille et soûlographie en littérature, saison II

SAISON II

D'étranges rumeurs montaient toujours en moi et j'écoutais les peines immenses qui gonflaient les maisons à grands coups de leurs soufflets de forge, ouvrant les portes et les fenêtres en cratères de tristesse qui vomissaient, colorés en jaune sale par la lueur maladive des lampes familiales, un inépuisable flot de soupe, mêlé à des bruits de querelles, de bouteilles débouchées par des mains suantes et de mastications. Une longue rivière de filets de bœuf et de légumes mal cuits coulait. Les bouillons couleur de vin suri voyaient s'en aller à la nage, entre leurs eaux grasses chargées d'yeux mal réveillées, les désespoirs d'enfants.

[...]

De toutes les escales que nous fîmes durant cette traversée, je me rappelle une seule, à cause des bars magiques qui écartelaient les entrailles de cette ville, pour permettre aux divins aruspices de l'alcool d'observer, à travers les parois de leurs verres où se miraient les rues, la fatalité des rencontres charnelles quand, sur la meule des sens, les sexes s'affûtent pareils à des couteaux.

[...]

Dès que je fus entré, on m'offrit divers breuvages au sein desquels je discernai différents organes en pleine fermentation, autour des cristaux de sucre qui s'ordonnaient en vagues squelettes ; une écume légère débordait de la coupe et il m'était facile de deviner quelle ivresse terrible elle me donnerait, rien qu'à voir sa blancheur de folie et les bulles infiniment diversifiées qui en montaient, petites statues sphériques des couleurs, exhumées de la raison annihilée, sèche et battue comme plâtre. Au premier verre que je bus, l'invisible dépeceur apparut, sa face sanglante se hissa comme un astre et son couteau, avec un long sifflement, se planta dans le parquet, juste au milieu du bar. Au deuxième verre, hommes et femmes laissèrent tomber leurs voiles et je m'aperçus qu'ils n'étaient en vérité ni des hommes, ni des femmes, mais bien réellement et uniquement les fragments de corps que, personnages supposés, ils étaient censés représenter. Au troisième verre, toutes les lumières vacillèrent et le couteau, qui était venu se placer dans la main la plus délicate et la plus transparente, parcourut l'air de la pièce en tous sens, comme s'il avait voulu parachever le dépeçage, tandis que les boissons dans tous les verres se coloraient en rouge et, s'épaississant brusquement, cessaient aussitôt d'écumer. Au quatrième verre, je compris que, n'étant pas comme mes partenaires une simple partie du corps mais un homme véritable et tout à fait vivant, ma position était extrêmement dangereuse et qu'en conséquence je devais, sous peine d'une mort ignominieuse, immédiatement prendre la fuite. Mais au cinquième verre, je constatai que la porte (assez haute lors de mon entrée pour me laisser passer sans que j'eusse même eu besoin de me courber) venait elle aussi de se diviser en plusieurs parties et que maintenant, s'il était encore possible à chacun de mes membres d'user séparément de cette issue, cela ne l'était pas à mon corps tout entier. Tout espoir d'évasion devait donc être banni, rejeté dans un vieux coin de mon cerveau, avec la pourriture des roueries usagées et le salpêtre des spectacles défunts. Alors la panique s'installa entre ma tête et le plafond avec ses ailes de poussière grasse et mon regard n'exista plus que pour les mouvements du couteau.

[...]

Mais tout compte fait, je préfère une bouteille de whisky à ces réflexions doctrinales, car cet alcool c'est bien réellement que je me l'incorpore, tenant en dissolution des millions d'êtres, avec leur maximum de possibilités.
Donc, j'étais arrivé et, de même que dans le bar dont j'ai parlé tout à l'heure, je buvais du whisky. Cette liqueur, me direz-vous, n'est qu'un vulgaire alcool de grain et il faut être un bien triste voyou pour attacher une si haute importance à cette misérable substance organique dont la plus claire propriété consiste à transformer le champ de la conscience en un vaste cimetière communal. Je vous répondrai seulement que mon langage, comme tout le langage, est figuré, et que libre est à vous de remplacer le mot "whisky" par un quelconque vocable : absolu, meurtre, amour, sinistre ou mandragore.
Je buvais donc une bouteille d'absolu, une bouteille de sinistre, une bouteille de mandragore...

Aurora, Michel Leiris (1927-1928)

Corne d'abondance02

Platon 00Pausanias : - Eh bien, mes amis, comment allons-nous faire pour boire sans avoir trop de problèmes ? En ce qui me concerne, je dois vous avouer que je ne me sens pas très bien après ce que j'ai bu hier, et que j'ai besoin d'un répit ; du reste, j'imagine que vous êtes, la plupart d'entre vous, dans le même cas, car vous étiez là hier. Voyez donc de quelle façon nous pourrions boire sans avoir trop de problèmes.

Aristophane : C'est alors qu'Aristophane intervint : - Bravo, Pausanias, tu as raison de vouloir prendre toutes les dispositions qui nous évitent d'avoir des problèmes en buvant. Car moi aussi je suis de ceux qui "se sont soûlés la gueule" hier.

Éryximaque : Sur ce, racontait Aristodème, Éryximaque, le fils d'Acoumène, intervint : - Vous avez raison, dit-il. Il en est encore un que j'aimerais entendre. Comment te sens-tu Agathon ? As-tu encore la force de boire ?

Agathon : - Moi non plus, je ne me sens absolument pas la force à boire.

Éryximaque : - Quelle chance, me semble-t-il, reprit Éryximaque, ce serait pour nous, c'est-à-dire pour moi, pour Aristodème, pour Phèdre et pour les autres qui sont ici, que vous, ceux qui, pour ce qui est de boire, avez le plus de capacité, ayez maintenant renoncé à le faire, car nous autres nous ne sommes jamais de taille. Pour ce qui est de Socrate, je fais une exception. Il peut en effet faire les deux choses : boire ou ne pas boire, si bien que, quel que soit le parti que nous prendrons, il s'en accomodera. Étant donné qu'aucun de ceux qui sont ici ne me paraît disposé à boire beaucoup de vin, peut-être arriverais-je à vous paraître moins agaçant, en vous disant la vérité sur l'ivresse. Pour moi, assurément, s'il est quelque chose que la médecine a fait apparaître clairement, c'est que l'ivresse est dommageable pour l'homme. Aussi me garderais-je de souhaiter boire de mon plein gré outre mesure et de conseiller à quelqu'un d'autre de le faire, surtout s'il a la tête encore lourde de la veille.

Phèdre : - Quant à moi, interrompit Phèdre de Myrrhinonte, j'ai assurément l'habitude de suivre tes conseils surtout en matière de médecine ; mais aujourd'hui, les autres aussi le feront, s'ils sont prêts à suivre un bon conseil.

Aristodème : - Ces paroles furent entendues, et tout le monde convint qu'il ne fallait pas consacrer cette réunion à s'enivrer ; on ne boirait que pour le plaisir.

Éryximaque : - Eh bien, reprit Éryximaque, puisqu'il est admis que chacun boira la quantité de vin qu'il lui plaira, sans rien d'imposé, j'introduis une nouvelle proposition : c'est de dire "au revoir" à la joueuse d'aulós qui vient d'entrer dans cette pièce. Qu'elle joue de l'aulós pour elle-même ou, si elle le souhaite, pour les femmes de la maison. Nous autres, nous emploierons le temps que durera la réunion d'aujourd'hui à prononcer des discours, je puis, si vous le souhaitez, vous faire une proposition.

[...]

Éryximaque : - De même, dans notre art, c'est une affaire importante que de bien user des désir relatifs à l'art culinaire, de manière à en cueillir le plaisir sans se rendre malade.

[...]

Diotime : - Il faut savoir que le jour où naquit Aphrodite, les dieux festoyaient ; parmi eux, se trouvait le fils de Mètis, Poros. Or, quand le banquet fut terminé, arriva Pénia, qui était venue mendier comme cela est naturel un jour de bombance, et elle se tenait sur le pas de la porte. Or Poros, qui s'était enivrer de nectar, car le vin n'existait pas encore à cette époque, se traîna dans le jardin de Zeus et, appesanti par l'ivresse, s'y endormit. Alors, Pénia, dans sa pénurie, eut le projet de se faire faire un enfant par Poros ; elle s'étendit près de lui et devint grosse d'Éros. Si Éros est devenu le suivant d'Aphrodite et son servant, c'est bien parce qu'il a été engendré lors des fêtes données en l'honneur de la naissance de la déesse ; et si en même temps il est par nature amoureux du beau, c'est parce qu'Aphrodite est belle.

[...]

Alcibiade : - Voyons mes amis, vous me faites l'effet d'être bien sobres. Vous ne devez pas vous laisser aller comme cela : il faut boire. C'est convenu entre nous. En conséquence, pour présider la beuverie, jusqu'à ce que vous ayez assez bu, c'est moi-même que je choisis. Allons, Agathon, qu'on apporte une coupe, une grande s'il y en a. Non, ce n'est vraiment pas la peine. Garçon, ordonna-t-il, tu n'as qu'à m'apporter ce récipient où refroidit le vin.
Il venait d'en apercevoir un dont la contenance était de huit cotyles pour le moins. Il le fit remplir et il le vida le premier, puis il ordonna de servir Socrate en disant :
Avec Socrate, messieurs, mon astuce ne fonctionnera pas ; autant on lui ordonnera de boire autant il boira, et il n'en sera pas ivre pour autant.

[...]

Alcibiade : - Mais, pour ce qui va suivre vous ne me l'auriez pas entendu raconter si, comme le dit le proverbe, ce n'était dans le vin que se trouve la vérité.

[...]

Alcibiade : - Lorsque les communications étaient coupées en quelque point, ce qui arrive en campagne, et que nous devions rester sans manger, nul autre ne le valait en endurance pour supporter cette épreuve. En revanche, quand nous étions bien ravitaillés, il n'avait pas son pareil pour en profiter, notamment pour boire. Il n'y était pas porté, mais, si on le forçait, il buvait plus que tout le monde, et le plus étonnant, c'est que personne n'a vu Socrate ivre.

[...]

Aristodème : - Alors qu'Agathon se lève pour aller s'installer près de Socrate, soudain toute une bande constituant un kõmos arrive devant les portes, et, les ayant trouvées ouvertes - quelqu'un était en train de sortir -, ils entrent directement, viennent vers nous et s'installent sur les lits. Un tumulte général emplit la salle : et sans aucune règle, on fut obligé de boire une grande quantité de vin.

[...]

Aristodème : - Quand il fut réveillé, il vit que les autres dormaient ou s'en était allés, et que seul Agathon, Aristophane et Socrate étaient encore éveillés et buvaient dans une grande coupe qu'ils se passaient de gauche à droite. Socrate discutait avec eux.

Le Banquet, Platon (vers 380 av. J.-C.)

Corne d'abondance02

Umberto Eco copier

Nicétas avait alors demandé du vin et en avait versé une coupe à Baudolino : "Si tu aimes celui-ci, parfumé à la résine. Beaucoup de Latins le trouvent écoeurant, et ils disent qu'il sent le moisi." Baudolino lui ayant assuré que ce nectar grec était sa boisson préférée, Nicétas s'était disposé à écouter son histoire.

[...]

Baudolino éprouvait une certaine gêne à lui conter sa vie d'adolescent dans un monastère de Latins, froid et inhospitalier, où la santé d'Otton l'obligeait à partager des repas faits de verdures cuites et de quelques bouillons légers.

[...]

Le serviteur n'avait pas été engagé et le bois n'avait pas été acheté car la nuit les deux édredons suffisaient amplement, et la somme avait été plus judicieusement dépensée, vu que le soir se passait dans les tavernes, qui étaient fort bien chauffées et permettaient de se sustenter après une journée d'étude, tout en palpant le derrière des servantes. Et puis, dans ces lieux de joyeuse restauration, comme l'Ecu d'Argent, la Croix de Fer ou Aux Trois Candélabres, entre deux cruchons on se fortifiait avec des pâtés de porc ou de poulet, deux pigeons ou une oie rôtie et, si on était plus pauvre, avec des tripes ou du mouton. Baudolino aidait le Poète, sans le sou, à ne pas vivre de tripes seulement. Mais le Poète était un ami coûteux car la quantité de vin qu'il buvait faisait maigrir à vue d'oeil le boeuf de Suse.

[...]

En effet, au coeur de son château, disait-on, il se trouvait un jardin plein de toutes les espèces de fruits et de fleurs, où coulaient des canaux remplis de vin, de lait, de miel et d'eau, et tout autour dansaient et chantaient des jouvencelles d'une incomparable beauté. Dans le jardin ne pouvaient vivre que des jeunes hommes qu'Aloadin faisait enlever, et, en ce lieu de délices, il ne les exerçait qu'au plaisir. Et je dis plaisir car, comme je l'entendais murmurer par les adultes - et j'en rougissais, troublé -, ces filles jeunes étaient généreuses et promptes à satisfaire les hôtes, leur procurant des joies indicibles et, je l'imagine, énervantes. Si bien que naturellement, celui qui était entré dans ce lieu, à aucun prix il n'aurait voulu en sortir.

[...]

- "Voilà que nos incomparables Génois nous ont préparé certaines délices de notre cuisine. Goûte cette soupe de différentes variétés de poisson, de mer et de fleuve. Peut-être avez-vous du bon poisson dans vos pays aussi, pourtant j'imagine que votre froid intense ne les laissepas se développer vigoureusement comme dans la Propontide. Nous, nous assaisonnons la soupe avec des oignons sautés dans l'huile d'olive, du fenouil, d'autres herbes, et deux verres de vin sec. Tu la verses sur ces tranches de pain, et tu peux y mettre de l'avgolemon, cette sauce de jaunes d'oeufs et jus de citron, mélangée dans un soupçon de bouillon. Je crois qu'au Paradis terrestre Adam et Eve mangeaient comme ça. Mais avant le péché originel. Après, ils se sont sans doute résignés à manger des tripes, comme à Paris."

[...]

- "Seigneur Jésus, se lamentait le Poète, même ivre mort je n'ai jamais imaginé que j'aurais pu enfiler les Rois Mages par-derrière."

[...]

Chaque mois servaient à la table du prêtre sept rois, soixante-douze ducs et trois cent soixante-cinq comtes, et chaque jour prenaient place à cette table douze archevêques, dix évêques, le patriarche de Saint-Thomas, le métropolite de Samarcande et l'archiprêtre de Suse.

[...]

- "A présent ne fais pas le malin. Va, et embrasse ton père. Ensuite, si tu me fais tes excuses pour ce jour-là, nous allons tout près d'ici où nous fêtons une construction à paine terminée, et dans ces cas on met du vin en perce, de celui de derrière les fagots et, comme disaient nos vieux, zou, on se gogue et s'engogue."
Baudolino s'était retrouvé dans une immense cave. La ville n'était pas encore terminée que déjà s'ouvrait la première taverne, avec sa belle tonnelle dans la cour, mais à cette époque on se sentait mieux à l'intérieur, dans un antre qui n'était que futaille et longues tables de bois remplies de beaux cruchons et de saucisses de chair d'âne qui (expliquait Baudolino à Nicétas, horrifié) se présentent à toi comme des outres gonflées, tu les fends d'un coup de couteau, tu les jettes à frire dans de l'huile et de l'ail, et c'est un délice. Voilà pourquoi tous les participants étaient gais, puants et gris.

[...]

Et puis tous ces gens, pendant trois jours, devraient tout de même manger car un sac vide ne tient pas debout. Les Génois prépareraient des paniers avec une poêlée entière de scripilita, leur galette de farine de pois chiche, croquante et fine, qu'ils découperaient en petites tranches enroulées dans autant de feuilles larges, il suffisait ensuite de mettre un peu de poivre dessus et ce serait un vrai délice, à nourrir un lion, mieux qu'une tranche de boeuf saignante ; et d'abondantes portions de fougasse à l'huile, à la sauge, au fromage, et avec des oignons.
Nicétas n'aimait pas beaucoup ces aliments barbares et, vu qu'il fallait attendre encore un jour, il décida qu'il le consacrerait à savourer les derniers mets délicats que Théophile pouvait encore préparer, et à écouter les dernières vicissitudes de Baudolino, parce qu'il n'aurait pas voulu partir au moment le plus palpitant, sans savoir comment finissait son histoire.

[...]

Baudolino et Zosime étaient devenu, sinon amis, des compères de bombance. Leur familiarité avait commencé quand, après une première et généreuse libation en commun, Zosime avait proféré un horrible juron et dit que cette nuit-là il aurait donné toute les victimes du massacre des Innocents pour une jouvencelle d'indulgente moralité.

[...]

"Vive les methagallinarii !" avait dit Baudolino, il avait levé sa coupe. Zosime l'avait invité à trinquer ensemble au royaume du Prêtre Jean. Puis, par provocation, à boire à la santé de Manuel ; et Baudolino avait répondu qu'il était d'accordsi lui buvait à la santé de Frédéric. Ils avaient ensuite trinqué au pape, à Venise, aux deux courtisanes qu'ils avaient connues quelques soir auparavant, et à la fin Baudolino s'était écroulé le premier, endormi, la tête à pic sur la table, tandis qu'il entendait encore Zosime bafouiller avec peine : "La vie du moine est : ne pas se comporter avec curiosité, ne pas marcher avec l'injuste, ne pas saisir de ses mains..."

[...]

Il avait demandé à son cuisinier et serviteur de se surpasser, il voulait que le dernier repas qu'il faisait sous le soleil de Constantinople lui rappelât toutes les douceurs de sa mer et de sa terre. Et voilà qu'il voulut sur la table langoustes et pagures, homards bouillis, crabes frits, lentilles aux huitres et aux moules, dattes de mer, accompagnés d'une purée de fèves et de riz au miel, entourés d'une couronne d'oeufs de poisson, le tout servi avec du vin de Crète. Mais ce n'était là que le premier plat. Vint ensuite un plat à l'étouffée qui exhalait un parfum délicieux : dans le pot fumaient quatre coeurs de chou beaux, durs et blancs comme neige, une carpe et une vingtaine de petits maquereaux, des filets de poissons salés, quatorze oeufs, un peu de fromage de chèvre valaque, le tout arrosé d'une bonne livre d'huile, saupoudré de poivre et augmenté de la saveur de douze têtes d'ail. Pour ce second plat, il demanda un vin de Ganos.

[...]

- "Tais-toi, seigneur Nicétas, lui disait Baudolino, et n'oublie pas que c'est peut-être la dernière fois que tu pourras goûter de ces mets recherchés dignes d'Apicius. Que sont ces boulettes de viande qui ont le parfum de votre marché aux épices ?
- Keftedès, et le goût est donné par la cinnamome, et par un peu de menthe, répondait Nicétas, déjà réconforté. Et, pour la dernière journée, j'ai réussi à me faire apporter un peu d'anis, que tu dois boire alors qu'il se dissout dans l'eau comme un nuage.
- C'est bon, ça n'étourdit pas, tu te sens comme en rêve, disait Baudolino. Si j'avais pu en boire après la mort de Colandrina, j'aurais peut-être pu l'oublier, comme toi tu oublies déjà les malheurs de ta ville et perds toute crainte pour ce qui arrivera demain. Au contraire, je m'alourdissais avec le vin de chez nous, qui t'endort d'un coup, mais quand tu te réveilles tu vas pire qu'avant."

[...]

Ç'avait été une belle journée. Baudolino avait remisé tous les signes de son pouvoir et il était allé faire la fête. Sur la place de la cathédrale les filles dansaient en rond, le Boïdi avait accompagné Baudolino à la taverne, et, dans ce porche parfumé d'ail, tous maintenant allaient tirer directement le vin des tonneaux en perce parce que ce jour-là il ne devait plus y avoir ni maîtres ni serviteurs, surtout plus de servantes dans la taverne, et déjà quelques-unes avaient été emmenées à l'étage, on le sait, l'homme est chasseur.
"Sang de Jésus-Christ", disait Gagliaudo en versant un peu de vin sur sa manche pour montrer que le drap ne l'absorbait pas et qu'il restait une goutte compacte aux reflets de rubis, signe qu'il s'agissait de celui de derrière les fagots.

[...]

Nicétas, qui voulait partir bien réconforté, avait depuis longtemps donné ordre à Théophile qu'il préparât un monokythron, qui prenait du temps à bien cuire. C'était un pot de bronze plein de viande de boeuf et de porc, d'os avec encore un peu de chair et de choux de Phrygie, saturé de gras. Puisqu'il ne restait pas beaucoup de temps pour un souper détendu, le logothète avait abandonné ses bonnes habitudes et puisait dans le pot non pas avec trois doigts mais à pleine mains. C'était comme s'il consommait sa dernière nuit d'amour avec la ville qu'il aimait, vierge, prostituée et martyre. Baudolino n'avait plus faim et il se limita à siroter du vin résiné, car qui sait s'il en trouverait encore à Selymbria.

[...]

Ils avaient du vin frais et des olives, des olives, et puis encore des olives à déguster pour donner encore envie de boire. Nicétas était impatient de savoir si, enfin, ils étaient arrivés au royaume du Prêtre Jean.

[...]

Ainsi fut le souper : de grands plats de pain, autrement dit de leurs fouaces ; une énorme quantité de légumes verts bouillis, où abondaient les choux, qui ne puaient pas trop parce qu'ils étaient saupoudrés d'épices variées ; des coupes d'une sauce noirâtre brûlante, le sorq, où on trempait le fouaces, et le Porcelli, qui fut le premier à essayer, commença à tousser comme s'il soufflait des flammes par le nez, si bien que ses amis se limitèrent à en goûter avec modération (et puis ils passèrent la nuit embrasés par une soif inextinguible) ; un poisson de rivière, sec, squelettique, qu'ils appelaient thinsirèta (tiens, tiens ! muramuraient nos amis), pané dans une semoule et littéralement noyé dans une huile bouillante qui devait être toujours la même depuis nombre de repas ; une soupe de graines de lin, qu'ils appelaient marac, et qui, au dire du Poète, avait le goût de la merde, sur quoi flottaient des fibres de volaille, mais si mal cuites qu'on eût dit du cuir, et Praxeas annonça avec orgueil qu'il s'agissait de méthagallinaire (tiens, tiens ! nos amis se donnaient de nouveau des coups de coude) ; une moutarde qu'ils appelaient tchenfelec, faite de fruits confits, mais où il y avait davantage de poivre que de fruits. A chaque nouveau plat, les Eunuques se servaient gloutonnement, et en mastiquant ils faisaient des bruits avec leurs lèvres pour exprimer leur plaisir, outre des signes d'entente aux hôtes, comme pour dire : "Vous aimez ? N'est-ce pas un don du ciel ?" Ils mangeaient en prenant la nourriture avec les mains, même la soupe, l'absorbant dans leur paume repliée en conque, mélangeant en une seule poignée des choses différentes, et fourrant le tout dans leur bouche d'un seul coup. Mais seulement la main droite, parce que la gauche ils la tenaient sur l'épaule du jouvenceau qui veillait à renouveler toujours leur nourriture. Ils ne l'enlevaient que pour boire, et ils se saisissaient des cruches en les élevant jusqu'au-dessus de leur tête, se versant ensuite l'eau dans la bouche comme d'une fontaine.
Ce n'est qu'à la fin de ce repas lucullien que Praxeas fit un signe, et arrivèrent des Nubiens qui remplirent d'un liquide blanc de toutes miniscules coupes. Le Poète engloutit la sienne et aussitôt devint rouge, émit une sorte de rugissement, et tomba comme mort, jusqu'à ce que des jouvenceaux lui aspergeassent d'eau le visage. Praxeas explique que chez eux l'arbre du vin ne poussait pas, et que l'unique boisson alcoolique qu'ils savaient produire provenait de la fermentation du burq, une baie très commune en ces lieux. Sauf que la puissance de cette boisson était telle qu'il ne fallait la goûter qu'à petites gorgées, mieux, en mettant à peine la langue dans la coupe. Un vrai malheur, ne pas avoir ce vin dont on parlait dans les Evangiles, parce que les prêtres de Pndapetzim, chaque fois qu'ils disaient la messe, s'abîmaient dans l'ivresse la plus inconvenante et peinaient pour arriver au congé final.

[...]

Baudolino avait trop longuement raconté à Nicétas était affamé. Théophylacte le fit asseoir au souper, lui offrant du caviar de différents poissons, suivi d'une soupe aux oignons et à l'huile d'olive servie dans un plat plein de miettes de pain, puis une sauce de mollusques hachés, assaisonné avec vin, huile, ail, cinnamome, origan et moutarde. Pas beaucoup, selon ses goûts, mais Nicétas y fit honneur.

[...]

"Pauvre, infortuné Baudolino", dit Nicétas ému à en oublier de goûter à la tête de porc, bouillie avec du sel, des oignons et de l'ail, que Théophylacte avait conservée durant tout l'hiver dans un tonnelet d'eau de mer.

Baudolino, Umberto Eco (2000]

Corne d'abondance02

Régine Pernoud crayon

Le mariage de la fille de Samuel Bernard, dans le cadre de son somptueux hôtel, eût éclipsé une fête de Versailles : comme les salons étaient jugés insuffisants pour le nombre des invités, Samuel Bernard fit dresser en quelques jours dans ses jardins une immense galerie où lustres et glaces étaient distribués à profusion au milieu des tableau de maîtres ; c'est là que le repas fut servi à 60 convives qui se rendirent en cortège à l'église à minuit, après le bal, escortés par 100 hommes du guet et une compagnie de Suisses. En dehors même de ces occasions extraordinaires, le luxe de sa table était célèbre ; il y dépensait 150000 livres par an et l'on y voyait toutes les extravagances fastueuses que sa fortune lui permettait d'imaginer et de réaliser : des tables chargées qui disparaissaient par des trappes, tandis que d'autres toutes mises descendaient du plafond pour prendre leur place ; il possédait 48 douzaines d'assiettes d'argent et d'or ; certain jour, après avoir bu à la santé du dauphin, on brisa chez lui 2000 verres. C'est l'époque, ne l'oublions pas, où l'on voit pour la première fois apparaître le vin de Champagne.

[...]

Personnage solennel, de réputation plus que suspecte, de moeurs spéciales, il était devenu fameux par le luxe de sa table et par sa gourmandise poussée jusqu'au ridicule.

Histoire de la bourgeoisie en France - II. Les temps modernesRégine Pernoud (1960)

Corne d'abondance02

Enfin, bien entendu, les réunions des confrères sont marquées de fêtes, banquets et larges festivités au point que, dans le Nord, on leur donne fort souvent le nom significatif de potaciones, beuveries.

[...]

La même année, le roi faisait faire par ses baillis de vastes approvisionnements dont le détail donne quelque idée de la façon dont on résout à l'époque le problème relativement nouveau que pose le ravitaillement d'une grande armée (il ne s'était posé jusqu'alors qu'à l'occasion des croisades). On ordonne au bailli de Caen de se procurer 500 muids de blé, 500 tonneaux de vin, 500 muids d'avoine, 1000 pourceaux vifs, 1000 bacons, 10 muids de pois et 10 de fève ; au bailli de Mâcon de rassembler 1000 moutons et 500 bœufs, au bailli d'Auvergne, 2000 moutons et 1000 bacons, plus 1000 aumailles (bœufs). Le bailli de Troyes, lui, devra se procurer 1000 livres de cire, 4000 livres d'amandes et 20 pains de sucre. Ces vivres, payés en billets à courte échéance, étaient transportés francs de tout péage sur des chariots et des bêtes de somme réquisitionnés.

[...]

Les quantités de vin annuellement exporté de Bordeaux vers les ports anglais atteignent des chiffres stupéfiants pour nous : on a pu l'évaluer à 83000 tonneaux, soit environ 747000 hectolitres à la fin du XIVe siècle ; or, l'exportation du vin vers l'Angleterre atteignait environ 900000 hectolitres en 1950. Les chiffres impliquent une énorme disproportion dans la consommation de vin faite par les Anglais, puisque, on l'a fait remarquer, la population anglaise ne dépassait peut-être pas le dixième de celle d'aujourd'hui.

Histoire de la bourgeoisie en France - I. Des origines aux temps modernes, Régine Pernoud (1960)

1 février 2024

Le banquet

Platon, Le Banquet

Le Banquet, de Platon.

4e de couverture : Ils sont allongés sur des lits et parlent de l'Amour et de la Beauté. Leurs discours se succèdent, parfois se répondent : car il y a plusieurs Amours et plusieurs manières de désirer le Beau. À ces hommes vivant en un temps et un lieu où l'éducation des garçons est indissociable de la sexualité qui règles les rapports du maître et du disciple, une étrangère, Diotime, oppose un modèle féminin de la procréation du savoir. À travers elle, Socrate dessine les étapes de l'apprentissage du philosophe capable de se détacher du monde sensible pour devenir l'"amant" par excellence qui guide l'"aimé" dans sa quête du Vrai et du Beau.
Par-delà les interprétations prudentes du Banquet que nous a léguées la tradition philosophique, cette traduction invite à une lecture renouvelée du dialogue : un Banquet parfois extravagant, à l'image de son objet, d'une richesse stylistique exubérante, souvent cru dans son langage, foisonnant enfin dans sa recherche du bonheur véritable.

Extrait n°1 : Apollodore : - Quand au contraire j'entends d'autres propos, les vôtres en particulier, ceux de gens riches et qui font des affaires, cela me pèse et j'ai pitié de vous mes amis, parce que vous vous imaginez faire quelque chose, alors que vous ne faites rien.

Extrait n°2 : Socrate : - Ce serait une aubaine, Agathon, si le savoir était de nature à couler du plus plein vers le plus vide, pour peu que nous nous touchions les uns les autres, comme c'est le cas de l'eau qui, par l'intermédiaire d'un brin de laine, coule de la coupe la plus pleine vers la plus vide.

Extrait n°3 : Phèdre : - Éros n'a ni père ni mère et aucun auteur, qu'il soit poète ou prosateur, ne lui en attribue. Effectivement, Hésiode dit que d'abord il y eut Chaos.

Extrait n°4 : Aristophane : - Mais, pris de pitié, Zeus s'avise d'un autre expédient : il transporte les organes sexuels sur le devant du corps de ces êtres humains. Jusqu'alors en effet, ils avaient ces organes eux aussi sur la face extérieure de leur corps ; aussi ce n'est pas en s'unissant les uns les autres, qu'ils s'engendraient et se reproduisaient mais, à la façon des cigales en surgissant de la terre.

Extrait n°5 : Diotime : - Puis donc qu'il est le fils de Poros et de Pénia, Éros se trouve dans la condition que voici. D'abord, il est toujours pauvre, et il s'en faut de beaucoup qu'il soit délicat et beau, comme le croient la plupart des gens. Au contraire, il est rude, malpropre, va-nu-pieds et il n'a pas de gîte, couchant toujours par terre et à la dure, dormant à la belle étoile sur le pas des portes et sur le bord des chemins, car, puisqu'il tient de sa mère, c'est l'indigence qu'il a en partage.
[...]
Les ignorants ne tendent pas davantage vers le savoir ni ne désirent devenir savants. Mais c'est justement ce qu'il y a de fâcheux dans l'ignorance : alors que l'on n'est ni beau ni bon ni savant, on croit l'être suffisamment. Non, celui qui ne s'imagine pas en être dépourvu ne désire pas ce dont il ne croit pas devoir être pourvu.

Extrait n°6 : Alcibiade : - Mais le fait que Socrate ne ressemble à aucun homme, ni d'avant ni d'aujourd'hui, c'est cela qui est digne d'une admiration sans borne.

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