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Amour, émeute et cuisine
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  • Quelques pensées sur la civilisation, considérée dans ses aspects politiques, "philosophiques", et culinaires, entre autres. Il y sera donc question de capitalisme, d'Empire, de révolte, et d'antiterrorisme, mais aussi autant que faire se peut de cuisine.
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13 novembre 2020

La Cité future

Antonio Gramsci, La cité future

La cité future, de Antonio Gramsci.

4e de couverture : Journal à numéro unique paru en février 1917, entièrement rédigé par Antonio Gramsci, La Cité future est une oeuvre inclassable publiée intégralement en français pour la première fois.
Fruit d'une pensée rigoureuse et inventive, ces textes vont du simple tract à l'article de fond, de l'aphorisme au billet d'humeur passionné, du conseil de lecture à l'essai explorateur de pistes.

Préface de André Tosel :

Extrait n°1 : Dans un PSI divisi, impuissant face au désordre qui accompagne la guerre, débordé par un fort nationalisme - le directeur de l'Avanti ! Benito Mussolini a fait dissidence pour créer un mmouvement populiste, le fascisme qui se veut transclassiste et subordonne le social au national -, le jeune Gramsci remet en cause une action politique qui demeure subalterne aux forces dirigeantes industrielles et agrariennes, qui ne dépasse pas un double enfermement dans un parlementarisme corrompu par le transformisme et dans un mouvement syndical étroitement économiciste.

Extrait n°2 : Pour Gramsci la culture en tant que culture du socialisme est critique de toute la civilisation devenue capitaliste, tout comme le socialisme devenu culture s'oriente selon une discipline nouvelle, celle de créateur d'un ordre intégral délivré des privilèges, des préjugés et des idôlatries anciens et modernes.

Gramsci :

Extrait n°1 : L'avènement de la guerre a secoué comme l'aurait fait un coup de vent les indifférents, les jeunes qui jusqu'à hier se fichaient de tout ce qui était solidarité et discipline politique. Mais cela ne suffit pas, cela ne suffira jamais. Il faut toujours grossir les rangs et les serrer.

Extrait n°2 : Les jeunes sont comme les vélites légers et courageux de l'armée prolétarienne qui vont à l'assaut de la vieille cité pourrie et chancelante pour faire surgir de ses ruines la nouvelles cité.

Extrait n°3 : Le sens commun, le très balourd sens commun, prêche habituellement qu'il est mieux d'avoir un oeuf aujourd'hui qu'une poule demain. Le sens commun est un terrible négrier des esprits.

Extrait n°4 : On voulait, avec l'utopie, présenter une mise en ordre du futur qui fut bien coordonnée, bien polie, et enlever l'impression du saut dans l'inconnu. Mais les constructions sociales utopiques se sont toutes écroulées parce que, polies comme elles l'étaient et bien mises en ordre, il suffisait de démontrer qu'un détail n'était pas fondé pour les faire s'écrouler dans leur totalité.

Extrait n°5 : On ne conçoit pas une volonté qui ne soit pas concrète, c'est-à-dire qui n'ait pas un but. On ne conçoit pas une volonté collective qui n'ait pas un but universel concret.

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10 novembre 2020

L'imposture antispéciste

Ariane Nicolas, L'imposture antispéciste

L'imposture antispéciste, de Ariane Nicolas.

4e de couverture : L'antispécisme exige aujourd'hui violemment la "libération" des bêtes. Cela supposerait d'interdire tout produit d'origine animale, ainsi que des pratiques jugées "oppressives" (équitation, chasse, corrida, zoos...), voire de préférer la vie d'un chimpanzé à celle d'un handicapé mental. L'antispéciste est au végane ce que l'intégrisme est au croyant.

Ce courant dispose de théoriciens influents, comme Peter Singer, et de relais politico-médiatiques, comme l'association L214 ou le Parti animaliste. Or la disposition des animaux à souffrir ne suffit pas à leur donner des droits fondamentaux sur le modèle des droits de l'homme. Il est également malhonnête d'enrôler dans une telle cause le féminisme et l'antiracisme. Enfin cette utopie cache mal ses liens avec le transhumanisme...

Les "libérateurs" des animaux apparaissent alors davantage comme le symptôme d'une société qui s'invente une idéologie pour mieux affronter le vide qui la ronge : productivisme sans fin, industrie agro-alimentaire devenue folle, perte du lien social, destruction de la planète... Mais ce n'est pas en faisant de l'animal un nouveau messie que nous infléchirons notre destin.

Extrait n°1 : Le terme "antispécisme" est l'antonyme de "spécisme", un mot inventé en 1970 par le psychologue britannique Richard D. Ryder. La sonorité de ce néologisme est volontaire (les antispécistes ne laissent rien au hasard). Elle fait écho aux termes "racisme" et "sexisme" : les animaux seraient victimes de discriminations et d'oppression au même titre que les Noirs ou les femmes en leur temps, lorsque leurs droits n'étaient pas pleinement reconnus constitutionnellement.

Extrait n°2 : Etes vous sûrs, comme Peter Singer l'affirme, que vous préféreriez tuer un être humain trisomique plutôt qu'un singe bien portant ? Le doute est permis. En réalité, Peter Singer fait de son propre jugement une vérité universelle, ce qui est un procédé fort enrichissant lorsqu'on lit Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau, mais pose davantage de problèmes lorsque la vie de personnes est en jeu.

Extrait n°3 : A force de rejeter la souffrance en dehors des frontières de l'animalité, humaine ou non humaine, on risque de se priver d'une palette d'émotions complexes, qui donnent un sens à la vie.

Extrait n°4 : A quel degré d'insensibilité faut-il être parvenu pour se sentir légitime de préciser que "cela ne signifie pas qu'il faille abolir l'existence des anciens esclaves et de leur descendance" ? Par cette analogie chiens-esclaves, les deux auteurs ne laissent pas seulement entendre que la vie d'un chien serait comparable à celle d'un Noir : ils font comme si les Noirs devaient leur existence aux Blancs de la même manière que l'espèce canine devrait la sienne aux humains. Rayez la mention inutile...

Extrait n°5 : Le projet antispéciste vise bien au-delà de la lutte contre le réchauffement climatique. Il travaille à l'élaboration d'une nouvelle espèce humaine, dont la raison d'être serait la moralité. Pourtant, Homo sapiens n'a pas besoin de devenir Homo bonus pour parvenir à sauver la planète. Nous ne changerons pas d'ère en changeant d'être. S'il faut changer une chose, c'est le système dans lequel nous vivons. Pas l'espèce humaine.

26 octobre 2020

Citations : Guy Debord

Regard Guy Debord

Guy Debord
(1931-1994)

"Cette mauvaise réputations..." :

Guy Debord, Cette mauvaise réputation

"Dante disait que c'est plutôt avec le couteau qu'il faudrait répondre à des arguments d'une telle bestialité. C'était un autre temps."

"Dire que j'ai bien failli réussir me paraît choquant. La réussite sociale, sous quelque forme que ce soit, n'a pas figuré dans mes projets."

"Comment peut-on transformer son absence même en principe d'influence ? C'est idiot."

"Ceux qui ont eux-même tout cru pensent tout croyable."

"On est facielement coupable d'avoir du style, là où il est devenu aussi rare de le rencontrer que la personnalité elle-même."

"En fait, j'ai veillé, on le sait, à ce que les fameux 'prestige de l'I.S.' ne s'exerce ni trop, ni trop longtemps."

"Je connais très bien mon temps. Ne jamais travailler demande de grands talents."

"Le refus du 'travail' a pu être incompris et blâmé chez moi. Je n'avais certes pas prétendu embellir cette attitude par quelque justification éthique. Je voulais tout simplement faire ce que j'aimais le mieux."

"J'aime la liberté, mais sûrement pas l'argent. Comme disait l'autre : 'L'argent n'était pas un désir de l'enfance.'"

"L'ignorance a toujours tort de faire connaître son avis ; l'incompétence dans le jugement des ouvrages littéraires de son époque est tout particulièrement ridicule."

"Quel besoin a-t-on de 'faire un portrait' de moi ? N'ai-je pas fait moi-même, dans mes écrits, le meilleur portrait que l'on pourra jamais en faire, si le portrait en question pouvait avoir la plus petite nécessité ?"

"[...] les êtres consensuels ont été précisément formés pour n'adhérer qu'à ce qu'ils entendent redire de tous les côtés dans la chambre d'échos de l'instant même, et à réagir avec horreur contre ce qu'ils soupçonnent de n'être plus agréé par la dernière mode médiatique."

"Il est dans l'essence du capitalisme tardif que les mieux instruits de ses aventuriers ne vont tirer des avantages personnels passagers qu'en tant que leurs meilleurs coups seront aptes à accélérer encore la dissolution patente de l'ensemble du système."

"Il [Serge Quadruppani] a l'aberrante audace de regretter que l'on doive croire seulement 'sur parole' une niaiserie que je n'ai pas dite, il le sait bien ; puisqu'il décide, tout seul, que je l'ai 'sans doute' pensée !"

"C'est un fait que je me suis trouvé si souvent 'éclairé d'un jour nouveau', et depuis si longtemps, que je crois me trouver placé simplement au-dessus de toute calomnie - et je pèse mes mots - par la seule variété de leurs abus accumulés."

"L'autre fait notable, c'est qu'un médiatique a désormais le droit de plaisanter avec son outil professionnel, en certains cas."

"C'est un salarié [le médiatique] remarquablement spécial, qui ne reçoit d'ordre de personne, et qui sait tout sur tous les sujets dont il veut parler. Il porte donc, suivant sa déontologie, qu'il ne saurait trahir sans hideuse concussion, littéralement toute la conscience de l'époque. S'il n'avait pas le droit de plaisanter, où serait donc la liberté de la presse et, partant, la démocratie elle-même ?"

"On peut dire que, pour prouver que j'aurais été une fois le mercenaire d'une mauvaise cause, on irait jusqu'à la plaisanterie. J'en accepte le risque. Je ne suis pas quelqu'un qui pourrait être conduit au suicides, comme Roger Salengro, par d'imbéciles calomnies ; et encore moins aurais-je un caractère à m'affecter d'une quelconque révélation qui trouverait coupable quelque chose que j'aurais fait réellement. Je suis sûr d'avoir tout fait pour le mieux."

"Celui-ci [Laurent Jenny, dans la revue Critique] est prêt aussi à témoigner que, 'de mégalomane, le situationnisme est devenu paranoïaque'. La preuve, c'est que maintenant je me méfie de la moitié de mes lecteurs : ce qui pourrait bien être accorder une excessive confiance à toute l'autre moitié."

"Pour son malheur, le critique [Laurent Jenny] n'avait pas su lire non plus le roman de Gracq. Dans Le Rivage des Syrtes, l'attente s'est réellement terminée par l'invasion et la destruction de la République d'Orsenna."

"Les Temps modernes de novembre 1989, et cette fois sous la plume de Marc Lebiez, vont philosophant, comme si l'on avait été couramment apte à le faire auparavant dans cette revue."

"Hegel plaît toujours beaucoup moins quand les révolutions paraissent revenir ; et le 'contexte de l'Internationale situationniste', c'était mai 1968."

"Ainsi, dans la ligne de tout ce que nous avons déjà vu ici, on me suppose encore capable de tirer d'autres ressources de mes compétences ; et cette fois en acceptant de devenir le conseiller du tyran."

"Aucun bon analyste stratégique ne peut ignorer, depuis plusieurs siècles, que le moment le plus dangereux, pour un mauvais gouvernement, est justement celui où il entreprend de se réformer."

"Deux ou trois imposteurs sous-médiatiques ont parfois prétendu m'avoir connu autrefois, mais ils n'avaient naturellement rien à dire. Et moi, je n'avais justement rien à répondre à ceux-là ; me réservant pour nuire à un authentique qui oserait un jour s'essayer à ce jeu."

"'Il est toujours marié avec Alice Becker-Ho, de dix ans sa cadette. Il boit toujours beaucoup, déclare très peu d'impôt.' Toutes ces bonnes nouvelles n'ont rien de très étonnant : on sait que les salariés sont seuls à payer beaucoup d'impôts."

"On sait combien lui-même [Claude Roy], et la totalité de son entourage, n'ont jamais cessé de prouver qu'ils étaient de faibles têtes, et aussi évidemment peut-être par tout ce qu'ils ont accepté de croire et de suivre pour eux-mêmes, que par tout ce qu'ils ont proposé aux autres de croire et de suivre."

"Qui aurait l'injustice de traiter Claude Roy de 'vieil imbécile' ? Le temps ne fait rien à l'affaire."

"Je dois convenir qu'il y a toujours eu dans mon esthétique négative quelque chose qui se plaisait à aller jusqu'à la néantisation."

"Quand on 'annonce la fin du cinéma' depuis si longtemps, n'y a-t-il pas comme de la cohérence à faire disparaître les films ?"

"Je crois que je n'aurais jamais impressionné personne, sinon par cette sincérité tranquille, qui n'a douté de rien."

"Quand le procès vint, les juges de Paris, qui se souviennent encore du ridicule qu'ils se sont donnés en condamnant jadis Baudelaire et Flaubert, et qui depuis répugnent à donner tort aux auteurs, conclurent, considérant la gravité du manquement de Buchet, que son contrat avait été dissous dès l'instant de ma lettre recommandée, et le titre resta très longtemps à Lebovici ; après même sa mort."

"Il se trouve que je n'ai pas de beau-frère antiquaire à Hong Kong. Mais enfin, dirait Guéguan, pourquoi pas ?"

"Je n'ai jamais détesté des riches pur la seule raison qu'ils l'auraient été. Il leur suffisait de savoir se conduire avec assez de tact ; et de style."

"'Le temps était sorti de ses gonds', pour le dire en termes shakespeariens, et cette fois véritablement partout : dans la société, dans l'art, dans l'économie, dans la façon même de penser et de ressentir la vie. Rien n'avait plus de mesure. J'ai été avant tout quelqu'un de ces temps-là, mais sans en partager les illusions."

"J'ai pratiqué le potlatch avec assez de grandeur pour ne pas m'inquiéter de quelques délicatesses excessives."

"J'étais comme j'étais ; et rien de très différent ne pouvait en venir."

"Les aventures de hommes doivent se dérouler en partant de ce qui est là. La stratégie même, chacun le sait, devient beaucoup plus facile quand l'heure des choix est passée."

"Il n'y a pas de 'mode renouvelée' à mon propos : c'est d'un façon très constante et très naturelle que je déplais."

"Je ne me suis pas à partir d'un certain jour 'mis à l'écart' ; c'est littéralement jamais que je ne me suis laissé convaincre, ou approcher, par ce qui m'a répugné, sous ce seul mauvais prétexte que cela se faisait ordinairement."

"[...] je considérerais que le monde serait trop scandaleusement à l'envers, si pour finir je laissais des bourgeois s'enhardir jusqu'à rêver de me voler."

"'La vie est brêve, nous devons tous disparaître un jour", disait avec à-propos le président Mohamed Boudiaf qui allait être assassiné à l'instant même où il finirait cette phrase, à Annaba, le 29 juin 1992."

"Crépu devrait mieux surveiller son vocabulaire, qui sent trop la sacristie d'origine."

"Les chétiens recyclés sur ce module, on le comprend, ne vont pas être des Bloy ou de Bernanos. Le conciliaire a été le nom de leur propre 'spectaculaire intégré'. Ils se sont fièrement ralliés à la démocratie spectaculaire. Les yeux de la foi leur en comptent les merveilles."

"Une des multiples utilités du spectacle lui-même, justement, est de diriger le grand public vers des débats bien famés et même préfabriqués ad hoc."

"D'ailleurs, je ne suis pas de ceux qui s'exagèrent la part de responsabilité directe des médiatiques, personnellement : ce ne sont que des salariés, dont très peu s'élèvent au statut d'escrocs."

"Dans L'Evénement du Jeudi du 29 octobre 1991, Régis Debray a la mauvaise idée de vouloir se comparer à moi : il dit que si l'on ne faisait pas quelques concessions aux media, ce serait se condamner à disparaître (où serait le mal ?)."

"Je n'ai rien attendu. A tout instant, je ne me suis identifié qu'à moi-même ; et notamment à aucun 'isme', aucune idéologie, aucun projet."

"[...] mais ce qui est encore plus typique de l'époque, c'est que toute cette élite de connaisseurs n'a pas même été capable de s'apercevoir que ces statues ne sont rien d'autre que des faux grossiers, évidents, indiscutables."

Statues armées chinoise (faux)

"Il faut cette puissante intuition polaquienne pour avoir pensé non seulement qu'après ce 'jour-là' en 1989 mais après tous les jours suivants et leurs constantes confirmations on sentirait que le temps du mensonge spectaculaire était déjà en train de se dissiper devant 'la réalité bien saignante'. Ils ont grandi ensemble."

"Partout l'excès du Simulacre a explosé comme Tchernobyl, et partout la mort s'est répandue aussi vite et massivement que le désordre. Plus rien ne marche, et plus rien n'est cru."

"[...] il y a même quelques éloges à mon propos. Mais ce n'est qu'insignifiant, puisque signé Philippe Sollers."

"Le sang s'est finalement reconnu marchandise quand un tribunal a qualifié de simple 'tromperie sur la marchandise' ce qui avait été indiscutablement une décision de mettre à mort, à des fins de rentabilité, toute la collectivité des hémophiles français."

"Où ai-je jamais prétendu être utile à quelque chose ? Pourquoi me faudrait-il tracer un sillon ? 'J'ai horreur de tous les métiers... La main à plûme vaut la main à charrue.'"

"On n'avait jamais vu spoliation si vile. Un vampire se contenterait de boire leur sang."

"Tout se déchiffre, mais pas facilement par les ordinateurs, qui ne comprennent pas la dialectique."

"J'avoue sans gêne qu'avant tout, je ne voulais en aucun cas travailler."

"Je n'ai été au service de personne. Je n'ai donc pu trahir aucun de ces services, puisque je n'ai voulu en connaître aucun."

"Dans le degré de la catastrophe où nous a jetés la démocratie spectaculaire, il est certain que rien n'est resté si précieux que les stratèges."

Panégyrique (Tome premier) :

Guy Debord, Panégyrique

"Le difficile est de connaître 'toutes les circonstances où se trouavient les acteurs' dans un moment déterminé, afin d'être par là en état de juger sainement la série de leurs choix dans la conduite de leur guerre : comment ils ont fait ce qu'ils ont fait, et ce qu'ils auraient éventuellement pu faire d'autre."

"Ma méthode sera très simple. Je dirai ce que j'ai aimé ; et tout le reste, à cette lumière, se montrera et se fera bien suffisamment comprendre."

"Je ne pense à me plaindre de rien, et certainement pas de la manière dont j'ai pu vivre."

"Que quelqu'un entreprenne de dire ce qu'a été effectivement et précisément la vie qu'il a connue, cela toujours été rare, à cause des nombreuses difficultés du sujet."

"Je n'ai jamais cru aux valeurs reçues par mes contemporains, et voilà qu'aujourd'hui personne n'en connaît plus aucune."

"Rien n'est plus naturel que de considérer toutes choses à partir de soi, choisi comme centre du monde ; on se trouve par là capable de condamner le monde sans même vouloir entendre ses discours trompeurs."

"Les citations sont utiles dans les périodes d'ignorance ou de croyances obscurantistes."

"La lourdeur ancienne du procédé des citations exactes sera compensée, je l'espère, par la qualité de leurs choix."

"Les Gitans jugent avec raison que l'on n'a jamais à dire la vérité ailleurs que dans sa langue ; dans celle de l'ennemi, le mensonge doit régner."

"Qui pourrait ignorer, dans notre siècle, que celui qui trouve son intérêt à affirmer instantanément n'importe quoi va toujours le dire n'importe comment ?"

"On peut raisonnablement penser que beaucoup de choses apparaissent dans la jeunesse ; qui vous accompagnent longtemps."

"Je ne pouvais même pas penser à étudier une seule des savantes qualifications qui conduisent à occuper des emplois, puisqu'elles me paraissaient toutes étrangères à mes goûts ou contraire à mes opinions."

"Je me suis fermement tenu, docteur en rien, à l'écart de toute apparence de participation aux milieux qui passaient alors pour intellectuels ou artistiques. J'avoue que mon mérite en cette matière se trouvait bien tempéré par ma grande paresse, comme aussi par mes très minces capacités pour affronter les travaux de pareilles carrières."

"Le moment de la décadence de n'importe quelle forme de supériorité sociale a sûrement quelque chose de plus aimable que ses vulgaires débuts."

"Je vis s'achever, avant d'avoir vingt ans, cette part paisible de ma jeunesse ; et je n'eus plus que l'obligation de suivre sans frein tous mes goûts, mais dans des conditions difficiles."

"On peut bien dire, pensant en termes de richesse ou de réputation, que je n'avais rien à perdre ; mais enfin je n'avais non plus rien à y gagner."

"J'ai vu autour de moi en grande quantité des individus qui mouraient jeunes, et pas toujours par le suicide, d'ailleurs fréquent."

"Nos seules manifestations, restant rares et brèves dans les premières années, voulaient être complètement inacceptables ; d'abord surtout par leur forme et plus tard, s'approfondissant, surtout par leur contenu."

"Je dirai que je m'en suis toujours tenu à donner l'impression vague que j'avais de grandes qualités intellectuelles, et même artistiques, dont j'avais préféré priver mon époque, qui ne me paraissait pas en mériter l'emploi."

"Quant à la société, mes goûts et mes idées n'ont pas changé, restant les plus opposés à ce qu'elle était comme à tout ce qu'elle annonçait vouloir devenir."

"Le léopard meurt avec ses taches, et je ne me suis jamais proposé, ni ne me suis cru capable, de m'améliorer."

"Toutes les révolutions entrent dans l'histoire, et l'histoire n'en regorge point ; les fleuves des révolutions retournent d'où ils étaient sortis, pour couler encore."

"Je ne peux évdemment pas être comparé à quelqu'un qui a maîtrisé son art comme François Villon. Et je ne me suis pas aussi irrémédiablement que lui engagé dans le grand banditisme ; enfin je n'avais pas fait d'aussi bonnes études universitaires."

"Entre la rue du Four et la rue de Buci, où notre jeunesse s'est si complètement perdue, en buvant quelques verres, on pouvait sentir avec certitude que nous ne ferions jamais rien de mieux."

"Dans le petit nombre des choses qui m'ont plu, et que j'ai su bien faire, ce qu'assurément j'ai su faire le mieux, c'est boire. Quoique ayant beaucoup lu, j'ai bu davantage. J'ai écrit beaucoup moins que la plupart des gens qui écrivent ; mais j'ai bu beaucoup plus que la plupart des gens qui boivent."

"J'ai d'abord aimé, comme tout le monde, l'effet de la légère ivresse, puis très bientôt j'ai aimé ce qui est au delà de la violente ivresse, quand on a franchi ce stade : une paix magnifique et terrible, le vrai goût du passage du temps. Quoique n'en laissant paraître peut-être, durant les premières décennies, que des signes légers une ou deux fois par semaine, c'est un fait que j'ai été continuellement ivre tout au long de prériodes de plusieurs mois ; et encore, le reste du temps, avais-je beaucoup bu."

"Les heures et les conditions changeantes tiennent presque toujours un rôle déterminant dans le renouvellement nécessaire des moments d'une beuverie, et chacune d'elle apporte sa raisonnable préférence entre les possibilités qui s'offrent."

"[...] l'écriture doit rester rare, puisque avant de trouver l'excellent il faut avoir bu longtemps."

"De mémoire d'ivrogne, on n'avait jamais imaginé que l'on pouvait voir des boissons disparaître du monde avant le buveur."

"Je n'ai pas eu besoin de voyager très loin, mais j'ai considéré les choses jusqu'à une certaine profondeur, en leur accordant chaque fois la pleine mesure de mois ou d'années qu'elles me paraissaient valoir."

"Je crois que cette ville [Paris] a été ravagée un peu avant toutes les autres parce que ses révolutions toujours recommencées n'avaient que trop inquiété et choqué le monde ; et parce qu'elles avaient malheureusement toujours échoué."

"Qui voit les rives de la seine voit nos peines : on n'y trouve plus que les colonnes précipitées d'une fourmilière d'esclaves motorisés."

"En tout cas, moi, j'ai assurément vécu comme j'ai dit qu'il fallait vivre ; et ceci a été peut-être plus étrange encore, entre les gens de ma date, qui ont tous paru croire qu'il leur fallait seulement vivre d'après les instructions de ceux qui détiennent la production économique présente, et la puissance de communication dont elle s'est armée."

"[...] j'ai pu revenir aux ruines qui subsistent de Paris, puisque alors il n'était plus rien resté de mieux ailleurs. Dans un monde unifié, on ne peut s'exiler."

"La nuit, les proches étoiles, qui un moment étaient intensément brillantes, le moment d'après pouvaient être éteintes par le passage d'une brume légère. Ainsi nos conversations et nos fêtes, et nos rencontres, et nos passions tenaces."

"Mon genre d'esprit me porte à m'en étonner, mais il faut reconnaître que beaucoup d'expériences de la vie ne font que vérifier et illustrer les idées les plus conventionnelles, que l'on avait déjà pu rencontrer dans de nombreux livres, mais sans les croire."

"Il faut convenir que, nous autres qui avons pu faire des merveilles avec l'écriture, nous avons souvent donné de moindres preuves de maîtrise dans le commandement à la guerre."

"Montaignes avait ses citations ; j'ai les miennes."

"Le temps n'attend pas. On ne défend pas deux fois Gênes ; personne n'a soulevé deux fois Paris."

"Les plaisirs de l'existence ont, depuis peu, été redéfinis autoritairement ; d'abord leurs priorités, ensuite la totalité de leur substance."

"Pour la première fois, les mêmes ont été maîtres de tout ce que l'on fait, et de tout ce que l'on en dit. Ainsi la démence 'a bâti sa maison sur les hauteurs de la ville."

"Quand 'être absolument moderne' est devenu une loi spéciale proclamée par le tyran, ce que l'honnête esclave craint plus que tout, c'est que l'on puisse le soupçonner d'être passéiste."

"La décadence générale est un moyen au service de l'empire de la servitude ; et c'est seulement en tant qu'elle est ce moyen qu'il lui est permis de se faire appeler progrès."

"Quoique je sois un remarquable exemple de ce dont cette époque ne voulait pas, savoir ce qu'elle a voulu ne me paraît peut-être pas assez pour établir mon excellence."

"Personne, mieux que Shakespeare, n'a su comment se passe la vie. Il estime qu 'nous sommes tissés de l'étoffe dont sont fait les rêves'."

Commentaires sur la société du spectacle :

Guy Debord, Commentaires sur la société du spetacle

"Je dois surtout prendre garde à ne pas instruire n'importe qui."

"Les trouble de 1968, qui se sont prolongés dans divers pays au cours des années suivantes, n'ayant en aucun lieu abattu l'organisation existante de la société, dont il sourd comme spontanément, le spectacle a donc continué partout de se renforcer, c'est-à-dire à la fois de s'étendre aux extrêmes par tous les côtés, et d'augmenter sa densité au centre."

"Quant à la chose même, on m'a parfois accusé de l'avoir inventée de toutes pièces, et toujours de m'être complu dans l'outrance en évaluant la profondeur et l'unité de ce spectacle et de son action réelle."

"Mais enfin la société du spectacle n'en a pas moins continué sa marche. Elle va vite car, en 1967, elle n'avait guère plus d'une quarantaine d'années derrière elle ; mais pleinement employées."

"[...] il est sans doute indispensable d'avoir reconnu l'unité et l'articulation de la force agissante qu'est le spectacle, pour être à partir de là capable de rechercher dans quelles directions cette force a pu se déplacer, étant ce qu'elle était. Ces questions sont d'un grand intérête : c'est nécessairement dans de telles conditions que se jouera la suite du conflit dans la société."

"La discussion creuse sur le spectacle, c'est-à-dire sur ce que font les propriétaires du monde, est ainsi organisée par lui-même : on insiste sur les grands moyens du spectacle, afin de ne rien dire de leur grand emploi. On préfère souvent l'appeler, plutôt que spectacle, le médiatique. Et par là, on veut désigner un simple instrument, une sorte de service public qui gérerait avec un impartial 'professionnalisme' la nouvelle richesse de la communication de tous par mass media, [...]"

"Ce qui est communiqué, ce sont des ordres ; et, fort harmonieusement, ceux qui les ont donnés sont également ceux qui diront ce qu'ils en pensent."

"Le changement qui a le plus d'importance, dans tout ce qui s'est passé depuis vingt ans, réside dans la continuité même du spectacle. Cette importance ne tient pas au perfectionnement de son instrumentation médiatique, qui avait déjà auparavant atteint un stade de développement très avancé : c'est tout simplement que la domination spectaculaire ait pu élever une génération pliée à ses lois."

"La place prédominante qu'ont tenue la Russie et l'Allemagne dans la formation du spectaculaire concentré, et les Etats-Unis dans celle du spectaculaire diffus, semble avoir appartenu à la France et à l'Italie au moment de la mise en place du spectaculaire intégré, par le jeu d'une série de facteurs historiques communs : rôle important des parti et syndicat staliniens dans la vie politique et intellectuelle, faible tradition démocratique, longue monopolisation du pouvoir par un seul parti de gouvernement, nécessité d'en finir avec une contestation révolutionnaire apparue par surprise."

"Le spectaculaire intégré se manifeste à la fois comme concentré et comme diffus, et depuis cette unification fructueuse il a su employer plus grandement l'une et l'autre qualité."

"Quand le spectaculaire était concentré la plus grande part de la société périphérique lui échappait ; et quand il était diffus, une faible part ; aujourd'hui rien."

"[...] l'expérience pratique de l'accomplissement sans frein des volontés de la raison marchande aura montré vite et sans exceptions que le devenir-monde de la falsification était ausi un devenir-faliscation du monde."

"Chacun peut surgir dans le spectacle afin de s'adonner publiquement, ou parfois pour s'être livré secrètement, à une activité complètement autre que la spécialité par laquelle il s'était d'abord fait connaître."

"Mais l'ambition la plus haute du spectaculaire intégré, c'est encore que les agents secrets deviennent des révolutionnaires, et que les révolutionnaires deviennent des agents secrets."

"La société modernisée jusqu'au stade du spectaculaire intégré se caractérise par l'effet combiné de cinq traits principaux, qui sont : le renouvellement technologique incessant ; la fusion économico-étatique ; le secret généralisé ; le faux sans réplique ; un présent perpétuel."

"Le fusion économico-étatique est la tendance la plus manifeste de ce siècle ; et elle y est pour le moins devenue le moteur du développement économique le plus récent."

"Le faux sans réplique a achevé de faire disparaître l'opinion publique, qui d'abord s'était trouvée incapable de se faire entendre ; puis, très vite par la suite, de seulement se former."

"Le spectacle organise avec maîtrise l'ignorance de ce qui advient et, tout de suite après, l'oubli de ce qui a pu quand même en être connu."

"Rien, depuis vingt ans, n'a été recouvert de tant de mensonges commandés que l'histoire de mai 1968."

"La fin de l'histoire est un plaisant repos pour tout pouvoir présent."

"L'ineptie qui se fait respecter partout, il n'est plus permis d'en rire ; en tout cas il est devenu impossible de faire savoir qu'on en rit."

"Tous les usurpateurs ont voulu faire oublier qu'ils viennent d'arriver."

"Avec la destruction de l'histoire, c'est l'événement contemporain lui-même qui s'éloigne aussitôt dans une distance fabuleuse, parmi ses récits invérifiables, ses statistiques incontrôlables, ses explications invraissemblables et ses raisonnements intenables."

"Il ne faut pas oublier que tout médiatique, et par salaire et par autres récompenses et soultes, a toujours un maître, parfois plusieurs ; et que tout médiatique se sait remplaçable."

"Tous les experts sont médiatiques-étatiques, et ne sont reconnus experts que par là."

"Une notoriété anti-spectaculaire est devenue quelque chose d'extrêmement rare. Je suis moi-même l'un des derniers vivants à en posséder une ; à n'en avoir jamais eu d'autres."

"Être connu en dehors des relations spectaculaires, cela équivaut déjà à être connu comme ennemi de la société."

"On croyait savoir que l'histoire était apparue, en Grèce, avec la démocratie. On peut vérifier qu'elle disparaît du monde avec elle."

"Le spectateur est seulement censé ignorer tout, ne mériter rien. Qui regarde toujours, pour savoir la suite, n'agira jamais : et tel doit bien être le spectateur."

"Cette démocratie si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme. Elle veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats."

"L'emploi d'un peu de logique historique permettrait de conclure assez vite qu'il n'y a rien de contradictoire à considérer que des gens qui manquent de tout sens historique peuvent également être manipulés ; et même encore plus facilement que d'autres."

"Tous les délits et les crimes sont effectivement sociaux."

"Puisque personne ne peut plus le contredire, le spectacle a le droit de se contredire lui-même, de rectifier son passé."

"Le langage binaire de l'ordinateur est également une irrésistible incitation à admettre dans chaque instant, sans réserve, ce qui a été programmé comme l'a bien voulu quelqu'un d'autre, et qui se fait passer pour la source intemporelle d'une logique supérieure, impartiale et totale."

"Aucun drogué n'étudie la logique ; parce qu'il n'en a plus besoin, et parce qu'il n'en a plus la possibilité."

"L'individu, paradoxalement, devra se renier en permanence, s'il tient à être un peu considéré dans une telle société."

"Le spectacle ne cache pas que quelques dangers environnent l'ordre merveilleux qu'il a établi. La pollution des océans et la destruction des forêts équatoriales menacent le renouvellement de l'oxygène de la Terre ; sa couche d'ozone résiste mal au progrès industriel ; les radiations d'origine nucléaire s'accumulent irréversiblement. le spectacle conclut seulement que c'est sans importance. Il ne veut discuter que sur les dates et les doses. Et en ceci seulement, il parvient à rassurer ; ce qu'un esprit pré-spectaculaire aurait tenu pour impossible."

"On peut garder le nom quand la chose a été secrètement changée (de la bière, du boeuf, un philosophe)."

"On sait que cette fugitive couche d'ozone, à une telle altitude, n'appartient à personne, et n'a aucune valeur marchande."

"Ceux qui avaient, il y a déjà bien longtemps, commencé à critiquer l'économie politique en la définissant comme 'le reniement achevé de l'homme', ne s'étaient pas trompés. On la reconnaître à ce trait."

"On ne demande plus à la science de comprendre le monde, ou d'y améliorer quelque chose. On lui demande de justifier instantanément tout ce qui se fait. Aussi stupide sur ce terrain que sur tous les autres, qu'elle exploite avec la plus ruineuse irréfelxion, la domination spectaculaire a fait abattre l'arbre gigantesque de la connaissance scientifique à seule fin de s'y faire tailler une matraque."

"Contrairement au pur mensonge, la désinformation, et voilà en quoi le concept est intéressant pour les défenseurs de la société dominante, doit fatalement contenir une certaine part de vérité, mais délibérément manipulée par un habile ennemi."

"En somme, la désinformation serait le mauvais usage de la vérité. Qui la lance est coupable, et qui la croit, imbécile."

"En fait tous les pouvoirs qui sont installés, en dépit de quelques réelles rivalités locales, et sans vouloir le dire jamais, pensent continuellement ce qu'avait su rappeler un jour, du côté de la subversion et sans grand succès sur l'instant, un des rares internationalistes allemands après qu'eût commencé la guerre de 1914 : 'L'ennemi principal est dans notre pays.'"

"Contrairement à ce qu'affirme son concept spectaculaire inversé, la pratique de la désinformation ne peut que servir l'Etat ici et maintenant, sous sa conduite directe, ou à l'initiative de ceux qui défendent les mêmes valeurs. En fait, la désinformation réside dans toute l'information existante ; et comme son caractère principal."

"Et par exemple, sur le terrain de la contestation après 1968, les récupérateurs incapables qui furent appelés 'pro-situs' ont été les premiers désinformateurs, parce qu'ils dissimulaient autant que possible les manifestations pratiques à travers lequelles s'était affirmée la critique qu'ils se flattaient d'adopter ; et, point gênés d'en affaiblir l'expression, ils ne citaient jamais rien ni personne, pour avoir l'air d'avoir eux-mêmes trouvé quelque chose."

"Ainsi, dans une époque où ne peut plus exister d'art contemporain, il devient difficile de juger des arts classiques. Ici comme ailleurs, l'ignorance n'est produite que pour être exploitée."

"Le faux forme le goût, et soutient le faux, en faisant sciemment disparaître la possibilité de référence à l'authentique."

"Tout sera en somme plus beau qu'avant, pour être photographié par des touristes."

"Cette constatation que, pour la première fois, on peut gouverner sans avoir aucune connaissance artistique ni aucun sens de l'authentique ou de l'impossible, pourrait à elle seule suffire à conjecturer que tous ces naïfs jobards de l'économie et de l'administration vont probablement conduire le monde à quelque grande catastrophe ; si leur pratique effective ne l'avait pas déjà montré."

"Depuis longtemps, on s'est habitué partout à voir exécuter sommairement toutes sortes de gens. Les terroiristes connus, ou considérés comme tels, sont combattus ouvertement d'une manière terroriste."

"Ceux que l'on fait tuer par de supposés terroristes ne sont pas eux-mêmes choisis sans raison ; mais il est généralement impossible d'être assuré de connaître ces raisons."

"De sorte que, sous le spectaculaire intégré, on vit et on meurt au point de confluence d'un très grand nombre de mystères."

"Pour tout service de renseignements, sur ce point en accord avec la juste théorie clausewitzienne de la guerre, un savoir doit devenir un pouvoir."

"Celui qui est content d'être dans la confidence n'est guère porté à la critiquer ; ni donc à remarquer que, dans toutes les confidences, la part principale de la réalité lui sera toujours cachée."

"La domination est lucide au moins en ceci qu'elle attend de sa propre gestion, libre et sans entraves, un assez grand nombre de catastrophes de première grandeur pour très bientôt ; et cela tant sur les terrains écologiques, chimique par exemple, que sur les terrains économiques, bancaire par exemple."

"La plus grande exigence d'une Mafia, où qu'elle puisse être constituée, est naturellement d'établir qu'elle n'existe pas, où qu'elle a été victime de calomnies peu scientifiques ; et c'est son premier point de ressemblance avec le capitalisme."

"En corrompant les disc-jockeys, on décide donc de ce qui devra être le succès, parmi des marchandises si également misérables."

"On se trompe chaque fois que l'on veut expliquer quelque chose an opposant la Mafia à l'Etat : ils ne sont jamais en rivalité."

"Il y a partout beaucoup plus de fous qu'autrefois, mais ce qui est infiniment plus commode, c'est que l'on peut en parler follement."

"C'est justement en ce point que réside la profonde vérité de cette formule, si bien comprise dans l'Italie entière, qu'emploie la Mafia Sicilienne : 'Quand on a de l'argent et des amis, on se rit de la justice.'"

"On ne parle à tout instant d''Etat de droit' que depuis le moment ou l'Etat moderne dit démocratique a généralement cessé d'en être un : ce n'est point par hasard que l'expression n'a été popularisée que peu après 1970, et d'abord justement en Italie."

"Aujourd'hui, beaucoup d'affaires sont nécessairement malhonnêtes comme le siècle, et non comme l'étaient autrefois celles que pratiquaient, par séries clairement délimitées, des gens qui avaient choisi les voies de la malhonnêteté."

"A propos de nous tous finalement, on pourra conclure que ce qui nous a empêché souvent de nous enfermer dans une seule activité illégale, c'est que nous en avons eu plusieurs."

"Des réseaux de promotion-contrôle, on glisse insensiblement aux réseaux de surveillance-désinformation. Autrefois, on ne conspirait jamais que contre un ordre établi. Aujourd'hui, conspirer en sa faveur est un nouveau métier en grand développement."

"Mais, plus récemment, la surveillance a commencé à mettre en place dans la population des gens susceptibles de lancer, au premier signal, les rumeurs qui pourront lui convenir."

"Depuis que l'art est mort, on sait qu'il est devenu extrêmement facile de déguiser des policiers en artistes."

"Les services secrets étaient appelés par toute l'histoire de la société spectaculaire à y jouer le rôle de plaque tournante centrale ; car en eux se concentrent au plus fort degré les caractéristiques et les moyens d'exécution d'une semblable société."

"Une loi générale du fonctionnement du spectaculaire intégré, tout au moins pour ceux qui en gèrent la conduite, c'est que, dans ce cadre, tout ce que l'on peut faire doit être fait. C'est dire que tout nouvel instrument doit être employé, quoi qu'il en coûte. L'outillage nouveau devient partout le but et le moteur du système ; et sera seul à pouvoir modifier notablement sa marche, chaque fois que son emploi s'est imposé sans autre réflexion."

"Cette loi s'applique donc également aux services qui protègent la domination. L'instrument que l'on a mis au point doit être employé, et son emploi renforcera les conditions mêmes qui favorisaient cet emploi. C'est ainsi que les procédés d'urgence deviennent procédures de toujours."

"La cohérence de la société du spectacle a, d'une certaine manière, donné raison aux révolutionnaires, puisqu'il est devenu clair que l'on ne peut y réformer le plus pauvre détail sans en défaire l'ensemble. Mais, en même temps, cette cohérence a supprimé toute tendance révolutionnaire organisée en supprimant les terrains sociaux où elle avait pu plus ou moins bien s'exprimer : du syndicalisme aux journaux, de la ville aux livres."

"Il y a contradiction entre la masse des informations relevées sur un nombre croissant d'individus, et le temps et l'intelligence diposnibles pour les analyser ; ou tout simplement leur intérêt possible."

"La société moderne qui, jusqu'en 1968, allait de succès en succès, et s'était persuadée qu'elle était aimée, a dû renoncer depuis lors à ces rêves ; elle préfère être redoutée. Elle sait bien que 'son air d'innocence ne reviendra plus."

"Puisque les sources d'informations sont rivales, les falsifications le sont aussi."

"Car ici chaque moyen aspire, et travaille, à devenir une fin. La surveillance se surveille elle-même et complote contre elle-même."

"Car, certes, jamais les conditions n'ont été partout si gravement révolutionnaires, mais il n'y a que les gouvernements qui le pensent. La négation a été si parfaitement privée de sa pensée, qu'elle est depuis longtemps dispersée."

"Non seulement on fait croire aux assujettis qu'ils sont encore, pour l'essentiel, dans un monde que l'on a fait disparaître, mais les gouvernants eux-mêmes souffrent parfois de l'inconséquence de s'y croire encore par quelques côtés."

"Le destin du spectacle n'est certainement pas de finir en despotisme éclairé."

Préface à la quatrième édition italienne de "La Société du Spectacle" :

"Le travail intellectuel salarié tend normalement à suivre la loi de la production industrielle de la décadence, où le profit de l'entrepreneur dépend de la rapidité d'exécution et de la mauvaise qualité du matériau employé."

"Evidemment, si quelqu'un publie de nos jours un véritable livre de critique sociale, il s'abstiendra certainement de venir à la télévision, ou dans les autres colloques du même genre ; de sorte que, dix ou vingt ans après, on en parlera encore."

"A vrai dire, je crois qu'il n'existe personne au monde qui soit capable de s'intéresser à mon livre, en dehors de ceux qui sont ennemis de l'ordre social existant, et qui agissent effectivement à partir de cette situation."

"Les ouvriers d'Italie, qui peuvent être aujourd'hui donnés en exemple à leurs camarades de tous les pays pour leur absenthéisme, leurs grèves sauvages que n'apaise aucune concession particulière, leur lucide refus du travail, leur mépris de la loi et de tous les partis étatistes, connaissent assez bien le sujet par la pratique pour avoir pu tirer profit des thèses de La Société du Spectacle, même quand ils n'en lisaient que de médiocres traductions."

"Et après, c'est en commençant à mener avec colère la guerre de la liberté, que tous les prolétaires peuvent devenir stratèges."

"Le premier mérite d'une théorie critique exacte est de faire instantanément paraître ridicules toutes les autres."

"Ce dépassement de l'art, c'est le 'passage au nord-ouest' de la géographie de la vraie vie, qui avait si souvent été cherché pendant plus d'un siècle, notamment à partir de la poésie moderne s'auto-détruisant."

"Je me flatte d'être un très rare exemple contemporain de quelqu'un qui a écrit sans être tout de suite démenti par l'événement, et je ne veux pas dire démenti cent fois ou mille fois, comme les autres, mais pas une seule fois."

"Dans un service secret digne de ce nom, la dissolution même est secrète."

"Que des ouvriers révolutionnaires insultent des staliniens, en obtenant le soutien de presque tous leurs camarades, rien n'est plus normal, puisqu'ils veulent faire une révolution."

"En effet, la 'brigade rouge' a une autre fonction, d'un intérêt plus général, qui est de déconcerter ou discréditer les prolétaires qui se dressent réellement contre l'Etat, et peut-être un jour d'éliminer quelques-uns des plus dangereux."

"La caque sent le hareng, et un stalinien sera toujours dans son élément partout où l'on respire une odeur de crime occulte d'Etat."

"Etant pour le moment le pays le plus avancé dans le glissement vers la révolution prolétarienne, l'Italie est aussi le laboratoire le plus moderne de la contre-révolution internationale."

"Elle [la marchandise spectaculaire] présentait comme des biens extraordinaires, comme la clef d'une existence supérieure, et peut-être même élitiste, des choses tout à fait normales et quelconques : une automobile, des chaussures, un doctorat en sociologie. Elle est aujourd'hui contrainte de présenter comme normales et familières des choses qui sont effectivement devenues tout à fait extraordinaires. Ceci est-il du pain, du vin, une tomate, un oeuf, une maison, une ville ? Certainement pas, puisqu'un enchaînement de transformations internes, à court terme économiquement utile à ceux qui détiennent les moyens de production, en a gardé le nom et une bonne part de l'apparence, mais en en retirant le goût et le contenu."

"La contradiction essentielle de la domination spectaculaire en crise, c'est qu'elle a échoué sur le point où elle était la plus forte, sur certaines plates satisfactions matérielles, qui excluaient bien d'autres satisfactions, mais qui étaient censées suffire pour obtenir l'adhésion réitérée des masses de produteurs-consommateurs."

"Elle [la société du spectacle] ne dit plus : 'Ce qui apparaît est bon, ce qui est bon apparaît.' Elle dit simplement : 'C'est ainsi.' Elle avoue franchement qu'elle n'est plus, dans l'essentiel, réformable ; quoique le changement soit sa nature même, pour transmuter en pire chaque chose particulière. Elle a perdu toutes ses illusions générales sur elle-même."

"Moins que tout autre, ma conception, qui est historique et stratégique, ne peut considérer que la vie devrait être, pour cette seule raison que cela nous serait agréable, une idylle sans peine et sans mal ; ni donc que la malfaisance de quelques possédants et chefs crée seule le malheur du plus grand nombre."

"Il est juste de reconnaître la difficulté et l'immensité des tâches de la révolution qui veut établir et maintenir une société sans classes. Elle peut aisément commencer partout où des assemblées prolétariennes autonomes, ne reconnaissant en dehors d'elles aucune autorité ou propriété de quiconque, plaçant leur volonté au-dessus de toutes les lois et de toutes les spécialisations, aboliront la séparation des individus, l'économie marchande, l'Etat. Mais elle ne triomphera qu'en s'imposant universellement, sans laisser une parcelle de territoire à aucune forme subsitante de société aliénée. Là, on reverra une Athènes ou une Florence dont personne ne sera rejeté, étendue jusqu'aux extrémités du monde ; et qui, ayant abattu tous ses ennemis, pourra enfin se livrer joyeusement aux véritables divisions et aux affrontements sans fin de la vie historique."

"Les jours de cette société sont comptés ; ses raisons et ses mérites ont été pesés, et trouvés légers ; ses habitans se sont divisés en deux partis, dont l'un veut qu'elle disparaisse."

La Société du Spectacle :

Guy Debord, La société du spectacle

I - La séparation achevée :

"Toute la vie dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation."

"Le spectacle en général, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non-vivant."

"Le spectacle n'est pas un ensemble d'images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images."

"Le langage du spectacle est constitué par des signes de la production régnante, qui sont en même temps la finalité dernière de cette production."

"Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux."

"Considéré selon ses propres termes, le spectacle est l'affirmation de l'apparence et l'affirmation de toute vie humaine, c'est-à-dire sociale, comme simple apparence."

"Le spectacle se présente comme une énorme positivité indiscutable et inaccessible. Il ne dit rien de plus que "ce qui apparaît est bon, ce qui est bon apparaît."

"Le spectacle ne veut en venir à rien d'autre qu'à lui-même."

"Le spectacle se soumet les hommes vivants dans la mesure où l'économie les a totalement soumis."

"Là où le monde réel se change en simples images, les simples images deviennent des êtres réels, et les motivations efficientes d'un comportement hypnotique."

"Le spectacle est la reconstruction matérielle de l'illusion religieuse. La technique spectaculaire n'a pas dissipé les nuages religieux où les hommes avaient placé leurs propres pouvoirs détachés d'eux : elle les a seulement reliés à une base terrestre. Ainsi c'est la vie la plus terrestre qui devient opaque et irrespirable."

"Le spectacle est le mauvais rêve de la société moderne enchaînée, qui n'exprime finalement que son désir de dormir."

"C'est la plus vieille spécialisation sociale, la spécialisation du pouvoir, qui est à la racine du spectacle."

"La séparation est l'alpha et l'oméga du spectacle."

"La réussite du système économique de la séparation est la prolétarisation du monde."

"De l'automobile à la télévision, tous les biens sélectionnés par le système spectaculaire sont aussi ses armes pour le renforcement constant des conditions d'isolement des 'foules solitaires'."

"Ce qui relie les spectateurs n'est qu'un rapport irreversible au centre même qui maintient leur isolement. Le spectacle réunit le séparé, mais il le réunit en tant que séparé."

"L'extériorité du spectacle par rapport à l'homme agissant apparaît en ce que ses propres gestes ne sont plus à lui, mais à un autre qui les lui représente. C'est pourquoi le spectateur ne se sent chez lui nulle part, car le spectacle est partout."

"Le succès de cette production*, son abondance, revient vers le producteur comme abondance de la dépossession. [*la puissance indépendante produite par le travailleur]

"L'homme séparé de son produit, de plus en plus puissamment produit lui-même tous les détails de son monde, et ainsi se trouve de plus en plus séparé de son monde."

"Le spectacle est le capital à un tel degré d'accumulation qu'il devient image."

II - la marchandise comme spectacle :

"La croissance économique libère les sociétés de la pression naturelle qui exigeait leur lutte immédiate pour la survie, mais alors c'est de leur libérateur qu'elles ne sont pas libérées."

"L'économie transforme le monde, mais le transforme seulement en monde de l'économie."

"L'abondance des marchandises, c'est-à-dire du rapport marchand, ne peut être plus que la survie augmentée."

"Avec la révolution industrielle, la division manufacturière du travail et la production massive pour le marché mondial, la marchandise apparaît effectivement, comme une puissance qui vient réellement occuper la vie sociale. C'est alors que se constitue l'économie politique, comme science dominante et comme science de la domination."

"Le spectacle est le moment où la marchandise est parvenue à l'occupation totale de la vie sociale."

"A ce point de la 'deuxième révolution industrielle', la consommation aliénée devient pour les masses un devoir supplémentaire à la production aliénée."

"Ainsi 'le reniement achevé de l'homme' a pris en charge la totalité de l'existence humaine."

"Mais si la survie consommable est quelque chose qui doit augmenter toujours, c'est parce qu'elle ne cesse de contenir la privation."

"La valeur d'échange n'a pu se former qu'en tant qu'agent de la valeur d'usage, mais sa victoire par ses propres armes a créé les conditions de sa domination autonome."

"Le processus de l'échange s'est identifié à tout usage possible, et l'a réduit à sa merci."

"Le spectacle est l'autre face de l'argent : l'équivalent général abstrait de toutes les marchandises."

"Le spectacle n'est pas seulement le serviteur du pseudo-usage, il est déjà en lui-même le pseudo-usage de la vie."

"La conscience du désir et le désir de la conscience sont identiquement ce projet qui, sous sa forme négative, veut l'abolition des classes, c'est-à-dire la possession directe des travailleurs sur tous les moments de leur activité."

III - unité et division dans l'apparence :

"Mais la contradiction, quand elle émerge dans le spectacle, est à son tour contredite par un renversement de son sens ; de sorte que la division montrée est unitaire, alors que l'unité montrée est divisée."

"C'est la lutte de pouvoirs qui se sont constitués pour la gestion du même système socio-économique, qui se déploie comme la contradiction officielle, appartenant en fait à l'unité réelle ; ceci à l'échelle mondiale aussi bien qu'à l'intérieur de chaque nation."

"La où la base matérielle est encore absente, la société moderne a déjà envahi spectaculairement la surface sociale de chaque continent. Elle définit le programme d'une classe dirigeante et préside à sa constitution. De même qu'elle présente les pseudo-biens à convoiter, de même elle offre aux révolutionnaires locaux les faux modèles de révolution."

"A l'acceptation béate de ce qui existe peut aussi se joindre comme une même chose la révolte purement spectaculaire : ceci traduit ce simple fait que l'insatisfaction elle-même est devenue une marchandise dès que l'abondance économique s'est trouvée capable d'étendre sa production jusqu'au traitement d'une telle matière première."

"Les gens admirables en qui le système se personnifie sont bien connus pour n'être pas ce qu'ils sont ; ils sont devenus grands hommes en descendant au-dessous de la réalité de la moindre vie individuelle, et chacun le sait."

"Ainsi renaissent de fausses oppositions archaïques, des régionalismes ou des racismes chargés de transfigurer en supériorité ontologique fantastique la vulgarité des places hiérarchiques dans la consommation."

"C'est l'unité de la misère qui se cache sous les oppositions spectaculaires."

"Selon les nécessités du stade particulier de la misère qu'il dément et maintient, le spectacle existe sous une forme concentrée ou sous une forme diffuse. Dans les deux cas, il n'est qu'une image d'unification heureuse environnée de désolation et d'épouvante, au centre tranquille du malheur."

"[...] la marchandise que la bureaucratie détient, c'est le travail social total, et ce qu'elle revend à la société, c'est sa survie en bloc."

"Chaque marchandise déterminée lutte pour elle-même, ne peut pas reconnaître les autres, prétend s'imposer partout comme si elle était la seule. Le spectacle est alors le chant épique de cet affrontement, que la chute d'aucune Ilion ne pourrait conclure. Le spectacle ne chante pas les hommes et leurs armes, mais les marchandises et leurs passions. C'est dans cette lutte aveugle que chaque marchandise, en suivant sa passion, réalise en fait dans l'inconscience quelque chose de plus élevé : le devenir-monde de la marchandise, qui est aussi bien le devenir-marchandise du monde. Ainsi, par une ruse de la raison marchande, le particulier de la marchandise s'use en combattant, tandis que la forme-marchandise va vers sa réalisation absolue."

"Le gadget exprime ce fait que, dans le moment où la masse des marchandise glisse vers l'aberration, l'aberrant lui-même devient une marchandise spéciale."

"La puissance cumulative d'un artificiel indépendant entraîne partout la falsification de la vie sociale."

"L'objet qui était prestigieux dans le spectacle devient vulgaire à l'instant où il entre chez ce consommateur, en même temps, que chez tous les autres. Il révèle trop tard sa pauvreté essentielle, qu'il tient naturellement de la misère de sa production."

"L'imposture de la satisfaction doit se dénoncer elle-même en se remplaçnt, en suivant le changement des produits et celui des conditions générales de la production."

"Chaque nouveau mensonge de la publicité est aussi l'aveu de son mensonge précédent."

"Ce qui fait le pouvoir abstrait de la société fait sa non-liberté concrète."

IV - le prolétariat comme sujet et représentation :

"Le sujet de l'histoire ne peut être que le vivant se produisant lui-même, devenant maître et possesseur de son monde qui est l'histoire, et existant comme conscience de son jeu."

"Hegel a fait, pour la dernière fois, le travail du philosophe, "la glorification de ce qui existe" ; mais déjà ce qui existait pour lui ne pouvait être que la totalité du mouvement historique."

"Le projet de Marx est celui d'une histoire consciente. Le quantitatif qui survient dans le développement aveugle des forces productives simplement économiques doit se changer en appropriation historique qualitative."

"Le défaut dans la théorie de Marx est naturellement le défaut de la lutte révolutionnaire du prolétariat de son époque."

"La bourgeoisie a développé sa puissance économique autonome dans la période médiévale d'affaiblissement de l'Etat, dans le moment de fragmentation féodale de pouvoirs équilibrés."

"Les deux seules classes qui correspondent effectivement à la théorie de Marx, les deux classes pures vers lesquelles mène toute l'analyse dans Le Capital, la bourgeoisie et le prolétariat, sont également les deux seules classes révolutionnaires de l'histoire, mais à des conditions différentes : la révolution bourgeoise est faite ; la révolution prolétarienne est un projet, né sur la base de la précédente révolution, mais en différant qualitativement."

"La bourgeoisie est venue au pouvoir parce qu'elle est la classe de l'économie en développement. Le prolétariat ne peut être lui-même le pouvoir qu'en devenant la classe de la conscience."

"C'est dans la lutte historique elle-même qu'il faut réaliser la fusion de la connaissance et de l'action, de telle sorte que chacun de ces termes place dans l'autre la garantie de sa vérité."

"Le soviet n'était pas une découverte de la théorie."

"De la pensée historique des luttes de classes modernes, l'anarchisme collectiviste retient uniquement la conclusion, et son exigence absolue de cette conclusion se traduit également dans son mépris délibéré de la méthode."

"Ceux qui ont méconnu que la pensée unitaire de l'histoire, pour Marx et pour le prolétariat révolutionnaire, n'était rien de distinct d'une attitude pratique à adopter, devaient être normalement victimes de la pratque qu'ils avaient simultanément adoptée."

"Le moment de profond bouleversement social qui surgit avec la Première Guerre mondiale, encore qu'il fût fertile en prise de conscience, démontra deux fois que la hiérarchie social-démocrate n'avait pas éduqué révolutionnairement, n'avait nullement rendu théoriciens, les ouvriers allemands : d'abord quand la grande majorité du parti se rallia à la guerre impérialiste, ensuite quand, dans la défaite, elle écrasa les révolutionnaires spartakistes. L'ex-ouvrier Ebert croyait encore au péché, puisqu'il avouait haïr la révolution 'comme le péché'. Et le même dirigeant se montra bon persécuteur de la représentation socialiste qui devait peu après s'opposer en ennemi absolu au prolétariat de Russie et d'ailleurs, en formulant l'exact programme de cette nouvelle aliénation : 'Le socialisme veut dire travailler beaucoup.'"

"[...] la réprésentation ouvrière s'est opposée radicalement à la classe."

"La saisie du monopole étatique de la représentation et de la défense du pouvoir des ouvriers, qui justifia le parti bolchevk, le fit devenir ce qu'il était : le parti des propriétaires du prolétariat, éliminant pour l'essentiel les formes précédentes de propriété."

"[...] la bureaucratie révolutionnaire qui dirigeait le prolétariat, en s'emparant de l'Etat, donna à la société une nouvelle domination de classe."

"Cette industrialisation de l'époque stalinienne révèle la réalité dernière de la bureaucratie : elle est la continuation du pouvoir de l'économie, le sauvetage de l'essentiel de la société marchande maintenant le travail-marchandise."

"La bureaucratie totalitaire n'est pas 'la dernière classe propriétaire de l'histoire' au sens de Bruno Rizzi, mais seulement une classe dominante de substitution pour l'économie marchande."

"Le mensonge qui n'est plus contredit devient folie."

"La classe idéologique-totalitaire au pouvoir est le pouvoir d'un monde renversé : plus elle est forte, plus elle affirme qu'elle n'existe pas, et sa force lui sert d'abord à affirmer son inexistence."

"La fausse conscience ne maintient son pouvoir absolu que par la terreur absolue, où tout vrai motif finit par se perdre."

"Aucun bureaucrate ne peut soutenir individuellement son droit au pouvoir, car prouver qu'il est un prolétaire socialiste serait se manifester comme le contraire d'un bureaucrate ; et prouver qu'il est un bureaucrate est impossible, puisque la vérité officielle de la bureaucratie est de ne pas être."

"Staline décide sans appel qui est finalement bureaucrate possédant ; c'est-à-dire qui doit être appelé 'prolétaire au pouvoir' ou bien 'traître à la solde du Mikado et de Wall Street'."

"La société bureaucratique totalitaire vit dans un présent perpétuel, où tout ce qui est advenu existe seulement pour elle comme un espace accessible à sa police."

"Le fascisme a été une défense extrémiste de l'économie bourgeoise menacée par la crise et la subversion prolétarienne, l'état de siège dans la société capitaliste, par lequel cette société se sauve, et se donne une première rationalisation d'urgence en faisant intervenir l'Etat dans sa gestion."

"Le fascisme est l'archaïsme techniquement équipé."

"L'illusion léniniste n'a plus d'autre base actuelle que dans les diverses tendances trotskystes, où l'identification du projet prolétarien à une organisation hiérarchique de l'idéologie survit inébranlablement à l'expérience de tous ses résultats."

"Trotsky a été condamné par sa perspective fondamentale, parce qu'au moment où la bureaucratie se connaît elle-même dans son résultat comme classe contre-révolutionnaire à l'intérieur, elle doit choisir aussi d'être effectivement contre-révolutionnaire à l'extérieur au nom de la révolution, comme chez elle."

"Lukàcs vérifie au mieux la règle fondamentale qui juge tous les intellectuels de ce siècle : ce qu'ils respectent mesure exactement leur propre réalité méprisable."

"Il [le prolétariat] demeure irréductiblement existant dans l'aliénation intensifiée du capitalisme moderne : il est l'immense majorité des travailleurs qui ont perdu tout pouvoir sur l'emploi de leur vie, et qui, dès qu'ils le savent, se redéfinissent comme le prolétariat, le négatif à l'oeuvre dans cette société."

"Cependant, quand le prolétariat découvre que sa propre force extériorisée concourt au renforcement permanent de la société capitaliste, non plus seulement sous la forme de son travail, mais aussi sous la forme des syndicats, des partis ou de la puissance étatique qu'il avait constitués pour s'émanciper, il découvre aussi par l'expérience historique concrète qu'il est la classe totalement ennemie de toute extériorisation figée et de toute spécialisation du pouvoir."

"Aucune amélioration quantitative de sa misère, aucune illusion d'intégration hiérarchique, ne sont un remède durable à son insatisfaction, car le prolétariat ne peut se reconnaître véridiquement dans un tort particulier qu'il aurait subi ni donc dans la réparation d'un tort particulier, ni d'un grand nombre de ces torts, mais seulement dans le tort absolu d'être rejeté en marge de la vie."

"Pannekoek insistait justement sur le fait que le choix d'un pouvoir des Conseils ouvriers 'propose des problèmes' plutôt qu'il n'apporte une solution. Mais ce pouvoir est précisément le lieu où les problèmes de la révolution du prolétariat peuvent trouver leur vraie solution."

"Dans les pouvoirs des Conseils, qui doit supplanter internationalement tout autre pouvoir, le mouvement prolétarien est son propre produit, et ce produit est le producteur même. Il est lui-même son propre but. Là seulement la négation spectaculaire de la vie est niée à son tour."

"Quand la réalisation toujours plus poussée de l'aliénation capitaliste à tous les niveaux, en rendant toujours plus difficile aux travailleurs de reconnaître et de nommer leur propre misère, les place dans l'alternative de refuser la totalité de leur misère, ou rien, l'organisation révolutionnaire a dû apprendre qu'elle ne peut plus combattre l'aliénation sous des formes aliénées."

"La théorie révolutionnaire est maintenant ennemie de toute idéologie révolutionnaire, et elle sait qu'elle l'est."

V - temps et histoire :

"L'histoire a toujours existé, mais pas toujours sous sa forme historique. La temporalisation de l'homme, telle qu'elle s'effectue par la médiation d'une société, est égale à une humanisation du temps."

"Quand une société plus complexe en vient à prendre conscience du temps, son travail est bien plutôt de le nier, car elle voit dans le temps non ce qui passe, mais ce qui revient."

"Le passage du nomadisme pastoral à l'agriculture sédentaire est la fin de la liberté paresseuse et sans contenu, le début du labeur."

"L'histoire survient donc devant les hommes comme un facteur étranger, comme ce qu'ils n'ont pas voulu et ce contre quoi ils se croyaient abrités."

"Le temps irréversible est le temps de celui qui règne ; et les dynasties sont sa première mesure."

"Les possesseurs de l'histoire ont mis dans le temps un sens : une direction qui est aussi une signification. Mais cette histoire se déploie et succombe à part ; elle laisse immuable la société profonde, car elle est justement ce qui reste séparé de la réalité commune."

"Les maîtres qui détiennent la propriété privée de l'histoire, sous la protection du mythe, la détiennent eux-mêmes d'abord sur le mode de l'illusion : [...]"

"Le raisonnement sur l'histoire est, inséparablement, raisonnement sur le pouvoir."

"Les religions monothéistes ont été un compromis entre le mythe et l'histoire, entre le temps cyclique dominant encore la production et le temps irréversible où s'affrontent et se recomposent les peuples. Les religions issues du judaïsme sont la reconnaissance universelle abstraite du temps irréversible qui se trouve démocratisé, ouvert à tous, mais dans l'illusoire."

"Le moyen-âge, ce monde mythique inachevé qui avait sa perfection hors de lui, est le moment où le temps cyclique, qui règle encore la part principale de la production, est réellement rongé par l'histoire. Une certaine temporalité irréversible est reconnue individuellement à tous, dans la succession des âges de la vie, dans la vie considérée comme un voyage, un passage sans retour dans un monde où le sens est ailleurs : le pèlerin est l'homme qui sort de ce temps cyclique pour être effectivement ce voyageur que chacun est comme signe."

"Ce ne sont pas, comme croit le montrer Norman Cohn dans La Poursuite du Millénium, les espérances révoutionnaires modernes qui sont des suites irrationnelles de la passion religieuse du millénarisme. Tout au contraire, c'est le millénarisme, lutte de classe révolutionnaire parlant pour la dernière fois la langue de la religion, qui est déjà une tendance révolutionnaire moderne, à laquelle manque encore la conscience de n'être qu'historique."

"C'est au temps du travail, pour la première fois affranchi du cyclique, que la bourgeoisie est liée. Le travail est devenu, avec la bourgeoisie, travail qui transforme les conditions historiques."

"La victoire de la bourgeoisie est la victoire du temps profondément historique, parce qu'il est le temps de la production économique qui transfrome la société, en permanence et de fond en comble."

"Le principal produit que le développement économique a fait passer de la rareté luxueuse à la consommation courante est donc l'histoire, mais seulement en tant qu'histoire du mouvement abstrait des choses qui domine tout usage qualitatif de la vie."

"Ainsi la bourgeoisie a fait connaître et a imposé à la société un temps historique irréversible, mais lui en refuse l'usage."

"Dans la revendication de vivre le temps historique qu'il fait, le prolétariat trouve le simple centre inoubliable de son projet révolutionnaire ; et chacune des tentatives jusqu'ici brisées d'exécution de ce projet marque un point de départ possible de la vie nouvelle historique."

"L'histoire universelle devient une réalité, car le monde entier est rassemblé sous le développement de ce temps. Mais cette histoire qui partout à la fois est la même, n'est encore que le refus intra-historique de l'histoire. C'est le temps de la production économique, découpé en fragments abstraits égaux, qui se manifeste sur toute la planète comme le même jour."

"Le temps irréversible de la production est d'abord la mesure des marchandises."

VI - le temps spectaculaire :

"Le temps pseudo-cyclique est celui de la consommation de la survie économique moderne, la survie augmentée, où le vécu quotidien reste privée de décision et soumis, non plus à l'ordre naturel, mais à la pseudo-nature développée dans le travail aliéné ; et donc ce temps retrouve tout naturellement le vieux rythme cyclique qui réglait la survie des société pré-industrielles."

"Le temps pseudo-cyclique consommable est le temps spectaculaire, à la fois comme temps de la consommation des images, au sens restreint, et comme image de la consommation du temps, dans toute son extension."

"Ce qui a été représenté comme la vie réelle se révèle simplement comme la vie plus réellement spectaculaire."

"La réalité du temps a été remplacé par la publicité du temps."

"Alors que le temps cyclique était le temps de l'illusion immobile, vécu réellement, le temps spectaculaire est le temps de la réalité qui se transforme, vécu illusoirement."

"Parce que le travail mort continue de dominer le travail vivant, dans le temps spectaculaire le passé domine le présent."

"Le spectacle, comme organisation sociale présente de la paralysie de l'histoire et de la mémoire, de l'abandon de l'histoire qui s'érige sur la base du temps historique, est la fausse conscience du temps."

"Qui a renoncé à dépenser sa vie ne doit plus s'avouer sa mort. La publicité des assurances sur la vie insinue seulement qu'il est coupable de mourir sans avoir assuré la régulation du système après cette perte économique ; et celle de l'american way of death insiste sur sa capacité de maintenir en cette rencontre la plus grande part des apparences de la vie."

"Sous les modes apparentes qui s'annulent et se recomposent à la surface futile du temps pseudo-cyclique contemplé, le grand style de l'époque est toujours dans ce qui est orienté par la nécessité évidente et secrète de la révolution."

"Le monde possède déjà le rêve d'un temps dont il doit maintenant posséder la conscience pour le vivre réellement."

VII - l'aménagement du territoire :

"L'accumulation des marchandises produites en série pour l'espace abstrait du marché, de même qu'elle devait briser toutes les barrières régionales et légales, et toutes les restrictions corporatives du moyen âge qui maintenaient la qualité de la production artisanale, devait aussi dissoudre l'autonomie et la qualité des lieux. Cette puissance d'homogénéisation est la grosse artillerie qui a fait tomber toutes les murailles de Chine."

"Cette société qui supprime la distance géographique recueille intérieurement la distance, en tant que séparation spectaculaire."

"L'aménagement économique de la fréquentation de lieux différents est déjà par lui-même la garantie de leur équivalence."

"L'urbanisme est cette prise de possession de l'environnement naturel et humain par le capitalisme qui, se développant logiquement en domination absolue, peut et doit maintenant refaire la totalité de l'espace comme son propre décor."

"L'urbanisme est l'accomplissement moderne de la tâche ininterrompue qui sauvegarde le pouvoir de classe : le maintien de l'atomisation des travailleurs que les conditions urbaines de production avaient dangereusement rassemblés."

"La dictature de l'automobile, produit-pilote de la première phase de l'abondance marchande, s'est inscrite sur le terrain avec la domination de l'autoroute, qui disloque les centres anciens et commande une dispersion toujours plus poussée."

"L'histoire économique, qui s'est tout entière développée autour de l'opposition ville-campagne, est parvenue à un stade de succès qui annule à la fois les deux termes."

"La ville n'a pu être encore que le terrain de lutte de la liberté historique, et non sa possession."

"L'urbanisme qui détruit les villes reconstitue une pseudo-campagne, dans laquelle sont perdus aussi bien les rapports naturels de la campagne ancienne que les rapports sociaux directs et directement mis en question de la ville historique."

"Les 'villes nouvelles' de la pseudo-paysannerie technologique inscrivent clairement dans le terrain la rupture avec le temps historique sur lequel elles sont bâties ; leur devise peut être : 'Ici même, il n'arrivera jamais rien, et rien n'y est jamais arrivé.'"

"L'histoire qui menace ce monde crépusculaire est aussi la force qui peut soumettre l'espace au temps vécu. La révolution prolétarienne est cette critique de la géographie humaine à travers laquelle les individus et les communautés ont à construire les sites et les événements correspondant à l'appropriation, non plus seulement de leur travail, mais de leur histoire totale. Dans cette espace mouvant du jeu, et des variations librement choisies des règles du jeu, l'autonomie du lieu peut se retrouver, sans réintroduire un attachement exclusif au sol, et par là ramener la réalité du voyage, et de la vie comprise comme un voyage ayant en lui-même tout son sens.

VIII - la négation et la consommation dans la culture :

"La culture est la sphère générale de la connaissance, et des représentations du vécu, dans la société historique divisée en classes ; ce qui revient à dire qu'elle est ce pouvoir de généralisation existant à part, comme division du travail intellectuel et travail intellectuel de la division."

"La culture est le lieu de la recherche de l'unité perdue. Dans cette recherche de l'unité, la culture comme sphère séparée est obligée de se nier elle-même."

"Comme la philosophie à l'instant où elle a gagné sa pleine autonomie, toute discipline devenue autonome doit s'effondrer, d'abord en tant que prétention d'explication cohérente de la totalité sociale, et finalement même en tant qu'instrumentation parcellaire utilisable dans ses propres frontières."

"La fin de l'histoire de la culture se manifeste par deux côtés opposés : le projet de son dépassement dans l'histoire totale, et l'organisation de son maintien en tant qu'objet mort, dans la contemplation spectaculaire. L'un des ces mouvements a lié son sort à la critique sociale, et l'autre à la défense du pouvoir de classe."

"L'art, qui fut ce langage commun de l'inaction sociale, dès qu'il se constitue en art indépendant au sens moderne, émergeant de son premier univers religieux, et devenant production individuelle d'oeuvres séparées, connaît, comme cas particulier, le mouvement qui domine l'histoire de l'ensemble de la culture séparée. Son affirmation indépendante est le commencement de sa dissolution."

"Il s'agit de posséder effectivement la communauté du dialogue et le jeu avec le temps qui ont été représentés par l'oeuvre poético-artistique."

"Quand l'art devenu indépendant représente son monde avec des couleurs éclatantes, un moment de la vie a vieilli, et il ne se laisse pas rajeunir avec des couleurs éclatantes."

"La grandeur de l'art ne commence à paraître qu'à la retombée de la vie."

"Le temps historique qui envahit l'art s'est exprimé d'abord dans la sphère même de l'art, à partir du baroque."

"Du romantisme au cubisme, c'est finalement un art toujours plus individualisé de la négation, se renouvelant perpétuellement jusqu'à l'émiettement et la négation de la sphère artistique, qui a suivi le cours général du baroque."

"Le dadaïsme et le surréalisme sont à la fois historiquement liés et en opposition."

"Le dadaïsme a voulu supprimer l'art sans le réaliser ; et le surréalisme a voulu réaliser l'art sans le supprimer."

"La culture devenue intégralement marchandise doit aussi devenir la marchandise vedette de la société spectaculaire."

"La sociologie qui a commencé à mettre en discussion, d'abord aux Etats-Unis, les conditions d'existence entraînées par l'actuel développement, si elle a pu rapporter beaucoup de données empiriques, ne connaît aucunement la vérité de son propre objet, parce qu'elle ne trouve pas en lui-même la critique qui lui est immanente."

"C'est parce que l'histoire elle-même hante la société moderne comme un spectre, que l'on trouve de la pseudo-histoire construite à tous les niveaux de la consommation de la vie, pour préserver l'équilibre menacé de l'actuel temps gelé."

"Tout comme on n'apprécie pas la valeur d'un homme selon la conception qu'il a de lui-même, on ne peut apprécier - et admirer - cette société déterminée en prenant comme indiscutablement véridique le langage qu'elle se parle à elle-même."

"Le structuralisme est la pensée garantie par l'Etat, qui pense les conditions présentes de la 'communication' spectaculaire comme un absolu."

"Pour détruire effectivement la société du spectacle, il faut des hommes mettant en action une force pratique."

"La théorie critique doit se communiquer dans son propre langage. C'est le langage de la contradiction, qui doit être dialectique dans sa forme comme il l'est dans son contenu. Il est critique de la totalité et critique historique. Il n'est pas un 'degré zéro de l'écriture' mais son renversement. Il n'est pas une négation du style, mais le style de la négation."

"Le détournement ramène à la subversion les conclusions critiques passées qui ont été figées en vérités respectables, c'est-à-dire transformées en mensonges."

"Les idées s'améliorent. Le sens des mots y participe. Le plagiat est nécessaire. Le progrès l'implique. Il serre de près la phrase d'un auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par l'idée juste."

"Le détournement est le langage fluide de l'anti-idéologie."

25 octobre 2020

Une apologie des oisifs

Robert Louis Stevenson, Une apologie des oisifs

Une apologie des oisifs, de Robert Louis Stevenson.

4e de couverture : Aujourd'hui, chacun est contraint, sous peine d'être condamné par contumace pour lèse-responsabilité, d'exercer une profession lucrative, et d'y faire preuve d'un zèle proche de l'enthousiasme. La partie adverse se contente de vivre modestement, et préfère profiter du temps ainsi gagné pour observer les autres et prendre du bon temps, mais leurs protestations ont des accents de bravade et de gasconnade. Il ne devrait pourtant pas en être ainsi. Cette prétendue oisiveté, qui ne consiste pas à ne rien faire, mais à faire beaucoup de choses qui échappent aux dogmes de la classe dominante, a tout autant voix au chapitre que le travail.

Extrait n°1 : Une activité intense, que ce soit à l'école ou à l'université, à l'église ou au marché, est le symptôme d'un manque d'énergie alors que la faculté d'être oisif est la marque d'un large appétit et d'une conscience aiguë de sa propre identité. Il existe une catégorie de morts-vivants dépourvus d'originalité qui ont à peine conscience de vivre s'ils n'exercent pas quelque activité conventionnelle. Emmenez ces gens à la campagne, ou en bateau, et vous verrez comme ils se languissent de leur cabinet de travail.

Extrait n°2 : Rien ne sert de parler à des gens de cette espèce : ils ne savent pas rester oisifs, leur nature n'est pas assez généreuse.

Extrait n°3 : La conversation est, en effet, à la fois la scène et l'instrument de l'amitié.

Extrait n°4 : Ces deux-là, du moins, sont mes préférés, et ce sont tous deux causeurs bruyants, intempérants et intolérants. Cela laisserait supposer que j'appartiens moi aussi à cette catégorie ; car si l'on aime un tant soit peu parler, on apprécie un adversaire féroce et brillant qui défend pied à pied son terrain, comme nous, monnaye chèrement son attention, et nous donne notre comptant de la poussière et de l'effort de la bataille.

Extrait n°5 : Par une expression frappante, un air troublé, des flots de larmes ou une insulte que sa conscience l'oblige à digérer, il acquiert une connaissance qu'aucun syllogisme n'aurait pu lui apporter.

Extrait n°6 : L'ultime remarque qu'on lui ait entendu faire, le dernier soir de sa vie, intervint après une discussion animée avec son pasteur à propos du calvinisme. Comme il avait été interrompu par une douleur insupportable, "tout compte fait, dit-il, de tous les -ismes, je n'en connais pas de pire que les rhumatismes".

22 octobre 2020

La Révolution russe

Rosa Luxemburg, La Révolution russe

La Révolution russe, de Rosa Luxemburg.

4e de couverture : Alors qu'elle est emprisonnée, la théoricienne marxiste Rosa Luxemburg étudie le déroulement de la Révolution russe et en tire les leçons. Son enthousiasme et son soutien total au bolchevisme ne sont néanmoins pas exempts de critiques, notamment en ce qui concerne l'autoritarisme du régime mis en place par Lénine. Ce travail d'analyse ne sera pas achevé, et ses notes ne seront publiées qu'après sa mort. A chacun, donc, d'interpréter ce qui relève d'une pensée en mouvement de ce qui est jugement définitif... / Rosa Luxemburg, née de parents juifs polonais en 1870, prend la nationalité allemande en 1898. Incarcérée durant la Première Guerre mondiale à cause de son engagement pacifiste, elle a participé à l'insurrection spartakiste de janvier 1919 à Berlin, où elle meurt assassinée.

Extrait n°1 : Ce n'est pas l'aventure guerrière de l'impérialisme allemand, sous l'écusson idéoogique de la social-démocratie allemande, qui a provoqué la révolution en Russie. Elle n'a fait au contraire que l'interrompre pour quelques temps, à ses débuts, après la première vague des années 1911-1913, et lui créer ensuite les conditions les plus difficiles et les plus anormales.

Extrait n°2 : En réalité, ce qu'ont démontré la guerre et la Révolution russe, ce n'est pas le manque de maturité de la Russie, mais l'incapacité du prolétariat allemand à remplir sa mission historique ; et faire ressortir ce fait avec toute la netteté désirable est le premier devoir d'une étude critique de la Révolution russe.

Extrait n°3 : D'autre part, ce n'est que de cette manière qu'apparaît l'importance décisive de l'action internationale de la révolution prolétarienne - comme une condition essentielle, sans laquelle les plus grands efforts et les plus sublimes sacrifices du prolétariat dans un seul pays doivent inévitablement tomber dans un tourbillon de contradictions et d'erreurs.

Extrait n°4 : Or le mot d'ordre lancé par les bolcheviks : prise immédiate et partage des terres par les paysans, devait agir précisément dans le sens inverse. Car non seulement ce n'est pas une mesure socialiste, mais elle barre la route qui y mène, elle accumule devant la transformation socialiste de l'agriculture des difficultés insurmontables.

Extrait n°5 : Mais ce n'est pas tout : par cette mesure et la façon chaotique, purement arbitraire, dont elle fut appliquée, les différences sociales dans les campagnes n'ont pas été supprimées, mais aggravées au contraire.

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13 octobre 2020

Citations : François-René de Chateaubriand

Regard François-René de Chateaubriand

François-René de Chateaubriand
(1768-1848)

Mémoires d'outre-tombe, Livres I à XII :

François-René de Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe livre I à XII

"[...] les tempêtes ne m'ont laissé souvent de table pour écrire que l'écueil de mon naufrage."

"Selon moi, j'ai gardé cet amour plus ferme de la liberté qui appartient principalement à l'aristocratie dont la dernière heure est sonnée."

"En ce temps-là, la vieillesse était une dignité ; aujourd'hui elle est une charge."

"Toute main est bonne pour nous donner le verre d'eau dont nous pouvons avoir besoin dans la fièvre de la mort."

"Depuis cette époque, j'ai souvent cru bâtir pour l'éternité des châteaux plus vite écroulés que mes palais de sable."

"Le vrai bonheur coûte peu ; s'il est cher, il n'est pas d'une bonne espèce."

"[...] je n'était bon ni pour tyran ni pour esclave, et tel je suis demeuré."

"Une chose m'humilie : la mémoire est souvent la qualité de la sottise ; elle appartient généralement aux esprits lourds, qu'elle rend plus pesants par le bagage dont elle les surcharge."

"Ô misère de nous ! notre vie est si vaine qu'elle n'est qu'un reflet de notre mémoire."

"Notre vanité met trop d'importance au rôle que nous jouons dans le monde. Le bourgeois de Paris rit du bourgeois d'une petite ville ; le noble de cour se moque du noble de province ; l'homme connu dédaigne l'homme ignoré, sans songer que le temps fait également justice de leurs prétentions, et qu'ils sont tous également ridicules ou indifférents aux yeux des générations qui se succèdent."

"Pourquoi faut-il que le plus grand crime et la plus grande gloire soient de verser le sang de l'homme ?"

"J'ai vu des récits bien plaisants devenir très ennuyeux en la bouche d'un seigneur."

"Après le malheur de naître, je n'en connais pas de plus grand que celui de donner le jour à un homme."

"[...] à tous les âges de ma vie, il n'y a point de supplice que je n'eusse préféré à l'horreur d'avoir à rougir devant une créature vivante."

"Toute notre vie se passe à errer autour de notre tombe ; nos diverses maladies sont des souffles qui nous approchent plus ou moins du port."

"Plus semblable au reste des hommes, j'eusse été plus heureux : celui qui, sans m'ôter l'esprit, fût parvenu à tuer ce qu'on appelle mon talent, m'aurait traité en ami."

"L'homme qui attente à ses jours montre moins la vigueur de son âme que la défaillance de sa nature."

"Ceux qui me traitent d'hypocrite et d'ambitieux me connaissent peu : je ne réussirai jamais dans le monde, précisément parce qu'il me manque une passion et un vice, l'ambition et l'hypocrisie."

"Le roi de Prusse et Voltaire sont deux figures bizarrement groupées qui vivront : le second détruisait une société avec la philosophie qui servait au premier à fonder un royaume."

"Je ne sache pas dans l'histoire une renommée qui me tente : fallût-il me baisser pour ramasser à mes pieds et à mon profit la plus grande gloire du monde, je ne m'en donnerais pas la fatigue."

"On n'a rien vu quand on n'a pas vu la pompe de Versailles, même après le licenciement de l'ancienne maison du Roi : Louis XIV était toujours là."

"Vanité des destinés humaines ! ce souverain que je voyais pour la première fois, ce monarque si puissant était Louis XVI à six ans de son échafaud !"

"Propre à tout pour les autres, bon à rien pour moi : me voilà."

"On ne pouvait lui contester de l'esprit et du talent, mais de cet esprit et de ce talent qui n'atteignent point la postérité."

"Lorsque je relis la plupart des écrivains du dix-huitième siècle, je suis confondu, et du bruit qu'ils ont fait et de mes anciennes admirations. Soit que la langue ait avancé, soit qu'elle ait rétrogradé, soit que nous ayons marché vers la civilisation, ou battu en retraite vers la barbarie, il est certain que je trouve quelque chose d'usé, de passé, de grisaillé, d'inanimé, de froid dans les auteurs qui firent les délices de ma jeunesse. Je trouve même dans les plus grands écrivains de l'âge voltairien des choses pauvres de sentiment, de pensée et de style."

"Cette manie de gréciser et de latiniser notre langue n'est pas nouvelle, comme on le voit : Rabelais la guérit, elle reparut dans Ronsard ; Boileau l'attaqua. De nos jours elle a ressuscité par la science ; nos révolutionnaires, grands Grecs de leur nature, ont obligé nos marchands et nos paysans à apprendre les hectares, les hectolitres, les kilomètres, les millimètres, les décagrammes : la politique a ronsardisé."

"A cette époque, tout était dérangé dans les esprits et dans les moeurs, symptôme d'une révolution prochaine."

"Le suprême bon ton était d'être Américain à la ville, Anglais à la cour, Prussien à l'armée ; d'être tout, excepté Français."

"La Révolution m'aurait entraîné, si elle n'eût débuté par des crimes : je vis la première tête portée au bout d'une pique, et je reculai."

"Mais alors, on ne voyait pas l'ensemble des faits : chaque événement paraissait un accident isolé. A toutes les périodes historiques, il existe un esprit-principe. En ne regardant qu'un point, on n'aperçoit pas les rayons convergeant au centre de tous les autres points ; on ne remonte pas jusqu'à l'agent caché qui donne la vie et le mouvement général, comme l'eau ou le feu dans les machines : c'est pourquoi, au début des révolutions, tant de personnes croient qu'il suffirait de briser telle roue, pour empêcher le torrent de couler ou la vapeur de faire explosion."

"Religion à part, le bonheur est de s'ignorer et d'arriver à la mort sans avoir senti la vie."

"[...] dans les grandes transformations sociales, les résistances individuelles, honorables pour les caractères, sont impuissantes contre les faits."

"Tout événement, si misérable ou si odieux qu'il soit en lui-même, lorsque les circonstances en sont sérieuses et qu'il fait époque, ne doit pas être traité avec légèreté : ce qu'il fallait voir dans la prise de la Bastille (et ce que l'on ne vit pas alors), c'était, non l'acte violent de l'émancipation d'un peuple, mais l'émancipation même, résultat de cet acte."

"La colère brutale faisait des ruines, et sous cette colère était cachée l'intelligence qui jetait parmi ces ruines les fondements du nouvel édifice."

"Les révolutions ont des hommes pour toutes leurs périodes ; les uns suivent ces révolutions jusqu'au bout, les autres le commencent, mais ne les achèvent pas."

"Timide dans les salons, j'étais hardi sur les places publiques : je me sentais fait pour la solitude ou pour le forum."

"La tombe délia Mirabeau de ses promesses, et le mit à l'abri des périls que vraissemblablement il n'aurait pu vaincre : sa vie eût montré sa faiblesse dans le bien ; sa mort l'a laissé en possession de sa force dans le mal."

"Mirabeau a déjà subi la métamorphose qui s'opère parmi ceux dont la mémoire doit demeurer ; porté du panthéon à l'égout, et reporté de l'égout au panthéon, il s'est élevé de toute la hauteur du temps qui lui sert aujourd'hui de piedestal."

"Dans une société qui se dissout et se recompose, la lutte des deux génies, le choc du passé et de l'avenir, le mélange des moeurs anciennes et des moeurs nouvelles, forment une combinaison transitoire qui ne laisse pas un moment d'ennui."

"Quand la Révolution eut grandi, elle abandonna avec dédain les frivoles apostats du trône : elle avait eu besoin de leurs vices, elle eut besoin de leurs têtes : elle ne méprisait aucun sang, pas même celui de la du Barry."

"Ma place politique mettait à l'ombre ma renommée littéraire ; il n'y a pas un sot dans les trois royaumes qui ne préférât l'ambassadeur de Louis XVIII à l'auteur du Génie du Christianisme."

"Le vieux matelot ressemble au vieux laboureur. Leurs moissons sont différentes, il est vrai : le matelot a mené une vie errante, le laboureur n'a jamais quitté son champ ; mais ils connaissent également les étoiles et prédisent l'avenir en creusant leurs sillons."

"Jamais Dieu ne m'a plus troublé de sa grandeur que dans ces nuits où j'avais l'immensité sur ma tête et l'immensité sous mes pieds."

"Dans ce parfum non respiré de la beauté, non épuré dans son sein, non répandu sur ses traces, dans ce parfum chargé d'aurore, de culture et de monde, il y avait toutes les mélancolies des regrets, de l'absence et de la jeunesse."

"Il était à l'avant-garde du désert, mais il ne savait rien des Esquimaux et ne recevait du Canada que des perdrix."

"[...] ce fut une esclave qui me reçut sur la terre de la liberté."

"Penché sur le monde, d'une main il terrasse les rois, de l'autre il abat le géant révolutionnaire ; mais, en écrasant l'anarchie, il étouffe la liberté, et finit par perdre la sienne sur son dernier champ de bataille."

"[...] à l'aspect d'un beau tableau de la nature, on tombe involontairement dans le silence."

"N'était-ce pas une chose accablante pour un disciple de Rousseau, que cette introduction à la vie sauvage par un bal que l'ancien marmiton du général Rochambeau donnait à des iroquois ?"

"Les géants antédiluviens sont les petits hommes d'aujourd'hui."

"[...] il y a de la douceur à pleurer sur des maux qui n'ont été pleurés de personne."

"Toutes les âmes n'ont pas une égale aptitude au bonheur, comme toutes les terres ne portent pas également des moissons."

"L'hospitalité est la dernière vertu restée aux sauvages au milieu des vices de la civilisation européenne ; on sait quelle était autrefois cette hospitalité ; le foyer avait la puissance de l'autel."

"Alexandre créait des villes partout où il courait : j'ai laissé des songes partout où j'ai traîné ma vie."

"Quand l'indien était nu ou vêtu de peau, il avait quelque chose de grand et de noble ; à cette heure, des haillons européens, sans couvrir sa nudité, attestent sa misère : c'est un mendiant à la porte d'un comptoir, ce n'est plus un sauvage dans sa forêt."

"L'immobilité politique est impossible ; force est d'avancer avec l'intelligence humaine."

"Et moi aussi, tel que les puissantes urnes des fleuves, j'ai répandu le petit cours de ma vie, tantôt d'un côté de la montagne, tantôt de l'autre ; capricieux dans mes erreurs, jamais malfaisant ; préférant les vallons pauvres aux riches plaines, m'arrêtant aux fleurs plutôt qu'aux palais."

"[...] à Smyrne, le soir, la nature dort comme une courtisane fatiguée d'amour."

"Hors en religion, je n'ai aucune croyance. Pasteur ou roi qu'aurais-je fait de mon sceptre ou de ma houlette ?"

"Tout me lasse : je remorque avec peine mon ennui avec mes jours, et je vais partout bâillant ma vie."

"Tous les exilés, tous les opprimés qui se sont retirés en Amérique y ont porté la mémoire de leur patrie."

"La poésie et l'imagination, partage d'un très petit nombre de désoeuvrés, sont regardés aux Etats-Unis comme des puérilités du premier et du dernier âge de la vie : les Américains n'ont point eu d'enfance, ils n'ont point encore de vieillesse."

"Séparée de l'ancien monde, la population des Etats-Unis habite encore la solitude ; ses déserts ont été sa liberté : mais déjà les conditions de son existence s'altèrent."

"La fortune et moi nous nous sommes pris en grippe aussitôt que nous nous sommes vus."

"Les matelots bretons ont ce proverbe : 'Celui qui voit Belle-Isle, voit son île ; celui qui voit Groie, voit sa joie ; celui qui voit Ouëssant, voit son sang.'"

"[...] le danger apprend aux hommes leur faiblesse et unit leurs voeux."

"Mieux vaut déguerpir de la vie quand on est jeune, que d'en être chassé par le temps."

"Presque toujours, en politique, le résultat est contraire à la prévision."

"Les infirmités de l'âme et du corps ont joué un rôle dans nos troubles : l'amour-propre en souffrance a fait de grands révolutionnaires."

"Comme des crimes se sont trouvés mêlés à un grand mouvement social, on s'est, très mal à propos, figuré que ces crimes avaient produit les grandeurs de la Révolution, dont ils n'étaient que les affreux pastiches : d'une belle nature souffrante, des esprits passionnés ou systématiques n'ont admiré que la convulsion."

"Danton n'avait pas la conviction des principes qu'il soutenait ; il ne s'était affublé du manteau révolutionnaire que pour arriver à la fortune."

"Une jeune et charmante femme, pleine d'énergie, en le rendant capable d'amour, le rendit capable de vertu et de sacrifice."

"Il paraît qu'on apprend pas à mourir en tuant les autres."

"Tout gouvernement qui, au lieu d'offrir des garanties aux lois fondamentales de la société, transgresse lui-même les lois de l'équité, les règles de la justice, n'existe plus et rend l'homme à l'état de nature. Il est licite alors de se défendre comme on peut, de recourir aux moyens qui semblent les plus propres à renverser la tyrannie, à rétablir les droits de chacun et de tous."

"Nous avons deux poids deux mesures : nous approuvons, pour une idée, un système, un intérêt, un homme, ce que nous blâmons pour une autre idée, un autre système, un autre intérête, un autre homme."

"Madame Roland avait du caractère pluôt que du génie : le premier peut donner le second, le second ne peut donner le premier."

"L'esprit de Rivarol nuisait à son talent, sa parole à sa plume."

"En 1792, la fidélité au serment passait encore pour un devoir ; aujourd'hui, elle est devenue si rare qu'elle est regardée comme une vertu."

"Un grand clocher, une grande rivière et un grand seigneur, dit le proverbe, sont de mauvais voisins."

"Les vieillards d'autrefois étaient moins malheureux et moins isolés que ceux d'aujourd'hui : si, en demeurant sur la terre, ils avaient perdu leurs amis, peu de chose du reste avait changé autour d'eux ; étrangers à la jeunesse, ils ne l'étaient pas à la société."

"Nous surgîmes invaincus à Thionville, le 1er septembre ; car, chemin faisant, nous ne rencontrâmes personne."

"Inutile et noble victoire d'une cause perdue !"

"Quand les Hollandais essuient un coup de vent en haute mer, ils se retirent dans l'intérieur du navire, ferment les écoutilles et boivent du punch, laissant un chien sur le pont pour aboyer à la tempête ; le danger passé, on renvoie Fidèle à sa niche au fond de la cale, et le capitaine revient jouir du beau temps sur le gaillard. J'ai été le chien hollandais du vaisseau de la légitimité."

"[...] tant les hommes et les empires passent vite ! tant la renommée la plus extraordinaire ne sauve pas du destin le plus commun !"

"Tous, tant que nous sommes, nous n'avons à nous que la minute présente ; celle qui la suit est à Dieu : il y a toujours deux chances pour ne pas retrouver l'ami que l'on quitte : notre mort ou la sienne."

"Hélas ! notre hilarité présente ne se composait que de notre gaieté passée."

"[...] dans le coeur humain, les plaisirs ne gardent pas entre eux les relations que les chagrins y conservent : les joies nouvelles ne font point rpintaner les anciennes joies, mais les douleurs récentes font reverdir les vieilles douleurs."

"[...] la mort de nos amis ne compte pas du moment où ils meurent, mais de celui où nous cessons de vivre avec eux."

"Ce qui enchante dans l'âge des liaisons devient dans l'âge délaissé un objet de souffrance et de regret."

"La fraîcheur et la grâce de la nature, en vous rappelant vos félicités passées, augmentent la laideur de vos misères."

"[...] l'air calme de la tombe se fait sentir au voyageur qui n'en est plus qu'à quelques journées."

"Il est des degrés entre les pauvres comme entre les riches ; on peut aller depuis l'homme qui se couvre l'hiver avec son chien, jusqu'à celui qui grelotte dans ses haillons tailladés."

"A notre indépendance et à notre pauvreté, on nous eût pris pour des peintres sur les ruines de Rome ; nous étions des artistes en misère sur les ruines de la France."

"[...] la vie, sans les maux qui la rendent grave, est un hochet d'enfant."

"L'amour est si bien la félicité primeraine qu'il est poursuivi par la chimère d'être toujours [...]"

"Une passion vraie et malheureuse est un levain empoisonné qui reste au fond de l'âme et qui gâterait le pain des anges."

"Comme je ne crois à rien, excepté en religion, je me défie de tout : la malveillance et le dénigrement sont les deux caractères de l'esprit français ; la moquerie et la calomnie, le résultat certain d'une confidence."

"Il y a des moments où notre destinée, soit qu'elle cède à la société, soit qu'elle obéisse à la nature, soit qu'elle commence à nous faire ce que nous devons demeurer, se détourne soudain de sa ligne première, telle qu'un fleuve qui change son cours par une subite inflexion."

"Que de fois on passe dans la vie à côté de ce qui en ferait le charme, comme le navigateur franchit les eaux d'une terre aimée du ciel, qu'il n'a manqué que d'un horizon et d'un jour de voile !"

"Tout ce qui restait de sang et de souvenir dans la France des Croisades, lutta contre ce qu'il y avait de nouveau sang et d'espérances dans la France de la Révolution. Le vainqueur sentit la grandeur du vaincu."

"[...] il n'y a point d'âge légal pour le malheur."

"Dans notre vallée de larmes, ainsi qu'aux enfers, il est je ne sais quelle plainte éternelle, qui fait le fond ou la note dominante des lamentations humaines ; on l'entend sans cesse, et elle continuerait quand toutes les douleurs créées viendraient à se taire."

"Les lectures sont excellentes comme instruction, lorsqu'on ne prend pas pour argent comptant les flagorneries obligées."

"Voyez les vieux sépulcres dans les vieilles cryptes : eux-mêmes, vaincus par l'âge, caducs et sans mémoire, ayant perdu leurs épitaphes, ils ont oublié jusqu'aux noms de ceux qu'ils renferment."

"Douce, patriarcale, innocente, honorable amotié de famille, votre siècle est passé ! On ne tient plus au sol par une multitude de fleurs, de rejetons et de racines ; on naît et l'on meurt maintenant un à un."

"[...] la gloire est pour un vieil homme ce que sont les diamants pour une vieille femme ; ils parent, et ne peuvent l'embellir."

"Shakespeare est au nombre des cinq ou six écrivains qui ont suffi aux besoins et à l'aliment de la pensée ; ces génies-mères semblent avoir enfanté et allaité tous les autres."

"Il faut de plus grands efforts de talent pour intéresser en restant dans l'ordre, que pour plaire en passant toute mesure ; il est moins facile de régler le coeur que de le trouler."

"Henri VIII et Elisabeth moururent aussi à Richmond : où ne meurt-on pas ?"

 

1 octobre 2020

Le chant du monde

Jean Giono, Le chant du monde

Le chant du monde, de Jean Giono.

Extrait n°1 : Une vie épaisse coulait doucement sur les vallons et les collines de la terre. Antonio la sentait qui passait contre lui ; elle lui tapait dans les jambes, elle passait entre ses jambes, entre ses bras et sa poitrine, contre ses joues, dans ses cheveux, comme quand on plonge dans un trou plein de poissons. Il se mit à penser au besson qui peut-être était mort.

Extrait n°2 : La caresse, la science et la colère de l'eau était dans cette carrure d'homme.

Extrait n°3 : - Moi, dit l'aveugle, voilà ce que je crois : le jour c'est l'odeur.

Extrait n°4 : - Tous les pays sont lourds, dit-elle. Nous sommes pliés dans les prés et les collines comme des pains durs dans le linge humide.

Extrait n°5 : Des vols de feuilles mortes passaient dans la pluie. Les bois se décharnaient. De grands chênes vernis d'eau émergeaient de l'averse avec leurs énormes mains noires crispées dans la pluie. Le souffle feutré des forêts de mélèzes, le chant grave des sapinières dont le moindre vent émouvait les sombres corridors, le hoquet des sources nouvelles qui crevaient au milieu des pâtures, les ruisseaux qui léchaient les herbes à gros lapements de langue, le grincement des arbres malades déjà nus et qui se fendaient lentement, le sourd bourdon du gros fleuve qui s'engraissait en bas dans les ténèbres de la vallée, tout parlait de désert et de solitude. La pluie était solide et pesante.

Extrait n°6 : Il n'avait pas encore trouvé son équilibre et sa paix dans ces petites douleurs. Il ne pouvait pas oublier encore le grand matin de l'autre côté des fenêtres et le ciel clair qui venait de se fendre sous le poids du temps comme une bille de bois qui ouvre le chemin de sa sève, cette Gina jeune, toute lumineuse d'amour, nue, là-haut dans le lit.

23 septembre 2020

"Cette pute me fera mourir..."

Saint-Simon, Cette pute me fera mourir

"Cette pute me fera mourir...", Mémoires du duc de Saint-Simon, Intrigues et passions à la cour de Louis XIV, de Saint-Simon.

4e de couverture : "Cette pute me fera mourir..." soupirait Marie-Thérèse, reine de France, épouse de Louis XIV, en regardant le Roi s'afficher avec la belle Montespan.
Le duc de Saint-Simon, qui a tout vu et tout entendu, raconte Versailles et ses brillants acteurs. Témoin de la grandeur du règne, il en explore aussi les coulisses : intrigues, scandales et anecdotes se mêlent aux récits des morts illustres. A la fois véridiques et visionnaires, ses Mémoires nous font entrer au Château et partager la vie de la cour et du Grand Roi avec un esprit, une verve, un génie inégalés.

Extrait n°1 : Le Roi s'informa des pièces et des acteurs, et demanda à Racine pourquoi, à ce qu'il entendait dire, la comédie était si fort tombée de ce qu'il avait vu autrefois. Racine lui en donna plusieurs raisons, et conclut par celle qui, à son avis, y avait le plus de part, qui était que, faute d'auteurs et de bonnes pièces nouvelles, les comédiens en donnaient d'anciennes, et, entre autres, ces pièces de Scarron qui ne valaient rien et qui rebutaient tout le monde.

Extrait n°2 : Il avait tous les vices de son frère. Sur la débauche il avait de plus que lui d'être au poil et à la plume, et d'avoir l'avantage de ne s'être jamais couché le soir depuis trente ans que porté dans son lit ivre mort, coutume à laquelle il fut fidèle le reste de sa vie. Il n'avait aucune partie de général ; sa poltronnerie reconnue était soutenue d'une audace qui révoltait.

Extrait n°3 : Parmi ces pensées, je sentais malgré moi un reste de crainte que le malade en réchappât, et j'en avais une extrême honte.

Extrait n°4 : Monseigneur, tel pour l'esprit qu'il vient d'être représenté, n'avait pu profiter de l'excellente culture qu'il reçut du duc de Montausier, et de Bossuet et de Fléchier, évêques de Meaux et de Nîmes. Son peu de lumières, s'il en eut jamais, s'éteignit au contraire sous la rigueur d'une éducation dure et austère, qui donna le dernier poids à sa timidité naturelle, et le dernier degré d'aversion pour toute espèce, non pas de travail et d'étude, mais d'amusement d'esprit, en sorte que, de son aveu, depuis qu'il avait été affranchi des maîtres, il n'avait de sa vie lu que l'article de Paris de la Gazette de France pour y voir les morts et les mariages.

12 août 2020

Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande

Friedrich Engels, Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande

Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, de Friedrich Engels.

Extrait n°1 : La démarche de Feuerbach est celle d'un hégélien - à vrai dire jamais complètement orthodoxe - qui va vers le matérialisme, démarche qui, à un stade déterminé, amène une rupture totale avec le système idéaliste de son prédécesseur. Finalement s'impose à lui, avec une force irrésistible, la conviction que l'existence, antérieure au monde, de l'"idée absolue" de Hegel, la "préexistence des catégories logiques" antérieures à l'univers, n'est rien d'autre qu'une survivance fantastique de la croyance en un créateur supraterrestre ; l'idée que le monde matériel, perceptible par les sens, auquel nous appartenons nous-mêmes, est la seule réalité, et que notre conscience et notre pensée, si transcendantes qu'elles nous paraissent, ne sont que les produits d'un organe matériel, corporel, le cerveau. La matière n'est pas un produit de l'esprit, mais l'esprit n'est lui-même que le produit le plus élevé de la matière.

Extrait n°2 : Le matérialisme du siècle précédent était surtout mécaniste, parce que, à cette époque, de toutes les sciences de la nature, seule la mécanique, et encore seulement celle des corps solides - célestes et terrestres - bref, la mécanique de la pesanteur, était arrivée à un certain achèvement. La chimie n'existait encore que dans sa forme enfantine, phlogistique.

Extrait n°3 : Ici, la lutte contre les survivances du moyen âge limitait étroitement la vue. Le moyen âge était considéré comme une simple interruption de l'histoire par mille années de barbarie générale ; les grands progrès du moyen âge, - l'extension de l'aire de la civilisation en Europe, les grandes nations viables qui s'y étaient formées côte à côte, enfin les énormes progrès techniques des XIVe et XVe siècles - on ne voyait rien de tout cela. Cette cécité empêchait toute compréhension rationnelle du grand enchaînement historique, et l'histoire servait tout au plus de recueil d'exemples et d'illustrations à l'usage des philosophes.

Extrait n°4 : Mais partout où le hasard semble jouer à la surface, il est tooujours sous l'empire de lois internes cachées, et il ne s'agit que de les découvrir.

12 mai 2020

La Mafia se met à table

Jacques Kermoal, La mafia se met à table

La Mafia se met à table, de Jacques Kermoal et Martine Bertolomei.

4e de couverture : "Douze ans de séjour en Italie m'ont appris que l'histoire de la Mafia s'identifie absolument avec l'histoire de la gastronomie sicilienne", écrit Jacques Kermoal. Avec humour, il raconte ici dix rendez-vous décisifs authentiques en les illustrant des menus - bien souvent de véritables festins -"qui y furent servis." Ainsi, du "banquet de Messine, 1860" au "déjeuner chez Lucky Luciano, Naples, 1962" au repas d'anniversaire à Montelepre, 1972", le lecteur retiendra l'anecdote historique autant que les recettes aux noms prometteurs : cuissot de chevreuil faisandé à l'eau de vie de prunes d'Agrigente, courge à l'aigre-douce, flan de châtaignes, cocktail de pâtes froides à la crème, aubergines et tomates à la Caponata, mérou au four, sorbet à l'orange...

Extrait n°1 : Cette monarchie italienne et turinoise ne présentait pour les zii que des avantages. D'abord, le Piémont n'était pas la porte à côté ; ensuite, cette monarchie était parlementaire, atout certain, car les élections, ça se fabrique !

Extrait n°2 : Premier empereur véritable de la Mafia, patron incontesté des trois quarts de la Sicile, Don Vito y taxait toutes les sources de revenus. Non seulement il prélevait le pizzu - son pourcentage - sur les recettes des commerçants, mais il protégeait les situations de monopole de ses amis, dans tous les secteurs de la vie économique de l'île. Homme de justice, Don Vito inaugura la taxation du crime. [...] Sous le règne de Don Vito, la Mafia arrivait même à taxer les amoureux qui (c'était l'usage sicilien), lorsqu'ils se promenaient sous les fenêtres de leurs bien-aimées, devaient payer "a cannila", c'est-à-dire le prix symbolique d'une chandelle qu'un membre de la Mafia, en tant que chaperon appointé et éclairé, était censé avoir tenue pour eux.

Extrait n°3 : L'intérieur, c'est-à-dire la police, lui assurait l'impunité en fermant les yeux, le Commerce extérieur favorisait ses importations de morphine-base et ses exportations d'héroïne. Comment donc ne pas rejoindre le cardinal dans la lutte contre les socialo-communistes qui passaient leur temps à dnoncer ses "manoeuvres" dans leurs journaux diffamatoires.

Extrait n°4 : Le nom de cette innocente victime, Menico Martorana, devint célèbre du jour au lendemain dans toute la Sicile : il vivait encore lorsque le préfet de la province de Palerme, le docteur Migliore, se pencha pour lui demander s'il avait reconnu ses assassins à la mitraillette. Faisant un dernier effort, Menico Martorana eut ce superbe mot de la fin : "Quelle mitraillette ?" Et il rendit le dernier soupir.

Extrait n°5 : Pietro Scaglione pâlit : "Vous voulez dire que le ministre de la Défense nationale a partie liée avec les Américano-siciliens ?"
Mauro De Mauro esquissa un geste de demi-négation : "Ce n'est pas tout à fait cela. Disons plutôt que la Défense nationale et les Américano-siciliens ont des intérêts communs, et même des secrets en commun, des secrets d'Etat. Ici, en Sicile, depuis la mort de Lucky Luciano, un homme a pris sa place. Il est persona grata aussi bien auprès du gouvernement que de la Démocratie chrétienne, il est aussi bien vu du SIM (Servizio Informazione Militare, le DGSE italien), dont il est honorable correspondant, que de l'ambassade des Etats-Unis à qui il rend parfois d'importants services."

Extrait n°6 : Il y avait pourtant une énorme différence entre la lutte antiterroriste et la lutte anti-mafia. Lutter contre le terrorisme, c'était lutter contre les ennemis de l'Etat. Lutter contre la Mafia, c'était lutter contre l'Etat lui-même, puisque la Mafia vivait en symbiose avec le pouvoir, ou plus exactement avec les pouvoirs de l'Etat : Finances, Justice, Police, Législatif. Le seul de ces pouvoirs qui échappât à l'Honorable Société restait peut-être l'armée, encore que quelques généraux présidant aux commissions d'achats militaires étaient depuis longtemps compromis avec elle.

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