Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Amour, émeute et cuisine
Amour, émeute et cuisine
  • Quelques pensées sur la civilisation, considérée dans ses aspects politiques, "philosophiques", et culinaires, entre autres. Il y sera donc question de capitalisme, d'Empire, de révolte, et d'antiterrorisme, mais aussi autant que faire se peut de cuisine.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
philosophie
3 juin 2014

L’écœurement n°5, la revue du désœuvrement actif

L’écœurement n°5 Couv écoeur n°5 05

Cliquez sur l'image pour obtenir le PDF

 Cette fois, en cette fin de la dixième lune de l'an 104 - qui soit dit en passant fut moins belle que la saison dont elle est l'ardente élue ne le laisse généralement attendre -, c'est fait !, on ne va plus cesser de nous bassiner avec l'odieux Front National et ses 25% aux dernières élections européennes ; quid des 57% d'abstentionnistes, des non-inscrits, et de tout ceux auxquels on a retiré le rudimentaire droit d'exercer leur civisme. Pour mieux nous entourlouper, on n'a d'ores et déjà pas manquer d'agiter le drapeau de la peur en nous parlant de « choc », de « séisme », et bien entendu d'un soi-disant néo-nazisme à présent devenu plus grimpant que rampant. Les monarques du FN ont donc encore eu de quoi rire davantage face à tant de tartuferies spectaculaires, et ce d'autant plus sûrement qu'ils ne pouvaient plus ignorer combien joue toujours en leur faveur qu'on continue de les vouloir faire passer pour anti-démocrates alors même qu'ils ne cessent de réclamer de la proportionnelle dans les élections. Car c'est désormais connu de beaucoup : ici comme ailleurs l'Empire aime les élections, mais seulement dès lors que leur résultat tourne en sa faveur ; l'Empire n'aime pas la « raison » des peuples....

 

Sommaire

Page 3 à 6 : Edito (Léolo)

Page 9 à 16 : Viticulture et culte de la vitesse à l'heure du réchauffement climatique (Léolo)

Page 17 à 38 : De la présence absente et de la tyrannie des dispositifs (Jordan)

Page 39 à 43 : De la haute absurdité du concept de "croissance" expliquée par un grain de riz ! (Isabeau de Loère)

Avec des illustrations de Léolo et Florence M.

 

Publicité
12 avril 2014

Note sur la suppression générale des partis politiques

Note sur la suppression générale des partis politiques (1950)

Notes sur la suppression générale des partis politiques, de Simone Weil, 1950 (écrit en 1940).

Extrait n°1 : L'idée de parti n'entrait pas dans la conception politique française de 1789, sinon comme mal à éviter. Mais il y eut le club des Jacobins. C'était d'abord seulement un lieu de libre discussion. Ce ne fut aucune espèce de mécanisme fatal qui le transforma. C'est uniquement la pression de la guerre et de la guillotine qui en fit un parti totalitaire.

Extrait n°2 : S'il y a eu en 1789 une certaine expression de la volonté générale, bien qu'on eût adopté le système représentatif faute de savoir en imaginer un autre, c'est qu'il y avait eu bien autre chose que des élections. Tout ce qu'il y avait de vivant à travers tout le pays - et le pays débordait alors de vie - avait cherché à exprimer une pensée par l'organe des cahiers de revendications.

Extrait n°3 : Mais aucune quantité finie de pouvoir ne peut jamais être en fait regardée comme suffisante, surtout une fois obtenue. Le parti se trouve en fait, par l'effet de l'absence de pensée, dans un état continuel d'impuissance qu'il attribue toujours à l'insuffisance du pouvoir dont il dispose. Serait-il maître absolu du pays, les nécessités internationales imposent des limites étroites.

Extrait n°4 : C'est en désirant la vérité à vide et sans tenter d'en deviner d'avance le contenu qu'on reçoit la lumière. C'est là tout le mécanisme de l'attention.

Extrait n°5 : Presque partout - et même souvent pour des problèmes purement techniques - l'opération de prendre parti, de prendre position pour ou contre, s'est substituée à l'obligation de la pensée. C'est là une lèpre qui a pris origine dans les milieux politiques, et s'est étendue, à travers tout le pays, presque à la totalité de la pensée. Il est douteux qu'on puisse remédier à cette lèpre, qui nous tue, sans commencer par la suppression des partis politiques.

23 octobre 2013

Contributions à la guerre en cours

Contributions à la guerre en cours (2009-2001)

Contributions à la guerre en cours, Tiqqun, éditions La fabrique, (réunion de textes déjà parus en 2001 dans la revue Tiqqun n°2)

Extrait n°1 : La communauté ne désigne jamais un ensemble de corps conçus indépendamment de leur monde, mais une certaine nature des rapports entre ces corps et de ces corps avec leur monde.

Extrait n°2 : Chaque corps, pour devenir sujet politique au sein de l'État moderne, doit passer à l'usinage qui le fera tel : il doit commencer par laisser de côté ses passions, imprésentables, ses goûts, dérisoires, ses penchants, contingents, et il doit se doter en lieu et place de cela d'intérêts, eux certes plus présentables, et même représentables. Ainsi donc, chaque corps pour devenir sujet politique doit-il procéder à son autocastration en sujet économique. Idéalement, le sujet politique se sera alors réduit à une pure voix.

Extrait n°3 : A chaque instant de son existence, la police rappelle à l'État la violence, la trivialité et l'obscurité de son origine.

Extrait n°4 : L'Empire ne conçoit pas la guerre civile comme un affront fait à sa majesté, comme un défi à sa toute-puissance, mais simplement comme un risque. Ainsi s'explique la contre-révolution préventive que l'Empire n'a de cesse de livrer à tout ce qui pourrait occasionner des trous dans le tissu biopolitique continu. A la différence de l'État moderne, l'Empire ne nie pas l'existence de la guerre civile, il la gère.

Extrait n°5 : Sous l'Empire, les formes classiques du capitalisme se survivent, mais comme formes vides, comme purs véhicules au service du maintien des dispositifs. Leur rémanence ne doit pas nous leurrer : elles ne reposent plus en elles-mêmes, elles sont devenues fonction d'autre chose. DÉSORMAIS, LE MOMENT POLITIQUE DOMINE LE MOMENT ÉCONOMIQUE. L'enjeu suprême n'est plus l'extraction de plus-value, mais le Contrôle.

21 octobre 2013

Du trop de réalité

Du trop de réalité (2000)Du trop de réalité, de Annie Le Brun, 2000.

Extrait n°1 : Car c'est le trop de réalité qui engendre cette "réalité virtuelle" destinée à englober toute réalité, dans la mesure où "il s'agit d'un système dans lequel la réalité même (c'est-à-dire l'existence matérielle/symbolique des gens) est entièrement captée, immergée, dans un cadre d'images vituelles, dans un univers de simulacres, dans lequel les apparences ne se situent pas seulement sur l'écran où l'expérience est communiquée, mais deviennent l'expérience même".

Extrait n°2 : Quant aux exceptions, il paraît bien difficile d'en trouver dans un temps où il n'est plus d'intellectuel à pouvoir même concevoir l'honneur de refuser le Légion d'honneur.

Extrait n°3 : Quant aux artistes - dont il n'y a pas grand-chose à attendre depuis que Jacques Vaché en a tranché en 1917 : "Nous n'aimons ni l'art, ni les artistes" -, on ne sait pas ce qui les aurait empêchés de rejoindre cette domesticité culturelle. Sinon, on ne verrait pas prétendre à ce titre une pléthore de travailleurs culturels censés produire l'art de ce temps, au rythme des bourses et subventions que tous les Etats du monde leur accordent généreusement.

Extrait n°4 : Sur ce point, comme sur tant d'autres aujourd'hui, l'université donna le ton - ce qui, soit dit en passant, confirmait l'analyse de "Unabomber" pour qui les universitaires sont les meilleurs agents de la société qu'ils prétendent critiquer. En effet, tous les professeurs d'université, sollicités par la police pour évaluer le texte dont on cherchait à arrêter l'auteur, furent unanimes : non seulement ce texte ne répondait pas aux critères universitaires mais son auteur n'était pas des leurs.

21 octobre 2013

Le Socialisme sans le Progès (The Root is Man)

Le socialisme sans le progrès (1946)

Le Socialisme sans le Progrès, (Titre original : "The Root is Man"), de Dwight Macdonald, 1946, traduit de l'anglais par Célia Izoard, 2011.

Extrait n°1 : Entre la révolution française de 1789 et l'année 1928, les termes "droite" et "gauche" permettaient de décrire le paysage politique de façon appropriée. Mais en 1928 s'opéra un tournant qui déplaça les termes de la lutte pour l'émancipation humaine - certes, il était en préparation depuis plus longtemps, mais l'année 1928 constitue un point de repère commode. C'est l'incapacité de Trotski à le comprendre qui a donné à son analyse de la "question russe" un caractère de plus en plus irréel ; de même que l'aveuglement durable des libéraux et des socialistes face à cette nouvelle donne explique le caractère pour le moins décalé de leurs positionnements politiques actuels.

Extrait n°2 : L'idée de processus historique, qui était encore il y a un siècle la marque de fabrique de la gauche, est devenue l'argument massue des partisans de l'état des choses actuel.

Extrait n°3 : Nous sommes d'avis qu'il faut adapter la technologie à l'humain même si cela impliquait - ce qui est probable - une régression technologique, au lieu d'exiger des humains qu'ils s'adaptent aux technologies.

Extrait n°4 : Aujourd'hui, le problème fondamental que nous devons affronter, en tant que socialistes, est ce que Georg Lukacs appelle la réification (la "chosification"), un processus que Marx décrit de façon prophétique dans sa théorie de l'aliénation : le fait que l'humain est rendu étranger à sa propre nature par des forces sociales qu'il a lui-même libérées.

Publicité
26 juin 2013

Surveiller et punir

Surveiller et punir (1975)

Surveiller et punir, de Michel Foucault, 1975.

Extrait n°1 : Le supplice est une technique et il ne doit pas être assimilé à l'extrémité d'une rage sans loi. Une peine, pour être un supplice, doit répondre à trois critères principaux : elle doit d'abord produire une certaine quantité de souffrance qu'on peut sinon mesurer exactement, du moins apprécier, comparer et hiérarchiser ; la mort est un supplice dans la mesure où elle n'est pas simplement privation du droit de vivre, mais où elle est l'occasion et le terme d'une gradation calculée de souffrances : depuis la décapitation - qui les ramène toutes à un seul geste et dans un seul instant : le degré zéro du supplice - jusqu'à l'écartèlement qui les porte presque à l'infini, en passant par la pendaison, le bûcher et la roue sur laquelle on agonise longtemps ; la mort-supplice est un art de retenir la vie dans la souffrance, en la subdivisant en "mille morts" et en obtenant, avant que cesse l'existence "the most exquisite agonies".

Extrait n°2 : Dans son affrontement avec le condamné, l'exécuteur était un peu comme le champion du roi. Champion cependant inavouable et désavoué : la tradition voulait, paraît-il, quand on avait scellé les lettres du bourreau, qu'on ne les pose pas sur la table, mais qu'on les jette à terre. On connaît tous les interdits qui entouraient cet "office très nécessaire" et pourtant "contre-nature". Il avait beau, en un sens, être le glaive du roi, le bourreau partageait avec son adversaire son infamie. La puissance souveraine qui lui enjoignait de tuer, et qui à travers lui frappait, n'était pas présente en lui ; elle ne s'identifiait pas à son acharnement. Et jamais justement elle n'apparaissait avec plus d'éclat que si elle interrompait le geste de l'exécuteur par une lettre de grâce.

Extrait n°3 : Le pouvoir dans la surveillance hiérarchisée des disciplines ne se détient pas comme une chose, ne se transfère pas comme une propriété ; il fonctionne comme une machinerie. Et s'il est vrai que son organisation pyramidale lui donne un "chef", c'est l'appareil tout entier qui produit du "pouvoir" et distribue les individus dans ce champ permanent et continu. Ce qui permet au pouvoir disciplinaire d'être à la fois absolument indiscret, puisqu'il est partout et toujours en éveil, qu'il ne laisse en principe aucune zone d'ombre et qu'il contrôle sans cesse ceux-là mêmes qui sont chargés de contrôler ; et absolument "discret", car il fonctionne en permanence et pour une bonne part en silence.

26 juin 2013

Enfance et histoire

Enfance et histoire (1978)

Enfance et histoire, de Giorgio Agamben, 1978.

Extrait n°1 : Mais cela signifie, étant donné la nature médiatrice de l'imagination, que le fantasme est aussi le sujet, et non seulement l'objet de l'éros. Dans la mesure, en effet, où l'amour trouve dans l'imagination son lieu unique, le désir n'est jamais confronté à l'objet dans sa corporéité (d'où l'apparent "platonisme" de l'éros des troubadours et du dolce stil novo), mais à une image (à un "ange", au sens technique que prend ce mot dans la philosophie arabe et la poésie amoureuse : imagination pure et séparée du corps, substantia separata qui par son désir met en mouvement les sphères célestes), à une "nova persona", littéralement faite de désir (Cavalcanti : "formando di desio nova persona"), en qui s'abolissent les limites entre subjectif et objectif, corporel et incorporel, désir et objet. Loin d'apparaître ici comme opposition d'un sujet désirant et d'un objet du désir, l'amour trouve, si l'on peut dire, son sujet-objet dans le fantasme : voilà ce qui permet aux poètes de le définir (en contraste avec un fol amour qui peut tout au plus consommer son objet, sans jamais vraiment s'unir à lui, sans jamais en faire l'expérience) comme un "amour accompli" (fin'amors), dont la jouissance est sans fin ("gioi che mai non fina"). Voilà ce qui les autorise, en liaison avec la théorie averroïste qui voit dans le fantasme le lieu où s'unissent l'individu singulier et l'intellect agent, à transformer l'amour en expérience sotériologique. Mais quand au contraire l'imagination se trouve exclue de l'expérience, pour cause d'irréalité, et quand elle cède sa place à l'ego cogito (devenu sujet du désir, "ens percipiens ac appetens", comme dit Leibniz), alors le désir change radicalement de statut ; il échappe par essence à toute satisfaction, tandis que le fantasme, jadis médiateur garantissant une possible appropriation de l'objet du désir (autrement dit, la possibilité d'en faire l'expérience), en vient à marquer l'impossibilité même de se l'approprier (de l' "expérimenter").

Extrait n°2 : Poser rigoureusement le problème de l'expérience, c'est donc fatalement rencontrer le problème du langage. Ici prend tout son poids la critique que Hamann adressait à Kant : une raison pure "élevée au rang de sujet transcendantal" et affirmée indépendamment du langage est un non-sens, car "non seulement toute la faculté de penser réside dans le langage, mais le langage est aussi au cœur du différend de la raison avec elle-même.

Extrait n°3 : Il apparaît alors que Lumignon touche juste, lorsqu'il nous suggère qu'entre le jeu et le sacré existe un rapport d'inversion. Le pays des jouets est un pays dont les habitants célèbrent des rites, ou manipulent des objets et des formules sacrées, dont ils ont pourtant oublié le sens et la fonction. Ne nous étonnons pas que cet oubli, que ce démembrement et cette inversion dont parle Benveniste, leur permettent aussi de dégager le sacré de tout lien au calendrier, comme  au rythme cyclique du temps dont il est la sanction, et leur donnent ainsi accès à une autre dimension du temps, où les heures passent "comme un éclair" et où les jours ne se suivent pas. Grâce au jeu, l'homme se délivre du temps sacré, pour l' "oublier" dans le temps humain.

26 juin 2013

Le marxisme après Marx

Le marxisme après marx (1970)

Le marxisme après Marx, de Pierre Souyri, 1970.

Extrait n°1 : Or, c'est là pure mystification car l'histoire est imprévisible. Elle n'est pas mise en mouvement par un déterminisme objectif que l'analyse pourrait mettre à jour, mais par des mythes, c'est-à-dire par des complexes d'images motrices chargées d'affectivité et génératrices d'action : c'est par l'intensité avec laquelle les mythes sont vécus et traduits en actes que l'avenir se réalise.

Extrait n°2 : Mais à plus long terme, lorsque tout le globe sera intégré au capitalisme, la possibilité d'atténuer les contradictions internes des pays les plus avancés, par l'élargissement vers l'extérieur du champ d'application du capital, se trouvera ruinée. Dès lors, tandis que la "mise en jachère" du capital prendra des proportions de plus en plus importantes, les crises se répéteront avec une violence croissante. Il deviendra alors évident que la phase ascendante du capitalisme a pris fin avec la mondialisation du système.

Extrait n°3 : Par ailleurs, la configuration du monde à abattre avait changé. Le prolétatriat se trouvait désormais face à un Etat capitaliste qui se cuirassait de forces contre-révolutionnaires et n'hésiterait pas, devant l'ampleur de la menace prolétarienne, à liquider toutes les conditions d'une forme pacifique de la lutte des classes. On pouvait encore utiliser les campagnes électorales pour développer des thèmes d'agitation. Mais les luttes principales se situaient désormais sur un autre terrain. C'est par la contestation de l'ordre et du pouvoir capitaliste dans les ateliers, les usines, les casernes et les rues, par la grève de masse qui, à la limite, culmineraient en insurrection que le prolétariat serait amené à rompre avec les conceptions social-démocrates de la politique, à découvrir dans l'Etat, non pas un organisme neutre, mais l'instrument central de la violence répressive du capital et à se donner les organisations nécessaires pour affronter et briser cet instrument. En raison même des transformations subies par l'Etat à l'époque impérialiste, la lutte des classes devait nécessairement prendre la forme d'une guerre des classes.

26 juin 2013

Minima Moralia

Minima Moralia (1951)

Minima Moralia, de Théodor W. Adorno, 1951.

Extrait n°1 : La mauvaise nouvelle que l'on apporte à Job dans le mythe biblique trouve un équivalent moderne dans la radio. Celui qui communique quelque chose d'important de façon autoritaire annonce un malheur. En anglais, "solennel" signifie cérémonieux et menaçant. D'emblée, le pouvoir de la société qui est derrière celui qui parle se tourne contre ceux auxquels il s'adresse.

Extrait n°2 : S'il est vrai que toute psychologie, depuis Protagoras, a valorisé l'homme à travers l'idée qu'il était la mesure de toutes choses, du même coup elle a fait de lui dès le début un objet, un matériel d'analyse ; et une fois qu'elle l'a rangé ainsi parmi les choses, elle l'a voué à leur néant. Le fait qu'on nie qu'il y ait une vérité objective, en ayant recours au sujet, cela implique la négation de ce même sujet : il n'y a plus de mesure pour la mesure de toutes choses, laquelle bascule dans la contingence et dans la fausseté. Et cela nous ramène aux processus réels qui régissent la vie de la société. Le principe de la domination humaine, qui est devenu maintenant absolu, s'est par là même retourné contre l'homme, devenu lui-même absolument objet, et la psychologie a contribué à renforcer cette domination. Du même coup, le moi, qui est l'idée directrice de la psychologie et son objet a priori, est invariablement devenu sous son regard quelque chose qui d'emblée n'existait pas.

Extrait n°3 : En laissant les femmes accéder à toutes les activités surveillées on a permis tacitement que se prolonge leur déshumanisation. Dans la grande entreprise elles continuent d'être ce qu'elle furent dans la famille, des objets. Il ne faut pas penser seulement à leurs pauvres journées de travail professionnel et à leur vie au foyer où subsistent absurdement en circuit clos les conditions du travail domestique qui s'ajoutent à celles du travail industriel - il faut aussi penser à elles-mêmes. Docilement, sans le moindre réflexe de révolte, elles reflètent l'image de la domination et s'identifient à elle. Au lieu de résoudre la question féminine, la société masculine a élargi son propre principe et l'a généralisé si bien que les victimes ne sont plus en mesure de poser les questions les concernant. Pour peu qu'on leur concède une certaine abondance de marchandises, elles acceptent leur sort avec enthousiasme, abandonnent aux hommes le soin de penser, condamnent dans toute réflexion le manquement à l'idéal féminin propagé par l'industrie culturelle et se sentent en général très bien dans la non-liberté qui est à leurs yeux l'accomplissement réservé à leur sexe.

Extrait n°4 : Leur société de masse n'a pas seulement produit la camelote pour les clients, elle a produit les clients eux-mêmes.

26 juin 2013

Oublier Fukushima

Oubliez Fukushima (2012)

Oublier Fukushima, textes et documents, de Arkadi Filine, 2012.

Extrait n°1 : La catastrophe de Fukushima n'a pas lieu. La catastrophe de Fukushima n'a pas eu lieu. Quelle catastrophe ? La fréquentation assidue du désastre nous en fait perdre la réalité. A peine une ombre passe-t-elle encore sur nos âmes rompues à l'horreur. L'imagination s'assèche et l'empathie patine face aux réacteurs en fusion, face à l'impéritie burlesque des réponses techniques, face à l'incommensurable pollution du pays, bref, face au naufrage d'un monde. Le fracas de cruelles nouvelles du Japon, s'il nous afflige, assourdit surtout notre perception de la réalité matérielle et politique des faits. Pourquoi l'évidente nécessité d'en finir avec le nucléaire ne nous saisit-elle pas aux tripes ?

Extrait n°2 : Le temps de la catastrophe s'allonge inexorablement, impossible à embrasser pour l'entendement des mortels. La véritable catastrophe nucléaire, ce n'est pas que tout s'arrête mais que tout continue. La bombe n'a pas détruit le monde, mais elle a ouvert une nouvelle période de la domination. La terreur provoquée par la menace de l'apocalypse nucléaire ne produit qu'un effet : figer l'ordre des choses. Il faudrait préserver l'espèce, et sauver sa peau au passage. Pour parachever ce programme de glaciation sociale de l'après-guerre, il s'agit de civiliser l'atome : la bombe accouche d'usines d'électricité. Prise en étau entre le cauchemar de la destruction totale et le rêve d'une énergie illimitée, une nouvelle humanité verrait le jour. Une humanité confinée au rayon électroménager et toujours enchaînée au régime de la survie économique. Faute de prise sur sa propre vie, on aurait des prises partout dans sa cuisine. S'étant rendu indispensable, le nucléaire n'a par la suite plus besoin de grands discours pour continuer à s'imposer.

Extrait n°3 : Il faudrait que l'on se contente de compter les morts. Au tournant des années quatre-vingt, pour la dernière fois dans ce pays, des communautés entières perçoivent le nucléaire tel qu'il est : une bombe déguisée en usine à nuage, la fin d'un rapport au monde, une ultime perte d'autonomie. Ces luttes massives contre les implantations des centrales sont enterrées dans les urnes en 1981. La nucléarisation se poursuit sans encombre dans la morosité des années roses. La jeune bureaucratie verte née sur le cadavre des luttes achève de faire du nucléaire une question séparée, technique, environnementale, qui balaye la question sociale.

Extrait n°4 : La catastrophe dans laquelle se débattent les Japonais agit comme un miroir grossissant. Nous reconnaissons dans le sort qui est fait à ces gens là-bas le sort qui nous est fait ici. Nous y voyons le mépris de l'Etat, les rapports sociaux aliénés, l'exploitation des travailleurs sacrifiés, la médicalisation rampante de la vie, l'économie toujours conquérante... et la mesure comme remède à l'angoisse provoquée par un monde devenu tout à fait étranger.

Publicité
<< < 1 2 3 4 5 > >>
Publicité