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Amour, émeute et cuisine
Amour, émeute et cuisine
  • Quelques pensées sur la civilisation, considérée dans ses aspects politiques, "philosophiques", et culinaires, entre autres. Il y sera donc question de capitalisme, d'Empire, de révolte, et d'antiterrorisme, mais aussi autant que faire se peut de cuisine.
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4 mai 2015

La contre-insurrection qui vient

La contre-insurrection qui vient
modestes propos sur la situation grecque

Il y a dans toute tragédie une partie qui est nœud et une partie qui est dénouement ; les faits qui sont en dehors de la tragédie et un certain nombre de faits qui sont dans la tragédie constitue le nœud, le dénouement comprend le reste.

Aristote, Poétique


Il est des temps où nous sentons presque instinctivement que se joue quelque chose d'une importance considérable pour le devenir d'une partie de l'humanité, voire pour l'humanité dans son ensemble ; et ce malgré le plus souvent une première circoncision – au moins apparente - de l'espace où les « événements » se nouent qui ont pu nous affecter de la sorte. Mais, en de telles époques, ce ne sont pas tant les « événements »1 eux-mêmes qui nous traversent que le nœud de leur entrelacement parvenu à un tel degré de resserrage qu'il s'est fait tragédie, et appelle par là-même un dénouement prochain. Aussi sans doute n'est-ce pas un hasard si à cette heure c'est en Grèce que se joue cet « art »2 de la tragédie, en quelque sorte, puisqu'il est patent que le peuple de ce pays en inventa la représentation dans l'antiquité en même temps qu'il imagina la démocratie – non telle que nous la connaissons, certes, et plus authentique à beaucoup d'égards bien que nous en ayons repris certains fondements.
Depuis l'assassinat du jeune Alexandros, tué par la police le 6 décembre 2008 dans le quartier d'Exarcheia à Athènes, la Grèce connaît en effet des « troubles » d'une ampleur devenue peu commune, au moins depuis que l'Italie insurgée de 1977 succombât sous les assauts de quelques services secrets occidentaux, et d'un appareil d’État fort prompt à appliquer avec violence dès l'année suivante une nouvelle législation antiterroriste.3 Par « troubles », il faut bien évidement entendre une « situation insurrectionnelle », situation qui aura menée à la récente élection de Syriza, autrement dit à l'élection d'une coalition de la gauche dite radicale.4 Nous avons pu voir, depuis, en France et ailleurs, se déployer deux archétypes de la diarrhée verbale médiatico-politique, le premier pour faire mine de s'inquiéter de la présence d'une telle gauche radicale à la tête d'une nation européenne5, le second au contraire pour se réjouir de ce qu'il y aurait là comme une avant-garde susceptible en faisant écho de nous sortir de l'austérité ambiante. Une fois encore, on veut nous faire croire à l'existence effective6 d'un antagonisme gauche-droite, et nous sommer de prendre parti pour l'une ou l'autre de ces options. Or, il s'agit de ne plus être dupe : gauche et droite sont toujours déjà les deux faces d'une même médaille ; d'un extrême à l'autre, elles sont nées du capitalisme et par conséquent ne peuvent guère s'employer qu'à en maintenir l'extension impériale, ou ad minima l'essentiel de celle-ci quand il arrive que la situation ne leur offre plus de pouvoir en maintenir la totalité – la Grèce en est là !, et si Syriza a obtenu de la régir, ce n'est bien notoirement que pour encadrer l'authentique dissidence du peuple, afin dans un premier temps de conserver au moins la majeure partie de l'infrastructure « marchande », et d'organiser sur place, dans un second temps, la contre-révolution.7 Autrement dit la gauche grecque n'a pas pour objet d'émanciper le prolétariat en lui offrant de s'abolir lui-même en éliminant son réel ennemi – l'infrastructure policière-marchande -, mais de l'économiser comme prolétariat quitte à lui accorder une augmentation de salaire susceptible de devenir utile à l'entretien de l'ennemi susdit. La police en Grèce a donc uniquement changé de nom : elle s'appelle momentanément Syriza, et comme ailleurs elle parle seule et bave spectaculairement des commentaires sur le spectacle d'elle-même.

Le nœud tragique où le pays des hellènes se situe peut dès maintenant se synthétiser comme étant à la jonction embrouillée de trois questions historiques particulières : 1 – L'absence de soutiens insurrectionnels extérieurs, qui rend peu probable une victoire du camp révolutionnaire grec à l'intérieur de ses propres frontières, va-t-elle persister comme à quelques exceptions près elle l'a fait jusqu'ici ? Pour ne serait-ce qu'envisager une telle victoire, il faudrait que la France, l'Italie et l'Espagne, au minimum, entrent à leur tour dans la lutte, et avec une ampleur au moins comparable à celle de mai 68. 2 - La gauche dite radicale actuellement au pouvoir va-t-elle ou non s'avérer capable de réaliser ce pour quoi elle a été flanquée là ?, contenir l'insurrection dans le spectacle d'elle-même jusqu'à en réduire à rien l'authentique subversion première. Autrement dit, quelle quantité de la population grecque va condescendre à se laisser duper ?, et pour combien de temps ? 3 – Les anarchistes et les autonomes, qui ont su montrer leur détermination à plusieurs reprises, pourront-ils éviter l'épuisement qui menace toujours même les meilleures volontés révolutionnaires dès lors que le mouvement se voit contraint de s'installer dans la durée ?
Il n'est pas difficile d'inférer, partant, que si le parti Syrisa porte bel et bien en lui la possibilité d'un dénouement de la tragédie en cours, c'est seulement pour faire entrer de nouveau la Grèce dans cette autre tragédie à durée indéterminée où sont concentrés tous les humains de tous les pays : l'enfer de l'infrastructure policière-marchande ! Et ce sur quoi dès lors il nous faut compter, si nous voulons reléguer Syrisa et tous les autres dans les oubliettes de l'Histoire, c'est sur l'extension universelle de l'insurrection, seule susceptible de nous offrir un dénouement où l'être renouerait unitairement avec la totalité d'un joyeux vivre-au-monde, non pas sans tragédie, mais d'un tragique vital où l'avoir n'est rien. Grèce générale doit maintenant devenir l'un des mots d'ordre de toutes les bonnes volontés partout présentes au monde.


Léolo

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Notes :

1 – Un événement, dans l'Empire de la marchandise, n'est plus guère qu'un dispositif

2 - L'art en son sens premier, c'est-à-dire non séparé, artisanal, et dans le cas qui nous occupe à considérer donc en tant que consubstanciel à la démocratie.

3 – Cette législation a depuis inspiré la plupart des pays dits démocratiques, où elle s'applique en tant qu'état d'exception devenu permanent. Suite à l'affaire Charlie Hebdo, la France vient d'ailleurs de durcir encore cet appareil répressif.

4 – Syriza = Synaspimós Rizospastikís Aristerás : Coalition de la gauche radicale.

5 – Nation considérée là dans sa valeur symbolique, mais d'un autre côté renvoyée sans cesse à sa moindre importance économique.

6 – autrement dit qui « produit » des effets dans le réel.

7 – Mitterrand et le P.S. ont eu le même rôle en France durant toutes les années 1980, parce qu'en France comme en Grèce la droite s'avère le plus souvent dans l'incapacité de contenir la révolte. C'est d'ailleurs pourquoi Mélanchon, ici, parvient à se faire une petite place ; on le garde en réserve au cas où il deviendrait nécessaire de répondre à une contestation d'envergure. Il en va tout autrement dans des pays tels que l'Angleterre ou les États-Unis, entre autres.

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