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Amour, émeute et cuisine
Amour, émeute et cuisine
  • Quelques pensées sur la civilisation, considérée dans ses aspects politiques, "philosophiques", et culinaires, entre autres. Il y sera donc question de capitalisme, d'Empire, de révolte, et d'antiterrorisme, mais aussi autant que faire se peut de cuisine.
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18 août 2009

Fête des Partisans, à Tarnac

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PROGRAMME

vendredi 21.8 :

20h projection, "OFF THE PIGS"

samedi 22.8 :

14h discussion, "la fonction culturelle de l’antiterrorisme"

19h repas

21h concert, "VIALCA" et "THE DREAMS"

dimanche 23.8 :

Le long du dimanche, horaires selon l’inspiration du musicien : Rock à l’orgue de barbarie (sex pistols, trust...)

14h discussion, "habiter l’état d’exception"

17h spectacle d’après "matin brun" de Franck Pavloff

19h spectacle, "GIGN" - carnage productions

20h repas

21h bal electro

 

et les 28, 29 et 30.8 :

concert, "FANTAZIO"

concert, "HIGH TONE"

discussion sur l’enfermement

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9 février 2014

Grande manifestation contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes !

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Grande manif le 22 février 2014 à Nantes, contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes et son monde

 

IMPOSSIBLE D’ALLER A NANTES POUR LA GRANDE MANIF DU 22 FEVRIER ?

Des manifestations locales sont aussi organisées !

A LYON, le 22 Février: Journée de soutien à la lutte contre l'aéroport et contre tous les projets inutiles (TGV Lyon-Turin, A45, OL Land, nucléaire, OGM, gaz de schiste...)

- Rassemblement dès 10h30 place Bellecour, stands, prises de parole, pique-nique partagé...

- Déambulation à 14h à pied ou à vélo

- Soirée festive à la ZAD de Décines (OL-LAND) 18 h soupe populaire, concert... Cette action est organisée par les comités nddl38, nddlopposition42410, rhonenddl et leurs divers soutiens.

A ROANNE, également le 22 février : Pour ceux qui ne peuvent pas se libérer pour rejoindre NDDL, Vivre Bio en Roannais et la Confédération Paysanne de la Loire proposent une mobilisation locale en écho au grand projet inutile d'aéroport NDDL. Rdv sera donné à Mably Bonvert (vers Roanne) où un site agricole - en lutte, parmi plein d'autres - est menacé d'artificialisation.

 

AUTRE SOUTIEN

Le samedi 15 février le collectif stéphanois de soutien à la lutte de Notre-Dame-des-Landes s'associe avec le fameux p'tit resto de la Gueule Noire pour vous proposer un menu vegétalien (l'argent du repas servira a soutenir la lutte localement ou sur la ZAD).

RDV le 15 février à 12h à la Geule Noire, 16 rue du Mont à Saint-Etienne (adhésion au lieu et repas à prix libre).

Voir l'affiche ci-dessous.

Faites circuler l'info!

A bientôt donc!


Le collectif stéphanois de soutien à la lutte de Notre-Dame-des-Landes.

petit resto zad

26 février 2014

Lettre ouverte du mouvement armé au préfet de Loire Atlantique, M. Christian de Lavernée.

Lettre ouverte du mouvement armé au préfet de Loire Atlantique, M. Christian de Lavernée. Sur la ZAD, le lundi 24 février 2014.

Cher Christian,

Vous avez déclaré hier, « L’opposition institutionnelle à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes doit cesser d’être la vitrine légale d’un mouvement armé ». Il nous serait facile de vous reprocher, M. Le Préfet, de vouloir à votre tour briser des vitrines. Mais après la manifestation de samedi, autant l’avouer tout net et cesser enfin de nous cacher : nous sommes bel et bien un mouvement armé.
Nous sommes un mouvement armé de bon sens remuant et d’idées explosives, de palettes et de vis, de pierres parfois - même s’il y a ici plus de boue et de prairies, de carottes et de poireaux, d’humour et de tracteurs, d’objets hétéroclites prêts à former spontanément des barricades et d’un peu d’essence au cas où, d’aiguilles à coudre et de pieds de biche, de courage et de tendresse, de vélos et caravanes, de fermes et cabanes, de masques à gaz ou pas, de pansements pour nos blessés, de cantines collectives et chansons endiablées, de livres, tracts et journaux, d’éoliennes et de radios pirates, de radeaux et rateaux, de binettes, marteaux, pelles et pioches, de liens indestructibles et d’amitiés féroces, de ruses et de boucliers, d’arcs et de flêches pour faire plaisir à Monsieur Auxiette, de salamandres et tritons géants, de bottes et impers, de bombes de peinture et de lances à purin, de baudriers et de cordes, de grappins et de gratins, et d’un nombre toujours plus important de personnes qui ne vous laisseront pas détruire la zad. Vous ne nous ferez pas rendre ces armes.
Et vous, M. Le préfet, quand cesserez vous d’être la vitrine légale d’un mouvement armé ?

Mouvmt armé légumier ZAD

Sincèrement,

Les Black Ploucs

9 mars 2014

De la misère en milieu étudiant

De_la_misere_en_milieu_etudiant couv

1. Nous pouvons affirmer, sans grand risque de nous tromper, que l’étudiant en France est, après le policier et le prêtre, l’être le plus universellement méprisé. Si les raisons pour lesquelles on le méprise sont souvent de fausses raisons qui relèvent de l’idéologie dominante, les raisons pour lesquelles il est effectivement méprisable et méprisé du point de vue de la critique révolutionnaire sont refoulées et inavouées. Les tenants de la fausse contestation savent pourtant les reconnaître, et s’y reconnaître. Ils inversent ce vrai mépris en une admiration complaisante. Ainsi l’impuissante intelligentsia de gauche (des Temps Modernes à L’Express) se pâme devant la prétendue « montée des étudiants », et les organisations bureaucratiques effectivement déclinantes (du parti dit communiste à l’U.N.E.F.) se disputent jalousement son appui « moral et matériel ». Nous montrerons les raisons de cet intérêt pour les étudiants, et comment elles participent positivement à la réalité dominante du capitalisme surdéveloppé, et nous emploierons cette brochure à les dénoncer une à une : la désaliénation ne suit pas d’autre chemin que celui de l’aliénation.

2. Mais les raisons qui fondent notre mépris pour l’étudiant sont d’un tout autre ordre. Elles ne concernent pas seulement sa misère réelle mais sa complaisance envers toutes les misères, sa propension malsaine à consommer béatement de l’aliénation, dans l’espoir, devant le manque d’intérêt général, d’intéresser à son manque particulier Les exigences du capitalisme moderne font que la majeure partie des étudiants seront tout simplement de petits cadres (c’est-à-dire l’équivalent de ce qu’était au XIXe siècle la fonction d’ouvrier qualifié4). Devant le caractère misérable, facile à pressentir, de cet avenir plus ou moins proche qui le « dédommagera » de la honteuse misère du présent, l’étudiant préfère se tourner vers son présent et le décorer de prestiges illusoires. La compensation même est trop lamentable pour qu’on s’y attache ; les lendemains ne chanteront pas et baigneront fatalement dans la médiocrité C’est pourquoi il se réfugie dans un présent irréellement vécu.

3. Mais il est normal que tout ce débat passe par-dessus la tête de l’étudiant, dans le ciel de ses maîtres et lui échappe totalement : l’ensemble de sa vie, et a fortiori de la vie, lui échappe.

4. Incapable de passions réelles, il fait ses délices des polémiques sans passion entre les vedettes de l’Inintelligence, sur de faux problèmes dont la fonction est de masquer les vrais : Althusser - Garaudy - Sartre - Barthes - Picard - Lefebvre - Levi-Strauss - Hallyday - Chatelet - Antoine. Humanisme - Existentialisme - Structuralisme - Scientisme - Nouveau Criticisme - Dialecto-naturalisme - Cybernétisme - Planétisme - Métaphilosophisme.

24 novembre 2023

Cuisine ripaille et soûlographie en littérature

 SAISON I

Regard Marcel Proust

Robert, sans connaître les causes, était touché de mon attendrissement. Celui-ci d'ailleurs s'augmentait du bien-être causé par la chaleur du feu et par le vin de Champagne qui faisait perler en même temps des gouttes de sueur à mon front et des larmes à mes yeux ; il arrosait des perdreaux ; je les mangeais avec l'émerveillement d'un profane, de quelque sorte qu'il soit, quand il trouve dans une certaine vie qu'il ne connaissait pas ce qu'il avait cru qu'elle excluait (par exemple d'un libre penseur faisant un dîner exquis dans un presbytère).

Le Côté de Guermantes, Marcel Proust (1920-1921)

Corne d'abondance02

Regard GRR Martin

Et, après que chachun eut gagné sa place, qu'on eut porté les toasts, échangé les compliments de rigueur, débuta le festin.
Depuis lors, Jon n'avait cessé de boire.
Soudain, quelque chose se frotta contre sa jambe, sous la table, et des yeux rouges lui adressèrent une prière muette. "Encore faim ?" demanda-t-il. Un demi-poulet au miel traînait sur la table. Il tendit la main pour y prélever un pilon puis, se ravisant, ficha son couteau dans la carcasse et la laissa choir entière entre ses pieds. A cet égard encore, il était plus chanceux que ses frères et soeurs. Eux n'avaient pas eu la permission d'amener leurs loups. Le roquet pullulant, en revanche, au bas bout de la salle, Fantôme n'offusquait personne.
Tout en maudissant la fumée qui lui piquait affreusement les yeux, Jon s'offrit une nouvelle lampée de vin puis s'amusa de la voracité de son protégé.

[...]

Comme un écuyer suspendait ses contes orduriers pour lui faire place, Benjen Stark déploya ses longues jambes et, sitôt à califourchon sur le banc, saisit la coupe de son neveu : "Hum ! s'extasia-t-il sur une gorgée, du vin d'été... rien de meilleur. Et tu en as déjà ingurgité beaucoup ?"
L'air malicieux de Jon le fit s'esclaffer : "Je vois..., autant que je craignais. Bravo. Sauf eurreur, vois-tu, je n'avais même pas ton âge quand je me suis saoulé pour la première fois - mais, là, saoulé raide, loyalement !" Là-dessus, il attrapa un oignon grillé tout dégoulinant de graisse juteuse dans lequel ses dents mordirent en crissant.

A deux sièges de lui, le roi n'avait cessé de boire depuis des heures, et sa large face prenait, derrière le poil noir, un ton violacé. Il portait santé sur santé, riait à gorge déployée pour la moindre blague, se précipitait sur tous les mets tel un homme affamé, tandis qu'à ses côtés Cersei semblait sculptée dans un bloc de glace.

[...]

La fête dura de l'aube jusqu'au crépuscule et ne fut que beuveries, banquets, joute. Erigé parmi les palais d'herbe, un plan incliné de terre imposant surplombait la houle tumultueuse des Dothrakis. [...] Tout s'empifrait de cheval rôti, laqué de miel et truffé de piments, tout se saoulait  à mort de lait de jument fermenté, tout se vomissait, par-dessus les feux, d'épais quolibets, tout étourdissait la princesse de ses âpres voix on ne peut plus déconcertantes.

[...]

Les mets succédaient aux mets. Viandes fumantes, boudins noirs, pâtés sanglants, fruits, ragoûts de doucettes, pâtisserie fines de Pentos..., d'un geste, elle refusait tout, le coeur au bord des lèvres. Rien ne passerait.

[...]

Tyrion Lannister s'assit en face de lui et se mit à humer la sauce d'une narine soupçonneuse. "Orge, oignon, carotte, marmonna-t-il. Quelqu'un pourrait dire aux coqs que le navet n'est pas de la viande.
- C'est du ragoût de mouton." Jon retira ses gants et se réchauffa les mains à la buée qui montait de son écuelle. Le fumet lui mettait l'eau à la bouche.

[...]

- Dans ce cas, mon cher, sourit -il, je vais écumer les Sept Couronnes et vous expédier une cargaison de nains. "Pendant qu'on riait, il acheva de sucer une patte, se resservit. Arrivés de Fort-Levant le matin même dans un baril de neige, les crabes étaient succulents.
Seul de toute la tablée, Thorne n'esquissa pas l'ombre d'un sourire. "Lannister se fiche de nous.
-De vous exclusivement, ser Alliser ", riposta Tyrion, sans déclencher cette fois q'un rire embarrassé, nerveux.
Les yeux noirs du maître d'armes flambèrent de haine. " Vous avez la langue sacrément longue, pour un homme si court ! Que diriez-vous de m'accompagner dans la cour ?
- Pour quoi faire ? Les crabes sont ici... "
Voyant l'hilarité redoubler, ser Alliser se dressa, la bouche durcie. "Venez donc blaguer l'épée au poing.
"Tyrion se scruta la main droite d'un air goguenard. " Mais je l'ai déjà, ser Alliser, encore qu'on puisse la prendre pour une pince de crabe. Vous voulez un duel ?"

[...]

Une fois expédiée l'affaire sérieuse de se restaurer et chacun reparti chez soi, Mormont offrit à Tyrion de siroter au coin du feu des alcools si raides et brûlants qu'on en avait les larmes aux yeux. "La grand-route n'est pas sans danger, par ici, l'avertit le commandant.

[...]

La main de ser Rodrik voulut tripoter les favoris perdus, mais il n'eut pas le loisir de formuler sa réprobation : le serveur survenait au galop, déposait sur la table des tranchoirs de pain, les emplissait de morceaux rissolés prestement débrochés, juteux, chauds à point, que rejoignirent par la même voie grelots, piments, champignons... Et le bon chevalier attaqua bravement, tandis que le garçon courait chercher la bière.

[...]

Lannister jeta un regard sur les tables. "Mes hommes se contenteront de ce que vous servez à ces gens? Double ration, la journée a été rude. Pour moi, une volaille rôtie, poulet, canard, pigeon, n'importe. Et une fiasque de votre meilleur vin.

[...]

Pendant que le peuple entreprenait de regagner ses pénates en discutant des joutes du jour et de la victoire en suspens, la Cour fit mouvement vers les rives où devait avoir lieu le festion. Depuis des heures y tournaient lentement, embrochés sur des piques de bois, six aurochs colossaux dont on arrosait constamment de beurre aux herbes la chair grésillante. Dressées en plein air, les tables flanquées de bancs croulaient sous des monceaux de doucette, de fraises, de pain frais.

[...]

Cependant, les plats se succédaient sans trêve. Potage d'orge et de venaison. Salade mêlée de doucette, d'épinards, de prunes et de noix pilées. Escargots à l'ail et au miel. Comme Sansa n'en avait encore jamais dégusté, Joffrey lui apprit à les retirer de leur coquille et, de sa propre main, lui donna la becquée du premier. De même l'aida-t-il, lorsqu'on apporta des truites cuites à l'étouffée dans la glaise, à briser la carapace qui recelait leur chair blanche et comme feuilletée. Survint le rôt, il tint à la servir lui-même, trancha près de l'os une portion de reine et, souriant, la lui déposa dans l'assiette. A la manière dont il s'y prenait, elle s'aperçut que son bras droit le faisait encore souffrir et, néanmoins, il ne prononça pas un mot de récrimination.
Puis ce furent des ris, des pigeons en croûte, des pommes au four qui embaumaient le cinnamome, des gâteaux au citron tout givrés de glaçure blanche, mais, bien qu'elle raffolât de ceux-ci, Sansa, menacée par la réplétion, n'en put grignoter que deux. Elle s'interrogeait toutefois sur l'éventualité d'un troisième quand, brusquement, le roi se mit à vociférer.

Le trône de fer 1, de George R.R. Martin (1996)

Corne d'abondance02

Regard Jean-Claude Dunyach

- [...] Tu as faim ?
Sans attendre sa réponse, je pousse la porte de mon bureau, dont les lettres incrustées d'or semblent me narguer, puis tire de ma réserve secrète les poches de pierres précieuses que les nains m'ont refilées. Des tas de carats multicolores scintillent sur la plaque de roche polie qui me sert d'espace de travail - rouge et violet pour le goût, bleuté pour le côté piquant, plus quelques émeraudes pour l'haleine. Assis de part et d'autre, nous mastiquons les pierreries par poignées, sans même prendre le temps de savourer. Le bruit des diamants qui craquent entre nos dents empêche toute conversation. C'est aussi bien.
- J'ai un mauvais goût dans la bouche, lâche enfin ma trollesse en picorant les derniers grenats. Les faux bijoux d'Aminéa me sont restés sur l'estomac.

L'empire du Troll, de Jean-Claude Dunyach (2021)

Corne d'abondance02

Regard Jules Verne

C'était la première fois, à ma connaissance, qu'il manquait à la solennité du dîner. Et quel dîner, cependant ! Une soupe au persil, une omelette au jambon relevée d'oseille à la muscade, une longe de veau à la compote de prûnes, et, pour dessert, des crevettes au sucre, le tout arrosé d'un joli vin de la Moselle.
Voilà ce qu'un vieux papier allait coûter à mon oncle. Ma foi, en qualité de neveu dévoué, je me crus obligé de manger pour lui, en même temps que pour moi. Ce que je fis en conscience.
"Je n'ai jamais vu chose pareille ! disait la bonne Marthe. M. Lidenbrock qui n'est pas à table !
- C'est à ne pas le croire.
- Cela présage quelque événement grave !" reprenait la vieille servante, hochant la tête.
Dans mon opinion, cela ne présageait rien, sinon une scène épouvantable quand mon oncle trouverait son dîner dévoré.
J'en étais à ma dernière crevette, lorsqu'une voix retentissante m'arracha aux voluptés du dessert. Je ne fis qu'un bond de la salle dans le cabinet.

[...]

La cérémonie terminée, on se mit à table, au nombre de vingt-quatre, et par conséquent les uns sur les autres, dans le véritable sens de l'expression. Les plus favorisés n'avaient que deux marmots sur les genoux.
Cependant le silence se fit dans ce petit monde à l'arrivée de la soupe, et la taciturnité naturelle, même aux gamins islandais, reprit son empire. L'hôte nous servit une soupe au lichen et point désagréable, puis une énorme portion de poisson sec nageant dans du beurre aigri depuis vingt ans, et par conséquent bien préférable au beurre frais, d'après les idées gastronomique de l'Islande. Il y avait avec cela du "skyr", sorte de lait caillé, accompagné de biscuits et relevé par du jus de baies de genièvre ; enfin, pour boisson, du petit-lait mêlé d'eau, nommé "blanda" dans le pays. Si cette singulière nourriture était bonne ou non, c'est ce dont je ne pus juger. J'avais faim, et, au dessert, j'avalai jusqu'à la dernière bouchée une épaisse bouillie de sarrasin.

Voyage au centre de la terre, Jules Verne (1864)

Corne d'abondance02

Regard Sénèque 1

Quant à leurs banquets, je ne les compte pas vraiment parmi leurs moments de liberté quand je vois avec quelle inquiétude ils disposent leur argenterie, avec quel soin ils agrafent les tuniques de leurs favoris, avec quelle anxiété ils surveillent la façon dont le sanglier sort des mains du cuisinier, la vitesse à laquelle, au signal donné, leurs hommes au visage glabre s'affairent à leur tâche, l'adresse avec laquelle les volailles sont découpées en portions égales, la minutie avec laquelle leurs malheureux petits esclaves nettoient les vomissures occasionnées par l'ébriété. Tel est le prix prix à payer pour gagner une réputation d'homme raffiné et distingué et ces maux les poursuivent jusque dans les moindres replis de leur vie au point qu'ils ne boivent ni ne mangent sans arrière-pensée.

De la brièveté de la vie, Sénèque (entre 49 et 55)

Corne d'abondance02

Regard Friedrich Hölderlin

Bienheureux val de Rhin ! aucune colline n'est sans le
        cep,
   Et du feuillage de la vigne mur et jardin sont
       couronnés,
Et du breuvage sacré sont pleins, dans le fleuve, les
       bateaux,
Villes et îles, elles sont ivres de vin et de fruits.

Odes, Élégies, Hymnes - L'Errant, Friedrich Hölderlin (1793)

Corne d'abondance02

Regard Frank Hebert

Un accord en mineur vint flotter jusqu'à la table, entre les ombres. Sur un geste du Duc, les serviteurs commencèrent à poser sur la table les premiers plats : lièvre du désert rôti en sauce cepeda, aplomage de sirius, chukka, café avec Mélange (la puissante odeur de cannelle du Mélange envahit la table) etvéritable oie-en-pôt servie avec un vin pétillan de Caladan.

Dune, Frank Herbert (1965)

Corne d'abondance02

Regard Jules Vallès

Je vais chez le boulanger prendre un petit pain d'un sou où je mords comme un chien.
Chez le marchand du coin, je demande un canon de la bouteille.
Oh ! ce verre de vin frais, cette goutte de pourpre, cette tasse de sang.
J'en eus les yeux éblouis, le cerveau lavé et le coeur agrandi. Cela m'entra comme du feu dans les veines. Je n'ai jamais éprouvé sensation si vive sous le ciel !
J'avais eu, une minute avant, envie de me retraîner jusqu'à la cour des Messageries, et de redemander à partir, dussé-je étriller les chevaux et porter les malles sous la bâche pour payer mon retour. Oui, cette lâcheté m'était passée par la tête, sous le poids de la fatigue et dans le vertige de la faim. Il a suffit de ce verre de vin pour me refaire, et je me redresse droit dans le torrent d'hommes qui roule !

[...]

Nous arrosons notre jeunesse de discussions à tous crins, de querelles à tout propos, de soupe à l'oignon et de vin à quatre sous !

Le vin à quat' sous,
Le vin à quat' sous.

"Comme il est bon !" disait Matoussaint en faisant claquer sa langue.
Matoussaint le trouvait peut-être mauvais, mais dans son rôle de chef de bande il faisait entrer l'insouciance du jeûne, comme des punaises, et la foi dans les liquides bon marché.
Il n'était pas à jeter après tout, ce petit vin à quatre sous !
Comme j'ai passé de bonnes soirées sous ce hangar de la rue de la Pépinière, à Montrouge, où il y avait des barriques sur champ, et qui était devenu notre café procope ; où l'on entendait tomber le vin du goulot et partir les vers du coeur ; où l'on ne songeait pas plus au lendemain que si l'on avait eu des millions ; où l'on se faisait des chaînes de montre avec les perles du petit bleu roulant sur le gilet, où, pour quatre sous, on avait de la santé, de l'espoir et du bonheur à revendre. Oui, j'ai été bienheureux devant cette table de cabaret, assis sur les fûts vides.

[...]

Par le soleil d'aujourd'hui, avec ce linge blanc et ce bouquet, le petit restaurant, où je viens d'entrer, a l'air de gaieté honnête qu'avait par exception tous les trois ou quatre ans la maison Vingtras !
Les joies du foyer, mais les voilà ! Je n'ai pas besoin de ma famille pour les savourer ; Mme Petray peut me servir un bon dîner sans m'avoir donné le jour ; le père Petray a l'air plus aimable que mon père : il a une toque aussi et un uniforme, mais c'est beaucoup plus joli que le costume de professeur, son costume de cuisinier.

"Garçon, l'addition !
- Vingt-quatre sous !"
J'ai eu une julienne, une côtelette Soubise, un artichaut barigoule, un pot de crème, mon café.
Les puissants ne dînent pas mieux, voyons !
Quelle demi-heure exquise je viens de passer !
Je m'essuie la bouche en lisant un journal, le dos contre le mur, un pied sur une chaise ; je fais claquer entre mes dents de marbre le bout de mon cure-dent.

L'égoïsme m'empoigne !
Si je gardais pour moi, si je caressais, encore une heure, cette sensation du premier repas fait sans autre convive que ma liberté ?

[...]

J'ai dîné au café !
Un bifteck avec des pommes soufflées roulées autour, comme des boucles de cheveux blonds autour d'une tête brune.

[...]

"Il y a, dit-il, une mystérieuse corrélation entre les phénomènes moraux et les phénomènes physiques. J'avais pensé tout un jour à l'idôlatrie végétale des Egyptiens qui adoraient les légumes et aux poulets qu'égorgeaient les augures. Il en est resté, dans ma pensée et mon livre, ce jour-là, une odeur de chapon et comme un parfum d'oignon sacré. (La tête dans sa main.) Ceci prouve bien que j'ai une âme...

Le BachelierJules Vallès (1881)

Corne d'abondance02

Regard Guy Debord

Après les circonstances que je viens de rappeler, ce qui a sans nul doute marqué ma vie entière, ce fut l'habitude de boire, acquise vite. Les vins, les alcools et les bières ; les moments où certains d'entre eux s'imposaient et les moments où ils revenaient, ont tracé le cours principal et les méandres des journées, des semaines, des années. Deux ou trois autres passions, que je dirai, ont tenu à peu près continuellement une place dans cette vie. Mais celle-là a été la plus constante et la plus présente. Dans le petit nombre des choses qui m'ont plu, et que j'ai su bien faire, ce qu'assurément j'ai su faire de meiux, c'est boire. Quoique ayant beaucoup lu, j'ai bu davantage. J'ai écrit beaucoup moins que la plupart des gens qui écrivent ; mais j'ai bu beaucoup plus que la plupart des gens qui boivent. Je peux me compter parmi ceux dont Baltasa Gracián, pensant à une élite discernable parmi les seuls Allemands - mais ici très injuste au détriment des Français, comme je pense l'avoir montré -, pouvait dire : "Il y en a qui ne se sont saoulés qu'une seule fois, mais elle leur a duré toute la vie."

Je suis d'ailleurs un peu surpris, moi qui ai dû lire si fréquemment, à mon propos, les plus extravagantes calomnies de de très injustes critiques, de voir qu'en somme trente ans, et davantage, se sont écoulés sans que jamais un mécontent ne fasse état de mon ivrognerie comme d'un argument, au moins implicite, contre mes idées scandaleuses ; à la seule exception, d'ailleurs tardive, d'un écrit de quelques jeunes drogués en Angleterre, qui révélait vers 1980 que j'étais désormais abruti par l'alcool, et que j'avais donc cessé de nuire. Je n'ai pas un instant songé à dissimuler ce côté peut-être contestable de ma personnalité, et il a été hors de doute pour tous ceux qui m'ont rencontré plus d'une ou deux fois. Je peux même noter qu'il m'a suffi en chaque occasion d'assez peu de jours pour être grandement estimé, à Venise comme à Cadix, et à Hambourg comme à Lisbonne, par les gens que j'ai connus rien qu'en fréquentant certains cafés.

J'ai d'abord aimé, comme tout le monde, l'effet de la légère ivresse, puis très bientôt j'ai aimé ce qui est au delà de la violente ivresse, quand on a franchi ce stade : une paix magnifique et terrible, le vrai goût du passage du temps. Quoique n'en laissant paraître peut-être, durant les premières décennies, que des signes légers un ou deux fois par semaine, c'est un fait que j'ai été continuellement ivre tout au long de périodes de plusieurs mois ; et encore, le reste du temps, avais-je beaucoup bu.

Un air de désordre, dans la grande variété des bouteilles vidées, reste tout de même susceptible d'un classement a posteriori. Je peux d'abord distinguer entre les boissons que j'ai bues dans leurs pays d'origine, et celles que j'ai bues à Paris ; mais on trouvait presque tout à boire dans le Paris du milieu du siècle. Partout, les lieux peuvent se subdiviser simplement entre ce que je buvais chez moi ; ou chez des amis ; ou dans les cafés, les caves, les bars, les restaurants ; ou dans les rues, notamment aux terrasses.

Les heures et leurs conditions changeantes tiennent presque toujours un rôle déterminant dans le renouvellement nécessaire des moments d'une beuverie, et chacune d'elles apporte sa raisonnable préférence entre les possibilités qui s'offrent. Il y a ce que l'on boit le matin, et assez longuement ce fut l'instant des bières. Dans Rue de la sardine, un personnage dont on peut voir qu'il est un connaisseur professe que 'rien n'est meilleur que la bière le matin'. Mais souvent il m'a fallu, dès le réveil, de la vodka de Russie. Il y a ce que l'on boit aux repas, et durant les après-midi qui s'étendent entre eux. Il y a le vin des nuits, avec leurs alcools, et après eux les bières sont encore plaisantes ; car alors la bière donne soif. Il y a ce que l'on boit à la fin des nuits, au moment où le jour recommence. On conçoit que tout cela m'a laissé bien peu de temps pour écrire, et c'est justement ce qui convient : l'écriture doit rester rare, puisque avant de trouver l'excellent il faut avoir bu longtemps.

Je me suis beaucoup promené dans plusieurs grandes villes d'Europe, et j'y ai apprécié tout ce qui méritait de l'être. Le catalogue pourrait être vaste, en cette matière. Il y avait les bières de l'Angleterre, où l'on mélangeait les fortes et les douces dans les pintes ; et les grandes chopes de Munich ; la bière tchèque de Pilsen ; et le baroquisme admirable de la Gueuze autour de Bruxelles, quand elle avait son goût distinct dans chaque brasserie artisanale, et ne supportait pas d'être transportée au loin. il y avait les alcools de fruits de l'Alsace ; le rhum de la Jamaïque ; les punchs, l'akuavit d'Aalborg, et la grappa de Turin, le cognac, les cocktails ; l'incomparable mezcal du Mexique. Il y avait tous les vins de France, les plus beaux venant de Bourgogne ; il y avait les vins de l'Italie, et surtout le Barolo des Langhe, les Chianti de Toscane ; il y avait les vins d'Espagne, les Rioja de Vieille Castille ou le Jumilla de Murcie.

J'aurais eu bien peu de maladies, si l'alcool ne m'en avait à la longue amené quelques-unes : de l'insomnie aux vertiges, en passant par la goutte. "Beau comme le tremblement des mains dans l'alcoolisme", dit Lautréamont. Il y a des matins émouvants mais difficiles.

"Mieux vaut chacher sa déraison, mais c'est difficile dans la débauche et l'ivresse", pouvait penser Héraclite. Et pourtant Machiavel écrivait à Francesco Vettori : "Qui verrait nos lettres, ... il lui semblerait tantôt que nous sommes gens graves entièrement voués aux grandes choses, que nos coeurs ne peuvent concevoir nulle pensée qui ne fût d'honneur et de grandeur. Mais ensuite, tournant la page, ces mêmes gens lui apparaîtraient légers, inconstants, putassiers, entièrement voués aux vanités. Et si quelqu'un juge indigne cette manière d'être, moi je la trouve louable, car nous imitons la nature, qui est changeante." Vauvenargues a formulé une règle trop oubliée : "Pour décider qu'un auteur se contredit, il faut qu'il soit impossible de le concilier."

Certaines de mes raisons de boire sont d'ailleurs estimables. Je peux bien afficher, comme Li Po, cette noble satisfaction : "Depuis trente ans je cache ma renommée dans les tavernes."

La majorité des vins, presque tous les alcools, et la totalité des bières dont j'ai évoqué ici le souvenir, ont aujourd'hui entièrement perdu leurs goûts, d'abord sur le marché mondial, puis localement ; avec les progrès de l'industrie, comme aussi le mouvement de disparition ou de rééducation économique des classes sociales qui étaient restées longtemps indépendantes de la grande production industrielle ; et donc aussi par le jeu des divers règlements étatiques qui désormais prohibent presque tout ce qui n'est pas fabriqué industriellement. Les bouteilles, pour continuer à se vendre, ont gardé fidèlement leurs étiquettes, et cette exactitude fournit l'assurance que l'on peut les photographier comme elles étaient ; non les boire.

Ni moi ni les gens qui ont bu avec moi, nous ne nous sommes à aucun moment sentis gênés de nos excès. "Au banquet de la vie", au moins là bons convives, nous nous étions assis sans avoir pensé un seul instant que tout ce que nous buvions avec une telle prodigalité ne serait pas ultérieurement remplacé pour ceux qui viendraient après nous. De mémoire d'ivrogne, on n'avait jamais imaginé que l'on pouvait voir des boissons disparaître du monde avant le buveur.

Panégyrique - tome premier, Guy Debord (1989)

Corne d'abondance02

Regard Ariane Nicolas

Les habitués assurent que la variété des goûts et des textures mis en valeur par l'imagination des chefs véganes compense l'absence des produits traditionnels. Un néophyte remarquera plutôt l'usage obsessionnel d'assaisonnements destinés à apporter du goût à des plats manquant de fumet, ainsi que la disparition de toute sensation crémeuse en bouche. Un critique gastronomique taquin s'attachera quant à lui à repérer tous les simulacres véganes destinés à rappeler le monde d'avant, tels que les "burgers" et les "steaks" de soja, les "saucisses" à base de tofu et de carottes, ou encore les "fromages" confectionnés avec du lait d'amande ou de noix de cajou. Comme autant de signes, sinon d'un échec, du moins d'une difficulté à accorder ses principes avec une composante somme toute banale de la vie, à savoir le plaisir.

[...]

L'humain est un être de désir et d'imagination : ce que contient son assiette a une dimension intellectuelle, voire spirituelle. Que la chair animale soit jugée scandaleuse ou taboue par les antispécistes dépasse le simple cadre moral. Cela dénote, de leur part, un refus métaphysique d'être assimilé à de la chair animale.

L'imposture antispéciste, Ariane Nicolas (2020)

Corne d'abondance02

Regard J

Et Gandalf dit : "Bien des gens voudraient savoir d'avance ce qui sera servi à table ; mais ceux qui ont préparé le festin conservent jalousement leur secret ; car l'étonnement multiplie les louanges."

Le seigneur des anneaux, Le retour du roi, J.R.R. Tolkien (1955)

Corne d'abondance02

Regard François-René de Chateaubriand

Il s'était formé derrière notre camp une espèce de marché. Les paysans avaient amené des quartauts de vin blanc de Moselle, qui demeuraient sur les voitures : les chevaux dételés mangeaient attachés à un bout des charettes, tandis qu'on buvait à l'autre bout. Des fouées brillaient çà et là. On faisait frire des saucisses dans des poêlons, bouillir des gaudes dans des bassines, sauter des crêpes sur des plaques de fonte, enfler des pancakes sur des paniers. On vendait des galettes anisées, des pains de seigle d'un sou, des gâteaux de maïs, des pommes vertes, des oeufs rouges et blancs, des pipes et du tabac, sous un arbre aux branches duquel pendaient des capotes de gros drap, marchandées  par les passants. Des villageoises à califourchon sur sur un escabeau portatif, trayaient des vaches, chacun présentant sa tasse à la laitière et attendant son tour. On voyait rôder devant les fourneaux les vivandiers en blouse, les militaires en uniforme. Des cantinières allaient criant en allemand et en français. Des groupes se tenaient debout, d'autres assis à des tables de sapin plantées de travers sur un sol raboteux. On s'abritait à l'aventure sous une toile d'emballage ou sous des rameaux coupés dans la forêt, comme à Pâques fleuries. Je crois aussi qu'il y avait des noces dans les fourgons couverts, en souvenir des rois franks. Les patriotes auraient pu facilement, à l'exemple de Marjorien, enlever le chariot de la mariée : Rapit esseda victor, nubentemque nurum. (Sidoine Apollinaire) On chantait, on riait, on fumait. Cette scène était extrêmement gaie la nuit, entre les feux qui l'éclairaient à terre et les étoiles qui brillaient au-dessus.
Quand je n'étais ni de garde aux batteries ni de service à la tente, j'aimais souper à la foire. Là recommençaient les histoires du camp ; mais animées de rogromme et de chère-lie, elles étaient beaucoup plus belles.

Mémoires d'outre-tombe, Livres I à XII, François-René de Chateaubriand (1848)

Corne d'abondance02

Regard Saint-Simon

Dans ce carosse lors des voyages, il y avait toujours beaucoup de toutes sortes de choses à manger : viandes, pâtisseries, fruits. On n'avait pas sitôt fait un quart de lieue que le Roi demandait si on ne voulait pas manger. Lui jamais ne goûtait à rien entre ses repas, non pas même à aucun fruit, mais il s'amusait à voir manger, et manger à crever. Il fallait avoir faim, être gaies, et manger avec appétit et de bonne grâce, autrement il ne le trouvait pas bon, et le montrait même aigrement : on faisait la mignonne, on voulait faire la délicate, être du bel air ; et cela n'empêchait pas que les mêmes dames ou princesses qui soupaient avec d'autres à sa table le même jour, ne fussent obligées, sous les mêmes peines, d'y faire aussi bonne contenance que si elles n'avaient mangé de la journée.

"Cette pute me fera mourir...", Mémoires du duc de Saint-Simon, Intrigues et passions à la cour de Louis XIV, Saint-Simon (posthume -1829)

Corne d'abondance02

Regard Michèle Barrière

« Elle allait le gâter pour son dernier repas parmi eux. Six petits pigeons attendaient d’être plumés. Elle commença par la tête et songea à la conduite de Mathilde. Ses colères lui faisaient peur. À son âge, elle aurait dû être mariée depuis longtemps. Des marmots lui auraient mis du plomb dans la cervelle. Les doigts de la Bougnette faisaient voler les petites plumes grises et blanches qui retombaient à terre comme des flocons de neige. Le chat, qui s’était caché sous la maie, s’approcha et trouva le jeu à son goût. Elle le chassa d’un coup de pied :
- Allez, va attraper des souris. Tu n’as rien à faire ici, voleur !
Une fois les pigeons plumés et vidés, elle les entoura d’une bonne barde de lard et les embrocha. Le seigneur du Mesnil devrait mettre le holà. Gérer un domaine comme le Mesnil-Jourdain n’était pas une affaire de femme. Il se reposait trop sur Mathilde, qui n’en faisait qu’à sa tête. Le maître était bien brave, pas méchant pour deux sous, mais tellement tête en l’air. Comme s’il ne voyait plus la vie qu’à travers les feuillages de ses satanés pommiers. Elle nettoya rapidement les girolles. Elle les fricasserait avec du bon beurre et des herbes, comme les aimait Quentin. Un potage avec les légumes du jardin et de la poitrine de porc salée, des gaufres en fin de repas, voilà qui serait parfait. Elle avait parlé à voix haute. Catherine, qui coupait des carottes et des panais, demanda :
- Et les truites ? Tu ne comptes pas les cuisiner ?
Mon Dieu, les truites de Quentin !
- Si, bien sûr. Tu les videras. On les passera à la poêle et on les servira avec un filet de vinaigre et et une sauce verte avec de la menthe et du persil.
Quentin enleva soigneusement l’arrête de sa truite, nappa les filets de sauce verte et savoura en silence. Son père et sa sœur restaient muets, eux aussi.
- Dommage que les femmes ne soient pas admises dans les cuisines du roi, finit-il par dire en s’essuyant les doigts à la nappe. J’emmènerais bien la Bougnette. Elle ferait fureur. »

[...]

«  - La cuisine, dîtes-vous ?

- Mais oui, susurra le libraire, reprenant espoir. La deuxième édition du De Honesta Voluptate de Platine, en traduction française. Par Didier Christol, prieur de Saint-Maurice, près de Montpellier.

- De quoi s’agit-il ?

- D’un ouvrage italien de la première importance, écrit par un bibliothécaire du pape, qui vous dit tout sur les aliments, leurs bienfaits ou leurs dangers pour la santé, la manière d’accommoder pigeons, salades et autres mets. Il a beaucoup de succès. Les habitants de Lyon sont de fins mangeurs et se battraient pour une poularde bien grasse ou des bugnes tout juste sorties de la friture.

Le libraire farfouilla sur une table et brandit triomphalement gros ouvrage. Quentin le feuilleta rapidement, s’arrêtant à la table des matières, qui lui sembla très complète. Il découvrit avec plaisir que l’auteur parlait de l’histoire des produits, de leur usage, et ne se contentait pas de donner des recettes. Il abordait les tâches du cuisinier, les manières de mettre la table, les spectacles après souper, et même les relations charnelles avec les femmes. Lire en voyage n’était pas le chose la plus facile, mais Quentin n’hésita pas. Il lui fallait ce livre. Il y apprendrait la manière italienne de régaler avec grâce et esprit. En empochant l’argent de la vente, le libraire lui confirma qu’il avait fait un bon choix.

- Essayez le poulet aux raisins, les haricots aux figues, le potage blanc, vous m’en direz des nouvelles ! déclara-t-il en se pourléchant les babines.

Il semblait avoir rajeuni de vingt ans à l’évocation de ces mets, et pour finir indiqua à Quentin une taverne toute proche où l’on servait de l’excellent carpe de la Dombe et des saucisses aux herbes à se rouler par terre. Et s’il avait le temps d’aller faire un tour au marché, il verrait à quel point les Lyonnais étaient gâtés par la nature environnante. »

[...]

« -Vous ne mangez pas de viande ? Demanda Quentin en grimaçant.

- Je ne supporte pas que mon corps soit une sépulture pour d’autres animaux, une auberge de morts…

Quentin n’avait jamais rien entendu de tel.

- Jamais la moindre viande ? Pas, de temps en temps, une volaille, un petit oiseau, une grive, une caille ?

- Quand je vois des oiseaux en cage, je leur offre la liberté, ce n’est pas pour m’en nourrir.

- Mais c’est impossible ! Sans viande, le corps ne saurait survivre.

- Et les salades, les fruits, les légumes, les champignons, les pâtes, qu’en faites-vous? Prenez donc de ces délicieux oignons cuits sous la cendre farcis de raisins et de pignons. Cela vaut mille fois ce morceau de cadavre.

Quentin resta interdit. Certes, lors des jours de jeûne, et Dieu sait s’ils étaient nombreux, l’Église interdisait de manger de la viande. Mais on se rattrapait les jours suivants. Quelle incroyable manière de manger ! Si Quentin avait le malheur de proposer une telle pratique à la cour de France, François le renverrait derechef en Normandie soigner sa crise de démence.

- Je vous l’ai dit, je me moque des usages communs. Ce n’est pas avec moi que vous ferez bombance. C’est à peine si je bois du vin. Et jamais à jeun ni entre les repas. Pour me maintenir en bonne santé, il ne faut pas manger sans appétit, dîner légèrement, bien mâcher des aliments simples et bien cuits, ne pas faire la sieste, et se rendre aux lieux d’aisance dès qu’on en éprouve le besoin.

Quel triste sire, se dit Quentin. En plus d’être acariâtre, ingrat, lunatique, extravagant, le voilà qui faisait l’apologie de la frugalité et de la tempérance. On allait lui rire au nez »

[...]

« C’est en fin d’après-midi qu’il arriva dans un gros bourg, traversé par la route qui menait à Bologne. Au moins ne s’était-il pas trop éloigné de l’itinéraire qu’il devait suivre. Il n’y avait pas d’auberge, mais la place centrale était occupée par des marchands forains qui commençaient à remballer leurs marchandises. Quentin se précipita pour acheter un gros pain bis. Suivant la délicieuse odeur de saucisse grillée, il se retrouva devant l’étal d’un charcutier qui lui vendit le reste de sa production, soit deux pieds de saucisse, une grosse tranche de porchetta, un talon de jambon qu’il disait fait à la manière de Parme, du saucisson d’oie, et de fines tranches de mortadelle. Les bras chargés de victuailles, l’œil luisant de convoitise, les papilles frétillantes et l’estomac gargouillant, Quentin alla s’installer au pied de la fontaine. La mortadelle l’emplit d’aise, le saucisson d’oie fondit sous sa langue, la saucisse fût dévorée en un clin d’œil. Quant à la porchetta, il crut défaillir de plaisir. Le laurier, l’ail, le romarin donnaient à la chair délicate une telle saveur qu’il prit tout son temps pour la savourer. Son ardeur à manger de la viande était intacte, n’en déplaise à Léonard, songea-t-il. Le moelleux et le fondant de la graisse, la puissance des arômes carnés le mirent en joie. »

Le sang de l'hermine, Michèle Barrière (2011)

Corne d'abondance02

Regard Robert E Howard

- Je retrouve enfin l'or et la soie, soupira-t-il. Tsotha affecte d'être au-dessus des plaisirs de la chair, mais c'est un demi-démon. Je suis humain, en dépit de ma magie noire. J'aime le confort et la bonne chère. C'est d'ailleurs comme cela que Tsotha m'a piégé. Il m'a surpris au moment où la boisson m'avait rendu impuissant. Le vin est une malédiction. Par les seins d'ivoire d'Ishtar ! Alors même que je prononce son nom, le traître surgit en ces lieux ! Ami, verse-moi donc un gobelet... Non ! Attendez ! J'allais oublier que vous êtes roi. Laissez-moi faire.
- Au diable les formalités, grogna Conan, remplissant un verre de cristal et le tendant à Pélias.
Levant la carafe, Conan but de longues gorgées à même le goulot, faisant écho au soupir de satisfaction de Pélias.
- Ce chien s'y connaît en vin, dit-il en essuyant sa bouche du revers de la main. Mais, par Crom, allons-nous rester ici jusqu'à ce que ses soldats se réveillent et viennent nous égorger ?

Conan 1. Le Cimmérien - La Citadelle écarlate, Robert E. Howard (vers 1932)

Corne d'abondance02

Regard Jacques Kermoal

En souvenir de leur complicité, le mercredi était devenu leur jour. Naturellement, on y servait des rougets aux graines de fenouil, un agnelet nouveau-né en sauce et aux herbes volcaniques, des fromages de chèvre de Caltanissetta et cette merveilleuse cassate napolitaine, devenue palermintaine depuis les débarquement des mille. Le tout arrosé par les merveilleux Velutinaro dont les pentes de l'Etna ne produisaient que cent vingt barriques par an, et dont, bien entendu, Don Vito, qui en était le propriétaire, se réservait l'entière production. Car, comme l'affirmait un vieux dicton sicilien : "Déguster une goutte de vin de l'Etna est aussi agréable au coeur de l'honnête homme qu'une goutte de sang qui coule des veines de son ennemi."

[...]

D'ailleurs, l'évêque-forban avait déjà levé sa main sale pour bénir le repas en baragouinant un bénédicité incompréhensible, tout en faisant un signe de croix de droite à gauche suivant la manière orthodoxe. Il avait à peine terminé que la milice de Don Cuccio Cuscia déposait sur les tables d'énormes plats d'étain où s'étalaient en vrac les jambons de mulet, les saucissons d'âne, les paupiettes aux feuilles de laurier, les poulets, autant de victuailles que la majorité des présents, à l'exception de Mussolini et de ceux qui l'accompagnaient dans son voyage sicilien, prenaient à pleines mains et s'enfournaient dans la bouche à une vitesse inimaginable. L'évêque avait d'ailleurs versé dans son assiette une quantité impressionnante d'huile d'olive dans laquelle il trempait tout ce qu'il mangeait, y compris le jambon et le saucisson.

[...]

Les jours de fête, on tuait le cochon, on faisait un grand marché dans le potager de la propriété, et l'on sortait les bonnes bouteilles de la cave familiale. Il suffisait, pour varier les plaisirs, d'accomoder les légumes cueillis en puisant dans le répertoire des recettes paysannes transmises de mère en fille. La maîtresse de maison ne manquait pas de ressources : elle cuisinait avec autant de zèle le lard mêlé de tomates, de basilic et de ricotta qui accompagne les vermicelles alla Rusticana que les rigatoni aux choux-fleurs ou les fettucine aux courgettes frites. Mais ce que le Supérieur du couvent préférait par-dessus tout, c'étaient les irremplaçables macaronis aux brocolis, ces petits choux-fleurs aux pointes vertes qui sont comme le porte-drapeau de la Sicile. Pour honorer son hôte, Angelo Cannada bousculait même ses habitudes de vieux sicilien : il ajoutait sur la table les antipasti et le formaggio.

[...]

Chez les mafiosi, la vengeance est un plat qui se mange froid. Scaglione aurait dû s'en souvenir, en choisissant justement un buffet froid au restaurant de Castellamare. Ici, même les pâtes se consomment froides, en cocktail, penne, maccheroni, tortellini, gnocchi préparés à la crême fraîche et servis ensemble ou en salade, assaisonnées de câpres, d'olives, de thon et de fromage. Mais comment aurait-il pu se douter, dans ce jardin des délices, du sort qui lui était réservé ?

La mafia se met à table, Jacques Kermoal & Martine Bartolomei (1986)

Corne d'abondance02

Regard Alina Reyes

Malgré la chaleur, la bouchère avait mis la table dehors, à l'ombre des arbres. Le patron, le boucher et les employés du marché buvaient un deuxième Ricard, se délassaient à grands coups de gueule et de rire.
La bouchère apporta un plateau de charcuteries et une salade de tomates. Au passage, le patron lui mit la main à la fesse. Elle tendit l'autre.
Le boucher était assis à côté de moi. Je le servis, à cause de son pouce. Comme toujours, le patron était en veine de plaisanteries salaces : "Alors, on s'est fait enrubanner le gros doigt par la petite caissière ?"
Un saucisson, dont l'extrémité était singulièrement évocatrice, relança les rires.
Les pâtés, rillettes, grattons, jambons disparurent en un clin d'oeil.
Le vin circulait, de bonnes bouteilles.
La bouchère apporta de grandes entrecôtes saignantes, épaisses comme la main, marquées par les fers du barbecue.
Le patron et le boucher en prirent chacun une entière, qui débordait largement des deux côtés de leur assiette comme une langue pendante. Malgré sa blessure, le boucher coupait allègrement sa viande, par gros morceaux qu'il engloutissait à belle allure. Les rires et les propos égrillards continuaient à fuser. Je les entendais à peine, à cause de l'habitude et du vin qui jetait son brouillard sur moi.
La chaleur était accablante. Pas un souffle, et le ciel devenait de plomb.
Au fromage, l'excitation était à son comble. J'entendis vaguement des obscénités énormes. La bouchère disait à je ne sais lequel des hommes réunis autour de la table : "Va te branler, ramène-m'en un plein verre, et je te le bois."
Plusieurs voix s'exclamèrent : "Chiche !"
Alors l'orage éclata. L'éclair, le tonnerre, et la pluie. Une grosse pluie chaude et serrée.
On débarrassa la table en hâte, en se bousculant, avec des cris et des rires gras.
Les platanes se mirent à secouer leurs feuilles.

Le boucher, Alina Reyes (1988)

Corne d'abondance02

Regard François Rabelais

L'odeur du vin ô combien plus est friante, riante, priante, plus céleste, et délicieuse que d'huile ? Et prendrai autant à gloire qu'on dise de moi, que plus en vin ai dépendu qu'en huile, que fit Démosthène, quand de lui on disait, que plus en huile qu'en vin dépendait.

[...]

Je bois pour la soif à venir. Je bois éternellement, ce m'est éternité de buverie, et buverie d'éternité. Chantons buvons. Un motet. Entonnons. Où est mon entonnoir ? Quoi je ne bois que par procuration.

[...]

Je mouille, j'humecte, je bois. Et tout de peur de mourir. Buvez toujours vous ne mourrez jamais. Si je ne bois je suis à sec. Me voilà mort. Mon âme s'enfuira en quelque grenouillère. En sec jamais l'âme n'habite. Sommeliers, ô créateurs de nouvelles formes rendez-moi de non buvant buvant.

[...]

Mais de bon vin on ne peut faire mauvais latin.

[...]

"Vertu Dieu : que ne chantez-vous ? Adieu paniers, vendanges sont faites ? Je me donne au Diable, s'ils ne sont en notre clos, et tant bien coupent et ceps et raisins, qu'il n'y aura par le corps Dieu de quatre années qu'halleboter dedans. Ventre saint Jacques que boirons-nous ce pendant, nous autres pauvres diables ? Seigneur Dieu da mihi potum."
Lors dit le prieur claustral. "Que fera cet ivrogne ici ? Qu'on me le mène en prison, troubler ainsi le service divin ?
- Mais : (dit le moine) le service du vin faisons tant qu'il ne soit troublé, car vous-même monsieur le prieur, aimez boire du meilleur, si fait tout homme de bien. Jamsi homme noble ne hait le bon vin, c'est un apophtegme monacal.

Gargantua, François Rabelais (1542)

Corne d'abondance02

Regard Claude Levi-Strauss

Ô Mille et Une Nuits, j'ai mangé là, avec mes doigts, un dîner tout plein de succulences ancestrales : d'abord le Khichuri, riz et petites lentilles appelées en anglais pulse, dont on voit dans les marchés les sacs remplis de variétés multicolores. Puis le nimkorma, fricassée de volaille ; le chingri cari, ragoût huileux et fruité de crevettes géantes, et celui aux oeufs durs qui se nomme dimer tak, accompagné d'une sauce aux concombres, shosha ; enfin, le dessert, firni, riz au lait.

[...]

Certes, il faut placer le maté bien loin devant la guarana amazonienne, dont je parlerai ailleurs ; et plus encore, devant la triste coca du plateau bolivien : fade rumination de feuilles séchées, vite réduites à l'état de boulette fibreuse à saveur de tisane, insensibilisant la muqueuse et transformant la langue du mâcheur en corps étranger. Digne de lui être comparée, je ne vois que la plantureuse chique de bétel farcie d'épices, bien qu'elle affole le palais non prévenu d'une salve terrifiante de saveurs et de parfums.

[...]

Les Caduveo réagissent curieusement à la boisson : après une période d'excitation, ils tombent dans un morne silence, puis ils se mettent à sangloter. Deux hommes moins ivres prennent alors les bras du désespéré et le promènent de long en large, en lui murmurant des paroles de consolation et d'affection jusqu'à ce qu'il se décide à vomir. Ensuite, tous les trois retournent à leur place où la beuverie continue.

[...]

A Rosario-Oeste, la cuisine d'apparat est "mi-partie" ; on nous servit la moitié d'un poulet rôtie, l'autre froide à la sauce piquante ; la moitié d'un poisson frite et l'autre bouillie. Pour terminer, la cahaça, alcool de canne, qui s'accepte avec la formule rituelle : cemiterio, cadeia, cachaça nao e feito para uma so pessoa, c'est-à-dire "le cimetière, la prison et l'eau de vie [les trois C], ça n'est pas fait pour la même personne".

[...]

Une fois pourtant, quelqu'un tua un porc sauvage ; cette chair saignante nous parut plus enivrante que le vin ; chacun en dévora une bonne livre et je compris alors cette prétendue gloutonnerie des sauvages, citée par tant de voyageurs comme preuve de leur grossièreté. Il suffisait d'avoir partagé leur régime pour connaître de telles fringales, dont l'apaisement procure plus que la réplétion : le bonheur.

[...]

A Barão-de-Melgaço il y avait des prairies d'herbe verte entourées de forêt humide où résonnaient les vigoureux coups de trompette du jacu, l'oiseau-chien. Il suffisait d'y passer deux heures pour rentrer au camp les bras chargés de gibier. Nous fûmes pris d'une frénésie alimentaire ; pendant trois jours on ne fit que la cuisine, et manger. Désormais nous ne manquerions plus de rien. Les réserves précieusement ménagées de sucre et d'alcool fondirent, en même temps que nous tâtions des nourritures amazoniennes : surtout les tocari ou noix du Brésil, dont la pulpe râpée épaissit les sauces d'une crême blanche et onctueuse. Voici le détail de ces exercices gastronomiques tel que je le retrouve dans mes notes :
- colibris (que le portugais nomme beija-flor, baise-fleur) rôtis sur l'aiguille et flambés au whisky ;
- queue de caïman grillée ;
- perroquet rôti et flambé au whisky ;
- salmi de jacu dans une compote de fruits du palmier assaï ;
- ragoût de mutum (sorte de dindon sauvage) et de bourgeons de palmiers, à la sauce de tocari et au poivre ;
- jacu rôti au caramel.

Tristes tropiques, Claude Lévi-Strauss (1955)

Corne d'abondance02

Regard Alfred de Musset

Ô malheureux que je suis ! Un âne bâté, un ivrogne sans pudeur, me relègue au bas bout de la table ! Le majordome lui versera le premier verre de Malaga, et lorsque les plats arriveront à moi, ils seront à moitié froids, et les meilleurs morceaux déjà avalés ; il ne restera plus autour des perdreaux ni choux ni carottes. Ô sainte Eglise catholique ! Qu'on lui ait donné cette place hier, cela se concevait ; il venait d'arriver ; c'était la première fois, depuis nombre d'années, qu'il s'asseyait à cette table. Dieu ! comme il dévorait ! Non, rien ne me restera que des os et des pattes de poulet. Je ne souffrirai pas cet affront. Adieu, vénérable fauteuil où je me suis renversé tant de fois gorgé de mets succulents ! Adieu, bouteilles cachetées, fumet sans pareil de venaisons cuites à point ! Adieu, table splendide, noble salle à manger, je ne dirai plus le bénédicité ! Je retourne à ma cure ; on ne me verra pas confondu parmi la foule des convives, et j'aime mieux, comme César, être le premier au village que le second dans Rome.

On ne badine pas avec l'amour, Alfred de Musset (1834)

Corne d'abondance02

Regard Bao Zhao

[...] Que le vin et le plaisir / soient notre but ! / Ne faisons / que ce que le coeur désir ! Quand, un jour,  nous descendrons / vers l'argile jaune, / nous n'aurons rien à regretter !

Extrait de Souvenez-vous comme fièrement... (du cycle Le chemin épuisant, quinzième poème), Bao Zhao (412 - 466)

Corne d'abondance02

Regard Li Po

Assis seul, / je bois verre après verre, / sans remarquer le crépuscule, / jusqu'à ce que les fleurs tombées / débordent des plis / de ma tunique. / Titubant, je me lève / et je suis les rayons de la lune. / Les oiseaux ont disparu / et les passants se font rares.

Détente, Li Bo (701 - 762)

Corne d'abondance02

Regard Jules Vallès

Je m'arrête toujours à les voir, quand ils portent des fagots et de la farine chez le boulanger qui est à mi-côte : je regarde en même temps les mitrons tout blancs et le grand four tout rouge, - on enfourne avec de grandes pelles, et ça sent la croûte et la braise !

[...]

On fait des prières à tout bout de champ : Amen ! amen ! avant la rave et après l'oeuf.
Les raves sont le fond du dîner qu'on m'offre quand je vais chez la béate : on m'en donne une crue et une cuite.
Je racle la crue, qui semble mousser sous le couteau, et a sur la langue un goût de noisette et un froid de neige.
Je mords avec moins de plaisir dans celle qui est cuite au feu de la chaufferette que la tante tient toujours entre les jambes, et qui est le meuble indispensable des béates. - Huit jambes de béates : quatre chaufferettes - qui servent de boîte à fil en été, et dont elles tournent la braise avec leur clef en hiver.
Il y a de temps en temps un oeuf.
On tire cet oeuf d'un sac, comme un numéro de loterie, et on le met à la coque, le malheureux ! C'est un véritable crime, un coquicide, car il y a toujours un petit poulet dedans.
Je mange ce foetus avec reconnaissance, car on m'a dit que tout le monde n'en mange pas, que j'ai le bénéfice d'une rareté, mais sans entrain, car je n'aime pas l'avorton en mouillettes et le poulet à la petite cuiller.

[...]

Il sortait de ces bouchons un bruit de querelles, un goût de vin qui me montait au cerveau, m'irritait les sens et me faisait plus joyeux et plus fort.
Ce goût de vin ! - la bonne odeur des caves ! - j'en ai encore le nez qui bat et la poitrine qui se gonfle.
Les buveurs faisaient tapage : ils avaient l'air sans souci, bons vivants, avec des rubans à leur fouet et des agréments plein leur blouse. - Ils criaient, topaient en jurant, pour des ventes de cochons ou de vaches.
Encore un bouchon qui saute, un rire qui éclate, et les bouteilles trinquent du ventre dans les doigts du cabaretier ! Le soleil jette de l'or dans les verres, il allume un bouchon sur cette veste, il cuit un tas de mouches dans ce coin. Le cabaret crie, embaume, empeste, fume et bourdonne.

[...]

Le rendez-vous est chez Marcelin.<br>Marcelin tient une auberge dans une rue du faubourg. Il a la réputation à dix lieues à la ronde pour le vin blanc et les grillades de cochon.
Il y a, quand on entre, une odeur chaude de fumier et de bêtes en sueur, qui avance, comme une buée, de l'écurie. Dans la salle, où l'on boit, on sent le piquant du vinaigre cuit, versé sur la grillade, et qui mord les feuilles de persil.
Il y a aussi les émanations fortes du fromage bleu. C'est vigoureux à respirer, et c'est plein de montant, plein de bruit, plein de vie.
On dit des bêtises en patois, et l'on se verse le vin à rasades.

[...]

Oh ! j'ai encore le goût de la sauce Sainte-Menehould, avec son parfum de ravigote, et le fumet du vin blanc qui l'arrosa !

[...]

Et comme c'est bon ce qu'on mange !
Purée Crécy, Côtelettes Soubise, sauce Montmorency. A la bonne heure ! Voilà comment on apprend l'Histoire !
Ca vous a un goût relevé, piquant, ces plats et ces sauces !

L'enfantJules Vallès (1875)

Corne d'abondance02

Regard Jean-Jacques Rousseau

Quand je humais, en traversant un hameau, la vapeur d'une bonne omelette au cerfeuil, regrettant le dîner de la ménagère et le vin du cru, j'aurais de bon coeur paumé la gueule à Monsieur le Chef et à Monsieur le Maître, mais surtout à Messieurs les laquais qui, sous peine de mourir de soif, me vendait le vin drogué de leurs maîtres dix fois plus cher que je n'en aurais payé de meilleur au cabaret.

Les confessions, Jean-Jacques Rousseau (1782 & 1789)

Corne d'abondance02

Regard Jean-François Revel

La tendance dominante de la gastronomie présente, en cette fin de XXe siècle, me paraît évidente : pour le meilleur et pour le pire, c'est le retour à la nature. Mais aujourd'hui, en cuisine comme ailleurs, la nature est devenue un luxe.

Un festin en paroles, Jean-François Revel (1950)

Corne d'abondance02

Regard Alexandre Balthazar Laurent Grimod de La Reynière

Le fromage est le biscuit de l'ivrogne.

L'Almanach des gourmands, Grimod de la Reynière (1803 à 1812)

Corne d'abondance02

Regard Mme de Sévigné

Le chapitre des pois dure toujours, l'impatience d'en manger, le plaisir d'en avoir manger et la joie d'en manger encore sont les trois points que nos princes traitent depuis quatre jours.

Mme de Sévigné (1626 - 1696)

Corne d'abondance02

Quand Orion disparaît du ciel (en novembre) et que la mère de la grappe qui porte le vin se dépouille de sa chevelure, alors procure toi un sarge rôti, bien garni de fromage, qu'il soit grand et chaud, arrose-le de vinaigre, ce poisson étant naturellement sec, et souviens-toi d'apprêter ainsi tout poisson qui a la fibre dure, mais quant à celui qui est naturellement bon, qui a la chair tendre et grasse, saupoudre-le simplement de sel et arrose-le ensuite d'huile, car il a par lui-même la qualité qui le rend savoureux.

Archestrate (IVe siècle av. J.C.), cité par Athénée (IIIe siècle ap. J.C.)

Corne d'abondance02

Regard Victor Hugo

On eut un Trimalcion* qui s'appela Grimod de la Reynière ; on eut l'Almanach des gourmands. On dina au bruit des fanfares dans les entresols du Palais-Royal, avec des orchestres de femmes battant du tambour et sonnant de la trompette ; "le rigaudinier", l'archet au point, régna ; on soupa "à l'orientale" chez Méot, au milieu des cassolettes pleines de parfums.

* Personnage du "Satiricon" de Pétrone, affranchi parvenu, comme l'indique son nom, fier de sa richesse, insolent et débauché.

Quatrevingt-treize,Victor Hugo (1874)

Corne d'abondance02

Regard Marc Twain

Le vin allemand se distingue du vinaigre grâce à l'étiquette.

Mark Twain (1835 - 1910)

Corne d'abondance02

Regard Victor Hugo

Par jupiter, j'estime fortement les festins exquis dans les chambres bien closes. J'ai manqué ma vocation, j'étais né pour être sensuel. Le plus grand des sages est Philoxénès qui souhaita d'avoir un cou de grue pour goûter plus longuement les plaisirs de la table.

L'homme qui rit, Victor Hugo (1869)

Corne d'abondance02

 

Regard Jacques le Goff

Pour fêter l'événement, le roi, malgré son humilité, offre aux frères un bon repas dans le réfectoire qu'il partage avec eux. Au menu, des cerises et du pain très blanc, et les Français, selon leur coutume, arrosent abondamment le repas de vin et forcent les frères réticents à boire avec eux. Puis, ce sont des fèves fraîches cuites dans du lait, des poissons et des écrevisses, des pâtés d'anguille, du riz avec du lait d'amande et de la poudre de cinnamone, des anguilles rôties avec un excellent assaisonnement, des tourtes, des fromages et des fruits en abondance. Et tout cela servi avec courtoisie et empressement. Ils ont fait maigre, mais ce fut bombance. Le repas a été, malgré tout, royal.

Saint-Louis, Jacques Le Goff (1996)
d'après une chronique en latin de Salimbene de Parme, franciscain italien (1221-1288)

Corne d'abondance02

 

Regard Lauren Tailhade

Autant que l'amour, en effet, la Cuisine demande un linge princier. Elle se harnache de dentelles. Trousseau de madone ou d'archiduchesse, la parure qui l'accompagne ne doit pas être inférieure à l'intrinsèque de sa beauté.

Laurent Tailhade*

[...]

 

Regard Édouard Nignon

Il est des mets succulents qu'une mode irraisonnée délaisse et qu'une propagande justifiée va tirer de l'oubli.

Edouard Nignon*

*L'heptamérone des gourmets, ou les délices de la cuisine française, (1919)

Corne d'abondance02

 

Regard Umberto Ecco

Je mis fin à son laïus et lui dis que ce soir mon maître voulait lire certains livres dans sa cellule et désirait aussi y prendre son repas.
"M'en occupe, dit-il, j'y fais l'angelot en palette.
- Comment c'est ?
- Facilis. Tu prends de l'angelot pas trop vieux, ni trop salé et coupé en tranches minces, en bouchées carrées ou sicut te plaît. Et postea tu mettras un doigt de beurre ou de saindoux frais à réchauffer sobre la braisia. Et dedans vamos à déposer deux tranches d'angelot, et comme il te semble tendre, sucrum et cannelle supra positurum du bis. Et sers tout de suite in tabula, car il faut le manger todo chaud.
- Va pour l'angelot en palette", lui dis-je. Et il disparut vers les cuisines, en me disant de l'attendre. Il revint une demi-heure après, avec un plat recouvert d'un linge. L'odeur était bonne.

[...]

Le repas pour la légation fut superbe. L'Abbé devait fort bien connaître et les faiblesses des hommes et les usages de la cour papale (qui n'eurent rien pour déplaire, je dois le dire, aux minorites de fra Michel non plus). Avec des cochons fraîchement égorgés, il devait y avoir du boudin à la mode de Cassin, nous dit le cuisinier. Mais la malheureuse fin de Venantius les avait obligés à jeter tout le sang des cochons, et il n'y en aurait plus jusqu'à ce qu'ils en égorgent d'autres. Nous eûmes tout de même des pigeonneaux en salmis, macérés dans du vin de ce terroir, et du lapin rôti comme des cochons de lait, des miches de sainte Claire, du riz aux amandes de ces monts, autrement dit le blanc-manger des vigiles, des croûtons à la bourrache, des olives fourrées, du fromage frit, de la viande de mouton, des fèves blanches, et des douceurs exquises, gâteau de saint Bernard, friands de saint Nicolas, quatre-yeux de sainte Lucie, et des vins, et des liqueurs d'herbes qui mirent de bonne humeur même Bernard Gui, si austère d'habitude : liqueur de citronnelle, brou de noix, vin contre la goutte et vin de gentiane. On aurait dit d'une réunion de gloutons, si chaque gorgée ou chaque bouchée n'avait été accompagnée par de dévotes lectures.

Le Nom de la roseUmberto Eco (1980)

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Concepteur nutritionnel

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Regard Marcel Proust

Et depuis la veille, Françoise, heureuse de s'adonner à cet art de la cuisine pour lequel elle avait certainement un don, stimulée, d'ailleurs, par l'annonce d'un convive nouveau, et sachant qu'elle aurait à composer, selon des méthodes sues d'elle seule, du bœuf à la gelée, vivait dans l'effervescence de la création ; comme elle attachait une importance extrême à la qualité intrinsèque des matériaux qui devaient entrer dans la fabrication de son œuvre, elle allait elle-même aux Halles se faire donner les plus beaux carrés de romsteck, de jarret de bœuf, de pied de veau, comme Michel-Ange passant huit mois dans les montagnes de Carrare à choisir les blocs de marbre les plus parfaits pour le monument de Jules II.

[...]

Je restais maintenant volontiers à table pendant qu'on desservait, et si ce n'était pas un moment où les jeunes filles de la petite bande pouvaient passer, ce n'était plus uniquement du côté de la mer que je regardais. Depuis que j'en avais vu dans les aquarelles d'Elstir, je cherchais à retrouver dans la réalité, j'aimais comme quelque chose de poétique, le geste interrompu des couteaux encore de travers, la rondeur bombée d'une serviette défaite où le soleil intercale un morceau de velours jaune, le verre à demi vidé qui montre mieux ainsi le noble évasement de ses formes et au fond de son vitrage translucide et pareil à une condensation du jour, un reste de vin sombre mais scintillant de lumières, le déplacement des volumes, la transmutation des liquides par l'éclairage, l'altération des prunes qui passent du vert au bleu et du bleu à l'or dans le compotier déjà à demi dépouillé, la promenade des chaises vieillottes qui deux fois par jour viennent s'installer autour de la nappe, dressée sur la table ainsi que sur un autel où sont célébrées les fêtes de la gourmandise et sur laquelle au fond des huîtres quelques gouttes d'eau lustrale restent comme dans de petits bénitiers de pierre ; j'essayais de trouver la beauté là où je ne m'étais jamais figuré qu'elle fût, dans les choses les plus usuelles, dans la vie profonde des "natures mortes".

A l'ombre des jeunes filles en fleurs, Marcel Proust (1918)

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Regard Gaston Bachelard

Le temps de cuisson est une des durée les plus circonstanciées, une durée finement sensibilisée. La cuisson est ainsi un grand devenir matériel, un devenir qui va de la pâleur à la dorure, de la pâte à la croute. Elle a un commencement et une fin comme un geste humain.

[...]

L'imagination culinaire se forme précisément par l'intérêt pour le problème de la consistance en liant les sauces, en mêlant la farine, le beurre et le sucre. C'est à la cuisine que se réalise la fusion du matérialisme copieux et du matérialisme délicat.

[...]

Ecarter l'enfant de la cuisine, c'est le condamner à un exil qui l'éloigne de rêves qu'il ne connaîtra jamais. Les valeurs oniriques des aliments s'activent en en suivant la préparation.

[...]

La miche toute ronde sous l'action du levain se tend comme un ventre. Parfois la fermentation travaille ce ventre comme un borborygme ; une bulle vient crever à l'extérieur.

La Terre et les rêveries de la volontéGaston Bachelard (1947)

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Regard Brillat-Savarin

On devient cuisinier, mais on naît rôtisseur.

Brillat-Savarin (1826)

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Regard Gaston Bachelard

[...] on trouverait deux manières de boire le vin, en lisant le vers d'André Frénaud dialectiquement, en animant les deux couleurs. "Le rouge des gros vins bleus." Car où est la substance : dans le rouge qui désigne ou  dans les intimités sombres ?

La terre et les rêveries du repos, Gaston Bachelard (1948)

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Regard He Yifu

Au tout début, l’artichaut semble fade. C‘est en le savourant que l’on découvre progressivement un parfum pur, délicieux et doux qui émerge de la platitude. Les Bretons vivant dans ce territoire calme, paisible et éloigné des vicissitudes, aiment à rechercher la saveur. Peut-être est-ce cette attitude face à la vie qui leur permet d’apprécier le délice subtil de l’artichaut et d’en faire leur aliment préféré.

Voyage d’un peintre chinois en Bretagne, HE Yifu (2002)

Corne d'abondance02

 

Regard Antonin Carême

La science qui nourrit ne vaut-elle pas mieux que la science qui tue ?

Antonin Carême (1784 - 1833)

Corne d'abondance02

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20 mars 2020

Vingt-troisième festivités : Couronne à virus !

Vingt-troisième festivité : Il arriva qu'au bon royaume de Francie, alors qu'un dangereux coronavirus contaminait un grand nombre des habitants, le bon roi Jupiter et ses conseillers réagirent en obligeant chacun à rester confiné chez soi afin d'éviter une propagation trop vive dudit virus. Aussi en ces hauts lieux du royaume trouva-t-on bientôt utile, ayant soudain découvert qu'ils étaient tous par trop réticents à rentrer chez eux, de condamner à de sévères amendes les Sans-Domicile-Fixe ; car ainsi en allait-il de la grandeur inégalable de l'intelligence Jupitérienne qu'elle s'échinait toujours à s'allier la meilleure littérature, d'Ubu roi à Tartufe en passant par Le meilleur des monde et 1984.

Macron Ubu copier

30 mars 2020

Vive Macron ! 49-3 degrés d'éréthisme

Vive Macron !
49-3 degrés d'éréthisme[1]

La nuit des morts-vivants 00 net

Qu'on soit contre ou qu'on soit çà et là encore parfois pour la présidence d'Emmanuel Macron, l'exacerbation des opinions le concernant n'en finit plus d'empêcher de penser la situation présente, en France comme ailleurs. Sa géniale faconde ou son horrible mépris – selon qu'on soit pour ou contre lui – semble laisser chacun dans une sidération telle que partisans et opposants finissent en quelque sorte par chanter d'une même voix : « VIVE MACRON ! ». Autrement dit, du « Macron démission » des gilets jaunes et autres syndicalistes aux divers baragouinages des députés et enmarcheurs quelconques, jusqu'aux « concerts de casseroles » accompagnés des hués du peuple des confinés les soirs à son adresse, tout vient seulement maintenant se heurter à l'imbécile jupitérien, cette fausse singularité du néant général. Volontairement réalisé ou non, l'exploit du grain de sable Emmanuel Macron aura donc été, jusqu'ici, de concentrer toute l'attention autour de sa personne, et de faire oublier par là même l'ensemble du désert[2].

Tandis que nous regardons Macron, le néant impérialo-marchand continue partout son office.

On l'aura toutefois compris, nous sommes du côté de celles et ceux qui s'y opposent, mais que Macron soit bel et bien une ordure nocive ne doit pas nous faire perdre de vue qu'il n'est qu'un symptôme parmi d'autres, non le capitalisme lui-même. Aussi s'agit-il, à tout le moins, de renouer avec une vision plus globale, ne serait-ce que pour nous garder d'avoir à subir demain un nouveau symptôme qui, né du même Empire-marchand, ne pourra pas manquer d'être encore plus nuisible, en particulier dans ses capacités répressives – qu'on nous vende inlassablement en France le Rassemblement National[3] comme seule alternative possible en dit assez long déjà à cet égard.

Du stalinisme au nazisme, l'Histoire en a fait plusieurs fois monstration : hors d'une abolition plénière du capitalisme, rien ne nous sera épargné.

Le coronavirus, qui a d'ores et déjà été capable à lui seul de bloquer l'ensemble, ou presque, des dispositifs de l'Empire-marchand tout entier pendant plusieurs semaines, l'a suffisamment montré : pensé localement alors même qu'il est né du monde globalisé de l'industrie marchande, le covid19 n'a pu manquer de se répandre à la hauteur du monde qui l'a fait naître, et ce d'autant plus que de l'avoir pensé localement n'a généralement provoqué aucune action locale concrète contre lui – ce qui était né dans le Wuhan devait semble-t-il par nature rester dans le Wuhan -, du moins jusqu'à ce qu'il soit trop tard ; seule son appréhension en tant qu'épiphénomène de l'activité capitaliste globale eût immédiatement permis d'agir efficacement contre lui de manière locale.
Il en va bien de même avec le « macronisme », cet épiphénomène pseudo-politique du mouvement général « autonome » de la marchandise mondiale. C'est pourquoi la tendance en France à concentrer tout le feu sur le seul Macron risque à terme de laisser chacun dupe d'une individualisation outrancière et fétichisée du désastre, qui ne peut que par trop conduire à négliger l'origine réelle de ce dernier : le susdit mouvement général « autonome » de la marchandise mondial.

Macron doit être écarté, certes, mais pour mieux dégager la cible.

Partout là où la marchandise déploie sa tyrannie sur les êtres humains, comme d'ailleurs sur l'ensemble du vivant, s'offre à nous le spectacle de ces quelques faussaires qui n'ont nul autre rôle réellement efficient que celui de nous faire accroire que subsiste encore une certaine maîtrise humaine de la gestion des « sociétés »[4] : ici Macron, là-bas Trump, ailleurs Erdogan ou encore Poutine, etc. Mais ces vieilles têtes ne sont bien notoirement que les figures mêmes du néant intégral où nous a conduit l'avoir-marchand ; elles ne s'animent plus guère que pour cligner de l’œil, en surface, sur tous les écrans totalitaires de la connivence avec le désert : elles ne sont plus dès maintenant que les fantômes funestes d'une civilisation défunte[5], dont Macron, donc, n'est qu'une image iconique parmi d'autres.

Il ne sert à rien de vouloir couper des têtes, en particulier si nous n'avons pas évincé en nous le besoin d'en élire.

Il ne peut donc pas uniquement s'agir, pour qui veut authentiquement sortir par le haut du désastre, de se débarrasser d'une image « singulière » du pouvoir, mais simultanément de tous les dispositifs qui lui ont permis d'exister : la marchandise, parce qu'elle est une falsification théologique du réel ; l'argent, parce qu'il en est l'abstraction déifiée la plus turpide[6] ; l’État, parce qu'il est une organisation mafieuse qui s'emploie à défendre le capital, la grande célérité des flux, parce qu'elle réduit la poésie géographique du voyage à une géomatique[7] du tourisme, entre autres, et finalement pour le dire vite, le capitalisme en profondeur, parce qu'il est cause originelle et continue de l'ensemble, même dans les moments où il s'effondre.

Le capital est comme Protée, toujours susceptible de réapparaître sous une forme nouvelle.

Nous n'en sommes qu'au début du désastre, la situation est nouvelle, aussi devons-nous accepter pour quelques temps de nous en tenir à une critique balbutiante et modeste. Ici maintenant l'humilité s'impose. Il n'est jamais facile de faire le juste examen d'une époque nouvelle, qui se présente nécessairement à nous par des signes contradictoires, dont le moins que nous puissions dire à cette heure est qu'ils invitent à envisager tant le meilleur que le pire pour les temps qui viennent, autrement dit la possible réalisation du communisme réel, ou l'avènement d'une organisation entièrement policière de l'existence qui viendrait parachever ce que la domination impériale a commencé de mettre en place depuis les années 1970 jusqu'à très récemment ; il ne tient qu'à nous d'aller vers le meilleur.

La lutte des classes n'est pas vaine expression, aucun confinement n'est éternel, et la rue nous attend. Nous n'avons nul autre ennemi véritable qu'une faible frange de la population mondiale, et les dispositifs sans lesquels elle n'est rien.

Demain n'a pas eu lieu, tout commence maintenant !

Léolo

Sauvons les vies, pas l'économie net



Notes

1 – État d'excitabilité accrue d'un organe.

2 – Si utile que fût l'ouvrage « Crépuscule » de Juan Branco, en se bornant à ne dévoiler qu'un moment particulier de la néantisation mondiale en mouvement dans l'espace français, il aura contribué à cet état des choses.

3 – Le RN, longtemps brandi comme une simple menace n'ayant pour objet que d'assurer la victoire du « centre-droit » (des socialo aux républicains), s'est vu devenir sous Macron ce parti considéré par les « élites bourgeoises » comme pouvant s'avérer utile encore à leur maintien, non plus en tant que seule menace, mais pourquoi pas au pouvoir afin d'assurer une répression extrême qu'ils envisagent d'ores et déjà comme indispensable. Toute la violence de la police « en marche » contre les mouvements sociaux les en aura convaincu, tant par ses réussites que, pensent-elles (ces élites), par une inefficacité due à une trop grande retenue.

4 – Alors même qu'il n'est pas jusqu'à certains sociologues qui n'en soient venus maintenant à douter qu'il existât encore une quelconque société.

5 – Le virus covid19 aura suffi à révéler non seulement la fragilité d'une telle civilisation, et par là même la futilité de presque tout ce qu'elle produit, mais aussi combien elle avait à présent passé le stade de l'agonie, de la catastrophe, où elle végétait bon an mal an depuis plus de quarante ans.

6 – Qui a une certaine laideur morale.

7 – Traitement informatique des données géographiques.

31 mars 2020

La poétique de l'espace

Gaston Bachelard, La poétique de l'espace

La poétique de l'espace, de Gaston Bachelard.

4e de couverture : "Nous voulons examiner des images bien simples, les images de l'espace heureux. L'espace saisi par l'imagination ne peut rester l'espace indifférent livré à la mesure et à la réflexion du géomètre. Il est vécu. Et il est vécu, non pas dans sa positivité, mais avec toutes les partialités de l'imagination. Sans cesse l'imagination imagine et s'enrichit de nouvelles images. C'est cette richesse d'être imaginé que nous voudrions explorer."

Extrait n°1 : Les vraies maison du souvenir, les maisons où nos rêves nous ramènent, les maisons riches d'un fidèle onirisme, répugnent à toute description. Les décrire, ce serait les faire visiter. Du présent, on peut peut-être tout dire, mais du passé ! La maison première et oniriquement définitive doit garder sa pénombre.

Extrait n°2 : Quel bel exercice alors de la fonction d'habiter la maison rêvée que le voyage en chemin de fer ! Ce voyage déroule un film de maisons rêvées, acceptées, refusées... Sans que jamais, comme en automobile, on soit tenté de s'arrêter. On est en pleine rêverie avec la salutaire interdiction de vérifier.

Extrait n°3 : Qui enterre un trésor s'enterre avec lui. Le secret est une tombe et ce n'est pas pour rien que l'homme discret se vante d'être le tombeau des secrets.

Extrait n°4 : Le nid - nous le comprenons tout de suite - est précaire et cependant il déclenche en nous une rêverie de la sécurité. Comment la précarité évidente n'arrête-t-elle pas une telle rêverie ? La réponse à ce paradoxe est simple : nous rêvons en phénoménologue qui s'ignore. Nous revivons, en une sorte de naïveté, l'instinct de l'oiseau. Nous nous complaisons à accentuer le mimétisme du nid tout vert dans le feuillage vert. Nous l'avons vu décidément, mais nous disons qu'il était bien caché. Ce centre de vie animale est dissimulé dans l'immense volume de la vie végétale. Le nid est un bouquet de feuilles qui chante. Il participe à la paix végétale. Il est un point dans l'ambiance de bonheur des grands arbres.

Extrait n°5 : Quand je continue ainsi sans fin mes rêveries de philosophe indocile, j'en viens à penser que la voyelle a est la voyelle de l'immensité.

21 septembre 2020

Quelques nouvelles de la Grèce avec les camarades Maud et Yannis Youlountas

Quelques nouvelles de la Grèce avec les camarades Maud et Yannis Youlountas

01

Bonjour à tou-tes !


Nous sommes actuellement de retour en Grèce, avec plusieurs fourgons et un chargement important à destination de plusieurs lieux et actions solidaires autogérées à Athènes et sur plusieurs îles.

À Lesbos, des milliers de réfugiés errent actuellement dans des conditions très difficiles, suite à l’incendie qui a ravagé le sinistre camp de Moria où étaient parqués 15.000 adultes et enfants.

02

Il ne reste plus rien du sinistre camp de Moria à Lesbos


Nous nous permettons de vous contacter d’urgence parce que nous constatons que la situation est beaucoup plus grave que ce que nous avions prévu et parce que nos moyens ne sont pas suffisants.

Sans faire de bruit, en mars et en juillet, nous avons déjà effectué plusieurs voyages pour soutenir 29 lieux et collectifs en Grèce, et nous avons également participé à la création de nouveaux lieux dont certains nous tiennent particulièrement à cœur.

Parmi les lieux et collectifs que nous avons aidé matériellement et/ou financièrement :

Centre social autogéré Alimoura à Ioannina (nous avons financé la réparation du local qui avait été saccagé par une attaque fasciste) ;

Usine autogérée Bio.Me à Thessalonique (soutien et achat de savons et produits fabriqués par les ouvriers, alors que l’électricité venait de leur être coupée) ;

Mikropolis à Thessalonique (soutien au plus grand espace social libre de Grèce, notamment pour l’aide aux réfugiés et les nombreuses autres activités du lieu) ;

Initiative antifasciste d’aide aux réfugiés près d’Évros (au moment où ces derniers étaient pris au piège entre les deux états grecs et turcs, et où des identitaires européens étaient venus pour tenter de pratiquer la chasse à l’homme, ainsi qu’à Lesbos) ;

Réseau Solidaire de Crète (et soutien à la création de nouveaux lieux dans l’île, dont nous vous reparlerons dans quelques semaines, avec de belles surprises) ;

Initiative de Kastelli en Crète contre le nouvel aéroport (nous avons participé au financement de la procédure de Justice contre l’aéroport qui est en train de basculer à l’échelle européenne, alors que 50.000 des 200.000 oliviers ont déjà été coupés et que l’opinion est de plus en plus opposée au projet, nous avons également participé à plusieurs réunions et actions sur place, et soutenu les paysans en lutte contre ce projet) ;

Centre Social autogéré Favela au Pirée (soutien financier et achat de tee-shirts pour épauler ce lieu situé dans une zone où les fascistes rôdent souvent et où l’un d’entre nous, Yannis en l’occurrence, a été agressé violemment en juin 2019 par un groupe de néo-nazis qui lui avait tendu un guet-apens avant que les passagers d’une rame de tramway ne parviennent à le sauver) ;

K*Vox à Athènes (célèbre base d’un des groupes les plus actifs en Grèce, que nous soutenons depuis sa création) ;

Aide aux frais de Justice de plusieurs compagnons de luttes, notamment pour leur éviter d’aller en prison suite à des actions pourtant exemplaires ;

Squat Notara 26 à Athènes (le plus ancien lieu d’accueil des réfugiés dans le quartier d’Exarcheia est aujourd’hui le seul qui ait réussi à résister à la violente vague d’évacuations lancée par le nouveau gouvernement de droite depuis un an) ;

Cuisine Sociale L’Autre Humain (financement permanent de la moitié du loyer du lieu de stockage et livraison de produits alimentaires à chaque convoi) ;

Structure autogérée de santé d’Exarcheia (soutien financier et livraison de matériel médical) ;

Réseau École Buissonnière-Pédagogie Freinet (soutien financier et livraison de fournitures en aide aux enfants précaires) ;

Actions solidaires à Lesbos (nombreuses initiatives depuis mars et, surtout, après l’incendie du sinistre camp de Moria il y a quelques jours et l’errance de nombreuses familles en difficultés).

03

Une fois de plus, c’est le mouvement social qui est en première ligne de la solidarité, dans l’autogestion et l’horizontalité (cuisine sociale L’Autre Humain, septembre 2020, Lesbos)


Parmi nos autres initiatives, nous avons fait livrer à Athènes plusieurs tonnes de fruits et légumes invendus en Crète (conséquence de la forte baisse du tourisme), notamment des centaines de kilos de tomates et d’oranges qui ont été livrées à la cuisine sociale l’Autre Humain, au squat de réfugiés Notara 26 et au K*Vox pour les militants les plus précaires.

Ces derniers jours, nous avons renforcé le financement de la cuisine sociale à Mytilène, en soutien aux nombreuses victimes de Moria, épaulé par le déplacement de l’Autre Humain à Lesbos (plus de 2500 repas servis par jour dans l’autogestion, l’entraide horizontale et le refus de toute convention avec les autorités responsables de ces politiques infâmes). Nos camarades sur place nous signalent que l’aide est encore très insuffisante pour l’instant et que nous devons essayer de l’amplifier au plus vite.

04

Certains membres du convoi de septembre 2020 ne cachent pas leurs visages… et leur joie de participer à l’entraide directe et sans frontières !

Ce vendredi 25 septembre, nous serons bien évidemment à nouveau à Exarcheia pour le cinquième anniversaire du squat Notara 26, aux côtés des réfugiés et des solidaires (dont plusieurs d’entre nous font partie à longueur d’année). Il faut savoir que depuis le début de l’offensive du gouvernement Mitsotakis contre les squats à Exarcheia, de nombreux membres des convois passés sont revenus à plusieurs reprises pour participer à la protection du lieu et aux tours de garde nuits et jours, sans discontinuer, depuis juillet 2019. Certains sont même restés plusieurs mois d’affilée sur place.

05

Le Notara 26 reste le premier et le dernier squat de réfugiés qui résiste encore dans le quartier d’Exarcheia, en lien avec beaucoup d’autres luttes et avec les principaux squats politiques du quartier (K*Vox et Lela Karagianni)

Nous sommes également en train de cofonder plusieurs bibliothèques sociales et ressourceries en Crète. Des espaces gratuits et accessibles à tous, dans des villages et des petites villes, pour participer à transformer l’imaginaire social et mieux faire comprendre ce que nous proposons pour sortir de l’impasse du capitalisme et de la société autoritaire.


Voilà pour ce premier bilan de la situation.

Si vous voulez nous aider dans toutes ces initiatives, c’est le moment. Car plusieurs des actions et lieux évoqués ont besoin d’un renfort urgent de l’aide apportée. Surtout :

- Les actions solidaires à Lesbos - La cuisine sociale L’Autre Humain - Le squat de réfugiés Notara 26 à Exarcheia - Les actions et créations de lieux en Crète - Les compagnons de luttes poursuivis (frais de Justice)

Vu le contexte et l’urgence, évitez les chèques : uniquement virement ou paypal.

Pour participer par virement à ANEPOS :

IBAN : FR46 2004 1010 1610 8545 7L03 730 – BIC : PSSTFRPPTOU

objet : « Action Solidarité Grèce » ou, si vous voulez soutenir plus précisément : « Lesbos » ou « Cuisine » ou « Notara » ou « Crète » ou « Compagnons » (choisissez un mot clé)

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Nous vous transmettrons d’autres informations prochainement.

Pour celles et ceux qui nous ont demandé des nouvelles du prochain film Nous n’avons pas peur des ruines, sachez qu’il a été mis à jour et qu’il vous montrera en images la période actuelle. Après Ne vivons plus comme des esclaves en 2013, Je lutte donc je suis en 2015 et L’Amour et la Révolution en 2018, ce quatrième film sortira précisément en janvier 2021 (en espérant que nous ne subirons pas trop de contraintes pour organiser les projections-débats et nous rassembler cet hiver). La bande-annonce sera diffusée début novembre. Si vous voulez contacter la programmation du film, écrivez à : contact@paspeurdesruines.net

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Le quatrième film devrait sortir en janvier 2021, en espérant que les contraintes auront diminué d’ici-là.

Un grand merci à toutes celles et ceux qui nous ont aidés ces dernières années, avec une pensée particulière pour un ami montagnard qui se reconnaitra, et à toutes celles et ceux qui sont déjà venus en convoi par le passé mais que nous n’avons pas forcément contactés ces derniers mois (voyages plus discrets dans un contexte plus difficile que par le passé).

Courage à vous. Au plaisir de vous revoir.

Solidairement,

Maud et Yannis Youlountas po/ Anepos avec les membres et soutiens des convois de mars, juillet et septembre 2020

Courriel : solidarite@anepos.net

Téléphone : 06 18 26 84 95 (en cas d’urgence)

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Quelques images du convoi de mars 2020 qui a soutenu financièrement ou matériellement 29 lieux et collectifs en Grèce, juste avant le confinement généralisé.

Post-Scriptum de Yannis : à titre personnel, je vous remercie de vos messages de soutien suite à mes soucis de santé. Sachez que, durant mes six mois de silence, j’ai beaucoup écrit, travaillé sur plusieurs projets en cours et préparé avec quelques ami-es des initiatives dont j’aurai bientôt plaisir à vous parler. Par ailleurs, j’ai observé trop de bruit et d’agitation ces derniers mois autour d’un seul et unique sujet, de façon excessive et monomaniaque, comme si le monde s’était arrêté de tourner. Et je n’ai pas eu envie d’y contribuer. Retournons ensemble à ce que nous avons de mieux à faire : essayer de changer ce monde avant que le capitalisme ne l’ait détruit. Pour finir, j’ai éprouvé le besoin de me taire, de prendre du recul, de me faire oublier, car je ne souhaite pas être trop mis en avant. Ce n’est pas dans la logique libertaire et égalitaire, et je n’ai aucunement l’ambition de jouer à l’homme providentiel à l’instar de certains habitués des plateaux télés. Je ne reprends la parole, à mon petit niveau, que lorsque je crois pouvoir être utile et apporter ma modeste contribution.

Le hasard veut qu’en ce 21 septembre 2020, je vous écris alors que c’est mon anniversaire (et oui, j’ai 50 ans aujourd’hui) ! Merci pour les quelques messages déjà reçus ce matin, mais plus encore merci d’avance pour le soutien urgent que vous pourrez apporter aux actions et lieux évoqués . Parce que nous n’emporterons rien avec nous, parce qu’il est urgent d’agir et parce qu’il est hors de question de baisser les bras. Mes camarades de convoi, dont la plupart sont des habitués (Fifi, Jacky, Patrick…), comptent aussi sur vous : dans quelques jours, juste avant notre retour à Exarcheia, nous ferons un bilan rapide pour savoir quelle sera l’ampleur de l’aide apportée. Et nous sommes impatients de savoir !

Comme on dit parfois en Grèce pour se saluer : « Kali Dynami ! » (Bonne force !) et à bientôt !

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23 avril 2020

Discours de la servitude volontaire

Etienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire

Discours de la servitude volontaire, de Étienne de La Boétie.

4e de couverture : Publié en 1576, le Discours de la servitude volontaire est l'oeuvre d'un jeune auteur de dix-huit ans. Ce texte (ô combien actuel !) analyse les rapports maître-esclave qui régissent le monde et repose sur la peur, la complaisance, la flagornerie et l'humiliation de soi-même. Leçon politique mais aussi leçon éthique et morale, La Boétie nous invite à la révolte contre toute oppression, toute exploitation, toute corruption, bref contre l'armature même du pouvoir.

Extrait n°1 : Pour le moment, je voudrais seulement comprendre comment il se peut que tant d'hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois un tyran seul qui n'a de puissance que celle qu'ils lui donnent, qui n'a pouvoir de leur nuire qu'autant qu'ils veulent bien l'endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal s'ils n'aimaient mieux tout souffrir de lui que de le contredire.

Extrait n°2 : Les médecins conseillent justement de ne pas chercher à guérir les plaies incurables, et peut-être ai-je tort de vouloir ainsi exhorter le peuple qui semble avoir perdu depuis longtemps toute connaissance de son mal - ce qui montre assez que sa maladie est mortel. Cherchons donc à comprendre, si c'est possible, comment cette opiniâtre volonté de servir s'est enracinée si profond qu'on croirait que l'amour même de la liberté n'est pas si naturel.

Extrait n°3 : Mais supposons encore que ces mignons échappent aux mains de celui qu'ils servent, ils ne se sauvent jamais de celles du roi qui lui succède.

Extrait n°4 : Quelle peine, quel martyre, grand Dieu ! Être occupé nuit et jour à plaire à un homme, et se méfier de lui plus que de tout autre au monde. Avoir toujours l'oeil aux aguets, l'oreille aux écoutes, pour épier d'où viendra le coup, pour découvrir les embûches, pour tâter la mine de ses concurrents, pour deviner le traître. Sourire à chacun et se méfier de tous, n'avoir ni ennemi ouvert ni ami assuré, montrer toujours un visage riant quand le coeur est transi ; ne pas pouvoir être joyeux, ni oser être triste !

25 novembre 2023

Trente-et-unième festivité : Le vrai est un moment du faux !

Trente-et-unième festivité : Du centre de l'Empire-marchand, il arriva qu'un jour on fut pris d'un élan soudain d'honnêteté et de contrition ; aussi décida-t-on en haut lieu de rendre aux spoliés de longue date ce qui appartenait aux spoliés, et d'un seul geste merveilleux de renvoyer à qui de droit quelques fresques artistiques dont il s'avéra bientôt que la plupart d'entre elles étaient des faux.
Coronavirus/Loisirs. Confinés, “The Truman show” le film à voir ou à  revoir... Voici le plein d'idées

26 février 2024

Un pouvoir de plus en plus autoritaire et répressif

Titre février 2024

La lente dérive vers le fascisme de tous les régimes en Europe se confirme actuellement en Grèce, comme ailleurs. Elle se caractérise un peu partout par des éléments précis :

– des lois de plus en plus dures contre les migrants, les solidaires et les collectifs en luttes ;

– des tribunaux de plus en plus sévères ;

– des gouvernements de plus en plus arrogants et décomplexés dans leurs délires autoritaires ;

– une police de plus en plus violente et omniprésente ;

– une armée qui se positionne clairement en second rideau, avec des moyens à la hausse et des manœuvres dont l’objet principal est la répression d’une hypothétique insurrection sociale ;

– un contrôle bureaucratique et technologique de plus en plus oppressant de nos vies toutes entières, sans séparation réelle entre la sphère publique et la sphère privée ;

– un objectif avoué de censurer progressivement de toute parole prétendument menaçante contre le système politique ou ses représentants, au prétexte qu’elle représenterait un « danger pour l’ordre social et la paix civile ».

Une fois de plus, ce qui se passe en Grèce donne à réfléchir sur ce qui se prépare également ailleurs en Europe, comme un laboratoire, une ligne de front. En effet, l’exemple grec a permis d’expérimenter, d’année en année, à la fois le durcissement du capitalisme et de la société autoritaire sur le continent, mais aussi différentes formes de résistances.

00 seuil juridique

« Le seuil juridique entre le délit et le crime a été déplacé, notamment pour les actions collectives, avec des conséquences délirantes »

 

UN NOUVEAU CODE PÉNAL POUR RÉPRIMER LES OPPOSANTS

En Grèce, ce jeudi, le code pénal a encore été modifié ! Une fois de plus, la droite au pouvoir s’est acharnée à durcir la loi contre le mouvement social, malgré l’opposition des partis de gauche. Comme à chaque fois, un cheval de Troie a été utilisé pour justifier le renforcement des peines, dans les médias dominants : « la répression des violences domestiques », en particulier celles faites aux femmes.

Sauf que, dans la réalité, il s’agit plutôt d’un arsenal de plus contre toutes les actions de résistance au sein de la base sociale. Désormais en Grèce, on peut être poursuivi pour des broutilles et aller en prison pour des motifs auparavant secondaires. Le seuil juridique entre le délit et le crime a été déplacé, notamment pour les actions collectives, avec des conséquences délirantes.

01 conséquences délirantes

Conférence-débat sur le nouveau code pénal et la criminalisation du mouvement social

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Déjà, en 2022, le gouvernement grec avait modifié l’article 187A du code pénal qui, désormais, qualifie d’organisation criminelle tout collectif d’au moins trois personnes menant ensemble des actions illégales, même mineures. Cette loi vise en priorité le groupe anarchiste Rouvikonas qui est en première ligne, dans le collimateur du pouvoir, en tant qu’opposition politique réelle sur le terrain et agissant quotidiennement en soutien de la base sociale, dans la lutte et la solidarité, avec une côte de popularité qui ne cesse de monter. Le bras de fer entre l’État et Rouvikonas ne cesse de se durcir et son issue pourrait être explosive dans les temps qui viennent, trois ans après le scandale de la fabrique de faux témoignages par la police contre deux membres du groupe anarchiste, heureusement innocentés lors d’un procès retentissant en novembre 2021 (rappel des faits : http://blogyy.net/2021/11/25/anarchistes-7-0-etat-grec-%e2%98%85-merci-a-tous-les-soutiens/ )

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Archive de novembre 2021 concernant l'odieuse machination qui aurait pu envoyer en prison à perpétuité deux militants innocents

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Traduction de la presse qui confirme la machination contre les anarchistes

 

06 dessin de presse

Dessin de presse confirmant la machination et rappelant d’où vient la vraie violence



Désormais, n’importe quel collectif de lutte peut aisément se retrouver dans le même cas : lutte écologiste, lutte sociale, lutte syndicale ou action solidaire avec les sans-papiers, tout le monde est concerné ! En d’autres termes, le pouvoir veut criminaliser les luttes au point de classer en organisation terroriste des collectifs qui n’ont jamais tué personne et se limitent à des dégâts matériels. Cette nouvelle marche franchie est une véritable menace pour tout le mouvement social en Europe. N’importe quel groupe pratiquant un peu de sabotage ou bloquant des événements pourrait subir cette épée de Damoclès judiciaire, ailleurs sur le continent.

Les deux conséquences principales ? D’une part, des sanctions beaucoup plus lourdes et, d’autre part, ces sanctions frapperaient tous les membres identifiés d’un même collectif et pas seulement les auteurs de l’acte ayant entrainé les poursuites.

07 Orwell

La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la vérité. » George Orwell, 1984



UNE NOVLANGUE INVERSANT CE QUI EST VITAL ET CE QUI EST MORTIFÈRE.


En observant les éléments de langage déjà utilisés en France et dans tout l’ouest de l’Europe, on remarque que l’emploi du mot « terrorisme » est désormais utilisé pour tout et n’importe quoi, par exemple le néologisme « écoterroriste » ou « djihadiste vert », contre les zadistes de Notre-Dame-des-Landes et maintenant contre le chantier de l’autoroute A69 dans le Tarn. Produit à dessein par le pouvoir, ce glissement sémantique vise à entretenir la confusion entre des défenseurs de la vie, en l’occurrence de la nature, et des individus qui massacrent aveuglément une population dans le but de la terroriser. C’est une façon d’inverser les rôles de la part d’un pouvoir politique qui ne cesse de jouer avec la peur.

Idem en Grèce où l’expression « organisation criminelle » est devenue très courante dans les médias dominants, par exemple dans les émissions de télé les plus abrutissantes équivalentes à celles de C8 et CNews en France.

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« interdire, d’ici quelques années, l’essentiel de la propagande révolutionnaire dont le but est de renverser le régime faussement démocratique et profondément inégalitaire »

 

LE RETOUR PROGRESSIF DE LA CENSURE


L’autre objectif avoué du gouvernement grec est de punir toute parole menaçante contre le système politique ou ses représentants, au prétexte qu’elle représenterait un « danger pour l’ordre social et la paix civile ». Autrement dit, le processus vise à censurer progressivement le mouvement social, en particulier à lui interdire, d’ici quelques années, l’essentiel de la propagande révolutionnaire dont le but est de renverser un régime faussement démocratique et profondément inégalitaire.

Ce projet ressemble fort à une réactivation des lois scélérates qui avaient été mises en place dans les années 1920 en Grèce (visant surtout les communistes à l’époque) et le 11 décembre 1893 puis surtout le 28 juillet 1894 en France (interdisant tout type de propagande anarchiste).

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LE RENFORCEMENT DE LA SURVEILLANCE


Autre volet du durcissement du régime en Grèce : le renforcement de la surveillance de la population, notamment avec du matériel de renseignement made in France, comme souvent ces dernières années dans tout le bassin méditerranéen.

On se souvient, entre autres, du soutien des dirigeants politiques et économiques français au régime tunisien à la fin des années 2000, ce qui n’avait pas empêché la chute de Ben Ali début 2011, malgré l’arrivée d’un matériel important. Michèle Alliot-Marie avait même proposé par la suite, le 12 janvier 2011, d’envoyer les CRS et gardes-mobiles français aider la police tunisienne à mater les manifestants, alors même qu’elle commençait à tirer à balles réelles.

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Mitsotakis et Macron alliés dans les pires domaines : surarmement, surveillance massive des opposants, nouveaux camps pour enfermer les exilé.e.s, grands travaux inutiles et nuisibles…

 

En Grèce, l’utilisation à grande échelle de logiciels espions et de systèmes d’écoutes téléphoniques (par mots clés utilisant l’IA) ne sont pas seulement utilisés contre les collectifs en lutte, mais aussi contre les opposants politiques (plusieurs affaires récentes pour violations de la vie privée, mais le premier ministre a été sauvé in extremis par… un changement de procureur) et très souvent aussi contre des journalistes. La surveillance des journalistes grecs est particulièrement étouffante quand leur spécialité concerne la corruption au sein du pouvoir politique et économique.

Pire encore, quand des journalistes s’occupent de la corruption dans la police. C’était le cas du journaliste Giorgos Karaivaz qui a été assassiné devant chez lui en 2021, de façon très bizarre, et dont l’enquête a complètement été bloquée, malgré les demandes répétées de Reporters sans frontières :

https://rsf.org/fr/assassinat-de-giorgos-karaivaz-les-autorit%C3%A9s-grecques-ont-elles-quelque-chose-%C3%A0-cacher

La Grèce se situe aujourd’hui à la 108e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.

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Giorgos Karaivaz, un journaliste qui dérangeait de plus en plus l’État grec et sa police



Qui tire les ficelles ? En Grèce, la loi sur les services de renseignement a été modifiée et les a placé désormais sous le contrôle direct du… premier ministre ! Tout cela, ajouté à l’augmentation de la répression policière en Grèce, a poussé la gauche européenne a faire voter une résolution sans précédent, il y a deux semaines, au Parlement européen, tirant « la sonnette d’alarme » contre l’évolution toujours plus autoritaire en Grèce :

https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20240202IPR17312/preoccupations-quant-aux-menaces-qui-pesent-sur-les-valeurs-de-l-ue-en-grece

Une indignation bienvenue, mais facile, quand on sait ce que certains de ces partis sont capables de faire au pouvoir.

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LA CRISE QUI NE DIT PAS SON NOM


Depuis une vingtaine d’années, les pseudo démocraties prétendent surtout « faire barrage à l’extrême-droite », mais surfent sur la vague autoritaire en durcissant tout autant le capitalisme que son dispositif d’autoconservation. Rien d’étonnant ! « Le fascisme est le stade ultime du capitalisme en temps de crise », quand son masque tombe et que ses illusions ne suffisent plus à imposer un ordre social archaïque, à la fois liberticide et inégalitaire. Une crise que décrivait ainsi Antonio Gramsci : « La crise consiste dans le fait que l’ancien ordre social meurt et que le nouveau tarde à naître », dans les ruines du premier.

Toute crise, qu’elle soit politique, sociale, écologique ou les trois à la fois, est aussi une crise de sens. Une crise qui questionne l’existence toute entière : ses moyens et ses buts, pour chacun comme pour le collectif. C’est dans cette crise de sens que nous sommes plongés aujourd’hui, dans un trouble profond qui nous montre que nous sommes dans l’impasse à tous les niveaux, à commencer par le système politique qui n’est pas réellement démocratique et qui est la clé du problème.

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« La clé du problème » (merci à Kedistan pour l’image)


Voilà pourquoi le pouvoir économique, qui détermine le pouvoir politique grâce à sa possession des médias dominants qui lui permettent de fabriquer l’opinion, a clairement choisi de pousser médiatiquement l’une de ses pièces maitresses : le fascisme. Une sorte de joker utilisable en dernier ressort, quand c’est nécessaire, quand les paillettes du spectacle ne suffisent plus à déformer la réalité, quand la stabilité du régime est compromise. Comme le disait Durruti : « Aucun gouvernement ne combat le fascisme pour le détruire. Lorsque la bourgeoisie s’aperçoit que le pouvoir lui échappe, elle appelle le fascisme pour conserver ses privilèges. »

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Mais il ne s’agit pas d’une rupture totale dans la façon de gouverner : c’est juste un raidissement de l’autorité, à toutes les échelles, qui se justifie au moyen d’une opinion publique excitée à cette intention par des médias qui claironnent sans cesse cette prétendue nécessité de « plus d’autorité ». Rien d’étonnant que les pires ennemis du monde autoritaire soient les premiers sur la liste.

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LA GRÈCE, REINE DES LEURRES MÉDIATIQUES

En France, les présidents successifs ne s’embarrassent pas d’états d’âmes pour tenter d’améliorer leur image en récupérant celle des résistants du passé. Sarkozy l’a fait en montant au plateau des Glières, déclenchant la riposte de Stéphane Hessel et des Citoyens Résistants d’Hier et d’Aujourd’hui (CRHA), et Macron pareillement en accompagnant le couple Manouchian au Panthéon sans laisser leur camarade survivant venir s’exprimer durant la cérémonie.


Cela leur permet de faire croire qu’ils sont du bon côté : celui des défenseurs de la liberté et de l’égalité, et de redorer le blason d’un capitalisme qui prétend être la fin de l’Histoire.

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« Les présidents successifs ne s’embarrassent pas d’états d’âmes pour tenter d’améliorer leur image en récupérant celle des résistants du passé. »


En Grèce, dans la même veine, Mitsotakis vient de légaliser le mariage homosexuel et la possibilité d’adopter, neuf ans après Tsipras qui, le premier, avait accordé aux couples de même sexe la possibilité de se pacser. Par contre, il est toujours aussi difficile pour les migrants homosexuels pourchassés de trouver asile en Grèce.

Excepté quand la main d’œuvre sous payée vient à manquer pour le capitalisme, certaines années en Grèce. C’est justement le cas depuis l’année passée : à force de fermer les frontières, l’État a gêné le bon fonctionnement de l’exploitation capitaliste dans les campagnes et le pouvoir économique s’est aussitôt fâché auprès du pouvoir politique qui doit servir ses intérêts. Voilà pourquoi, en contradiction totale avec sa ligne politique contre l’immigration, le gouvernement grec a mis sur pied un permis de séjour provisoire destiné à certains sans-papiers : uniquement ceux qui travaillent parmi les 180.000 ouvriers agricoles, qui peuvent présenter une promesse d’embauche pour l’année à venir et qui peuvent prouver être en bonne santé. Ce permis de séjour exceptionnel est valable trois ans et ne sera accordé qu’une seule fois.

https://www.infomigrants.net/fr/post/53972/la-grece-lance-un-permis-de-sejour-pour-les-travailleurs-sans-papiers

 

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« À force de fermer les frontières, l’État grec a gêné le bon fonctionnement de l’exploitation capitaliste dans les campagnes »



Bref, le capitalisme est au-dessus de tout. Le racisme d’État et la violence de l’autorité ne sont que des moyens de circonstance, des variables ajustées en fonction des besoins, au fil des années, pour fabriquer l’opinion, maintenir l’ordre, servir et protéger les intérêts de ceux qui ont le vrai pouvoir, c’est-à-dire le pouvoir économique : ceux qui feront la pluie et le beau temps, tant que nous ne remettrons pas complètement en question la répartition des richesses et notre façon de prendre les décisions.

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Manifestation étudiante du 8 février 2024 à Athènes (photo Mario Lolos).

 



DES MANIFESTATIONS NOMBREUSES DONT PERSONNE NE PARLE


Durant ce mois de février en Grèce, les manifestations se succèdent, semaine après semaine, à commencer par celles des étudiants contre la privatisation des universités et les prix élevés qui se préparent.

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Comme chaque semaine, énormément de monde à la manifestation étudiante du 8 février 2024 à Athènes (photo Mario Lolos)

 

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Cortège anarchiste dans la manifestation étudiante du 8 février 2024 à Athènes (photo Nikolas Georgiou)

 

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Cortège anarchiste dans la manifestation étudiante du 16 février 2024 à Athènes (photo Nikolas Georgiou)

 

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Comme souvent, une charge policière contre la manifestation étudiante du 1er février 2024 (photo Mario Lolos)



Les charges policières sont monnaie courante, mais la riposte ne manque pas. Une fois de plus, le pouvoir ne tient que par sa police, c'est-à-dire la fonction principale de l'État pour la classe dirigeante.

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Riposte contre les violences policières durant la manifestation étudiante du 1er février 2024 (photo Mario Lolos)



Les retraités manifestent aussi, car ils n’arrivent plus à vivre de leur pension misérable, alors que les prix des produits de première nécessité n’arrêtent pas de monter ! Parmi les revendications : la santé gratuite.

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Manifestation des retraités contre la misère, le 13 février 2024 à Athènes (photo Nikolas Georgiou)



Des manifestations nombreuses (photos de Mario Lolos et Nikolas Georgiou) dont personne ne parle en France... des fois que ça donnerait des idées!

Mais malheureusement, toujours pas de grève générale reconductible à l’horizon, alors que c'est précisément la hantise des pouvoirs économique et politique. Dommage !

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« La colline de Strefi va rester sauvage » au cœur du quartier d’Exarcheia à Athènes

 



UNE BELLE VICTOIRE À EXARCHEIA : LA COLLINE DE STREFI EST LIBÉRÉE !


Après des mois d’une lutte intense, la police et les investisseurs ont finalement quitté la colline centrale du quartier d’Exarcheia : la verdoyante Strefi. Ce lieu de ballades, de rencontres, d’événements artistiques et sportifs, d’actions sociales et politiques est à nouveau libre et sauvage. Un lieu ouvert à toutes les initiatives, à l’autogestion, à l’horizontalité. Un lieu qui fait à nouveau l’objet d’assemblées pour penser ensemble « un autre futur ».

2 février 2024

Cuisine ripaille et soûlographie en littérature, saison II

SAISON II

D'étranges rumeurs montaient toujours en moi et j'écoutais les peines immenses qui gonflaient les maisons à grands coups de leurs soufflets de forge, ouvrant les portes et les fenêtres en cratères de tristesse qui vomissaient, colorés en jaune sale par la lueur maladive des lampes familiales, un inépuisable flot de soupe, mêlé à des bruits de querelles, de bouteilles débouchées par des mains suantes et de mastications. Une longue rivière de filets de bœuf et de légumes mal cuits coulait. Les bouillons couleur de vin suri voyaient s'en aller à la nage, entre leurs eaux grasses chargées d'yeux mal réveillées, les désespoirs d'enfants.

[...]

De toutes les escales que nous fîmes durant cette traversée, je me rappelle une seule, à cause des bars magiques qui écartelaient les entrailles de cette ville, pour permettre aux divins aruspices de l'alcool d'observer, à travers les parois de leurs verres où se miraient les rues, la fatalité des rencontres charnelles quand, sur la meule des sens, les sexes s'affûtent pareils à des couteaux.

[...]

Dès que je fus entré, on m'offrit divers breuvages au sein desquels je discernai différents organes en pleine fermentation, autour des cristaux de sucre qui s'ordonnaient en vagues squelettes ; une écume légère débordait de la coupe et il m'était facile de deviner quelle ivresse terrible elle me donnerait, rien qu'à voir sa blancheur de folie et les bulles infiniment diversifiées qui en montaient, petites statues sphériques des couleurs, exhumées de la raison annihilée, sèche et battue comme plâtre. Au premier verre que je bus, l'invisible dépeceur apparut, sa face sanglante se hissa comme un astre et son couteau, avec un long sifflement, se planta dans le parquet, juste au milieu du bar. Au deuxième verre, hommes et femmes laissèrent tomber leurs voiles et je m'aperçus qu'ils n'étaient en vérité ni des hommes, ni des femmes, mais bien réellement et uniquement les fragments de corps que, personnages supposés, ils étaient censés représenter. Au troisième verre, toutes les lumières vacillèrent et le couteau, qui était venu se placer dans la main la plus délicate et la plus transparente, parcourut l'air de la pièce en tous sens, comme s'il avait voulu parachever le dépeçage, tandis que les boissons dans tous les verres se coloraient en rouge et, s'épaississant brusquement, cessaient aussitôt d'écumer. Au quatrième verre, je compris que, n'étant pas comme mes partenaires une simple partie du corps mais un homme véritable et tout à fait vivant, ma position était extrêmement dangereuse et qu'en conséquence je devais, sous peine d'une mort ignominieuse, immédiatement prendre la fuite. Mais au cinquième verre, je constatai que la porte (assez haute lors de mon entrée pour me laisser passer sans que j'eusse même eu besoin de me courber) venait elle aussi de se diviser en plusieurs parties et que maintenant, s'il était encore possible à chacun de mes membres d'user séparément de cette issue, cela ne l'était pas à mon corps tout entier. Tout espoir d'évasion devait donc être banni, rejeté dans un vieux coin de mon cerveau, avec la pourriture des roueries usagées et le salpêtre des spectacles défunts. Alors la panique s'installa entre ma tête et le plafond avec ses ailes de poussière grasse et mon regard n'exista plus que pour les mouvements du couteau.

[...]

Mais tout compte fait, je préfère une bouteille de whisky à ces réflexions doctrinales, car cet alcool c'est bien réellement que je me l'incorpore, tenant en dissolution des millions d'êtres, avec leur maximum de possibilités.
Donc, j'étais arrivé et, de même que dans le bar dont j'ai parlé tout à l'heure, je buvais du whisky. Cette liqueur, me direz-vous, n'est qu'un vulgaire alcool de grain et il faut être un bien triste voyou pour attacher une si haute importance à cette misérable substance organique dont la plus claire propriété consiste à transformer le champ de la conscience en un vaste cimetière communal. Je vous répondrai seulement que mon langage, comme tout le langage, est figuré, et que libre est à vous de remplacer le mot "whisky" par un quelconque vocable : absolu, meurtre, amour, sinistre ou mandragore.
Je buvais donc une bouteille d'absolu, une bouteille de sinistre, une bouteille de mandragore...

Aurora, Michel Leiris (1927-1928)

Corne d'abondance02

Platon 00Pausanias : - Eh bien, mes amis, comment allons-nous faire pour boire sans avoir trop de problèmes ? En ce qui me concerne, je dois vous avouer que je ne me sens pas très bien après ce que j'ai bu hier, et que j'ai besoin d'un répit ; du reste, j'imagine que vous êtes, la plupart d'entre vous, dans le même cas, car vous étiez là hier. Voyez donc de quelle façon nous pourrions boire sans avoir trop de problèmes.

Aristophane : C'est alors qu'Aristophane intervint : - Bravo, Pausanias, tu as raison de vouloir prendre toutes les dispositions qui nous évitent d'avoir des problèmes en buvant. Car moi aussi je suis de ceux qui "se sont soûlés la gueule" hier.

Éryximaque : Sur ce, racontait Aristodème, Éryximaque, le fils d'Acoumène, intervint : - Vous avez raison, dit-il. Il en est encore un que j'aimerais entendre. Comment te sens-tu Agathon ? As-tu encore la force de boire ?

Agathon : - Moi non plus, je ne me sens absolument pas la force à boire.

Éryximaque : - Quelle chance, me semble-t-il, reprit Éryximaque, ce serait pour nous, c'est-à-dire pour moi, pour Aristodème, pour Phèdre et pour les autres qui sont ici, que vous, ceux qui, pour ce qui est de boire, avez le plus de capacité, ayez maintenant renoncé à le faire, car nous autres nous ne sommes jamais de taille. Pour ce qui est de Socrate, je fais une exception. Il peut en effet faire les deux choses : boire ou ne pas boire, si bien que, quel que soit le parti que nous prendrons, il s'en accomodera. Étant donné qu'aucun de ceux qui sont ici ne me paraît disposé à boire beaucoup de vin, peut-être arriverais-je à vous paraître moins agaçant, en vous disant la vérité sur l'ivresse. Pour moi, assurément, s'il est quelque chose que la médecine a fait apparaître clairement, c'est que l'ivresse est dommageable pour l'homme. Aussi me garderais-je de souhaiter boire de mon plein gré outre mesure et de conseiller à quelqu'un d'autre de le faire, surtout s'il a la tête encore lourde de la veille.

Phèdre : - Quant à moi, interrompit Phèdre de Myrrhinonte, j'ai assurément l'habitude de suivre tes conseils surtout en matière de médecine ; mais aujourd'hui, les autres aussi le feront, s'ils sont prêts à suivre un bon conseil.

Aristodème : - Ces paroles furent entendues, et tout le monde convint qu'il ne fallait pas consacrer cette réunion à s'enivrer ; on ne boirait que pour le plaisir.

Éryximaque : - Eh bien, reprit Éryximaque, puisqu'il est admis que chacun boira la quantité de vin qu'il lui plaira, sans rien d'imposé, j'introduis une nouvelle proposition : c'est de dire "au revoir" à la joueuse d'aulós qui vient d'entrer dans cette pièce. Qu'elle joue de l'aulós pour elle-même ou, si elle le souhaite, pour les femmes de la maison. Nous autres, nous emploierons le temps que durera la réunion d'aujourd'hui à prononcer des discours, je puis, si vous le souhaitez, vous faire une proposition.

[...]

Éryximaque : - De même, dans notre art, c'est une affaire importante que de bien user des désir relatifs à l'art culinaire, de manière à en cueillir le plaisir sans se rendre malade.

[...]

Diotime : - Il faut savoir que le jour où naquit Aphrodite, les dieux festoyaient ; parmi eux, se trouvait le fils de Mètis, Poros. Or, quand le banquet fut terminé, arriva Pénia, qui était venue mendier comme cela est naturel un jour de bombance, et elle se tenait sur le pas de la porte. Or Poros, qui s'était enivrer de nectar, car le vin n'existait pas encore à cette époque, se traîna dans le jardin de Zeus et, appesanti par l'ivresse, s'y endormit. Alors, Pénia, dans sa pénurie, eut le projet de se faire faire un enfant par Poros ; elle s'étendit près de lui et devint grosse d'Éros. Si Éros est devenu le suivant d'Aphrodite et son servant, c'est bien parce qu'il a été engendré lors des fêtes données en l'honneur de la naissance de la déesse ; et si en même temps il est par nature amoureux du beau, c'est parce qu'Aphrodite est belle.

[...]

Alcibiade : - Voyons mes amis, vous me faites l'effet d'être bien sobres. Vous ne devez pas vous laisser aller comme cela : il faut boire. C'est convenu entre nous. En conséquence, pour présider la beuverie, jusqu'à ce que vous ayez assez bu, c'est moi-même que je choisis. Allons, Agathon, qu'on apporte une coupe, une grande s'il y en a. Non, ce n'est vraiment pas la peine. Garçon, ordonna-t-il, tu n'as qu'à m'apporter ce récipient où refroidit le vin.
Il venait d'en apercevoir un dont la contenance était de huit cotyles pour le moins. Il le fit remplir et il le vida le premier, puis il ordonna de servir Socrate en disant :
Avec Socrate, messieurs, mon astuce ne fonctionnera pas ; autant on lui ordonnera de boire autant il boira, et il n'en sera pas ivre pour autant.

[...]

Alcibiade : - Mais, pour ce qui va suivre vous ne me l'auriez pas entendu raconter si, comme le dit le proverbe, ce n'était dans le vin que se trouve la vérité.

[...]

Alcibiade : - Lorsque les communications étaient coupées en quelque point, ce qui arrive en campagne, et que nous devions rester sans manger, nul autre ne le valait en endurance pour supporter cette épreuve. En revanche, quand nous étions bien ravitaillés, il n'avait pas son pareil pour en profiter, notamment pour boire. Il n'y était pas porté, mais, si on le forçait, il buvait plus que tout le monde, et le plus étonnant, c'est que personne n'a vu Socrate ivre.

[...]

Aristodème : - Alors qu'Agathon se lève pour aller s'installer près de Socrate, soudain toute une bande constituant un kõmos arrive devant les portes, et, les ayant trouvées ouvertes - quelqu'un était en train de sortir -, ils entrent directement, viennent vers nous et s'installent sur les lits. Un tumulte général emplit la salle : et sans aucune règle, on fut obligé de boire une grande quantité de vin.

[...]

Aristodème : - Quand il fut réveillé, il vit que les autres dormaient ou s'en était allés, et que seul Agathon, Aristophane et Socrate étaient encore éveillés et buvaient dans une grande coupe qu'ils se passaient de gauche à droite. Socrate discutait avec eux.

Le Banquet, Platon (vers 380 av. J.-C.)

Corne d'abondance02

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Nicétas avait alors demandé du vin et en avait versé une coupe à Baudolino : "Si tu aimes celui-ci, parfumé à la résine. Beaucoup de Latins le trouvent écoeurant, et ils disent qu'il sent le moisi." Baudolino lui ayant assuré que ce nectar grec était sa boisson préférée, Nicétas s'était disposé à écouter son histoire.

[...]

Baudolino éprouvait une certaine gêne à lui conter sa vie d'adolescent dans un monastère de Latins, froid et inhospitalier, où la santé d'Otton l'obligeait à partager des repas faits de verdures cuites et de quelques bouillons légers.

[...]

Le serviteur n'avait pas été engagé et le bois n'avait pas été acheté car la nuit les deux édredons suffisaient amplement, et la somme avait été plus judicieusement dépensée, vu que le soir se passait dans les tavernes, qui étaient fort bien chauffées et permettaient de se sustenter après une journée d'étude, tout en palpant le derrière des servantes. Et puis, dans ces lieux de joyeuse restauration, comme l'Ecu d'Argent, la Croix de Fer ou Aux Trois Candélabres, entre deux cruchons on se fortifiait avec des pâtés de porc ou de poulet, deux pigeons ou une oie rôtie et, si on était plus pauvre, avec des tripes ou du mouton. Baudolino aidait le Poète, sans le sou, à ne pas vivre de tripes seulement. Mais le Poète était un ami coûteux car la quantité de vin qu'il buvait faisait maigrir à vue d'oeil le boeuf de Suse.

[...]

En effet, au coeur de son château, disait-on, il se trouvait un jardin plein de toutes les espèces de fruits et de fleurs, où coulaient des canaux remplis de vin, de lait, de miel et d'eau, et tout autour dansaient et chantaient des jouvencelles d'une incomparable beauté. Dans le jardin ne pouvaient vivre que des jeunes hommes qu'Aloadin faisait enlever, et, en ce lieu de délices, il ne les exerçait qu'au plaisir. Et je dis plaisir car, comme je l'entendais murmurer par les adultes - et j'en rougissais, troublé -, ces filles jeunes étaient généreuses et promptes à satisfaire les hôtes, leur procurant des joies indicibles et, je l'imagine, énervantes. Si bien que naturellement, celui qui était entré dans ce lieu, à aucun prix il n'aurait voulu en sortir.

[...]

- "Voilà que nos incomparables Génois nous ont préparé certaines délices de notre cuisine. Goûte cette soupe de différentes variétés de poisson, de mer et de fleuve. Peut-être avez-vous du bon poisson dans vos pays aussi, pourtant j'imagine que votre froid intense ne les laissepas se développer vigoureusement comme dans la Propontide. Nous, nous assaisonnons la soupe avec des oignons sautés dans l'huile d'olive, du fenouil, d'autres herbes, et deux verres de vin sec. Tu la verses sur ces tranches de pain, et tu peux y mettre de l'avgolemon, cette sauce de jaunes d'oeufs et jus de citron, mélangée dans un soupçon de bouillon. Je crois qu'au Paradis terrestre Adam et Eve mangeaient comme ça. Mais avant le péché originel. Après, ils se sont sans doute résignés à manger des tripes, comme à Paris."

[...]

- "Seigneur Jésus, se lamentait le Poète, même ivre mort je n'ai jamais imaginé que j'aurais pu enfiler les Rois Mages par-derrière."

[...]

Chaque mois servaient à la table du prêtre sept rois, soixante-douze ducs et trois cent soixante-cinq comtes, et chaque jour prenaient place à cette table douze archevêques, dix évêques, le patriarche de Saint-Thomas, le métropolite de Samarcande et l'archiprêtre de Suse.

[...]

- "A présent ne fais pas le malin. Va, et embrasse ton père. Ensuite, si tu me fais tes excuses pour ce jour-là, nous allons tout près d'ici où nous fêtons une construction à paine terminée, et dans ces cas on met du vin en perce, de celui de derrière les fagots et, comme disaient nos vieux, zou, on se gogue et s'engogue."
Baudolino s'était retrouvé dans une immense cave. La ville n'était pas encore terminée que déjà s'ouvrait la première taverne, avec sa belle tonnelle dans la cour, mais à cette époque on se sentait mieux à l'intérieur, dans un antre qui n'était que futaille et longues tables de bois remplies de beaux cruchons et de saucisses de chair d'âne qui (expliquait Baudolino à Nicétas, horrifié) se présentent à toi comme des outres gonflées, tu les fends d'un coup de couteau, tu les jettes à frire dans de l'huile et de l'ail, et c'est un délice. Voilà pourquoi tous les participants étaient gais, puants et gris.

[...]

Et puis tous ces gens, pendant trois jours, devraient tout de même manger car un sac vide ne tient pas debout. Les Génois prépareraient des paniers avec une poêlée entière de scripilita, leur galette de farine de pois chiche, croquante et fine, qu'ils découperaient en petites tranches enroulées dans autant de feuilles larges, il suffisait ensuite de mettre un peu de poivre dessus et ce serait un vrai délice, à nourrir un lion, mieux qu'une tranche de boeuf saignante ; et d'abondantes portions de fougasse à l'huile, à la sauge, au fromage, et avec des oignons.
Nicétas n'aimait pas beaucoup ces aliments barbares et, vu qu'il fallait attendre encore un jour, il décida qu'il le consacrerait à savourer les derniers mets délicats que Théophile pouvait encore préparer, et à écouter les dernières vicissitudes de Baudolino, parce qu'il n'aurait pas voulu partir au moment le plus palpitant, sans savoir comment finissait son histoire.

[...]

Baudolino et Zosime étaient devenu, sinon amis, des compères de bombance. Leur familiarité avait commencé quand, après une première et généreuse libation en commun, Zosime avait proféré un horrible juron et dit que cette nuit-là il aurait donné toute les victimes du massacre des Innocents pour une jouvencelle d'indulgente moralité.

[...]

"Vive les methagallinarii !" avait dit Baudolino, il avait levé sa coupe. Zosime l'avait invité à trinquer ensemble au royaume du Prêtre Jean. Puis, par provocation, à boire à la santé de Manuel ; et Baudolino avait répondu qu'il était d'accordsi lui buvait à la santé de Frédéric. Ils avaient ensuite trinqué au pape, à Venise, aux deux courtisanes qu'ils avaient connues quelques soir auparavant, et à la fin Baudolino s'était écroulé le premier, endormi, la tête à pic sur la table, tandis qu'il entendait encore Zosime bafouiller avec peine : "La vie du moine est : ne pas se comporter avec curiosité, ne pas marcher avec l'injuste, ne pas saisir de ses mains..."

[...]

Il avait demandé à son cuisinier et serviteur de se surpasser, il voulait que le dernier repas qu'il faisait sous le soleil de Constantinople lui rappelât toutes les douceurs de sa mer et de sa terre. Et voilà qu'il voulut sur la table langoustes et pagures, homards bouillis, crabes frits, lentilles aux huitres et aux moules, dattes de mer, accompagnés d'une purée de fèves et de riz au miel, entourés d'une couronne d'oeufs de poisson, le tout servi avec du vin de Crète. Mais ce n'était là que le premier plat. Vint ensuite un plat à l'étouffée qui exhalait un parfum délicieux : dans le pot fumaient quatre coeurs de chou beaux, durs et blancs comme neige, une carpe et une vingtaine de petits maquereaux, des filets de poissons salés, quatorze oeufs, un peu de fromage de chèvre valaque, le tout arrosé d'une bonne livre d'huile, saupoudré de poivre et augmenté de la saveur de douze têtes d'ail. Pour ce second plat, il demanda un vin de Ganos.

[...]

- "Tais-toi, seigneur Nicétas, lui disait Baudolino, et n'oublie pas que c'est peut-être la dernière fois que tu pourras goûter de ces mets recherchés dignes d'Apicius. Que sont ces boulettes de viande qui ont le parfum de votre marché aux épices ?
- Keftedès, et le goût est donné par la cinnamome, et par un peu de menthe, répondait Nicétas, déjà réconforté. Et, pour la dernière journée, j'ai réussi à me faire apporter un peu d'anis, que tu dois boire alors qu'il se dissout dans l'eau comme un nuage.
- C'est bon, ça n'étourdit pas, tu te sens comme en rêve, disait Baudolino. Si j'avais pu en boire après la mort de Colandrina, j'aurais peut-être pu l'oublier, comme toi tu oublies déjà les malheurs de ta ville et perds toute crainte pour ce qui arrivera demain. Au contraire, je m'alourdissais avec le vin de chez nous, qui t'endort d'un coup, mais quand tu te réveilles tu vas pire qu'avant."

[...]

Ç'avait été une belle journée. Baudolino avait remisé tous les signes de son pouvoir et il était allé faire la fête. Sur la place de la cathédrale les filles dansaient en rond, le Boïdi avait accompagné Baudolino à la taverne, et, dans ce porche parfumé d'ail, tous maintenant allaient tirer directement le vin des tonneaux en perce parce que ce jour-là il ne devait plus y avoir ni maîtres ni serviteurs, surtout plus de servantes dans la taverne, et déjà quelques-unes avaient été emmenées à l'étage, on le sait, l'homme est chasseur.
"Sang de Jésus-Christ", disait Gagliaudo en versant un peu de vin sur sa manche pour montrer que le drap ne l'absorbait pas et qu'il restait une goutte compacte aux reflets de rubis, signe qu'il s'agissait de celui de derrière les fagots.

[...]

Nicétas, qui voulait partir bien réconforté, avait depuis longtemps donné ordre à Théophile qu'il préparât un monokythron, qui prenait du temps à bien cuire. C'était un pot de bronze plein de viande de boeuf et de porc, d'os avec encore un peu de chair et de choux de Phrygie, saturé de gras. Puisqu'il ne restait pas beaucoup de temps pour un souper détendu, le logothète avait abandonné ses bonnes habitudes et puisait dans le pot non pas avec trois doigts mais à pleine mains. C'était comme s'il consommait sa dernière nuit d'amour avec la ville qu'il aimait, vierge, prostituée et martyre. Baudolino n'avait plus faim et il se limita à siroter du vin résiné, car qui sait s'il en trouverait encore à Selymbria.

[...]

Ils avaient du vin frais et des olives, des olives, et puis encore des olives à déguster pour donner encore envie de boire. Nicétas était impatient de savoir si, enfin, ils étaient arrivés au royaume du Prêtre Jean.

[...]

Ainsi fut le souper : de grands plats de pain, autrement dit de leurs fouaces ; une énorme quantité de légumes verts bouillis, où abondaient les choux, qui ne puaient pas trop parce qu'ils étaient saupoudrés d'épices variées ; des coupes d'une sauce noirâtre brûlante, le sorq, où on trempait le fouaces, et le Porcelli, qui fut le premier à essayer, commença à tousser comme s'il soufflait des flammes par le nez, si bien que ses amis se limitèrent à en goûter avec modération (et puis ils passèrent la nuit embrasés par une soif inextinguible) ; un poisson de rivière, sec, squelettique, qu'ils appelaient thinsirèta (tiens, tiens ! muramuraient nos amis), pané dans une semoule et littéralement noyé dans une huile bouillante qui devait être toujours la même depuis nombre de repas ; une soupe de graines de lin, qu'ils appelaient marac, et qui, au dire du Poète, avait le goût de la merde, sur quoi flottaient des fibres de volaille, mais si mal cuites qu'on eût dit du cuir, et Praxeas annonça avec orgueil qu'il s'agissait de méthagallinaire (tiens, tiens ! nos amis se donnaient de nouveau des coups de coude) ; une moutarde qu'ils appelaient tchenfelec, faite de fruits confits, mais où il y avait davantage de poivre que de fruits. A chaque nouveau plat, les Eunuques se servaient gloutonnement, et en mastiquant ils faisaient des bruits avec leurs lèvres pour exprimer leur plaisir, outre des signes d'entente aux hôtes, comme pour dire : "Vous aimez ? N'est-ce pas un don du ciel ?" Ils mangeaient en prenant la nourriture avec les mains, même la soupe, l'absorbant dans leur paume repliée en conque, mélangeant en une seule poignée des choses différentes, et fourrant le tout dans leur bouche d'un seul coup. Mais seulement la main droite, parce que la gauche ils la tenaient sur l'épaule du jouvenceau qui veillait à renouveler toujours leur nourriture. Ils ne l'enlevaient que pour boire, et ils se saisissaient des cruches en les élevant jusqu'au-dessus de leur tête, se versant ensuite l'eau dans la bouche comme d'une fontaine.
Ce n'est qu'à la fin de ce repas lucullien que Praxeas fit un signe, et arrivèrent des Nubiens qui remplirent d'un liquide blanc de toutes miniscules coupes. Le Poète engloutit la sienne et aussitôt devint rouge, émit une sorte de rugissement, et tomba comme mort, jusqu'à ce que des jouvenceaux lui aspergeassent d'eau le visage. Praxeas explique que chez eux l'arbre du vin ne poussait pas, et que l'unique boisson alcoolique qu'ils savaient produire provenait de la fermentation du burq, une baie très commune en ces lieux. Sauf que la puissance de cette boisson était telle qu'il ne fallait la goûter qu'à petites gorgées, mieux, en mettant à peine la langue dans la coupe. Un vrai malheur, ne pas avoir ce vin dont on parlait dans les Evangiles, parce que les prêtres de Pndapetzim, chaque fois qu'ils disaient la messe, s'abîmaient dans l'ivresse la plus inconvenante et peinaient pour arriver au congé final.

[...]

Baudolino avait trop longuement raconté à Nicétas était affamé. Théophylacte le fit asseoir au souper, lui offrant du caviar de différents poissons, suivi d'une soupe aux oignons et à l'huile d'olive servie dans un plat plein de miettes de pain, puis une sauce de mollusques hachés, assaisonné avec vin, huile, ail, cinnamome, origan et moutarde. Pas beaucoup, selon ses goûts, mais Nicétas y fit honneur.

[...]

"Pauvre, infortuné Baudolino", dit Nicétas ému à en oublier de goûter à la tête de porc, bouillie avec du sel, des oignons et de l'ail, que Théophylacte avait conservée durant tout l'hiver dans un tonnelet d'eau de mer.

Baudolino, Umberto Eco (2000]

Corne d'abondance02

Régine Pernoud crayon

Le mariage de la fille de Samuel Bernard, dans le cadre de son somptueux hôtel, eût éclipsé une fête de Versailles : comme les salons étaient jugés insuffisants pour le nombre des invités, Samuel Bernard fit dresser en quelques jours dans ses jardins une immense galerie où lustres et glaces étaient distribués à profusion au milieu des tableau de maîtres ; c'est là que le repas fut servi à 60 convives qui se rendirent en cortège à l'église à minuit, après le bal, escortés par 100 hommes du guet et une compagnie de Suisses. En dehors même de ces occasions extraordinaires, le luxe de sa table était célèbre ; il y dépensait 150000 livres par an et l'on y voyait toutes les extravagances fastueuses que sa fortune lui permettait d'imaginer et de réaliser : des tables chargées qui disparaissaient par des trappes, tandis que d'autres toutes mises descendaient du plafond pour prendre leur place ; il possédait 48 douzaines d'assiettes d'argent et d'or ; certain jour, après avoir bu à la santé du dauphin, on brisa chez lui 2000 verres. C'est l'époque, ne l'oublions pas, où l'on voit pour la première fois apparaître le vin de Champagne.

[...]

Personnage solennel, de réputation plus que suspecte, de moeurs spéciales, il était devenu fameux par le luxe de sa table et par sa gourmandise poussée jusqu'au ridicule.

Histoire de la bourgeoisie en France - II. Les temps modernesRégine Pernoud (1960)

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Enfin, bien entendu, les réunions des confrères sont marquées de fêtes, banquets et larges festivités au point que, dans le Nord, on leur donne fort souvent le nom significatif de potaciones, beuveries.

[...]

La même année, le roi faisait faire par ses baillis de vastes approvisionnements dont le détail donne quelque idée de la façon dont on résout à l'époque le problème relativement nouveau que pose le ravitaillement d'une grande armée (il ne s'était posé jusqu'alors qu'à l'occasion des croisades). On ordonne au bailli de Caen de se procurer 500 muids de blé, 500 tonneaux de vin, 500 muids d'avoine, 1000 pourceaux vifs, 1000 bacons, 10 muids de pois et 10 de fève ; au bailli de Mâcon de rassembler 1000 moutons et 500 bœufs, au bailli d'Auvergne, 2000 moutons et 1000 bacons, plus 1000 aumailles (bœufs). Le bailli de Troyes, lui, devra se procurer 1000 livres de cire, 4000 livres d'amandes et 20 pains de sucre. Ces vivres, payés en billets à courte échéance, étaient transportés francs de tout péage sur des chariots et des bêtes de somme réquisitionnés.

[...]

Les quantités de vin annuellement exporté de Bordeaux vers les ports anglais atteignent des chiffres stupéfiants pour nous : on a pu l'évaluer à 83000 tonneaux, soit environ 747000 hectolitres à la fin du XIVe siècle ; or, l'exportation du vin vers l'Angleterre atteignait environ 900000 hectolitres en 1950. Les chiffres impliquent une énorme disproportion dans la consommation de vin faite par les Anglais, puisque, on l'a fait remarquer, la population anglaise ne dépassait peut-être pas le dixième de celle d'aujourd'hui.

Histoire de la bourgeoisie en France - I. Des origines aux temps modernes, Régine Pernoud (1960)

22 novembre 2016

A l'abordage !

Rassemblement devant le siège des Républicains à Paris

Dimanche 27 novembre 2016

à

19h30

 Avec Fillon, la droite s'avance à visage découvert : ultra-libéralisme barbare et moisissure identitaire, tel est son nouveau cocktail décomplexé, qui aura pour effet d'achever la destruction des conquêtes sociales, de lever les dernières entraves au déchaînement capitaliste, et d'accentuer encore un peu plus la persécution raciste et islamophobe. Or qui se présentera face à lui dans quelques mois ? Hollande, Macron, Le Pen ? La perspective du 2ème tour est aux yeux de tous révoltante et intolérable. En réalité c'est tout le système de la politique classique, c'est tout le cadre du parlementarisme et de la représentation qui est en voie d'obsolescence terminale. Nous avons décidé de rompre définitivement avec tout cela, d'entamer une pratique politique autonome, soustraite à la capture de l'État, de chercher les moyens concrets de s'organiser, ici et maintenant, dans la perspective de sa dissolution. Nous avons l'intention de fêter à notre manière le résultat de la primaire, d'en faire le premier acte de notre assaut contre la présidentielle, le prologue de notre affirmation commune. Alors, retrouvons-nous, déterminés et nombreux, dimanche prochain 27 novembre à 19h30 devant le siège des Républicains. Que cette campagne devienne le cauchemar de ceux qui nous gouvernent ! À l'abordage ! (cf : ici)

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1 octobre 2020

Le chant du monde

Jean Giono, Le chant du monde

Le chant du monde, de Jean Giono.

Extrait n°1 : Une vie épaisse coulait doucement sur les vallons et les collines de la terre. Antonio la sentait qui passait contre lui ; elle lui tapait dans les jambes, elle passait entre ses jambes, entre ses bras et sa poitrine, contre ses joues, dans ses cheveux, comme quand on plonge dans un trou plein de poissons. Il se mit à penser au besson qui peut-être était mort.

Extrait n°2 : La caresse, la science et la colère de l'eau était dans cette carrure d'homme.

Extrait n°3 : - Moi, dit l'aveugle, voilà ce que je crois : le jour c'est l'odeur.

Extrait n°4 : - Tous les pays sont lourds, dit-elle. Nous sommes pliés dans les prés et les collines comme des pains durs dans le linge humide.

Extrait n°5 : Des vols de feuilles mortes passaient dans la pluie. Les bois se décharnaient. De grands chênes vernis d'eau émergeaient de l'averse avec leurs énormes mains noires crispées dans la pluie. Le souffle feutré des forêts de mélèzes, le chant grave des sapinières dont le moindre vent émouvait les sombres corridors, le hoquet des sources nouvelles qui crevaient au milieu des pâtures, les ruisseaux qui léchaient les herbes à gros lapements de langue, le grincement des arbres malades déjà nus et qui se fendaient lentement, le sourd bourdon du gros fleuve qui s'engraissait en bas dans les ténèbres de la vallée, tout parlait de désert et de solitude. La pluie était solide et pesante.

Extrait n°6 : Il n'avait pas encore trouvé son équilibre et sa paix dans ces petites douleurs. Il ne pouvait pas oublier encore le grand matin de l'autre côté des fenêtres et le ciel clair qui venait de se fendre sous le poids du temps comme une bille de bois qui ouvre le chemin de sa sève, cette Gina jeune, toute lumineuse d'amour, nue, là-haut dans le lit.

26 juin 2013

Oublier Fukushima

Oubliez Fukushima (2012)

Oublier Fukushima, textes et documents, de Arkadi Filine, 2012.

Extrait n°1 : La catastrophe de Fukushima n'a pas lieu. La catastrophe de Fukushima n'a pas eu lieu. Quelle catastrophe ? La fréquentation assidue du désastre nous en fait perdre la réalité. A peine une ombre passe-t-elle encore sur nos âmes rompues à l'horreur. L'imagination s'assèche et l'empathie patine face aux réacteurs en fusion, face à l'impéritie burlesque des réponses techniques, face à l'incommensurable pollution du pays, bref, face au naufrage d'un monde. Le fracas de cruelles nouvelles du Japon, s'il nous afflige, assourdit surtout notre perception de la réalité matérielle et politique des faits. Pourquoi l'évidente nécessité d'en finir avec le nucléaire ne nous saisit-elle pas aux tripes ?

Extrait n°2 : Le temps de la catastrophe s'allonge inexorablement, impossible à embrasser pour l'entendement des mortels. La véritable catastrophe nucléaire, ce n'est pas que tout s'arrête mais que tout continue. La bombe n'a pas détruit le monde, mais elle a ouvert une nouvelle période de la domination. La terreur provoquée par la menace de l'apocalypse nucléaire ne produit qu'un effet : figer l'ordre des choses. Il faudrait préserver l'espèce, et sauver sa peau au passage. Pour parachever ce programme de glaciation sociale de l'après-guerre, il s'agit de civiliser l'atome : la bombe accouche d'usines d'électricité. Prise en étau entre le cauchemar de la destruction totale et le rêve d'une énergie illimitée, une nouvelle humanité verrait le jour. Une humanité confinée au rayon électroménager et toujours enchaînée au régime de la survie économique. Faute de prise sur sa propre vie, on aurait des prises partout dans sa cuisine. S'étant rendu indispensable, le nucléaire n'a par la suite plus besoin de grands discours pour continuer à s'imposer.

Extrait n°3 : Il faudrait que l'on se contente de compter les morts. Au tournant des années quatre-vingt, pour la dernière fois dans ce pays, des communautés entières perçoivent le nucléaire tel qu'il est : une bombe déguisée en usine à nuage, la fin d'un rapport au monde, une ultime perte d'autonomie. Ces luttes massives contre les implantations des centrales sont enterrées dans les urnes en 1981. La nucléarisation se poursuit sans encombre dans la morosité des années roses. La jeune bureaucratie verte née sur le cadavre des luttes achève de faire du nucléaire une question séparée, technique, environnementale, qui balaye la question sociale.

Extrait n°4 : La catastrophe dans laquelle se débattent les Japonais agit comme un miroir grossissant. Nous reconnaissons dans le sort qui est fait à ces gens là-bas le sort qui nous est fait ici. Nous y voyons le mépris de l'Etat, les rapports sociaux aliénés, l'exploitation des travailleurs sacrifiés, la médicalisation rampante de la vie, l'économie toujours conquérante... et la mesure comme remède à l'angoisse provoquée par un monde devenu tout à fait étranger.

5 juin 2013

L’écœurement n°1, la revue du désœuvrement actif

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L'objet et les perspectives de "l'écœurement" sont, comme le laisse à l'évidence deviner sa lecture, de prendre part à la guerre civile en cours, politiquement, métaphysiquement, mais aussi pratiquement et si possible avec humour. Il ne s'agit pas d'y trouver seulement des articles de fond, même si cela veut constituer la majeure partie de la revue, car il est apparu important à ses auteurs de proposer en sus un certain nombre de conseils pratiques, afin d'agrandir l'autonomie de chacun d'entre nous. Ainsi trouvera-t-on une recette sur les deux dernières pages de ce numéro. On peut contacter la rédaction de "l'écoeurement" à cette adresse : revuecoeurement@gmail.com

N'hésitez pas à y faire parvenir infos, articles, graphiques et conseils pratiques, à condition bien entendu que ce soit en relation avec le contenu.

Quelques écoeurés

Sommaire :

Page 3 à 5 : Edito (Léolo)

Page 7 à 9 : Quelques écœurèmes sur la guerre civile en cours (La belle Brasseuse)

Page 10 : Nouvel acte (Aurélien)

Page 11 à 14 : D'un point l'autre (Murgeman)

Page 15 à 20 : Une guerre locale (L'Internationale Situationniste)

Page 21 : Nouvel acte & Nouvel acte (Aurélien)

Page 23 à 24 : Pour une métaphysique écœurante de l'écœurement (Emile Henry)

Page 25 : La retraite on s'en fout, on veut plus bosser du tout ! (Cellule H1N1)

Page 27 : Morts pour la France (Aurélien)

Page 28 à 29 : Recette : Tartelettes de maquereaux en confiture de tomates (Maman)

Avec des "illustrations" de Léolo & Philibert de Pisan.

5 juin 2013

L’écœurement n°2, la revue du désœuvrement actif

Couv revue l'écoeurementn°2 copiernet

Le hasard lui-même étant un écoeurement, c'est bien la providence en quelque sorte qui nous offrit voici plusieurs mois de blackbouler hors des élections françaises à venir le priapique ectoplasme du FMI, l'aspergeur-saucier des Sofitel, le viril émancipateur des bourses à foutre et des banques du sperme ; et si nous ne pouvons pas nous réjouir des faits qui occasionnèrent cette relégation d'un DSK plus ou moins national, du moins pourronsnous rire bientôt d'avoir su ériger un ou plusieurs totems en l'honneur de notre rédemptrice : Nafissatou Diallo.

 

Sommaire :

Page 3 à 5 : Edito (Léolo)

Page 7 à 11 : D'une ou deux propositions concernant le comportement à avoir face aux médias... (Le Dialecticien masqué)

Page 12 à 14 : Pour une métaphysique écœurante de l'écœurement - suite N°01 (Emile Henry)

Page 15 à 18 : De l'autre côté du miroir (Murgeman)

Page 21 à 29 : Au plus fort de la nuit (Léolo)

Page 31 : Comme des chiens (La Gaillarde)

Page 32 à 34 : L'ingratitude du malheur (Isabeau de Loère)

Page 36 à 39 : Recette - Blanquette de veau (Samy le Taillevent, dit aussi Le Viandier)

Page 41 : Nous ne sommes ni... (Amaury de Monfort)

Avec des "illustrations" de FrançoiseBDcoupElle, Florence M, Léolo, Amaury de Montfort.

24 novembre 2013

Trente-huit peaux de vaches en France

France reliefs-régions 01 (numéros vaches) copier

 Carte de France des races de vaches et de leurs régions d'origine et d'élevage

 

 

01 - Vache abondance

1 - L'Abondance : Vache laitière de Haute-Savoie ; de couleur pie rouge, elle pèse entre 600 et 1000kg pour une taille allant de 1m35 à 1m45.

 

 

 

02 - Vache Blanc bleue copier

2 - La Blanc Bleue : Vache bouchère du Nord ; de couleur pie bleue, elle pèse entre 700 et 1400kg pour une taille allant de 1m35 à 1m65.

 

 

 

03 - Bretonne Pie Noire copier

3 - La Bretonne Pie Noire : Vache laitière de Bretagne ; de couleur pie noire, elle pèse entre 450 et 600kg pour une taille allant de 1m15 à 1m23.

 

 

 

04 - Ferrandaise copier

4 - La Ferrandaise : Vache bouchère-laitière du Puy-de-Dôme ; de couleur pie rouge, elle pèse entre 650 et 1000kg pour une taille allant de 1m38 à 1m60.

 

 

 

05 - Gasconne copier

5 - La Gasconne : Vache bouchère des Pyrénées ; de couleur grise, elle pèse entre 650 et 950kg pour une taille allant de 1m35 à 1m45.

 

 

 

06 - Limousine copier6 - La Limousine : Vache bouchère du Limousin ; de couleur rouge, elle pèse entre 650 et 850kg pour une taille allant de 1m40 à 1m55.

 

 

 

07 - Maraichine copier

7 - La Maraîchine : Vache laitière du Poitou-Charente ; de couleur brune, elle pèse entre 700 et 1200kg pour une taille allant de 1m40 à 1m45.

 

 

 

08 - Mirandaise copier

8 - La Mirandaise : Vache bouchère du Gers ; de couleur grise, elle pèse entre 650 et 900kg pour une taille allant de 1m38 à 1m50.

 

 

 

09 - Pie rouge des plaines copier

9 - La Pie Rouge des Plaines : Vache laitière de Bretagne ; de couleur pie rouge, elle pèse entre 700 et 1000kg pour une taille allant de 1m38 à 1m45.

 

 

 

10 - Saosnoise copier

10 - La Saosnoise : Vache bouchère du Nord ; de couleur pie rouge (parfois bringée), elle pèse entre 800 et 1300kg pour une taille d'environ 1m40.

 

 

 

11 - Simmental copier

11 - La Simmental : Vache bouchère-laitière de Bourgogne et de Champagne ; de couleur pie rouge, elle pèse entre 750 et 1300kg pour une taille allant de 1m40 à 1m55.

12 - La Prim'Holstein : Vache laitière de toute la France ; de couleur pie noire, elle pèse entre 500 et 1100kg pour une taille allant de 1m43 à 1m65.

13 - La Montbéliarde : Vache bouchère-laitière de Franche-Comté ; de couleur pie rouge, elle pèse entre 700 et 1100kg pour une taille allant de 1m42 à 1m48.

14 - La Camarguaise : Vache bouchère de Camargue ; de couleur noire, elle pèse entre 250 et 400kg pour une taille allant de 1m15 à 1m25.

15 - La Bleue Bazougers : Vache allaitante de Bazougers ; de couleur pie bleue, elle pèse environ 800kg pour une taille autour de 1m40.

16 - L'Armoricaine : Vache bouchère-laitière de Bretagne ; de couleur pie rouge, elle pèse entre 600 et 1000kg pour une taille d'environ 1m35.

17 - L'Aubrac : Vache bouchère-laitière du plateau de l'Aubrac ; de couleur fauve, elle pèse entre 650 et 950kg pour une taille allant de 1m29 à 1m40.

18 - La Bleue du Nord : Vache bouchère-laitière du Nord ; de couleur pie bleue, elle pèse entre 700 et 900kg pour une taille allant de 1m33 à 1m42.

19 - L'aure ou La Casta : Vache bouchère-laitière des Hautes-Pyrénées ; de couleur châtaigne, elle pèse entre 600 et 900kg pour une taille de 1m35 environ.

20 - La Nantaise : Vache bouchère de Loire-Atlantique ; de couleur fauve, elle pèse entre 650 et 900kg pour une taille allant de 1m35 à 1m45.

21 - La Rouge des Prés : Vache bouchère des Pays de la Loire ; de couleur pie rouge, elle pèse entre 850 et 1350kg pour une taille allant de 1m40 à 1m70.

22 - La Tarentaise : Vache laitière de Savoie ; de couleur fauve rouge, elle pèse entre 700 et 750kg pour une taille allant de 1m28 à 1m40.

23 - La Villard de Lans : Vache bouchère-laitière d'Isère ; de couleur froment, elle pèse entre 750 et 1100kg pour une taille d'environ 1m40.

24 - La Rouge Flamande : Vache laitière du Nord et de Picardie ; de couleur rouge à noire, elle pèse entre 700 et 1100kg pour une taille allant de 1m37 à 1m47.

25 - La Normande : Vache bouchère-laitière de Normandie ; de couleur bringée noire, blond fauve et blanc caille, elle pèse entre 700 et 800kg pour une taille de 1m44 environ.

26 - La Charolaise : Vache bouchère de Bourgogne ; de couleur blanche ou crème, elle pèse entre 750 et 1300kg pour une taille allant de 1m39 à 1m45.

27 - La Blonde d'Aquitaine : Vache bouchère d'Aquitaine ; de couleur blonde, elle pèse entre 850 et 1300kg pour une taille allant de 1m35 à 1m65.

28 - La Bazadaise : Vache bouchère de Gironde ; de couleur grise (charbonnée), elle pèse entre 750 et 1100kg pour une taille allant de 1m40 à 1m45.

29 - La Béarnaise : Vache bouchère-laitière du Béarn ; de couleur blonde, elle pèse entre 550 et 900kg pour une taille de 1m32 environ.

30 - La Bordelaise : Vache laitière du Bordelais ; de couleur pie noire, elle pèse entre 750 et 900kg pour une taille allant de 1m25 à 1m35.

31 - La Corse : Vache bouchère de Corse ; de toutes couleurs, elle pèse entre 350 et 600kg pour une taille allant de 1m15 à 1m20.

32 - La Froment du Léon : Vache laitière de Bretagne ; de couleur froment, elle pèse entre 500 et 900kg pour une taille d'environ 1m25.

33 - La Jersiaise : Vache laitière des Pays de la Loire ; de couleur brune, elle pèse entre 400 et 650kg pour une taille allant de 1m23 à 1m30.

34 - La Lourdaise : Vache laitière de Midi-Pyrénées ; de couleur blanc à crème, elle pèse entre 600 et 900kg pour une taille allant de 1m35 environ.

35 - La Marine Landaise : Vache bouchère-laitière des Landes ; de couleur brune, elle pèse entre 450 et 700kg pour une taille allant de 1m15 à 1m25.

36 - La Parthenaise : Vache bouchère des Deux-Sèvres ; de couleur froment, elle pèse entre 800 et 1100kg pour une taille allant de 1m35 à 1m45.

37 - La Salers : Vache bouchère du Cantal ; de couleur rouge, elle pèse entre 680 et 980kg pour une taille allant de 1m40 à 1m48.

38 - La Vosgienne : Vache bouchère-laitière des Vosges ; de couleur pie noire mouchetée, elle pèse entre 600 et 700kg pour une taille allant de 1m30 à 1m35.

26 février 2018

Tout bloquer devient VIDAL !

TOUT BLOQUER DEVIENT VIDAL !
Collectif pour la création de la M.I.F.A.(Mouvance Inter-Facs Autonome)

paru dans lundimatin#135, le 26 février 2018

Depuis quelques semaines, le début de mouvement contre la loi Vidal sur la sélection à l’université et la réforme de la plateforme Parcours sup peine à trouver des formes offensives et à établir un rapport de force digne de ce nom. Pourtant, encore une fois, ce ne sont pas les raisons qui manquent de se soulever, et elles sont loin d’être cantonnées à des enjeux purement universitaires : comme à chaque fois, la loi signifie plus qu’elle n’en dit. Avec elle, c’est un monde qui est engagé ou plutôt un certain rapport au monde qui promeut la sélection et la mesure de toute chose, des migrants aux étudiants en passant par les travailleurs, à l’aide d’outils adaptés (en l’occurence, un algorythme). Pourtant, la lutte reste pour le moment de basse intensité et cantonnée à l’université. Nous publions ici un appel qui tente d’expliquer pourquoi une mobilisation qui rejoue tous les codes d’un « mouvement » au sens syndical du terme est pauvre en esprit et en actes tout en appelant à la constitution d’une force plus intéressante, la MIFA.

« Notre seule existence prouve que le principe démocratique du vote à la majorité est contestable, que le mythe de l’assemblée générale souveraine peut être une usurpation. Il appartient à notre lutte de limiter autant que possible la tyrannie du vote majoritaire. Trop d’espace accordé aux assemblées générales nous paralyse, et ne sert qu’à conférer une légitimité de papier à quelques bureaucrates en herbe. Elles neutralisent toute initiative en instituant la séparation théâtrale entre les discours et les actes. »

À chaque début de mobilisation, c’est la même rengaine. Un gouvernement sort de son chapeau un énième projet de loi qui n’est qu’une avancée de plus dans la contre-révolution néo-libérale. Une inter-orga convoque une assemblée générale étudiante pour gérer la lutte sous prétexte d’« initier la mobilisation » et exhorte à la « massifier » au moyen de diff’ de tracts, de barrages « filtrants », de printemps des chaises, et de débrayages en amphis. De cette logique découle que toute initiative non conforme au rôle structurant et policier des organisations réformistes est dissuadée, freinée ou empêchée. De fait, toute émergence d’une conflictualité proprement politique se voit neutralisée au motif d’un souci de légitimité, de représentativité, de « massification ». Nous voulons à travers ce texte démonter les fausses évidences qui leur servent d’arguments et proposer quelques pistes pour sortir du cadre du militantisme politique classique et construire une mobilisation qui assume l’aspect conflictuel de la lutte.

Tout bloquer devient vital



LA MASSIFICATION AURA DIX MINUTES DE RETARD

« Aujourd’hui, nous sommes soixante, il faut que demain nous soyons six cent, six mille », nous dit-on. Deux postulats ressortent de cette injonction, qui érigent le dogme de la « massification » comme préalable à toute lutte : le nombre fait la force ; le nombre est nécessaire à l’action.

Au premier, nous rétorquons que le nombre n’est pas le seul déterminant du rapport de force. Nous pensons au contraire que c’est notre détermination qui sera à même de l’inverser.

Au second, nous répliquons que l’espérance quasi-messianique de la venue d’obscures « conditions objectives » numéraires a pour seul effet de nous enfermer dans l’attente passive et neutralisante d’un improbable grand soir.

Aux deux, nous répondons que les raisons de se soulever n’ont jamais manqué. À la question des « conditions objectives », nous opposons celle des pratiques adéquates à la lutte. Des pratiques qui seraient immédiatement appropriables et rejoignables, à penser au sein d’un contexte. Il n’y personne à « convaincre » ou à « informer », seulement de nouveaux espaces politiques à faire émerger, en dehors du carcan syndical. Tel fut le cas du « cortège de tête » et de Nuit Debout au printemps 2016. Celles et ceux pour qui, comme nous, la marche de ce monde est insoutenable, rejoindront ces espaces, que blocages, cantines, sabotages, graffitis, manifs sauvages, carnavals et occupations peuvent contribuer à faire surgir. Ces pratiques ne requièrent pas forcément un grand nombre de participant·e·s. et sont pertinentes dès lors qu’elles nous permettent d’accroître notre autonomie et d’entraver les desseins de celles et ceux qui nous gouvernent. Le nombre détermine donc moins l’efficacité de nos actions que la forme que nous leur donnerons.

Les conditions objectives sont réunies



GÉNÉRATION IRREPRÉSENTABLE

« On ne peut pas bloquer la fac car l’assemblée n’est pas représentative de tous les étudiants ». Lorsque l’on ne nous rabâche pas l’argument de la massification, on nous serine avec celui de la « représentativité », Saint Graal de la « démocratie ». La diversité qu’il s’agirait de représenter n’est qu’un enfumage de plus. « Les étudiants » ne représentent pas un tout homogène ou une classe unifiée qu’il faudrait « conscientiser » avant de pouvoir agir. C’est une collection abstraite d’individu·e·s aux origines sociales et aux intérêts divers – sinon divergents – dont les choix d’orientation préfigurent bien souvent le camp dans lequel illes se trouveront.

Nous ne cherchons ni à convaincre, ni à conscientiser. Nous cherchons à être offensif·ves. Si nos actions « gênent » d’autres étudiant·e·s, cela nous montre de quel côté de la barricade illes se situent. Un blocage, par exemple, tout en établissant un rapport de force, permet des discussions, des rencontres. Il donne aussi l’opportunité à certain·e·s de se mobiliser plutôt que de suivre un cours qu’illes n’auraient pas séché. Nous ne prétendons représenter personne, sinon nous-même : il n’y a plus à attendre pour s’organiser, nous le faisons déjà.

Quand tout s'arrête tout commence

 


LÉGITIMITEUSE

On nous dit qu’il faut que l’assemblée générale soit « légitime » pour que soit prise une quelconque décision. Nous disons que la question de la légitimité est une question mal posée. Ce n’est pour nous ni le nombre, ni une supposée représentativité qui nous rendent légitimes à contester une loi, mais l’existence même de cette dernière.

Si les organisations réformistes tiennent absolument à ce que l’assemblée générale soit légitime, c’est dans le seul but d’être souveraines sur la mobilisation. Le cadre « démocratique » citoyenniste est ce qui leur permet, d’une part, l’exercice de leur pouvoir pastoral sur la contestation, de l’autre, la neutralisation de ce qui pourrait agir en dehors de ce même cadre – et donc potentiellement le détruire. Pour ces raisons, et par leurs pratiques autoritaires, elles empêchent l’émergence d’un espace politique de débat et de rencontres, dont pourrait naître une puissance autonome. L’assemblée en est réduite à un espace de lutte pour le pouvoir et d’in-décision, donc d’impuissance.

Le gouvernement par le principe « majoritaire » masque la domination d’une minorité – celle des bureaucrates en herbe – sur la majorité de celles et ceux qui veulent lutter par leurs propres moyens. Moyens que nous ne retrouverons que par la réappropriation de l’assemblée générale et la destitution des apprenti·e·s gouvernant·e·s. Comme dirait Booba, « leurs règles ont toutes une tombe ».

« Il y a un conflit interne à l’assemblée, qui cherche à se traiter par la parole ; et il y a un conflit avec le capital, qui requiert des actions [1] ». Il nous faut assumer les deux. Pour cela, il nous faut de sortir de l’isolement que créé l’éloignement géographique de nos campus respectifs. Nous appelons donc toutes celles et ceux qui partagent ces constats et ces désirs, à se constituer en une force autonome, et pour cela, à se coordonner entre différentes universités.

Collectif pour la création de la M.I.F.A.(Mouvance Inter-Facs Autonome)

4 mai 2019

L'art de la guerre

Machiavel, L'art de la guerre

L'art de la guerre, de Machiavel.

4ième de couverture : L'art de la guerre, publié en 1521, occupe une place singulière dans l'oeuvre de Machiavel. Présenté sous la forme d'un dialogue, l'ouvrage surprend par son esprit peu machiavélique. Les considérations tactiques y côtoient les propos consacrés aux nécessités matérielles de la guerre (recrutement, armement...), orchestrant avec subtilité une réflexion sur le pouvoir. Quelles limites la politique impose-t-elle à l'art de la guerre ? Comment définir l'autorité ? Ce sont là quelques-unes des questions soulevées par Machiavel qui puise ici ses modèles chez les anciens. En grand stratège, il omet parfois de répondre. Mais la guerre est une affaire si sérieuse qu'il faut peut-être savoir la manier avec ironie.

Extrait n°1 : L'homme qui sait interroger nous découvre des points de vue et nous offre une foule d'idées qui, sans cela, ne se seraient jamais présentées à notre esprit.

Extrait n°2 : Qui sait livrer une bataille se fait pardonner toutes les fautes qu'il peut avoir déjà commises dans sa conduite militaire ; mais celui à qui ce don a été refusé, quelque recommandable qu'il puisse être dans les autres parties, ne terminera jamais une guerre avec honneur. Une victoire détruit l'effet des plus mauvaises opérations, et une défaite fait avorter les plans les plus sagement concertés.

Extrait n°3 : Ce n'est pas le nombre des braves qui s'y trouvent, mais la supériorité de la discipline, qui rend une armée intrépide. Si je suis en effet aux premiers rangs, et que je connaisse bien d'avance où je dois me retirer étant repoussé, et qui est chargé de me remplacer, alors, assuré d'un prompt secours, je combattrai avec beaucoup plus de courage.

Extrait n°4 : Règle générale : il faut toujours laisser passer ce qu'on ne peut arrêter, ainsi que faisaient les Anciens à l'égard des éléphants et des chars armés de faux.

Extrait n°5 : Le riche désarmé est la récompense du soldat pauvre.

11 juin 2019

Dix-septième festivité : Piscines cyclables

Dix-septième festivité : Effrayés à coup sûr par une désertification du monde en cours qu'on ne leur présentait toutefois guère autrement dans les médias que comme un probable effet du réchauffement climatique, et sans doute habités par l'un au moins de ces sombres détours de l'esprit le plus cacochyme dont la bourgeoisie a le secret, 70% des français ne rêvèrent presque plus que de se faire construire, apparemment sans rire, une piscine privée.

Mer d'Aral

Piscine plastique

15 février 2019

Alerte Grèce

Bonjour à toutes et tous,

Ce message d'information directe et horizontale est de la plus haute importance. Prenez le temps de le lire. Nous sommes actuellement en alerte sur tous les plans : alerte aéroport en Crète, alerte prison pour nos camarades de Rouvikonas, alerte également au niveau des chiffres du chômage et de la dette qui viennent de tomber, alerte enfin concernant le prochain convoi qui va partir d'ici peu vers nos lieux solidaires autogérés à Athènes (dont les réserves sont dramatiquement vides, y compris les occupations solidaires et les cuisines sociales).

Alerte Grèce


ALERTE AÉROPORT

DE KASTELLI EN CRÈTE !!!

La situation se durcit au sud-est d'Héraklion. La menace des grands travaux inutiles et nuisibles se rapproche dangereusement pour les 200 000 oliviers qui risquent d'être coupés. Le ministre grec des transports vient d'annoncer qu'il va se déplacer dès la semaine prochaine à Kastelli pour y signer le contrat de construction et d'exploitation du nouvel aéroport international avec le groupement d'industriels qui veulent se remplir les poches au dépend de la vie sur l'île. Comme d'autres médias du pouvoir, Creta Live ose déjà titrer "Les bulldozers commencent le chantier à Kastelli" :

Alerte grèce 01

En réalité, rien n'est encore perdu. D'abord parce que le ministre et les bulldozers vont avoir droit à un accueil particulièrement agité dans la petite ville crétoise et aux alentours. En effet, la promesse coutumière de créer des emplois à tout prix ne marche pas avec tout le monde ! Une majorité d'habitant-es ne veulent pas qu'on saccage cette haute plaine magnifique. Ensuite, parce qu'une autre nouvelle vient de tomber : des archéologues confirment la présence probable de trois villages antiques (de l'époque minoenne) enfouis sous l'emplacement du futur chantier ! Si la nouvelle était entérinée officiellement, cela signifierait un retard de plusieurs années et, probablement, l'abandon du projet !

Alerte grèce 02

Après l'étape habituelle à Athènes, notre prochain convoi solidaire ira, comme la dernière fois, à Kastelli pour aller soutenir cette lutte. Une lutte sans frontières pour défendre la vie, la nature et la mémoire. La mémoire d'une histoire locale qui a marqué l'Europe et le monde, via Knossos puis Athènes. La nature qui se défend à travers nous. La vie que nous n'abandonnerons jamais à ses exploiteurs.

Alerte grèce 03 copier

Une grande réunion publique aura lieu peu après notre arrivée sur les lieux avec les habitant-es, les membres des collectifs locaux et les membres du convoi (parmi lesquel-les plusieurs zadistes). La défense de Kastelli et de ses oliviers légendaires va rapidement s'intensifier. On vous tiendra bien sûr au courant de la suite et, si nécessaire, on lancera peut-être un appel pour des renforts éventuels.

 

Alerte grèce 04

ALERTE PRISON

POUR ROUVIKONAS !!!

On ne présente plus l'extraordinaire groupe libertaire Rouvikonas (Rubicon), l'un des fleurons de la résistance en Grèce, très populaire, notamment parmi les Grec-ques les plus précaires. Ce groupe sabote régulièrement les négociations avec les institutions européennes et les créanciers, défend formidablement les opprimé-es un peu partout, détruit par exemple les fichiers bancaires des personnes surendetté-es et fait presque quotidiennement la une des journaux télévisés.

Alerte grèce 05

Tout d'abord une petite anecdote qui en dit long : il y a quelque temps, alors que j'attendais le début d'un match de foot dans un kafeneion (bistrot) avec mon fils de 9 ans pour lui faire plaisir, parmi une cinquantaine d'autres téléspectateurs aux opinions probablement très diverses, j'ai pu vérifier avec émotion cette forte popularité. Juste avant le match, un flash-info (breaking news) a annoncé une nouvelle destruction du grand bureau de privatisation du bien commun (super taiped) par Rouvikonas (et donc le retard de la grande braderie programmée). Aussitôt, presque tout le monde dans la salle a crié "Bravo !" bruyamment, en levant les bras au ciel comme s'il s'agissait d'un but ! Mon petit garçon m'a regardé avec un clin d'œil et a partagé ma joie : au fond de notre caverne enfumée, les petites gens opprimées avaient parfaitement compris que ces dizaines de révolutionnaires à blousons noirs prenaient tous les risques pour l'intérêt général. Une prise de conscience politique qui est dans l'air du temps.

Alerte grèce 06

Cependant, depuis quelques jours, nous venons de faire un point complet sur l'ensemble des poursuites judiciaires contre nos camarades de Rouvikonas, en reprenant tous les dossiers avec eux, les uns après les autres, et il s'avère que le risque de la prison approche dangereusement pour beaucoup et menace de stopper ce phénomène politique prodigieux ! En effet, Rouvikonas totalise à ce jour plus de 528 mois de prison, dont 56 mois rien que pour Yorgos (qui intervient avec sa casquette dans L'Amour et la Révolution et qui a déjà passé plus d'un an et demi en prison). Côté amendes et dommages et intérêts, le groupe totalise officiellement plus de 200 000 euros à payer (plusieurs dizaines de procès). A cela s'ajoutent précisément 21 250 euros en frais de Justice. Ce qui est dommage, c'est que si les membres de Rouvikonas pouvaient payer ces jours-amendes, ils pourraient échapper à la plupart des peines de prison (c'est comme ça que ça marche en Grèce pour cette catégorie de délits, un peu comme aux États-Unis). Mais ils/elles sont trop pauvres pour parvenir à payer ces sortes de cautions. Ils/elles sont pour la plupart ouvrier-es, chômeurs/ses et étudiant-es.

Plus précisément, ils/elles sont : manœuvre, soudeur de chantier, électricien, institutrice, serveur, libraire, jardinier, infirmière, marin, éducateur spécialisé, étudiant en philo ou encore livreur... Ils/elles ont absolument besoin de plus de soutien pour éviter la prison et continuer cette lutte extraordinaire et exemplaire en Grèce.

C'est pourquoi nous vous proposons d'essayer ensemble de leur payer la totalité de leurs frais de Justice, soit 21 250 euros. Si, dans les prochains jours, nous parvenons à contribuer nombreux/ses, cet objectif sera à notre portée. Si, en plus, des collectifs veulent bien nous épauler, bras dessus bras dessous, un peu partout en France, Suisse et Belgique, nous pourrons certainement y arriver. Si vous voulez contribuer, vous aussi, merci d'effectuer votre virement (numéro de compte plus bas) avant le 2 mars, en précisant "FRAIS DE JUSTICE RKS" en objet. Pour les structures collectives, donnez-nous votre courriel pour recevoir un accusé de réception qui proviendra directement de Rouvikonas.

 

Alerte grèce 07

ALERTE CONVOI SOLIDAIRE !!!

Hier soir à Lautrec, nous venons de finir l'inventaire de la grande collecte du convoi solidaire qui va partir dans quelques jours vers la Grèce. Nous serons 27 fourgons et 65 camarades de France, Suisse et Belgique : un record !!!

La collecte a été extraordinairement fructueuse en jouets, fournitures scolaires, outils numériques et matériel médical. Les fourgons seront tous pleins (deux de plus auraient pu être remplis). Par contre, cette collecte a été beaucoup plus pauvre que d'habitude en nourriture (adulte et enfant), produits ménagers et hygiène.

Alerte grèce 08

Ça tombe mal, car les réserves sont vides dans nos lieux autogérés à Athènes, notamment à Exarcheia. Les squats NOTARA 26 et SPIROU TRIKOUPI 17, comme d'autres au cœur de l'hiver, ont besoin de nourriture pour les petits comme pour les grands. Idem pour le réseau de cuisines sociales L'AUTRE HUMAIN qui recherche également un véhicule pour les maraudes nocturnes (une voiture break ou un utilitaire d'occasion pourrait suffire, moyennant quelques milliers d'euros).

Alerte grèce 09

Alerte grèce 10

Ces dernières semaines, il a fait exceptionnellement froid à Athènes. Il a même neigé. Idem sur les îles, comme Lesbos par exemple (où se trouve le terrible camp de Moria d'où nous tentons d'exfiltrer des victimes du sinistre accord Union européenne-Turquie).

Des centaines de Grec-ques précaires et d'exilé-es sont récemment mort-es de faim, de froid et de maladies qui auraient pu être soignées. La souffrance, la fatigue et l'exaspération sont immenses et le mouvement social n'arrive plus actuellement à faire face à l'immensité des besoins, dans la solidarité, l'autogestion et la gratuité.

Alerte grèce 11

Malheureusement, l'énorme convoi solidaire qui s'apprête à partir s'avère pauvre en argent. Il est beaucoup plus pauvre qu'à l'habitude. C'est là son point faible, alors que nous voudrions beaucoup plus aider avec vous nos camarades en difficultés. Même si on déteste l'argent, il est l'un des nerfs de la guerre sociale qui se joue en Grèce, à la fois parce qu'il permet de garder en liberté les courageux activistes du groupe Rouvikonas sans cesse menacés de prison et parce qu'il permet aux lieux solidaires autogérés de rester libres et autonomes dans leurs projets conçus en assemblée.

Alerte grèce 12

Habituellement, nos films apportent en moyenne entre les deux-tiers et les trois-quarts de l'argent apporté par les convois. Mais cette fois, c'est plus compliqué. En effet, après avoir fait tourner plusieurs personnages en France en septembre, nous avons envoyé de l'argent en octobre et en novembre (virements), puis apporté des sommes importantes début décembre, durant notre séjour avec un petit groupe venu de France (soutiens à Rouvikonas et Notara, courses pour la cuisine sociale, paiement de l'opération chirurgicale d'un camarade membre-fondateur de Notara privé de couverture maladie malgré une tumeur à un rein, etc.). Ensuite, le 8 décembre : patatras ! J'ai personnellement eu des soucis de santé dès notre retour en France et j'ai dû tout annuler jusqu'au 7 janvier ! Résultat : en seulement un mois de tournée (du 8 janvier au 11 février), tous frais déduits, dont plusieurs soucis imprévus, nous sommes loin, très loin de ce que nous espérions. Lors du convoi de mai 2018, nous avions apporté la marge bénéficiaire de 3 mois de tournée continue, donc trois fois plus !

De votre côté, c'est le même problème : les soutiens sont pour l'instant en nette baisse et beaucoup moins nombreux et c'est tout à fait compréhensible vu le contexte politique et économique dans l'hexagone : lutte ardue des Gilets Jaunes, nombreux pots communs en soutien aux manifestant-e-s poursuivi-e-s ou blessé-e-s, conjoncture économique difficile... Mais ça tombe mal, très mal !

 

Alerte grèce 13

APPEL URGENT À CELLES

ET CEUX QUI LE PEUVENT !!!

C'est pourquoi, à l'occasion de ce convoi solidaire exceptionnel par sa dimension et le moment crucial de son arrivée, nous lançons un appel à toutes celles et ceux qui le peuvent : individus, associations, syndicats, organisations ou collectifs ami-es portant les mêmes valeurs et refusant le sort qui menace la ligne de front qui résiste, s'organise et s'entraide en Grèce.

Alerte grèce 14


Jamais, depuis tant d'années, nous n'avons eu autant besoin de vous !

Yannis Youlountas

26 juin 2013

Mémoires

Mémoires (1675 à 1677, publié en 1717)

Mémoires, de Jean-François-Paul de Gondi (dit le Cardinal de Retz), rédigé entre 1675 et 1677 et publié pour la première fois en 1717.

Extrait n°1 : Je vous supplie très humblement de ne pas être surprise de trouver si peu d'art et au contraire tant de désordre en toute ma narration, et de considérer que si, en récitant les diverses parties qui la composent, j'interromps quelquefois le fil de l'histoire, néanmoins je ne vous dirai rien qu'avec toute la sincérité que demande l'estime que je sens pour vous.

Extrait n°2 : Mais je vous confesse que quand j'eus examiné le plan de M. le comte de Cramail, qui était un homme de très grande expérience et de très bon sens, je faillis à tomber de mon haut, en voyant que des prisonniers disposaient de la Bastille avec la même liberté qu'eût pu prendre le gouverneur le plus autorisé dans sa place. Comme toutes les circonstances extraordinaires sont d'un merveilleux poids dans les révolutions populaires, je fis réflexion que celle-ci, qui l'était au dernier point, ferait un effet admirable dans la ville, aussitôt qu'elle y éclaterait ; et comme rien n'anime et n'appuie plus un mouvement que le ridicule de ceux contre lesquels on le fait, je conçus qu'il nous serait aisé d'y tourner de tout point la conduite d'un ministre capable de souffrir que des prisonniers fussent en état de l'accabler, pour ainsi dire, sous leurs propres chaînes.

Extrait n°3 : La vérité jette, lorsqu'elle est à un certain carat, une manière d'éclat auquel l'on ne peut résister, je n'ai jamais vu homme qui en fît si peu d'état que le Mazarin.

Extrait n°4 : La plupart des hommes examinent moins les raisons de ce que l'on leur propose contre leurs sentiments, que celles qui peuvent obliger celui qui les propose à s'en servir. Ce défaut est très commun, et il est grand. Je connus clairement que Monsieur ne reçut ce que je lui dis, de la part de Madame la Palatine, que comme un effet de l'entêtement qu'il croyait que nous avions l'un et l'autre contre Monsieur le Prince. J'insistai, il demeura ferme, et je connus encore, en cet endroit, qu'un homme qui ne se fie pas à soi-même ne se fie jamais véritablement à personne. Il avait plus de confiance en moi, sans comparaison, qu'en tous ceux qui l'ont jamais approché : sa confiance n'a jamais tenu un quart d'heure contre sa peur.

23 janvier 2014

In-corporation techno-tic

Formation et emploi
La somme des con-formés est égale à la masse des con-sommateurs. Cette masse est l'instrument de l'inertie du système.

1 - L'incapacité à dévisser un siphon s'apprend ; l'être ainsi apprêté est un consommateur. Au nom de l'égalité de tous face au savoir, on crée le socle commun dont la diffusion entraîne mécaniquement le recul de l'apprentissage par chacun de ce que les autres ne savent pas. Le socle commun diminue la somme totale des savoirs au sein de l'humanité.(1)
La « pollution » de chacun par des savoirs jugés universellement nécessaires entraîne une uniformisation générale, autrement dit l'épuration du tout.(2) L'universalisation des savoirs s'accompagne d'un morcellement des savoir-faire, lequel a pour fin que chacun soit toujours obligé d'en passer par la sphère marchande pour satisfaire le moindre de ses désirs ou besoins.(3)

2 - À l'école, le remplacement des travaux manuels par le cours de technologie montre assez déjà combien la société de consommation a besoin que les seuls savoirs pratiques enseignés aux futurs consommateurs soient ceux dont la mise en œuvre suppose des outils qu'ils ne posséderont jamais.(4)
Les enfants toucheront à toutes les technologies, sans jamais revenir sur aucune, si bien qu'ils oublieront immédiatement ce qu'ils ont fait.(5)
L'initiation à tout est de mise. Parce qu'il s'agit d'éveiller en lui de faux « désirs » tout en rabaissant l'estime qu'autrement il eût pu avoir de lui-même,(6) on souhaite que le consommateur sache ce qu'on sait faire, tout en lui interdisant de savoir le faire lui-même.
Un travailleur sans estime de soi se révèle toujours plus facilement exploitable à merci.
Le sans-emploi (l'inutile) se fait chercheur d'emploi (mendiant).
Dans le monde réellement renversé, il y a des bénéficiaires de l'Obligation d'Emploi,(7) cette sous-catégorie des obligés de bénéficier d'un emploi.(8)
Au cours d'une lutte massive et égoïste sur le marché du travail, l'inutile ne peut qu'apprendre à estimer qui serait généreusement susceptible de lui offrir un emploi (l'exploiteur), aussi sûrement qu'il apprend à combattre une bonne part de ses camarades inutiles (prolétaires).(9)
Les utiles (em-ployés), eux, haïssent les inutiles parce qu'ils sont assistés,(10) et haïssent les accédant à l'utilité, en tant que futurs occupants probables d'un poste équivalent au leur, mais dans des conditions inférieures qui menacent leur propre emploi ou au moins le peu de qualité de vie qu'un tel emploi leur offrait encore.
Ces mêmes utilisés n'oublient qu'assez rarement de faire à la fois le procès d'un supposé laxisme exercé envers ceux qui ne détiennent que leur puissance d'agir et osent en user, et l'apologie de la flexibilité de celui qui vend cette puissance.

Le sensible et l'in-formation
L'accélération des uns rend de plus en plus criante la relative lenteur des autres, et bientôt la plupart des Hommes ne serviront plus que de support agricole et industriel à la domination transhumaine informatisée.

1 – Des cinq ou huit sens que possède l'être humain, on ne sait en stimuler artificiellement que deux – l'audition moins que la vue. Les progrès de la technologie pour nous donner l'illusion d'autres stimuli n'avançant pas assez rapidement, on s'applique à en effacer l'existence au sein du réel ; par le lissage on nous retire le toucher, par l'irrigation et le sucre on nous prive du goût, par l'hygiène des odeurs, par la climatisation de la chaleur et du froid, par l'anesthésie de la douleur et de toute activité supposant un certain sens de l'équilibre ou une proprioception tant soit peu développée.

2 – Il est devenu inadmissible, à la campagne, de n'avoir ni autoroute ni haut-débit.(11) Une personne valide habitant en milieu rural, (in)soumise à la fracture numérique, se retrouve en situation de handicap.
Or la compensation du handicap suppose, pour que la personne handicapée n'ait aucun besoin d'amis, non seulement l'augmentation de ses capacités naturelles, mais aussi le lissage du monde afin que la situation de handicap soit elle-même liquidée. L'égalité des chances suppose que la boue, la neige, les travaux de voirie, mais également la montagne et la nuit,(12) soient normalisés afin de permettre « à l'envi » la circulation permanente de tous à une égale vitesse, que l'on voudra toujours plus élevée.
L'abolition de la nuit a d'ailleurs pour objet, entre autres, de forclore en nous toutes possibilités de développer un autre sens que celui de la vue.

3 – Pour assurer un transit fluide, régulier, prévisible, insoumis aux aléas mécaniques, les outils de notre mobilité nous sont bientôt retirés : l'électronique embarqué remplace la manivelle, les dynamos de moyeu conquièrent les vélos même non électriques, le covoiturage remplace le stop, l'autopartage la voiture familiale, et le leasing se substitue au garagiste. Pour que ça « aille », il faut constamment augmenter la puissance des laxatifs administrés.
Dans un monde visuel-virtuel, peu importe que l'on se déplace ou pas : l'augmentation concomitante de la vitesse de déplacement physique et des masses de données nécessaires à une illusion de plus en plus réaliste identifie toujours plus le déplacement physique à la transmission de données, sur un plan énergétique et aussi bien pratique.
La suppression des distances concourt à l'in-formatisation des hommes – et vice versa -, et en premier lieu celle des habitants riches des villes ayant accès aux moyens de transports performants ; l'idéal vers lequel tendre étant la téléportation.(13)
S'ils nous laissaient vivre, nous pourrions laisser les transhumains (in-formés) « transhumer » comme ils veulent, mais la tendance n'est malheureusement pas à la tolérance vis-à-vis des objecteurs de mobilité.(14)

4 – Le consommateur n'est jamais en empathie avec l'autre ; il est en empathie avec la marchandise.
Si les mannequins sont maigres, ce n'est pas parce qu'on exige d'eux qu'ils soient les représentants d'un certain sex-appeal, mais bel et bien les V.R.P. d'une esthétique de cintres. Si jadis la beauté de celui-là qui portait un vêtement visait encore à mettre en valeur ce dernier aussi sûrement que la beauté du vêtement cherchait à mettre en valeur celle de son porteur, tout de nos jours consiste à effacer l'humain.
En sorte que les mannequins, en tant qu'avant-garde efflanquée de l'être-humain informatisé, doivent nécessairement en présenter toutes les « informités » ; ils ne sont plus, en dernière analyse, que des supports publicitaires, et c'est en quoi au même titre que le tablettes informatiques ils se doivent d'être ultraplats.(15)

Croissance et mobilité
Inertie de l'accélération et pas de côté.

Dans le système capitaliste, l'intérêt des dettes doit être compensé par la croissance, et la survie d'un tel système suppose dès lors une constante accélération.(16)
L'utile doit rester employé pour demeurer consommateur : l'inertie d'une telle (im)posture ne peut guère faire autrement que le pousser à courir toujours plus vite pour sou-tenir la croissance et main-tenir son emploi.(17)
La professionnalisation de la solidarité n'est pas une solution à la disparition des liens,(18) ne serait-ce qu'en ceci qu'elle remplace l'autonomie par de la croissance et de l'emploi.(19)
Plus la masse des consommés (produits) est grande, plus aussi l'inertie du système est importante, et plus il nous faut de forces, de puissances, pour changer de cap.(20)
Pour provoquer un changement de direction dans un système, il est nécessaire d'exercer une force d'attraction, ou de répulsion de l'extérieur sur ce système. Il s'agit donc autant que faire se peut de quitter la masse des conformés, la somme des consommateurs des inutiles et des employés, en commençant par faire un pas de côté.
On nomme depuis quelques temps les employés collaborateurs ; l'injonction à s'insérer ne peut plus dès lors que nous inciter à résister par la désertion : le pas de côté, aujourd'hui, c'est le maquis.

La Capuchine 03 copier

La Capuchine, janvier 2014

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