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Amour, émeute et cuisine
Amour, émeute et cuisine
  • Quelques pensées sur la civilisation, considérée dans ses aspects politiques, "philosophiques", et culinaires, entre autres. Il y sera donc question de capitalisme, d'Empire, de révolte, et d'antiterrorisme, mais aussi autant que faire se peut de cuisine.
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5 juin 2013

Commentaires sur la société du spectacle

Commentaire sur la société du spectacle (1988)Commentaires sur la société du spectacle, de Guy Debord, 1988.

Extrait n°1 : La discussion creuse sur le spectacle, c'est-à-dire sur ce que font les propriétaires du monde, est ainsi organisée par lui-même : on insiste sur les grands moyens du spectacle, afin de ne rien dire de leur grand emploi. On préfère souvent l'appeler, plutôt que spectacle, le médiatique. Et par là, on veut désigner un simple instrument, une sorte de service public qui gérerait avec un impartial "professionnalisme" la nouvelle richesse de la communication de tous par mass media, communication enfin parvenue à la pureté unilatérale, où se fait paisiblement admirer la décision déjà prise. Ce qui est communiqué, ce sont des ordres ; et, fort harmonieusement, ceux qui les ont donnés sont également ceux qui diront ce qu'ils en pensent.

Extrait n°2 : Quand le spectaculaire était concentré la plus grande part de la société périphérique lui échappait ; et quand il était diffus, une faible part ; aujourd'hui rien. Le spectacle s'est mélangé à toute réalité, en l'irradiant. Comme on pouvait facilement le prévoir en théorie, l'expérience pratique de l'accomplissement sans frein des volontés de la raison marchande aura montré vite et sans exceptions que le devenir-monde de la falsification était aussi un devenir-falsification du monde.

Extrait n°3 : Tous les experts sont médiatiques-étatiques, et ne sont reconnus experts que par là. Tout expert sert son maître, car chacune des anciennes possibilités d'indépendance a été à peu près réduite à rien par les conditions d'organisation de la société présente. L'expert qui sert le mieux, c'est, bien sûr, l'expert qui ment. Ceux qui ont besoin de l'expert, ce sont, pour des motifs différents, le falsificateur et l'ignorant. Là où l'individu n'y reconnaît plus rien par lui-même, il sera formellement rassuré par l'expert. Il était auparavant normal qu'il y ait des experts de l'art des Etrusques ; et ils étaient toujours compétents, car l'art étrusque n'est pas sur le marché. Mais, par exemple, une époque qui trouve rentable de falsifier chimiquement nombre de vins célèbres, ne pourra les vendre que si elle a formé des experts en vins qui entraîneront les caves à aimer leurs nouveaux parfums, plus reconnaissables. Cervantès remarque que "sous un mauvais manteau, on trouve souvent un bon buveur". Celui qui connaît le vin ignore souvent les règles de l'industrie nucléaire ; mais la domination spectaculaire estime que, puisqu'un expert s'est moqué de lui à propos d'industrie nucléaire, un autre expert pourra bien s'en moquer à propos du vin. Et on sait, par exemple, combien l'expert en météorologie médiatique, qui annonce les températures ou les pluies prévues pour les quarante-huit heures à venir, est tenu à beaucoup de réserves par l'obligation de maintenir des équilibres économiques, touristiques et régionaux, quand tant de gens circulent si souvent sur tant de routes, entre des lieux également désolés ; de sorte qu'il aura plutôt à réussir comme amuseur.

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26 juin 2013

Minima Moralia

Minima Moralia (1951)

Minima Moralia, de Théodor W. Adorno, 1951.

Extrait n°1 : La mauvaise nouvelle que l'on apporte à Job dans le mythe biblique trouve un équivalent moderne dans la radio. Celui qui communique quelque chose d'important de façon autoritaire annonce un malheur. En anglais, "solennel" signifie cérémonieux et menaçant. D'emblée, le pouvoir de la société qui est derrière celui qui parle se tourne contre ceux auxquels il s'adresse.

Extrait n°2 : S'il est vrai que toute psychologie, depuis Protagoras, a valorisé l'homme à travers l'idée qu'il était la mesure de toutes choses, du même coup elle a fait de lui dès le début un objet, un matériel d'analyse ; et une fois qu'elle l'a rangé ainsi parmi les choses, elle l'a voué à leur néant. Le fait qu'on nie qu'il y ait une vérité objective, en ayant recours au sujet, cela implique la négation de ce même sujet : il n'y a plus de mesure pour la mesure de toutes choses, laquelle bascule dans la contingence et dans la fausseté. Et cela nous ramène aux processus réels qui régissent la vie de la société. Le principe de la domination humaine, qui est devenu maintenant absolu, s'est par là même retourné contre l'homme, devenu lui-même absolument objet, et la psychologie a contribué à renforcer cette domination. Du même coup, le moi, qui est l'idée directrice de la psychologie et son objet a priori, est invariablement devenu sous son regard quelque chose qui d'emblée n'existait pas.

Extrait n°3 : En laissant les femmes accéder à toutes les activités surveillées on a permis tacitement que se prolonge leur déshumanisation. Dans la grande entreprise elles continuent d'être ce qu'elle furent dans la famille, des objets. Il ne faut pas penser seulement à leurs pauvres journées de travail professionnel et à leur vie au foyer où subsistent absurdement en circuit clos les conditions du travail domestique qui s'ajoutent à celles du travail industriel - il faut aussi penser à elles-mêmes. Docilement, sans le moindre réflexe de révolte, elles reflètent l'image de la domination et s'identifient à elle. Au lieu de résoudre la question féminine, la société masculine a élargi son propre principe et l'a généralisé si bien que les victimes ne sont plus en mesure de poser les questions les concernant. Pour peu qu'on leur concède une certaine abondance de marchandises, elles acceptent leur sort avec enthousiasme, abandonnent aux hommes le soin de penser, condamnent dans toute réflexion le manquement à l'idéal féminin propagé par l'industrie culturelle et se sentent en général très bien dans la non-liberté qui est à leurs yeux l'accomplissement réservé à leur sexe.

Extrait n°4 : Leur société de masse n'a pas seulement produit la camelote pour les clients, elle a produit les clients eux-mêmes.

21 octobre 2013

De la guerre

De la guerre (1832)De la guerre, de Carl von Clausewitz, 1832.

Extrait n°1 : On ne s'engage jamais dans l'action qu'en présumant que, si la bataille doit avoir lieu, elle sera favorable.

Extrait n°2 : Le dessein positif est absent de la simple résistance, nous n'y utilisons nos forces que pour contrecarrer les desseins de l'adversaire, et nous ne pouvons donc les diriger vers d'autres objectifs.

Extrait n°3 : La vertu guerrière est l'apanage de la seule armée régulière, c'est elle qui en a le plus besoin. Dans les insurrections et les guerres populaires, les qualités naturelles se développent rapidement pour la remplacer.

Extrait n°4 : La bataille est donc la guerre en concentré, le centre de gravité de l'ensemble du conflit ou de la campagne. Comme le point focal d'un miroir concave fait converger les rayons du soleil en un point parfait qui les porte à l'incandescence maximale, toutes les forces et toutes les tendances de la guerre se réunissent dans la bataille pour exercer la force la plus concentrée.

Extrait n°5 : La guerre populaire telle que nous la concevons, pareille à une nuée, à un brouillard, ne doit jamais se matérialiser en un corps compact, de peur que l'ennemi ne s'attaque à ce noyau dur, ne le détruise et capture un grand nombre d'insurgés. Dans ce cas, le courage s'effondre, chacun se prend à croire que tout est fini, que tout nouvel effort sera vain - le peuple relâche les armes. Par contre, il est nécessaire que cette nuée s'épaississe en certains points et se matérialise en groupes plus denses, pour constituer une orageuse menace d'où peut jaillir un puissant éclair. Ces points sont en particulier situés aux extrémités du théâtre de guerre de l'ennemi.

8 mars 2009

Nous ne sommes qu'un début, rejoignez nous !

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Banderole "Nous ne sommes qu'un début, rejoignez nous", déployée à l'université Jean Monnet à Saint-Etienne, par le collectif des étudiants en grève qui occupent actuellement leur fac, avec le soutien du comité stéphanois.

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La barricade à l'entrée de l'université Jean Monnet, sur le site Tréfilerie.

25 juillet 2009

La guerre sociale bat son plein

La guerre sociale bat son plein : nous faisons suivre un article du monde sans prendre le temps de commenter ou adapter le discours.

    BALFOUR, Afrique du Sud - Pour la deuxième journée consécutive, des manifestations ont dégénéré en émeutes mercredi dans le township sud-africain de Thokoza, à Johannesburg, ainsi que dans plusieurs autres quartiers pauvres du pays.

    Plusieurs milliers d'habitants de Thokoza défilaient pour réclamer davantage de services publics, de logements et d'emplois. Des manifestants ont jeté des pierres en direction de la police, qui a riposté par des tirs de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogènes.

    Le mouvement de protestations a également gagné Meyerton, au sud de Johannesburg, où des habitants ont occupé des terres agricoles afin de protester contre leur expulsion de campements provisoires.

    Dans le township de Balfour, dans le nord-est, des résidents ont menacé d'incendier des bâtiments municipaux si cent personnes arrêtées lors de manifestations, mardi, n'étaient pas libérées, rapportait Talk Radio 702.

    Ces violences sont les plus graves depuis l'entrée en fonction début mai du président Jacob Zuma, alors que les mouvements sociaux et les menaces sur le secteur industriel se multiplient ces derniers mois.

    Ce dernier pourrait avoir du mal à tenir ses promesses électorales d'aide aux plus pauvres, l'Afrique du Sud étant entrée dans sa première période de récession en dix-sept ans.

    Ces émeutes rappellent en outre les violences menées contre les étrangers l'an dernier, dans lesquelles 62 personnes avaient été tuées, et jettent le doute sur l'image positive que tente de projeter le pays à moins d'un an de l'organisation de la Coupe du monde de football.

Le Monde

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Photo du journal Ouest-France.fr, du jeudi 9 juillet 2009.

Nous pouvons d'ailleurs nous interroger sur le véritable objet d'une telle photo : le journal voulait-il témoigner de "l'événement" qui avait lieu ce jour là en afrique du sud ? ou souhaitait-il se faire de la publicité à peu de frais en y inscrivant son nom en bas à droite, et en lettres assez imposantes ? A moins qu'il ait désiré nous faire savoir que, tout compte fait, "l'événement" se déroulait dans l'ouest de la france - mais que viendrait faire dès lors une telle photo dans un article sur l'afrique du sud...

Comité stéphanois

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29 octobre 2013

Des émeutes à Sao Paulo

bresil-3

Suite à la mort d'un "adolescent", tué dimanche 27 octobre 2013 par un policier, des émeutes ont eu lieu à Sao Paulo, lesquelles semblent aussi faire suite à la manifestation du vendredi 25, qui s'était terminé par une forte intervention des "Black Blocs". Il est à noter que le mois de juin 2013 avait déjà été le théâtre d'une "fronde" sociale de très grande ampleur au Brésil, en particulier à Rio de Janeiro et à Sao Paulo.

 

 

 

 

18 novembre 2013

Les légumes de décembre

Carotte

 

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 Catalonia 

 

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Chou blanc 

 

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Chou de Bruxelles 

 

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Chou frisé 

 

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Chou rouge 

 

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Chou-chinois 

 

Chou chinois copier

 

Cima di rapa 

 

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Citrouille / Potiron 

 

Citrouille copier

 

Courge butternut

 

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Potimarron 

 

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Céleri / Céleri branche 

 

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Endive

 

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Mâche

 

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Oignon blanc 

 

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Oignon jaune 

 

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Oignon rouge 

 

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Panais 

 

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Poireau 

 

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Pomme de terre 

 

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Radis / Radis long 

 

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Salsifis noir / Scorsonère 

 

Salsifis copier

 

Topinambour

 

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19 novembre 2013

Réunion-Ripaille de l'Association des Écœurés Conspirant, au Grand-Godet d'Engels

Réunion des écoeurés au GGd'E 01

Réunion des écoeurés au GGd'E 03 copier

Réunion-Ripaille de l'A.E.C., au Grand-Godet d'Engels, avec, de gauche à droite : I - Catherine-Estelle Duranton (dite La Duranton) / II - Emile Henry / III - Murgeman / IV - Léolo / V - Florence M. / VI - Philibert de Pisan / VII - Le Cardinal (dit Le Cardio) / VIII - Isabeau de Loère / IX - Agnès (dite La Moniale) / X - Rachid Al-Fadi (dit L'Armateur) / XI - Jean-Pierre Garnier / XII - Le Cap-Codais (dit Tavernier) / XIII - Jean-Sébastien (dit Jissé) / XIV - Liao Bai Bo Zhou (dit Le Chinois) / XV - Le Viandier.

13 décembre 2013

Tarte jurassienne

Il m’apparait inévitable, dans cette recette, d’apprendre à réaliser une pâte brisée, dont nous présenterons la déclinaison sucrée dans le futur.

Le Viandier AEC copier01

(cliquez sur le Viandier ci-dessus pour accéder à son préambule politico-culinaire)

Tarte Jurassienne

Ingrédients :

- pour la pâte : 400g farine / 200g beurre / 2 jaunes d'oeufs / 7 g sel / 8 cl eau

- pour la garniture : 800g blancs de poireaux/ 35g farine / 15 cl lait / 15 cl crème / 2 œufs / 100 g comté râpé / Muscade / Piment de Cayenne / 100g beurre / 500g saucisse de Morteau (la tarte peut être réalisée sans elle, on obtient alors une bonne tarte aux poireaux).

Réaliser une pâte brisée :

Pâte brisée 00 copier

Façonner un puits avec la farine (c’est-à-dire monter d’abord un tas puis y creuser un centre sans farine où pourront ensuite être ajoutés les ingrédients qui seront ainsi emprisonnés par la farine). Ajouter l’eau, y dissoudre le sel, puis les jaunes d’œufs, et les mélanger du bout des doigts en un liquide homogène. Adjoindre le beurre coupé en petits dés (ne pas l’ajouter trop froid afin qu’il se mélange sans trop de difficultés). Prendre un peu de farine la plus à l’extérieur du cercle,  et la mélanger (sans pétrir réellement la pâte qui deviendrait trop élastique et perdrait sa friabilité après cuisson) au beurre. Continuer avec le reste de la farine en écrasant l’ensemble de la pâte à pleines mains. Dès que la pâte est homogène et ne colle plus à la surface de travail, former une boule. Il est possible de fraiser la pâte pour assurer une meilleure cohésion des éléments en écrasant la masse petit à petit avec la paume de la main pour la tirer au loin de soi. Cette étape n’est pas indispensable. La laisser reposer 30 minutes minimum au froid.

Confectionner la garniture aux poireaux :

Emincer les blancs de poireaux (et le vert s’il est très tendre), étuver au beurre et les obtenir très fondants. Singer (c’est-à-dire saupoudrer de farine pour renforcer la liaison de la garniture), mélanger très soigneusement, puis ajouter le lait et la crème. Laisser mijoter sous un couvercle une dizaine de minutes, ajouter les deux œufs battus à l’avance et remuer aussitôt (ils risquent de coaguler sinon). Incorporer ensuite le comté râpé, et assaisonner avec la noix de muscade et le piment de Cayenne. Refroidir l’appareil obtenu.

Saucisse de Morteau copier

La saucisse de Morteau (ou Montbéliard) qui rend la tarte « jurassienne » :

Plonger la saucisse dans une casserole d’eau froide (pour qu’elle n’éclate pas) et sans la piquer (au risque de voir l’intensité de sa saveur conférée par le fumage s’évanouir dans l’eau de cuisson). Après l’ébullition, cuire pendant 30 minutes environ (selon le calibrage de la saucisse, de 25 à 45 minutes). La peler (avant qu’elle ne refroidisse, sinon la mission est impossible), et la tailler en fines rondelles.

Cuisson de la tarte :

Foncer les moules ou cercles de cuisson avec la pâte piquée, et la garnir de l’appareil aux poireaux, puis orner des tranches de saucisses.

Cuire environ 35 minutes à 180°C. Le temps de cuisson est évidemment fonction de l’épaisseur de la pâte ou de celle de la garniture, ainsi que de la précision du four.

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16 avril 2014

Viticulture et culte de la vitesse à l'heure du réchauffement climatique

Viticulture et culte de la vitesse à l'heure du réchauffement climatique

« Il y a une civilisation du vin, celle où les hommes cherchent à mieux se connaître pour moins se combattre. »
Gabriel Delaunay

« Dans le temps, même le futur était mieux. »
Karl Valentin

A l'heure où l'Empire s'apprête encore à réduire l'espace en le convoquant dans un immense tunnel sous vide voué à recevoir un TTGV (Train à Très Grande Vitesse)1capable d'atteindre les 2000 km/h, le « temps long » de la culture du vin, la précieuse lenteur attentionnée nécessaire à sa confection, sont peut-être là pour nous rappeler combien la réalité moderne, à force d'accélération, ne cesse d'entrer toujours plus en dichotomie avec le réel. Qu'une telle dichotomie ait dès à présent atteint son point de non retour, c'est l'évidence : la réalité actuelle et le réel en sont d'ores et déjà à un tel degré de disjonction qu'ils ne peuvent plus guère espérer de renouer harmonieusement sans passer par un conflit « fratricide » où l'un des deux belligérants devra abdiquer pour longtemps. Il suffit, pour saisir ne serait-ce que sommairement cette nouvelle inconciliabilité réalité/réel, de comparer les deux cartes qui suivent, la première représentant une « topographie » des vignobles, la seconde une « topographie » des néo-distances en France :

Carte vins de France 01 copier

Nouvelle Carte de France de la SNCF

Jean Cocteau disait que « le temps des hommes est de l'éternité pliée » ; nous voyons maintenant combien celui de la modernité est avant tout de l'espace replié sur lui-même, de l'espace en voie de disparition, du réel se néantisant tel une lumière irrésistiblement attirée vers un centre vide – l'Empire -, vers le trou noir insensé d'un « progressisme » dont on ne cesse de nous dire qu'il est la seule « alternative possible ». Or c'est cette même « alternative », dont l'accélération constante des flux constitue l'un des principaux traits, qui, outre qu'elle a provoqué les « accidents » de Tchernobyl et Fukushima, le réchauffement climatique et tant d'autres catastrophes, achève aujourd'hui d'en finir avec le voyage en le remplaçant par le tourisme, avec l'agriculture en la remplaçant par des ogm, avec l'objet en le remplaçant par la marchandise, avec l'usage en le remplaçant par l'échange, avec l'air en le remplaçant par l'ozone, et avec l'amour en le remplaçant par une pornologie Meetic, pour ne donner là que quelques exemples significatifs. Il y a donc un impensé du « progrès » comme effacement progressif du réel, que la seule carte des vignobles de France ne suffit évidemment pas à surmonter, tant il est vrai que le réel ne se laisse pas réduire à une planisphère, fut-elle dessinée par Atlas. Aussi sûrement que la carte du tendre ne dessine la relation des amants qu'en en diminuant la réelle beauté, notre carte des vins n'est qu'une représentation tronquée du réel géographique français, et n'a d'intérêt ici que d'être comparer à l'aberrante représentation du pays effectuée par la SNCF ; aberrante représentation qui a toutefois le mérite évident d'en dire assez long sur ce que l'impérialisme moderne veut réaliser : mobilisation générale, abolition des écarts, des distances, des différences, effacement de l'Histoire au profit d'un néo-naturel rendu indiscutable. « Le temps c'est de l'argent ! » nous dit-on, et il s'agit naturellement dès lors de ne pas en perdre. Or Tocqueville avait raison de dire ceci que « ce que le vulgaire appelle du temps perdu est bien souvent du temps gagné », en quoi conséquemment nous comprenons sans mal à quel point l'accélération sans arrêt plus vive qu'on nous impose, elle, ne peut guère se concrétiser autrement que comme temps perdu, littéralement, et de telle façon que Marcel Proust aurait probablement grand mal aujourd'hui à en retrouver la saveur, sinon peut-être encore au cœur de quelques bons piots, dont le beau bouquet doit réellement toujours beaucoup au réel du temps que le vigneron et la terre ont su y imprimer.
L'accélération ne pollue pas, elle épure l'espace en lui retirant d'un trait la distance. Et cette distance anéantie, elle la relègue sans frein dans une obscène mobilité, que d'ailleurs des vignes pourtant séculaires doivent elles-mêmes subir à présent à cause du « réchauffement climatique », entre autres. Les villes elles-mêmes, autrefois vouées à nous maintenir dans une certaine sédentarité, exigent maintenant de nous que nous y soyons « nomades », fluctuants, c'est-à-dire inlassablement mobilisés pour aller d'un point A vers un point B2 plus ou moins prédéterminé à l'avance par les dispositifs mis au point depuis quelques décennies par les urbanistes. Aussi devient-il de plus en plus difficile, en dehors de nos appartements3, de s'y manifester dans une position stable, sauf à ne pas redouter les contrôles policiers ; le contemporain doit courir d'un néant à l'autre, en néantisant tout ce qui eût pu encore entre les deux avoir le bon ton d'arrêter cette « folie ».
Il y a, derrière la logique apparemment historique de cette accélération, une véritable idéologie du temps, un dogme, une croyance, un catéchisme de la temporalité, dont la « durée » est au premier abord assez paradoxalement le concept paradigmatique. À y regarder de plus près toutefois, que le temps ne soit plus guère envisagé autrement qu'en terme de « durée » n'a rien de paradoxal dans le cadre du culte de la vitesse : c'est bien plutôt justement parce qu'il est envisagé en tant que « durée », « durabilité », que le temps peut être considéré comme accélérable. La « durée » ?, mais voilà bien ce qui permet de disposer le temps à être réduit, et d'abord à être réduit à une « durée », fort notoirement linéaire. La « durée » est donc au temps le mensonge de sa mesurabilité, tyranniquement réalisé par des horloges.
Comment mesurer en effet ce qui réellement ignore si superbement la « durée », ce qui est défini par cela même qu'il est sans « durée » : l'instant, cet indivisible « atome » du temps. Que par ailleurs ce temps soit le résultat d'un cumul ou d'une succession d'instants ne change décidément rien à l'affaire : ce qui est sans « durée » ne peut jamais en se succédant ou se cumulant générer de la « durée ». C'est donc en tant qu'il est frappé d'instants que le temps réel est irréductible à la « durée », et que les « êtres des choses » y trouvent l'espace de leurs persistances existentielles propres, conscientes ou non. Le temps réel est un instantané des corruptions du passé que j'éprouve présentement, et c'est seulement par là que ma puissance advient, comme advient le séveux d'un vin, par quoi nous entendons que le temps réel n'est rien plus que de l'histoire en présence, non limitée par de la « durée ». Le passé ne revient pas, il est ; absolue présence qui ne prédétermine en rien quelque avenir, puisqu'il est patent que l'avenir, lui, ne fait jamais office de présence, pas même dans l'imaginaire. Imaginer la saveur d'un vin en goûtant le raisin qui en constituera l'essence, c'est toujours déjà rendre cette saveur présente à soi, en lui retirant aussitôt par là même toute postériorité. Peut-être est-ce d'ailleurs ce « retrait » que nous avons coutume de nommer « postérité », ceci dit pour engager la pensée dans une bugne, puisqu'il est patent qu'au moment où j'écris ces mots on me propose d'en goûter une, dont le doux présent maintenant de sa présence à mon palais ne pourra plus manquer de connaître quelque immortalité, et d'abord je l'espère en tant que présent absolu de la beauté d'un don de Marie-F. B.

Comme l'a montré Bergson4, le présent – le temps réel - n'est pas mesurable, et d'abord en ceci qu'il n'est pas réductible à l'espace. Toute mesure n'acquiert en effet sa possibilité factuelle qu'à s'inscrire dans un espace donné, considéré comme « homogène » et continu. Or le « temps pur » - qu'il s'agirait d'envisager comme une corruption d'instants5  – ignore toute surface d'inscription, et une horloge n'a jamais été à la mesure du temps que l'imposture d'une convention spatialisée ; dont le caractère « pratique » ne doit pas cacher qu'elle est sans rapport avec le temps : après tout, que se passe-t-il entre tic et tac ?
Cependant pourquoi dès lors Bergson continue-t-il d'appeler « durée » ce qui à l'évidence et selon sa propre « intuition » apparaît comme essentiellement non-mesurable ? La « durée » n'est-elle pas précisément la mesure du temps ?

Mais c'est que par « durée », justement, Bergson n'entend pas la mesure, mais la conscience du temps, ou, pour le dire vite, la conscience d'une continuité – d'une persistance – non spatiale, que nous qualifions de temps. Le présent, en tant que persistance, est le précipité « chimique » « alchimique » et conscient des instants, aussi sûrement que la qualité d'un vin est un précipité « chimique » de terres et de minéraux, de soleil d'eaux et de fruits, entre autres, et de lenteurs et de temps. L'erreur de Bergson, pourtant, c'est d'avoir limité le non-mesurable à la conscience, alors même qu'il procède aussi bien d'un réel absolument « physique », dont les instants sont comme les quantum « eschatologiques », en ce sens qu'en tant qu'essences premières du temps ils en constituent à la fois la substance dernière ; et l'éternité n'est probablement rien d'autre au fond que cette coïncidence essentielle. Si le temps, donc, nous est donné, ce n'est pas seulement intérieurement, comme conscience pure, « durée », mais aussi comme réelité objective - non seulement une intériorité psychique, un moi, mais une extériorité sensible à laquelle nous sommes convoqués par corruption, et que nous écœurons à l'avenant.

En cantonnant le temps réel à quelque état de la conscience, Bergson parvient mal a le sortir du mensonge de sa mesurabilité, parce qu'il se voit contraint par là de rester sourd à sa « qualité » d'instants ; et c'est pourquoi finalement il ne peut s'empêcher de l'envisager « durable ». Dès lors qu'elle s'imagine pure, en effet, la conscience n'entretient de rapport avec la « nature » que quantitativement, parce qu'il lui faut nécessairement mesurer6 la puissance des qualités qu'elle ne comprend pas, pour se rassurer. Une conscience privée de qualités est une conscience sourde, et comme telle elle en vient toujours bientôt à réinscrire le temps dans l'espace, aussi assurément qu'un sourd-muet isolé s'y voit obligé par son langage des signes.

Langage du sourd

La création gestuelle des individus sourds isolés7

 Plutôt que de « durée », il faudrait à l'extrême limite parler de « mémoire », à condition de l'entendre au présent, autrement dit comme puissance qualitative im-médiate et toujours déjà là de l'endo-exosmose des instants dont l'être est le vin des âmes. Une telle puissance n'engage aucune vitesse ou accélération, très précisément parce qu'elle est toujours déjà là, « pure » présence de la corruption éternelle : vie ; vie qu'une célérité trop grande ne peut que réduire, nier, voire anéantir, de même que le pseudo-temps-réel de la technologie abolit la « mémoire » en la virtualisant.

 Ainsi en effet qu'il y a un lien étroit entre l'engrenage industriel et le temps faux de l'horloge, il y a un lien étroit entre l'accélération des flux marchands et le temps faux de la technologie ; le premier soumet l'Homme à la « durée » et le second à la « vitesse »8, autrement dit d'abord à l'enfer du temps de travail9 et ensuite à celui d'une réalité toujours plus virtuelle. Or l'absence de réelité consubstantielle à cette vitesse/durée doit nécessairement devenir une fin en soi pour « exister », pureté, et, comme fin en soi, comme pureté, elle doit nécessairement aussi s'augmenter sans fin, comme accélération/durable, pour ne pas succomber à d'éventuels corruptions du réel et de la limite10.

 Le vrai, c'est la pensée elle-même, et parce qu'il n'est pas impensable, le faux ne peut jamais connaître de repos, sinon à s'évanouir bientôt, aussi sûrement qu'un vin perd parfois le mensonge de son étiquette au moment que je le goûte avec attention. C'est pourquoi le mouvement « révolutionnaire » ne doute plus de son devenir victorieux.

LéoloLéolo AEC copier01

Notes :

1 – cf à cet égard les recherches en Chine, aux USA (hyperloop) et en Europe.
2 – Par exemple de son lieu de travail à son logement.
3 – Encore faut-il préciser qu'actuellement rares deviennent les appartements qui n'ont pas à subir la célérité des flux, ne serait-ce que télévisuels ou informatiques. Là où il y a peu encore l'isolement des murs de ma demeure m'offrait la liberté de m'en tenir à une salutaire démobilisation, la cybernétique ne manque d'ores et déjà maintenant presque plus jamais de me contraindre à recomposer avec la vitesse des flux électroniques.
4 – Essai sur les données immédiates de la conscience.
5 – C'est-à-dire une « rencontre » au sein de laquelle aucun des éléments n'est susceptible d'en contenir un autre, et où chacun d'entre-eux se voit modifié qualitativement. Nous pourrions dire, pour aller un peu plus loin que Bergson dans son essai, que les instants agissent les uns sur les autres par endo-exosmose constante. Autrement dit, la constante – au sens mathématique du terme en quelque sorte – du temps, c'est l'endo-exosmose des instants.
6 – Au sens « d'évaluer, déterminer une taille », et de « restreindre, limiter ».
7 - Voir à ce sujet le site internet AILE (Acquisition et Interaction en Langue Étrangère), à cette adresse : http://aile.revues.org/537.
8 – Vitesse qui avait d'ailleurs besoin d'être précédée par l'abstraction de la durée pour apparaître, comme nous l'avons vu plus haut.
9 - ...ou des loisirs.
10 – C'est pourquoi il n'est pas jusqu'au langage qui ne se voit détruit par l'Empire en vu de son adaptation à la mobilité et à l'accélération.

 

8 février 2014

Cinquième festivité : Feu de tous les journalismes !

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Cinquième festivité : En ces temps transparents, on "inventa" une arme plus horrifique et implacable encore que celles à feu qui étaient vendues un peu partout dans le monde par l'industrie marchande : celle du journaliste qui, tel un alarmant jeune puceau, ne devait plus cesser de feindre l'indignation et la surprise devant l'existence d'un tel commerce mortifère. Mais c'est qu'on voulait par là nous faire accroire ceci que le monde-marchandise ne saurait connaître cet obscène et mortel marché autrement qu'après avoir été corrompu ; quand c'est la mort et l'obscénité qui en était la nature même, et absolument. Le journaleux toutefois, jamais avare en discours affligés et si plein de compassion pour ses "frères" humains, ne devait jamais manquer non plus de continuer à faire savoir aussi à quel point il était étonnant de voir circuler tant d'armes militaires occidentales sur tant de théâtres de guerre pourtant tous plus ou moins également loin de l'occident. Mais s'imaginait-t-il donc qu'on trouvât maintenant si aisément à les vendre sur des zones pacifiées, ces armes, qu'il en était devenu inutile de les vendre là où elles découvraient toujours de quoi exercer leurs divers pouvoirs destructeurs. La puissance de la marchandise, même parvenue à son ultime degré d'accomplissement, n'offrait pas encore aux marchands de vendre un frigo à l'habitant du pôle nord sans que ce dernier ne montrât quelque "ingénieuse" et heureuse réticence.

cf : le documentaire "Des armes pour le monde", diffusé sur Arte, le mardi 4 février 2014.

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La Moniale, février 2014

30 octobre 2017

Les gestes à adopter en manif

Les gestes à adopter en manif

Les gestes à adopter en manif : une brochure dans laquelle on trouvera les rubriques suivantes :

1 - Quelle tenue porter ?

2 - Quel équipement de base emmener ?

3 - Quels gestes éviter ?

4 - Quelles implications légales ?

5 - Comment composer une trousse de secours ?

6 - Quels sont les risques principaux en manifestation et comment s'en protéger ?

7 - Informations utiles

8 - Qui sommes-nous ?

Brochure réalisée par Médic' Action, collectif dédié à la traduction et à la mise en forme de ressources permettant la pratique des premiers secours et de l'autodéfense en contexte hostile (manifestations, ZAD, émeutes, situation irrégulière, etc).

13 avril 2018

De la vergence des luttes soixante-huitardes et dix-huitardes

De la vergence des luttes soixante-huitardes et dix-huitardes
Une brève « poésie » contributive à la guerre en cours


Et puisque l'époque semble soudain vouloir faire anniversaire en rejouant cinquante ans plus tard un fameux mois de mai du siècle dernier, puisque le réel, qui n'a cessé d'être relégué toujours un peu plus au loin depuis cinquante ans au moins, semble vouloir faire retour sur la scène-monde, autrement dit puisqu'en ces temps troublés la révolution refait quelque peu parler d'elle alors même que le spectacle-marchant n'en finissait plus devant ça d'annoncer sa victoire définitive, en particulier médiatiquement, il nous a semblé de quelque importance, ici, d'interroger la situation présente dans ce qui la lie ou la distingue de l'année 1968.


A dire vrai, l'évidence veut que 1968 et 2018 ne soient comparables qu'à bien peu d'égards ; comment pourrait-il en être autrement étant donnés les 50 ans qui les séparent, et ce, qui plus est, quand ces 50 ans ont vu une contre-révolution s'engager dans une marche en avant qui n'a guère rencontré d'oppositions que partielles et momentanées.
Là où sévissaient le plein emploi et les afflictions qui l'accompagnent, sévissent aujourd'hui le chômage l'intérim le « techno-travail » l'uberim et les ruines de l'âme qui les accompagnent. Là où la rue les bars les amicales et nous en passons étaient parmi les principaux lieux où s'exerçaient la palabre et d'haptiques rencontres, la télévision les réseaux sociaux et les téléphones portables ont présentement séparé les êtres au point d'en faire de simples atomes digérés dans d'infinis flux numériques, ou coagulés dans des images. Enfin, pour aller vite, là où la campagne la ville et la nature « sauvage » traversaient encore les consciences au point d'y faire demeurer quelques insignes beautés, l'industrie l'architectonique policière et la pollution sauvage, elles, frappent seulement les esprits de leurs désespérantes laideurs nihilistes ; l'événement n'est plus depuis longtemps qu'un coucou régulier géré par la domination, la festivité a remplacé la fête, et nous en sommes là.
Le tableau, pourtant, n'est pas si sombre, qui voit maintenant se dresser face à lui des résistances toujours plus nombreuses et profondes. Il n'est pas si sombre, non, ne serait-ce qu'en ceci que c'est paradoxalement sa noirceur même qui, en ayant atteint un certain paroxysme, finit par écœurer ses « ouailles » à un tel degré qu'elles commencent justement d'en devenir révolutionnaires.
Le dégoût marque le début d'un renouement avec l'être, dont les Zones A Défendre, qui n'ont cessé de se multiplier ces dernières années, sont comme une expérience active et pratique entre terre et ciel ; la poésie du vivant s'y manifeste à nouveau, et ce d'autant plus qu'au contraire des tentatives communautaires post-soixante-huitardes, qui ne furent bien souvent qu'une retraite entérinant la défaite, un refuge, les ZAD ont pour elles d'avoir été d'emblée aussi bien offensives, c'est-à-dire pour le moins des praxis ne s'en tenant pas à l'isolement. Or cette combativité, en ayant tôt fait de se trouver en affinité avec la quiétude et la beauté quotidienne d'une vie s'affirmant enfin hors du spectacle de l'avoir permanent, a su faire naître des amitiés sans pareilles, lesquelles amitiés, rencontrant dès lors une auto-organisation immanente, embrassent dans la lutte une spontanéité plus efficiente que celle que connurent les soixante-huitards ; les cortèges de tête en témoignent, et ce malgré l'armement policier sans commune mesure avec celui de la fin des années soixante qui leur fait face. Bien entendu, les « zadistes » ne constituent qu'assez rarement l'essentiel des animateurs d'un cortège de tête, mais les formes de vie qu'ils expérimentent et les actions qui en découlent ont fini par inspirer beaucoup parmi celles et ceux qui luttent, en particulier concernant le champ humain des affinités électives, au travers desquelles naissent les spontanéités nouvelles dont nous parlions plus haut, et que la belle résistance actuelle au force de l'ordre des occupants de Notre-Dame-des-Landes ne pourra manquer d'animer encore et encore.

NDDL lutte 01Le mouvement universitaire, quant à lui, ou du moins celui d'une partie de la jeunesse, si il a eu son importance en 1968 en étendant le domaine de la lutte jusqu'à son point d'embrasement révolutionnaire - en particulier par la grâce des enragés ouvrant le bal et de l'influx situationniste dans son ensemble -, a connu toutefois dans le même temps bien des difficultés a rencontrer réellement ce que chacun alors convenait d'appeler le « monde ouvrier ». Il y eut bien une grève générale, et pas des moindres, mais hormis surtout quelques jeunes parmi eux, la plupart des travailleurs, plus ou moins contenus par leurs principaux syndicats et le partie communisto-stalinien, s'en tinrent à des revendications partielles qui n'invitaient en rien à sortir du capitalisme. Revendications que les accords dits de Grenelle, quoique non adoptées par les salariés, entérineront. Or là encore la situation actuelle se distingue positivement en ceci que l'union de la jeunesse en lutte - étudiante ou non - avec le salariat semble se réaliser plus vivement qu'en 1968, sinon idéalement. Car, entre autres, le mouvement de lutte contre la loi travail du printemps 2016 l'a déjà bien montré, c'est dans l'action que se crée cette convergence, bien plus qu'à longueur de discussions qui, pour nécessaires qu'elles soient, eurent trop souvent le malheur par le passé de s'éterniser en d'inutiles combats entre idéologues de tout poils. Si cependant l'actuelle convergence des luttes ne parvenait pas à dépasser la seule défense des acquis sociaux où elle traîne encore trop largement ses guêtres, elle pourrait bientôt s'avérer plus infructueuse encore que la maigreur de son aînée soixante-huitarde, et ne pas même obtenir un « grenelle ». Une convergence authentique ne peut guère en effet se réaliser minimalement qu'en outrepassant les habituelles réclamations corporatistes, et maximalement en tendant tous ensemble vers un objectif commun nécessairement général, et par là même nécessairement révolutionnaire ; mai 68 a sans doute connu quelques jours de convergence minimale, il s'agit à présent d'inscrire une telle convergence dans la durée tout en s'acharnant à la porter à son degré maximal de conflagration, dont l'insurrection n'est qu'un moment spécifique.

Qui dit que la révolution en tant qu'elliptique n'a d'autre option qu'un éternel retour à son point d'origine veut négliger par là que rien jamais ne repasse au même endroit. Nous mouvant sur l'ellipse révolutionnaire, nous empruntons d'un même trait le chemin de l'Histoire sur lequel elle se meut elle-même immanquablement. En quoi nous commençons nerveusement de sentir que la révolution ne peut plus nous laisser consentir ni à un simple changement de pouvoir ni à nous emparer d'icelui, mais à son abolition, absolument.

Léolo, du Comité A.E.C. Le 13 avril 2018

8 janvier 2019

Le 17 janvier, c'est férié !

Le 17 janvier, c’est férié ! Invitation à la zad pour les 1 an de la fin du projet d’aéroport à Notre dame des Landes.

Le 17 janvier, nous vous invitons à fêter les 1 an de la fin du projet d’aéroport à NDDL. Nous concotons pour ce soir là un grand repas et demandons à chacun.e de réserver au plus vite, voire dès maintenant, pour le banquet afin que les cuisinier.e.s puissent estimer les quantités de délices nécessaires. Il suffit pour cela d’envoyer un petit mail à 17janvier@riseup.net Merci pour les équipes cuisines !

Le programme et l’annonce de ce 17 janvier, déclaré jour férié et de sa soirée sont ci-dessous :

## Le 17 janvier, c’est férié ! Fête à la zad pour les 1 an de la fin du projet d’aéroport à Notre dame des Landes.

https://zad.nadir.org/spip.php?article6282

Le jeudi 17 janvier, cela fera 1 an qu’il n’y a plus d’aéroport qui plane au-dessus de la zad ! S’il ne s’agissait que d’une victoire partielle avant les attaques qui ont blessé la zad au printemps, le 17 janvier restera un événement historique, fruit de décennies de luttes créatives, abrasives et acharnées... Nous avons gagné ensemble cette journée inoubliable et ravivé la possibilité de mettre en déroute certains des aménagements qui ruinent ce monde ! Nous avons oeuvré ici à y susbtituer dans la durée un territoire vivant et solidaire, bien commun des luttes. Pour le célébrer et continuer à se projeter, nous proposons d’instaurer un nouveau jour férié et vous invitons à une première fête d’anniversaire.

Ce sera aussi l’occasion de présenter publiquement les premiers objectifs du fonds de dotation et la campagne de dons en cours. Elle marque le processus progressif pour réunir les terres, forêts et bâtis de la zad au sein d’une forme de propriété collective à même de favoriser la consolidation des communs.

Dès 14h, il y aura une balade naturaliste. Et puis à partir de 17h, se succéderont : 
- un goûter 
- des chants avec la chorale de 17 janvier et du slam avec ben herbert Larue 
- des apéros mousus 
- un feu d’artifice, un survol poétique du ciel et un rite de victoire 
- une marche aux flambeaux 
- un banquet avec des plats épatants 
- des trous normands 
- une présentation spectaculaire du fonds de dotation 
- des musiciens de fest’noz 
- un intermède shostakovich et musique de chambre 
- Filastine + Nova avec un show electro aviateur 
- puis des danses incessantes.

Ce sera entre la Rolandière et l’Ambazada. Nous invitons expressément les participant.e.s à réserver au plus vite pour le banquet afin que les cuisinier.e.s puissent estimer les quantités de délices nécessaires. Vous pouvez le faire à 17janvier@riseup.net Réservez d’ores et déjà la date, un programme détaillé sera bientôt communiqué.

22 janvier 2019

Dixième festivité : Schiappanouna-gate

Léolo

Dixième festivité : Pris d'une certaine fièvre en haut-lieu devant l'intransigeance du soulèvement de ces gueux qui s'étaient eux-mêmes qualifiés de gilets-jaunes, on décida d'organiser un grand débat dont l'objet serait de réconcilier les français avec les panouilles macroniennes qui avaient pris la direction de leurs affaires depuis près de dix-huit mois, et n'avaient guère su jusqu'ici montrer la moindre aptitude à satisfaire qui que ce fût dans le pays, sinon ici et là quelques richissimes chafouins. On prit le temps d'estimer qui parmi l'élite gouvernementale aurait les facultés intellectuelles les plus à la hauteur de la tâche, et s'étant bien assuré de pouvoir trouver au coeur d'un tel plateau télé le dernier cri d'une intelligence française qui ne pourrait manquer de faire remonter dans les ministères, et à l'Elysée, les justes doléances de ces sacripants par trop taquins qui se disaient gilets-jaunes, on se résolut à envoyer la Marlène Schiappa piaulante à la rencontre de l'ennouilleur de slip Cyril Hanouna.

Hanouna nouille copier

 

12 décembre 2016

Rassemblement pour Adama Traoré et sa famille

Rassemblement pour Adama Traoré et sa famille

Mercredi 14 décembre 2016

15h

à Beaubrun, devant la comédie

(42000 Saint-Etienne)

Les frères Youssi et Bagui Traoré son jugés ce mercredi même, alors que leur seul tort est d'avoir réclamé justice et vérité concernant la mort de leur frère, Adama, tué par les gendarmes le 19 juillet dernier

Ils ont besoin de notre solidarité.

Soyons nombreux !

A la mémoire de Adama Traoré

A coller dans les rues de nos villes et villages

27 février 2019

Traité politique. Lettres

Spinoza, Traité politique, lettres

Traité politique. Lettres, de Baruch Spinoza, 1677.

4ième de couverture : "Je suis aise d'apprendre que les philosophes dans le cercle desquels vous vivez, restent fidèles à eux-mêmes en même temps qu'à leur pays. Il me faut attendre, pour connaître leurs travaux récents, le moment où, rassasiés de sang humain, les États en guerre s'accorderont quelque repos pour réparer leurs forces. Si ce personnage fameux qui riait de tout, vivait dans notre siècle, il mourrait de rire assurément. Pour moi, ces troubles ne m'incitent ni au rire ni aux pleurs ; plutôt développent-ils en moi le désir de philosopher et de mieux observer la nature humaine. Je ne crois pas qu'il me convienne en effet de tourner la nature en dérision, encore bien moins de me lamenter à son sujet, quand je considère que les hommes, comme les autres êtres, ne sont qu'une partie de la nature et que j'ignore comment chacune de ces parties s'accorde avec le tout, comment elle se rattache aux autres. Et c'est ce défaut seul de connaissance qui est cause que certaines choses, existant dans la nature et dont je n'ai qu'une perception incomplète et mutilée parce qu'elles s'accordent mal avec les désirs d'une âme philosophique, m'ont paru jadis vaines, sans ordre, absurdes. Maintenant je laisse chacun vivre selon sa complexion et je consens que ceux qui le veulent, meurent pour ce qu'ils croient être leur bien, pourvu qu'il me soit permis à moi de vivre pour la vérité."

Lettre de Spinoza à Oldenburg, 1665

Extrait n°1 : J'ai aussi considéré les affections humaines telles que l'amour, la haine, la colère, l'envie, la superbe, la pitié et les autres mouvements de l'âme, non comme des vices mais comme des propriétés de la nature humaine : des manières d'être qui lui appartiennent comme le chaud et le froid, la tempête, le tonnerre et tous les météores appartiennent à la nature de l'air.

Extrait n°2 : La liberté en effet est une vertu, c'est-à-dire une perfection. Rien en conséquence de ce qui atteste dans l'homme de l'impuissance, ne peut se rapporter à sa liberté.

Extrait n°3 : Je commencerai par dire brièvement que je définis Dieu un être constitué par une affinité d'attributs dont chacun est infini en son genre. Il faut noter que j'entends par attribut tout ce qui se conçoit par soi et en soi, de façon que le concept n'en enveloppe pas le concept de quelque autre chose.

12 mars 2019

Treizième festivité : The mangler

Treizième festivité : Un journaliste-animateur du désert trouva soudain fort utile de se montrer presque en extase devant les bénéfices apportés par les progrès de l'industrie-marchande, et nul parmi ses auditeurs n'eut à patienter longtemps pour être informé de ce qui pouvait bien susciter chez lui un tel enthousiasme, puisque l'imbécile en révéla bientôt l'objet, qui n'était rien moins que l'invention, selon lui, d'un lave-linge à même de durer le temps d'une existence humaine, à condition toutefois d'en changer assez régulièrement quelques pièces. Que l'Empire-marchand, en 2019, en fût venu pour subsister à faire passer pour une invention extraordinaire une machine ayant à peine les mérites de n'importe quelle fabrication datant de 1950, ne troubla donc pas outre-mesure notre commentateur du néant, qui ignorait sans doute ou fit mine d'ignorer qu'un lave-linge de 1950 pouvait non seulement rester fiable pendant des dizaines d'années, mais le plus souvent sans même nécessiter le remplacement d'une pièce quelconque.

Lave-linge années 50

21 septembre 2020

Cuisine ripaille et soûlographie en BD et illustrations diverses

L'heure du thé

five O'Clock Tea
de Peter Newell

 

T'as assez lu comme ça

Ca suffit Raymond, t'as assez lu comme ça
de Daniel Goossens

 

Le gourmet solitaire (scénario de Masayuki Kusumi)

Le gourmet solitaire
dessin de Jirô Taniguchi / scénario de Masayuki Kusumi (1997)

 

2019 (pas sûr), Tintin au bistrot, façon Hopper

Tintin au bistrot, façon Hopper
de Xavier Marabout (peut-être 2019)

 

2019 (pas sûr), Tintin au bistrot US, façon Hopper

 Tintin au bistrot US, façon Hopper
de Xavier Marabout (peut-être 2019)

 

2017, Almost lunch time

Almost lunch time
dessin de Toni Geis (2017)

 

La banquet gaulois

Le banquet gaulois

6 octobre 2020

Un nœud irrésolu d'âme

Un noeud irrésolu d'âme

Un noeud irrésolu d'âme, de Michel Ville :

4ième de couverture : La césure, l'instance brûlante de l'amour, scandent les lignes de répétitions. In-folio, divagué, sculpté, dans le parcours de telle ou telle perception, bruissante, blanche, et tout ce crayonné, hâtif, malheureux, de l'homme, de l'amant, de celui qui se penche encore une fois pour parler.

15€ (pas de frais de port - 50 pages, broché, 13 x 19 cm)

Pour acheter ce livre par carte bancaire, cliquez sur le bouton paypal ci-dessous :

 

En tant qu'association de loi 1901, les éditions A.E.C ont besoin de votre soutien pour pouvoir publier livres et autres oeuvres à venir en toute indépendance, aussi pouvez-vous nous soutenir en faisant un don à votre convenance en cliquant sur le bouton ci-dessous :

 

 

Pour celles et ceux qui n'aiment pas payer par internet, il est possible bien sûr d'envoyer un chèque aux "éditions AEC, 40 rue de la Mulatière, 42100 Saint-Etienne".

Le livre est également en vente dans les librairies suivantes :

- Quartier Latin, 6 rue Georges Teissier, 42000 Saint-Etienne.

- Lune et l'Autre, 19 rue Pierre Bérard, 42000 Saint-Etienne.

- Atelier PERS, 16 rue Seguin, 42100 Saint-Etienne.

- La Ciguë, 14 rue Sainte-Catherine, 42000 Saint-Etienne.

Pour nous contacter, écrire aux editionsaec@gmail.com

On pourra aussi commander les deux autres ouvrages publiés par cet auteur chez Lulu, ici : "Écueil" / "Sang Dessus Dessous".

28 février 2019

Mort au capitalisme

Mort au capitalisme

Mort au capitalisme, de Stéphanie Mc Millan.

Ce livre de coloriage est une introduction ludique au capitalisme. A travers une série de vignettes mettant en scène des personnages récurrents (un capitaliste sans scrupule, un lapin résistant…) et d’autres, ponctuels, dans lesquels chacun d’entre nous pourra se reconnaître, Stephanie McMillan décrit, dans un style accessible à tous, cette force qui nous domine et qui est en train de détruire la planète. Les dialogues entre les personnages, drôles et toujours pertinents, exposent avec simplicité l’absurdité et le caractère destructeur du système consumériste devenu planétaire, mais mettent également l’accent sur ses points de vulnérabilité ; car avant de pouvoir combattre efficacement notre ennemi, nous devons l’identifier clairement, comprendre sa structure et déterminer précisément qui le contrôle.

L’auteur

Stephanie McMillan est une dessinatrice politique, auteure et militante du sud de la Floride. Porte-parole des luttes sociales et écologistes, elle compte à son actif sept ouvrages édités aux Etats-Unis, dont un roman co-écrit avec l’auteur et militant écologiste américain Derrick Jensen. Depuis 1992, elle a publié de nombreuses bandes dessinées politiques. Son travail a été récompensé à plusieurs reprises.

On pourra commander ce fabuleux livre du parti de l'enfance directement chez son fabuleux éditeur, en cliquant juste ici après les deux points : Editions LIBRE !

12 avril 2019

Seizième festivité : Consumer Intelligence Service

Seizième festivité : Quelques bonnes têtes chercheuses d'Amazon, qui avaient sans doute pour objet d'assurer la bonne position de l'entreprise dans le classement des plus grands promoteurs de l'imbécilité marchande, introduisirent dans une misérable baffle le dernier cri de l'intelligence artificielle afin que celle-ci pût répondre, promirent-ils, à toutes les interrogations de ces êtres réifiés qu'on nomme "consommateurs" ; ils trouvèrent judicieux dans un même élan d'humaniser la chose en la nommant Alexa, et de déshumaniser des centaines de consciences en les employant à espionner les utilisateurs d'icelle : l'artifice intellectuelle d'Alexa s'étant en effet bientôt avéré incapable de donner la réplique à lui seul ; on dut réduire une fois encore l'intelligence humaine à la détresse cachée d'un service-après-vente.

SAV des émissions pure people

25 juin 2019

La poétique de la rêverie

Bachelard, la poétique de la rêverie

La poétique de la rêverie, de Gaston Bachelard.

4ième de couverture : "Dans les heures de grandes trouvailles, une image poétique peut être le germe d'un monde, le germe d'un univers imaginé devant la rêverie d'un poète. La conscience d'émerveillement devant ce monde créé par le poète s'ouvre en toute naïveté. [...] L'exigence phénoménologique à l'égard des images poétiques est d'ailleurs simple : elle revient à mettre l'accent sur leur vertu d'origine, à saisir l'être même de leur originalité et à bénéficier ainsi de l'insigne productivité psychique qui est celle de l'imagination." / Gaston Bachelard (1882-1962) : Professeur de philosophie à la Sorbonne après avoir enseigné avec passion la physique et la chimie au lycée, Gaston Bachelard, figure emblématique majeure de l'épistémologie française, s'est affirmé par un pan entier de son oeuvre "poétique" comme un grand "rêveur de mots".

Extrait N°1 : Le rêveur de la nuit ne peut énoncer un cogito. Le rêve de la nuit est un rêve sans rêveur. Au contraire, le rêveur de rêverie garde assez de conscience pour dire : c'est moi qui rêve la rêverie, c'est moi qui suis heureux de rêver ma rêverie, c'est moi qui suis heureux du loisir où je n'ai plus la tâche de penser.

Extrait n°2 : Nous croyons pouvoir montrer aussi que les mots n'ont pas exactement le même "poids" psychique selon qu'ils appartiennent au langage de la rêverie ou au langage de la vie claire - au langage reposé ou au langage surveillé - au langage de la poésie naturelle ou au langage martelé par les prosodies autoritaires. Le rêve nocturne peut bien être une lutte violente ou rusée contre les censures. La rêverie nous fait connaître le langage sans censure.

Extrait n°3 : Les grandes personnes écrivent trop facilement des contes pour les enfants. Elles font ainsi des fables d'enfantillages. Pour entrer dans les temps fabuleux il faut être sérieux comme un enfant rêveur.

Extrait n°4 : Et si nos songes nourrissent un peu nos actes, il y aura toujours un bénéfice à méditer sur nos plus anciens songes dans l'atmosphère de l'enfance.

Extrait n°5 : Et voici pour nous, entre rêve nocturne et rêverie, la différence radicale, une différence relevant de la phénoménologie : alors que le rêveur de rêve nocturne est une ombre qui a perdu son moi, le rêveur de rêverie, s'il est un peu philosophe, peut, au centre de son moi rêveur, formuler un cogito.

14 novembre 2019

Une chape de plomb s'abat sur le mouvement social !

01

Lundi 11 novembre. Après un long silence en partie forcé, voici nos dernières nouvelles de Grèce, depuis la Crète puis l’Épire (près de l’Albanie) en passant par Athènes avec une vague sans précédent de perquisitions et d’arrestations, de fausses accusations contre Rouvikonas, la fin du procès d’Aube Dorée et Exarcheia qui devient une poudrière.


GRÈCE : UNE CHAPE DE PLOMB
S’ABAT SUR LE MOUVEMENT SOCIAL !

En tout temps et en tous lieux, à chaque fois que le pouvoir s’est durci, il a toujours nommé de façon extravagante ceux qui lui résistaient. Sous l’occupation nazie ou la junte des Colonels, les opposants étaient parfois qualifiés de « terroristes ». Aujourd’hui, ce mot et d’autres du même tonneau sont utilisés à tout bout de champ contre les rebelles d’une société injuste et mortifère.

En Grèce, ce phénomène est encore plus marqué qu’à l’autre bout de l’Europe. Le glissement sémantique est total : des groupes rebelles qui n’ont jamais fait ni mort ni blessé sont montrés du doigt comme les pires criminels. Parmi ces collectifs qui ne visent que des dégâts matériels, le groupe Rouvikonas est sur le point d’être classé parmi les organisations terroristes, chose sans précédent en Europe.

Une fois de plus, la Grèce est un laboratoire du durcissement du capitalisme et de la société toujours plus autoritaire sur le vieux continent. C’est pourquoi nous souhaitons alerter nos camarades de l’autre bout de l’Europe de cette dérive : la criminalisation du mouvement social peut mener aux pires condamnations, à de longues peines de prison et, à terme, à une censure totale de nos idéaux révolutionnaires.

Ce processus s’accompagne de moyens de surveillance et de répression toujours plus importants du côté de l’État qui agit au service des dirigeants économiques et politiques. Nous sommes de plus en plus nombreux à nous retrouver dans le viseur d’un pouvoir qui n’accepte plus la contradiction et qui traque toute forme de résistance avec une violence toujours plus méthodique et perfectionnée. Ce qu’a vécu le mouvement social en France ces derniers mois se reproduit un peu partout dans le monde en ce moment, au rythme de soulèvements qui se heurtent à une répression brutale et décomplexée. Dans ce puzzle planétaire d’un capitalisme à bout de souffle, la Grèce, après une décennie de luttes exemplaires, devient le laboratoire du piège qui nous est tendu : il devient progressivement interdit de rêver, de proposer un monde débarrassé du système politique qui nous vole nos vies, et de lutter contre lui. Celui qui ose résister devient lentement un déviant à surveiller de toutes les façons possibles — avec l’appui de nouvelles technologies — et parfois à dissuader ou neutraliser avant même qu’il ait levé le petit doigt.

Voici notre alerte, camarades et compagnons du bout du monde. Nous sommes nombreux à nous inquiéter de ce glissement dans une société toujours plus autoritaire, à Exarcheia mais aussi ailleurs. Nous assistons à une inversion du sens des mots. Dans son roman 1984, George Orwell écrivait « La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force ». Aujourd’hui, nous pouvons ajouter : « Le crime c’est oser défendre la vie ».

02

 

Police partout, justice nulle part

Depuis la fin du mois d’octobre, de l’avis de beaucoup, nos communications sont rendues difficiles : serveurs internet HS, ordis à la ramasse, pages facebook fermées, comptes perso bloqués, censures en tous genres, téléphones s’allumant tout seuls et autres délices de l’ère technologique. On ne compte plus les témoignages et, moi aussi, j’ai été contraint au silence quelques jours.

De plus, la surveillance rapprochée devient omniprésente, visible et parfois menaçante : une camarade qui assure avec moi la protection nocturne du squat de réfugiés Notara 26 a eu, il y a quatre jours, les pneus de sa voiture crevés à coups de couteau. Puis, alors qu’elle prenait des photos du sinistre, les policiers de surveillance se sont rapprochés et lui ont dit en ricanant : — La prochaine fois, tu feras attention !

Le lendemain, un autre compagnon de lutte qui vit à l’est du quartier a vu un policier brandir son arme à feu dans sa direction alors qu’il avait simplement demandé qu’on lui « fiche la paix » : — J’en avais marre d’être suivi, observé, asphyxié dans ma vie privée. Les services de renseignement de l’État ne me laissent plus aucune intimité et ne se cachent même plus. Il y a manifestement la volonté de faire monter la pression, de nous dissuader, de nous inquiéter.

03

 

Qui terrorise qui ?

Plus grave encore, des policiers de garde sur les postes de surveillance d’Exarcheia ont harcelé à de nombreuses reprises des femmes, mêlant les gestes à la parole. Les langues des victimes commencent à se délier et nous aurons l’occasion d’en reparler. Certains flics, au poste de surveillance de la rue Kalidromiou, évoquent souvent à voix haute un hypothétique « manque d’hygiène des filles d’Exarcheia » au prétexte qu’elles fréquenteraient « de trop près » des migrants. Quand sexisme et racisme ne font qu’un.

Durant les rondes policières qui rasent leurs fenêtres, les migrants blottis dans les squats sont également inquiétés. Ils ont entendu plusieurs fois des injonctions insultantes qui rappellent celles des nazis :
Raus !!! À la douche !!! Bientôt le grand nettoyage !!!
Les MAT (policiers anti-émeutes) ne cachent pas leurs opinions et portent parfois des écussons très explicites, entre autres signes de reconnaissance.

Parallèlement aux pressions et violences policières, les médias du pouvoir ne cessent plus d’annoncer la « fin imminente du nettoyage d’Exarcheia ». Ils évoquent l’évacuation simultanée de 4 squats autour de la place Exarcheia dont le Notara 26 et peut-être le K*Vox, base de Rouvikonas. Certains affirment que le gouvernement souhaite en finir avant les manifestations du 17 novembre, moment fort du mouvement social à la mémoire de l’insurrection contre la dictature des Colonels en 1973, autour de l’École polytechnique située à l’ouest d’Exarcheia. Une rumeur insistante parle d’un « assaut final » qui aurait lieu cette semaine. Difficile de savoir si c’est vrai, mais beaucoup d’éléments concordent.

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Le pouvoir prêt à frapper fort

Durant les dernières semaines, le pouvoir s’est longuement préparé. Tout d’abord en essayant de « convaincre l’opinion publique de la nécessité d’en finir ». Un ministre a même précisé : — Nous devons sans attendre rétablir l’ordre au centre d’Athènes. Il ne peut y avoir un espace sans État ni gouvernement, cela n’est pas acceptable. La loi doit être la même partout, à commencer par le respect de la propriété privée et de l’autorité du gouvernement élu (…) Les squats sont illégaux. L’autogestion a des limites. Dans une démocratie, on ne doit pas faire n’importe quoi (sic).

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Nuit de garde devant le squat Notara 26 mêlant solidaires et réfugiés.


Le dispositif policier est également prêt pour un assaut encore plus important que les précédents (déjà à 5 reprises du 26 août au 2 novembre). Les voltigeurs DELTA, avec leur motorisation légère et leur objectif purement répressif, sont maintenant opérationnels. L’annonce vient d’être faite : ils sont officiellement sur le terrain dès aujourd’hui. Par contre, leur nom a finalement changé… à cause de leur sinistre réputation ! Au lieu de DELTA, ils s’appelleront DRASI (ce qui veut dire action). L’initiale D est habilement conservée. Un peu comme si en France, on changeait le nom des voltigeurs en vadrouilleurs. Changer de nom pour tenter de faire oublier le passif, un peu comme les partis politiques et grandes firmes. Changer de nom pour que rien ne change.

De nouveaux équipements viennent également d’être livrés, sans que tous les détails ne soient communiqués. On parle à nouveau de matériel français, notamment pour les services de renseignement. Autre point important, le code pénal achève actuellement sa modification pour sanctionner plus durement toutes les formes de résistance. Paroxysme de ce durcissement de la loi, le groupe Rouvikonas, qui est considéré par le pouvoir et les médias comme le principal ennemi — parce que quotidien ou presque dans ses actions contre tous les pouvoirs — est sur le point de subir une classification en « organisation terroriste ». C’est complètement insensé si l’on compare les modes d’actions de ce collectif avec ce qu’on définissait jusqu’ici comme étant du terrorisme, en Grèce comme ailleurs.

Rouvikonas n’a jamais tué personne ? Qu’à cela ne tienne ! Le pouvoir est prêt à tout inventer pour distiller la confusion, à l’exemple d’un incroyable storytelling qui vient de se dérouler depuis deux jours à Athènes.

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 Désinformation médiatique concernant la responsabilité de Rouvikonas

dans l’attaque du poste de police de la rue Charilaou Trikoupi.

 

Un membre de Rouvikonas tabassé
et poursuivi suite à de fausses accusations

Dans la nuit de jeudi à vendredi, un groupe rebelle anonyme est allé attaquer le car de policiers anti-émeute situé à l’est du quartier, dans la rue Charilaou Trikoupi. Ce genre d’initiative est chose courante, très courante même, surtout depuis que le quartier est, en partie, sous occupation policière. Mais cette fois, l’attaque a, il est vrai, été plus puissante qu’à l’habitude et a pris en tenaille les MAT sous un déluge de feu, vers dix heures du soir. Une action anonyme organisée en riposte du siège d’Exarcheia et des agressions perpétrées. Ce soir-là, les cocktails Molotov ont blessé trois policiers dont un à la tête et un autre à la jambe. Une moto de la brigade DIAS a été brûlée. Sans doute le but était-il de tuer.

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Mais, dans les minutes qui ont suivi, c’est tout le cœur d’Exarcheia qui a été pris d’assaut par toutes les forces de police alentours. Des dizaines de MAT ont envahi la place centrale en hurlant et ont frappé au hasard les passants, hommes et femmes, jeunes ou vieux, alors qu’ils n’avaient rien à voir avec l’attaque. La scène a duré plus d’une heure. Parmi les habitants du quartier, une trentaine se sont réfugiés à l’intérieur du bistrot nommé Kaféneio (l’un des plus vieux d’Exarcheia), mais les policiers ont tenté d’enfoncer la porte et ont menacé d’interpeller tout le monde, avant de renoncer quelques minutes plus tard. Un célèbre journaliste de la télé, accouru sur les lieux, n’a pas été reconnu par les flics et a été frappé à son tour, provoquant l’hilarité des observateurs de la scène. Dans leur déchaînement de violence, les MAT étaient en train de cogner sur leur plus fidèle allié !

Plus haut sur la place, du côté du K*Vox, plusieurs dizaines d’anarchistes et d’autres compagnons de lutte commençaient à se regrouper pour protester contre les violences policières et défendre les lieux et les personnes. Dans un tonnerre de grenades assourdissantes et un épais brouillard de gaz lacrymogène, les policiers ont réussi à attraper un manifestant et à le traîner au sol, tout en le dénudant en partie et en le frappant à plusieurs reprises. Selon plusieurs témoins, il aurait ensuite été torturé dans la rue Bouboulinas, à quelques dizaines de mètres de là, sous les hurlements rageurs des policiers. Ces derniers ont même été entendus en train de crier : « I hounda iné édo ! » (la junte est encore là). Ce camarade est très connu et ne se cache pas d’être un membre actif de Rouvikonas. C’est un ami généreux, solidaire et expérimenté, détesté par la police mais très apprécié parmi nous. Et surtout, ce camarade n’avait absolument rien à voir avec l’attaque qui venait d’avoir lieu à l’est du quartier, comme de nombreux témoins le confirment.

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Si ce n’est toi, c’est donc ton frère !

Oui, mais la police voulait se venger. Elle a frappé des dizaines de personnes au hasard sur la place (à un kilomètre de l’attaque) et a fait 18 interpellations. Quand elle a vu l’état de notre camarade, sérieusement blessé, elle a procédé comme souvent : en l’arrêtant pour résistance, insultes et coups et blessures contre des policiers. Faits complètement farfelus, bien sûr ! Une pure invention, malheureusement courante quand la police passe à tabac quelqu’un. Autre fait important : toutes les autres personnes interpelées ont été relâchées sans être arrêtées. Seul notre camarade s’est retrouvé devant le juge d’instruction, puis le procureur, visiblement blessé avec une attelle et des bleus.

Pourquoi ? Tout simplement, pour être accusé seul de toutes les charges concernant l’attaque voisine contre le bus de la police. Autrement dit, il fallait clairement éviter d’associer des personnes extérieures à Rouvikonas à ce membre notoire du groupe de façon à établir la totale responsabilité de Rouvikonas dans l’opération menée contre les policiers de garde à l’est d’Exarcheia. Une opération qui visait clairement à blesser sinon à tuer, vu la méthode employée (attaque en tenaille, pluie de cocktails Molotov par surprise, groupe nombreux et rapide). Vous l’avez compris, bien qu’il n’ait aucun rapport avec les faits reprochés et malgré les nombreux témoignages qui l’attestent, notre camarade sert de prétexte pour accuser le groupe Rouvikonas tout entier de tentative d’homicide sur des policiers. L’affaire est grave et tombe à pic en pleine modification du code pénal. Pile au moment où l’article 187A va permettre à l’État de frapper lourdement le célèbre groupe anarchiste athénien. Le procès de notre camarade aura lieu dès ce 20 novembre.

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Terroriste, Rouvikonas ? En réalité, le premier de tous les terroristes est, bien sûr, le pouvoir qui nous vole diversement nos vies, nous manipule en jouant sur la peur et fabrique, plus que la totalité de la complosphère, des tonnes de fake news qui ne portent pas leur nom (ce qu’on pourrait appeler la « crétinosphère » tant on nous prend pour des imbéciles). C’est ainsi qu’il se présente en sauveur, en protecteur, en rempart contre les méchants anarchistes et autres révolutionnaires qui proposent une autre façon de nous organiser, en prenant nos vies en main dans une réelle liberté, égalité et fraternité. La liberté de choisir nos vies, l’égalité sociale et politique, la fraternité universelle par-delà les peurs, les étiquettes et les frontières.

Ce qui se passe en ce moment à Athènes ne cesse de le confirmer. Comme partout ailleurs dans le monde, le pouvoir tremble, il sent que la colère gronde, que la révolte couve, au point d’exploser en différents points du globe. C’est pour cela aussi qu’il se durcit encore plus et qu’il a besoin de fabriquer des boucs émissaires pour détourner l’attention.

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 Terrorisme à toutes les sauces

Avant-hier matin, une vaste opération antiterroriste a été lancée dans toute l’Attique, du Pirée à Lavrio et de Megara à Exarcheia. Le contenu d’une quinzaine de perquisitions a été dévoilé par les médias du pouvoir surexcités. Au total : 5 fusils de type Kalachnikov, une mitraillette, de la dynamite, des pistolets, des grenades à gaz lacrymogène, des lance-grenades, des détonateurs et des explosifs. Cette pêche savamment préparée tombe à point nommé : l’État a trouvé un ennemi intérieur et va pouvoir justifier ses nouvelles lois, comme autrefois le Patriot Act aux États-Unis et l’État d’urgence en France. « Pour votre sécurité, vous aurez moins de liberté ». On connait la chanson !

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Durant les premières heures après la découverte, les agences de presse ont volontairement entretenu la confusion sur la provenance de ces armes, sans aucune info précises sur les personnes arrêtées. Encore la faute aux migrants ? À Rouvikonas ? À un autre groupe basé à Exarcheia ? Rien ne filtrait et les rumeurs sont allées bon train, jusqu’à ce que le nom d’un obscur groupuscule soit évoqué : « Organisation d’autodéfense révolutionnaire » qui avait essentiellement attaqué l’ambassade de France en 2016 puis celle du Mexique, en solidarité avec les mouvements de lutte dans l’hexagone et au Chiapas.
Aussitôt sur tous les plateaux de télévision, le nouveau premier ministre de droite, Kyriakos Mitsotakis, a fait un orgasme :
Je tiens à féliciter le service de lutte contre le terrorisme, la police grecque et le ministère de la Protection du citoyen pour leur grand succès. Pour réaffirmer, une fois encore, mon engagement à mettre fin de manière permanente et irréversible au problème du terrorisme intérieur en Grèce.

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Hier, les perquisitions et arrestations ont continué, en mélangeant tout et n’importe quoi dans la plus grande confusion, au prétexte des saisies de la veille. À 500 mètres au nord d’Exarcheia, tous les locaux de l’Université d’économie ont été fouillés de fond en comble. Idem au domicile de nombreux militants, dont des anarchistes habitant sur la colline de Strefi, membres du groupe Gare, réveillés par 30 policiers cagoulés en présence de leur môme effrayé, puis plongés la tête la première dans un panier à salade, après avoir été traînés dans les escaliers.

Une chape de plomb s’abat actuellement sur Athènes et tout le monde se retrouve menacé et traqué dans une véritable fête foraine pour policiers en manque de gauchistes et d’anarchistes. Un feu d’artifice pour les valets du pouvoir et la grande roue pour le nouveau premier ministre, piètre héritier de la dynastie politique des Mitsotakis, encore plus narcissique que le vil monarque de Prévert dans son œuvre Le roi et l’oiseau. Derrière de plus en plus de groupes et d’individus, sous toutes les formes et toutes les coutures, c’est tout le mouvement social qui est visé. Le but ultime est double : d’une part nous intimider pour nous dissuader et, d’autre part, semer la peur dans la population et faire de tous ceux qui résistent les ennemis de la paix et de la concorde. On vous l’a dit en France aussi : l’État garantit la liberté, l’égalité et la fraternité, c’est même écrit partout, alors quoi demander de plus ?

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Selon que vous serez puissants ou misérables…

 

Bons migrants et mauvais migrants

Alors même que le sinistre camp de Moria à Lesbos vient de dépasser le seuil des 15 000 détenus en son sein (oui, détenus, car ces personnes sont bloquées, désespérées et parfois en très mauvais état de santé, dans un camp créé par l’Union européenne et prévu au départ pour 2600 réfugiés), le gouvernement grec se vante d’avoir réussi son opération « Visas d’or ».

Depuis quelques années, la Grèce octroie des visas à tous les non ressortissants de l’Union européenne qui viennent investir au moins 250 000 euros dans l’immobilier sur son territoire, ce qui permet principalement à des hommes d’affaires chinois de s’installer et de se balader tranquillement en Europe pendant que les réfugiés afghans ou érythréens souffrent le martyre dans les camps et le labyrinthe odieux des services d’asile. 5300 visas d’or ont été donnés depuis 2013, dont 3400 à des riches chinois et également plusieurs centaines à des hommes d’affaires russes. C’est beau la fraternité, non ?

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L’Internationale du Capital est mieux organisée que la nôtre
pour nous dominer et nous exploiter. À nous de faire converger nos luttes,
par-delà nos différences, pour nous libérer et prendre nos vies en mains.

En plus de cette inégalité de traitement cynique et sordide, le ministre grec de la police a dit s’inquiéter de la venue probable de djihadistes dangereux parmi les nouvelles barques de migrants qui arrivent sur les côtes de la mer Égée. Une fois de plus, le pouvoir se sert du mot terroriste pour détourner l’attention, semer la peur, stigmatiser et maltraiter des personnes qui n’ont le plus souvent rien à voir avec ce qu’on leur reproche. Depuis la nuit des temps, le pouvoir divise pour mieux régner, puis se pose en arbitre et en protecteur. Le pouvoir sème la discorde en prétendant assurer la concorde. Il ment comme il respire, rassemble les foules avec des flots de mots dépourvus de sens, bâtit des châteaux de cartes et fonde toute sa puissance sur du papier : billets de banque, titres de propriété, dette publique et privée, bulletins de vote, textes de loi, constitution… Du papier, rien que du papier dans une société hors-sol, prisonnière de son propre spectacle et coupée de la réalité d’un monde qui agonise.

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 Partout, le vent se lève

Il y a deux semaines, j’étais encore en Crète où la lutte contre le nouvel aéroport de Kastelli commence à prendre une autre tournure. Les premiers oliviers ayant été arrachés, la question se pose de plus en plus sur les formes possibles de la lutte. Comment résister ? Telle est la question qui circule, ici et là, en Crète, comme ailleurs. Les hypothèses se chuchotent. On se méfie. On envisage beaucoup de choses sans savoir de quoi demain sera fait.

Idem il y a une semaine, à Athènes, où je participais à un colloque organisé par Rouvikonas et la nouvelle Fédération Anarchiste de Grèce (Anarxiki Omospodia, composée d’approches et de courants divers), durant deux jours dans le théâtre autogéré Embros plein à craquer. Cela faisait des années que je n’avais pas entendu autant d’interventions si pertinentes, lucides et foisonnantes en termes de propositions. Quelque chose se passe, manifestement. Quelque chose de profond, de clair et d’intelligent. Quelque chose qui ressemble à une prise de conscience, critique et politique. Je suis sorti de ces deux jours comme réveillé, ranimé, éclairé, non pas par une quelconque avant-garde, mais par la diversité fertile de nos débats, dans une grande écoute mutuelle et sur un plan d’égalité. De mon côté, on m’avait demandé d’intervenir sur les relations, communications et solidarités internationales. Je n’ai pas manqué de transmettre votre soutien et de résumer les nombreuses actions effectuées dans plus de 60 pays du monde en soutien à Exarcheia et Rouvikonas. J’ai aussi raconté l’anecdote récurrente concernant la lettre P dans l’étoile noire. En effet, on me demande souvent à l’ouest de l’Europe pourquoi il y a un P dans le logo de Rouvikonas. D’ailleurs cela a bien fait rire la salle à Athènes. Dans l’alphabet grec, le P est tout simplement la lettre « ro », c’est-à-dire l’équivalent du R. C’est donc bien l’initiale de Rouvikonas, mais en alphabet grec !

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 Le crépuscule des gargouilles

Pendant ce temps, le procès d’Aube Dorée se termine enfin, six ans après les assassinats de Shahzad Luqman et Pavlos Fyssas, dans un concert de pleurnicheries nazies. Après le défilé des principaux membres de l’organisation (devenus tour à tour des girouettes à la barre du tribunal, au point qu’un des fascistes apeurés s’est même évanoui), le chef suprême des surhommes aux poignards rouges de sang a parlé en dernier, vendredi, en guise de bouquet final d’une succession de mensonges et de reniements. Les conclusions de la procureure seront rendues en janvier et le verdict au printemps. Ce procès a tellement été long et fastidieux qu’il a donné le temps à ce parti de disparaître totalement du parlement et de tomber à des scores presque négatifs, sous les assauts du mouvement antifasciste partout en Grèce. Aube Dorée approchait la barre des 10% en 2014 (9,4% aux Européennes). Il est tombé à moins de 3% en juillet et maintenant à moins de 0,5% dans les sondages ! Le carrosse est redevenu citrouille et les princes de la nuit se sont transformés en gargouilles grimaçantes, abandonnant presque tous leurs locaux en Grèce, y compris le plus grand, rue Mesoghion à Athènes. Depuis des semaines, les sous-chefs et opportunistes en tous genres démissionnent à la queue-leu-leu.

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Le roi est nu. Le führer supplie même ses juges : « je ne savais pas ! » (pour les ratonnades et les assassinats) comme un vulgaire capot des camps d’autrefois. Aube Dorée n’est plus, mais le fascisme est toujours là, y compris au gouvernement et dans les rouages de l’État, plus nuisible et virulent que jamais. Un fascisme qui tente une fois de plus de détourner nos luttes légitimes contre la misère vers des préoccupations identitaires d’un autre âge, mythifiant le passé, fabriquant des boucs-émissaires parmi les plus vulnérables et ménageant ainsi le capitalisme et l’organisation autoritaire de la société. Ne soyons pas naïfs, les ratonnades et les embuscades continueront — comme celle que j’ai subie au Pirée en juin dernier et qui n’a fait qu’intensifier ma volonté de lutter. Aube Dorée n’était qu’une étiquette sur un poison, l’un des multiples noms d’un fléau universel, une facette passagère d’un problème qui reste indissociable de la société autoritaire et capitaliste qui le génère. L’étiquette est tombée, mais le problème reste entier.

C’est pourquoi ceux qui prétendent lutter contre le fascisme sans lutter contre ses causes se moquent de nous. Le capitalisme, le pouvoir et les médias du pouvoir font partie intégrante du problème et sont indissociables du monstre qu’ils génèrent. Les collaborateurs de ce système politique, économique et médiatique ne sont pas des alliés mais des imposteurs, surtout quand ils pratiquent le racisme sélectif au prétexte d’attributs que portent parfois les plus misérables parmi nous.

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En attendant le verdict du procès d’Aube Dorée en Grèce, je prendrai bientôt connaissance, à une autre échelle, du verdict du mien en France. En octobre 2017, les petits frères européens d’Aube Dorée, dirigeants de Génération identitaire en France, Italie et Allemagne, m’ont poursuivi pour ma participation au sabotage de leur opération Defend Europe en Méditerranée, alors qu’ils tentaient d’entraver le sauvetage en mer des migrants par des navires d’ONG. J’ai gagné en première instance à Nice, puis perdu en appel à Aix-en-Provence, et j’attends maintenant l’audience de la Cassation qui aura lieu le 26 novembre à Paris. Je saurai probablement début décembre l’issue de cette bataille juridique menée par mes avocats Dominique Tricaud, Matteo Bonaglia et Claire Waquet. Autre accusé à mes côtés, mon ami Jean-Jacques Rue est impatient de savoir ce que va décider la Cour de Cassation. Cette décision sera hautement symbolique vu les circonstances. Je vous tiendrai au courant du verdict dès que j’en prendrai connaissance. Je remercie vivement Pro-Activa Open Arms d’avoir osé témoigner à ce procès pour décrire les agissements des marins fascistes, ainsi que Pia Klemp, mon amie capitaine du Iuventa puis du Sea Watch, qui nous a également beaucoup aidés à Exarcheia.

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Les Justes d’aujourd’hui

À l’inverse de cette haine égoïste, crétine et dangereuse, de nombreux solidaires viennent en aide aux réfugiés et migrants, parfois dans des conditions très difficiles, par exemple après avoir réussi à les aider à revenir des sinistres camps conçus par l’Union européenne après les rafles policières dans les squats. C’est notamment le cas d’un instituteur athénien qui nous rappelle les Justes d’autrefois, prenant des risques vis-à-vis de sa hiérarchie et, parfois, de la police, et mêlant sa volonté d’une pédagogie moins autoritaire à des actes concrets de lutte et d’entraide. Cet instit formidable met en œuvre quotidiennement la Pédagogie Freinet dans sa classe, invitant à la coopération plutôt qu’à la compétition, et agit aussi en dehors, jusqu’au domicile de certains enfants et de leurs parents épouvantés par l’expérience des camps. Cette belle histoire qui peut nous servir d’exemple sera également dans notre prochain film(1).

Je viens également de passer en Épire, dans le nord-ouest de la Grèce, tout près de la frontière albanaise, au milieu de montagnes pittoresques et de grottes camouflées qui témoignent du temps de la résistance. C’est sur cette terre sauvage que l’État grec autorise désormais des multinationales à entreprendre des recherches pétrolières et de gaz de schiste. Je vous montrerai cette lutte, parmi d’autres, dans notre prochain film « Nous n’avons pas peur des ruines ». Du nord au sud, la résistance converge de plus en plus entre les luttes de classes, sociales et environnementales, avec une même évidence : tout est politique et nécessite la remise en question profonde d’un système qui est complètement suranné, vérolé, vendu au pouvoir économique. Nous sommes chaque jour plus nombreux à comprendre qu’on ne changera pas le monde sans le transformer à la racine, dans son crédo le plus tabou, c’est-à-dire la pierre angulaire du pouvoir.

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Avec Marilena et Anastassis de l’espace social libre Alimoura à Ioannina,
dans la lutte contre les extractions pétrolières en Épire, près de la frontière albanaise.


Nous n’avons plus le temps d’avoir peur

Sortir de la préhistoire politique devient une nécessité vitale. Nous organiser autrement, non seulement pour prendre nos vies en main, mais pour sauver la vie tant qu’il en est encore temps. Passer du pouvoir en tant que nom, qualifiant ceux qui nous dominent ou qui prétendent nous gouverner, au verbe pouvoir, qui signifie être en capacité de choisir chacun et ensemble nos vies. Ce n’est qu’en nous débarrassant du pouvoir en tant que nom que nous libérerons le pouvoir en tant que verbe. Ces homonymes sont aussi des antonymes. Pour pouvoir vivre libres, libérons-nous du pouvoir.

D’un bout à l’autre de la planète, en toile de fond de revendications singulières et parfois anodines en apparence, du Chili à l’Indonésie et de la Guinée au Liban, il y a un profond désir de changement qui monte jusqu’en Europe. Un désir de remise en question et de réinvention. Un désir d’en finir avec la politique à l’ancienne et son cortège de mensonges et de corruption. Un désir de ne plus laisser à d’autres le pouvoir de décider de nos vies, de nous écraser, de nous humilier et, parfois, de nous tuer.

Vendredi soir, à la fin du débat qui a suivi la projection de L’Amour et la Révolution(2) à Ioannina, une jeune femme a dit :
Nous n’avons plus le temps d’hésiter. Nous n’avons plus le temps d’avoir peur. Nous n’avons plus d’autres choix possibles. Nous devons nous mettre en alerte et alerter tout le monde autour de nous : les choses ne peuvent plus durer, la planète n’en peut plus, tout ce qui vit n’en peut plus, l’humanité va dans le mur… Nous devons arracher le pouvoir à ceux qui prétendent nous gouverner. Nous devons arracher le bien commun à ceux qui l’ont volé et le saccagent. Nous n’avons plus d’autre choix : vivre libres ou mourir.

Yannis Youlountas


www.youtube.com/watch?v=OoaxVko0bwQ


Pour en savoir plus, voir ICI !

23 juin 2019

L'homme qui rit

L'homme qui rit, victor hugo net

L'homme qui rit, de Victor Hugo.

4ième de couverture : [...] Lorsqu'il publie L'homme qui rit en 1869, Hugo le présente comme le roman de l'aristocratie, premier volume d'une trilogie consacrée à une histoire de la Révolution que Quatrevingt-Treize achèverait. Dénonciation du despotisme de l'aristocratie, méditation historique et métaphysique, c'est aussi une oeuvre foisonnante et baroque, où Hugo nous donne à réfléchir sur la misère et sur le peuple, sur l'amour et sur le désir, aussi bien que sur le Mal.

Extrait n°1 : C'était une minute d'anxiété préalable où il semble que les éléments vont devenir des personnes, et qu'on va assister à la transfiguration mystérieuse du vent en aquilon. La mer va être Océan, les forces vont se révéler volontés, ce qu'on prend pour une chose est une âme. On va le voir. De là l'horreur. L'âme de l'homme redoute cette confrontation avec l'âme de la nature.

Extrait n°2 : L'antique comparaison de la chair avec le marbre est absolument fausse. La beauté de la chair, c'est de n'être point marbre ; c'est de palpiter, c'est de trembler, c'est de rougir, c'est de saigner ; c'est d'avoir la fermeté sans avoir la dureté ; c'est d'être blanche sans être froide ; c'est d'avoir ses tressaillements et ses infirmités ; c'est d'être la vie, et le marbre est la mort.

Extrait n°3 : Les lords ont des bêtes féroces à eux qu'ils mettent dans leurs armoiries. Comme Dieu n'en a pas fait assez, ils en inventent.

Extrait n°4 : - Oui, murmura Gwynplaine pensif, c'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches.

Extrait n°5 : D'instinct le peuple de Southwark évitait, nous l'avons dit, cette rue entre prison et cimetière. Jadis elle avait été barrée la nuit d'une chaîne de fer. Très inutile ; car la meilleur chaîne pour fermer cette rue, c'était la peur qu'elle faisait.

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