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Amour, émeute et cuisine
Amour, émeute et cuisine
  • Quelques pensées sur la civilisation, considérée dans ses aspects politiques, "philosophiques", et culinaires, entre autres. Il y sera donc question de capitalisme, d'Empire, de révolte, et d'antiterrorisme, mais aussi autant que faire se peut de cuisine.
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7 février 2024

Aurora

Michel Leiris, Aurora

Aurora, de Michle Leiris.

4e de couverture : Rédigée en 1927-1928, publiée en 1946, Aurora, à la fois exploration périlleuse des rêves, longue hallucination du corps des femmes, expérimentation du langage, confiance absolue ajoutée au pouvoir de l'imagination, contient en outre le premier en date des récits autobiographiques de Michel Leiris, donné ici sous l'anagramme, si prestigieux, de Damoclès Siriel.
Comme jadis Rome vouait le supplicié à l'escalier des Gémonies, dans ce tumultueux roman d'amour la langue soumet le narrateur, entre l'avant-dernière marche et la rampe-cordelière, la panoplie et la gravure désuète, le souvenir des livres et la profondeur énigmatique d'un corps, à la libre sauvagerie du nom de l'héroïne. Aurora, fille d'Hypérion, sœur du soleil, mère des Vents et des Astres, selon les formes que son nom revêt (Eau-Rô-Râh, OR AUX RATS, Horrora, etc.), décide de la nature des épisodes et des épreuves, et les fait s'enchaîner bâtissant un tissu de chimères autonomes, où débondent les terreurs comme prolifèrent les mondes, comme s'irritent les désirs. Elle rejoue un sacrifice sans âge : corps sans cesse démembré et réarticulé sans fin, nom unique dont la perte est consommée indéfiniment.

Pascal Quignard

Extrait n°1 : Ma poitrine respirait et je sentais le poids de mes viscères, cette pesanteur aussi lugubre que celle d'une valise remplie, non de vêtements, mais de viande de boucherie.

Extrait n°2 : Mes détonations donneraient la jaunisse au tonnerre, les pluies tourneraient en urine et tout l'automne le ciel ne ferait que pisser, ainsi qu'un animal qui a trop peur et dégage candidement sa vessie sans se préoccuper de vos stupides formules de politesse, bonnes tout juste pour ce que sont les hommes : des animaux qui se retiennent d'excréter.

Extrait n°3 : Car dans cet immeuble qui, comme un phallus obscène, gratte la vulve du ciel, on fait furieusement l'amour.

Extrait n°4 : Tant que ma voile triangulaire résoudra l'équation dont les deux inconnues sont le vent et les flots, j'insulterai tout ce qui vit sous les cieux ; je maudirai toutes ces végétations informes et tenterai d'envenimer la mer par mes crachats.

Extrait n°5 : Son pas lui-même était toujours aussi agile, mais c'était le déroulement des paysages qui fonctionnait moins bien. C'est pourquoi il devait se tenir pour victime d'un complot de la nature environnante, d'une coalition des arbres et des ruisseaux, désireux de résister à tout prix à l'écœurante instabilité de "choses vues" que leur infligeait le pas du voyageur.

Extrait n°6 : Une plainte traînait ses vieux moignons tachés de sang dans une ruelle perdue au fond de l'âme suburbaine du vagabond et celui-ci chassait cette vieille mendiante à coups de pied, l'invitant, non certes pas ! à travailler, mais bien plutôt à tuer ou à voler.

Extrait n°7 : Il me fallait commencer à comprendre qu'aucun cataclysme ne viendrait, du choc de sa massue d'éther, ruiner l'infecte cathédrale qui s'élève au-dessus des cryptes souterraines dont la cachette est plus secrète encore que celle de la matière, qu'à jamais je serais lié au poteau des idées forcément ancillaires, parce que rien, sinon cette destruction du monde, ne pourrait me délivrer de l'horrible nasse baveuse dont les joncs relatifs s'étaient croisés autour de moi, comme des grillages de prisonnier, à la minute où la sorcière des naissances m'avait fait vivre malgré moi, me jetant corps et âme entre les rouages de cette affreuse machine grâce au truchement d'une semence éphémère.

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